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tome 2, Chapitre 5 « L'engrenage » tome 2, Chapitre 5

La dernière année ne connaît que des bas et encore des bas. La Covid disparaît et réapparaît sous des variants différents. Voilà un an que Joseph-Arthur a repris conscience suite à son accident et ses souvenirs remontent jusqu'à ce réveil. Il a appris par les journaux que Donald Trump a perdu ses élections, ce qu'il a difficilement accepté suscitant même une tentative de coup d'État le 6 janvier avant de quitter son poste aux mains de Jos Biden le 20 janvier 2021. Mais comme il ne se souvient pas de qui était Trump, cela ne le chagrine pas du tout. Natou et Rosita se gardent bien de révéler à Joseph-Arthur que ses articles ont incité le Président à commanditer à la CIA une tentative d'assassinat sur sa personne. Ce fut la cause directe de son accident et de son amnésie. Elles passent aussi sous silence un deuxième projet d'élimination contré grâce à Natou. Trump parti, le SCRS pense que Joseph-Arthur n'est plus en danger.

La cellule Œil Triple vient de terminer l'aménagement de ses locaux. Il a fallu déménager les meubles de trois maisons situées en Mauricie dans le plus grand secret grâce aux services secrets canadiens. Un triplex, d'apparence anodine, lui sert de refuge. Rosita habite le logement du haut, Natou celui du bas et Joseph-Artur se trouve pris en sandwich entre les deux. Un ascenseur privé permet aux trois amis de se déplacer jusqu'au sous-sol de façon incognito. Aucun voisin ne peut en détecter la présence. Encore moins nos voisins américains.

Pour l'instant, la seule tâche de Natou est de suivre les mouvements de John Dear, l'agent de la CIA qui était chargé d'empoisonner Joseph-Arthur. Le logiciel espion que Natou a installé dans l'ordinateur et dans le cellulaire de ce dernier ne révèle aucun danger immédiat.

Le matin du 15 janvier 2022, Rosita commence la réunion en mettant ses amis sur leurs gardes. Un événement se prépare. Elle ne sait pas encore de quoi il s'agit, mais cela pourrait être leur première mission officielle. Il faudra garder l'œil ouvert. Enfin !, de dire Natou. On va avoir de l'action. Joseph-Arthur s'exclame : l'action est l'arroseur, et la récolte est le succès. Rosita lui réplique qu'il a raison. Ce à quoi son ami lui dit : le cœur a ses raisons comme de raison.

Interloquées, Rosita et Natou se demandent ce qui arrive à leur ami. Elles sont peu habituées à l'entendre dire de longues réponses. Une recherche sur Google leur apprend que souvent, une victime d'amnésie peut développer un TOC dont celui d'embellir ses phrases de figures de style ou de faire des digressions inopinées. Elles espèrent que cela ne nuira pas au travail de leur ami.

La semaine suivante, tout le monde se fait réveiller par un vacarme épouvantable. Des manifestants promènent leurs pancartes et leurs chiens devant le parlement situé près de leur domicile. Ils manifestent contre les mesures anti-Covid, dont le port du masque et la vaccination. Un appel du patron leur dit de se tenir prêts : une grande manifestation se prépare et il faut en identifier les meneurs.

L'équipe commence à mettre en commun ses compétences. Joseph-Arthur utilise son réseau pancanadien de contacts et son instinct journalistique pour suivre les pistes de possibles agitateurs. Rosita met son sixième sens en alerte en espérant anticiper certains mouvements et déjouer des menaces potentielles. Natou infiltre tous les réseaux sociaux pour trouver des preuves tangibles d'un événement malheureux pouvant survenir bientôt.

Les premiers rapports

Natou repère plusieurs échanges entre des associations de camionneurs qui préparent une manifestation monstre à Ottawa. Elle en fait part à Joseph-Arthur qui fait le tour des médias canadiens afin de recueillir le maximum de renseignements. Quelques heures plus tard, il rédige un premier rapport adressé au secrétariat du Premier Ministre Trudeau.

Monsieur le PM, J'ai attendu en après-midi une heure pm pour vous mettre au courant des effets de votre décision concernant la vaccination contre la Covid. En passant, je suis majeur et vacciné. Vous savez sûrement que la Covid est une drôle de bête, ce qui est triste. Un virus, paraît-il, invisible à l'œil nu. C'est déjà fortiche, ça ! Se cacher aussi bien dans nos corps, chapeau ! On nous disait : "Faites attention, il est partout !" Mais comment faire attention à quelque chose qu'on ne voit pas ? C'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin... sauf que l'aiguille, elle, existe !

Et puis, ces masques ! On se cache le visage, on ne se reconnait plus dans la glace. On parle, mais les mots s'étouffent derrière le tissu. On a l'air de bandits, mais des bandits qui ont peur d'un microbe ! C'est cocasse, non ?

Les distances aussi... Un mètre, deux mètres... On se mesure à la règle, comme si on était des planches. On ne peut plus se serrer la main, se faire la bise. On se salue de loin, avec un petit signe de tête. En plein air, on a l'air de marionnettes désarticulées.

Pour faire court, et non la cour dans votre cour gouvernementale, le SCRS confirme la présence d'un mouvement anti-vaccins, anti-masques et anti-Trudeau. Les manifestants, qui s’opposent à la vaccination obligatoire des camionneurs, convergent vers Ottawa depuis plusieurs jours, dans un mouvement nommé « Canada Unity ». La cellule L'Œil Triple vous confirme (confirmation qui normalement est réservée aux évêques) que votre gouvernement est responsable de ne pas avoir pris ses responsabilités quand il a imposé le 15 janvier denier, la vaccination contre la COVID-19 aux camionneurs qui franchissent la frontière canado-américaine. Une mesure semblable est en vigueur aux États-Unis depuis le 22 janvier. Le nouveau président Jos Biden en a fait son premier décret depuis son entrée en fonction.

Bien à vous, l'Encre. PS j'utilise de l'encre X65 de marque HP selon les désirs de notre imprimante. J'espère qu'elle vous fait une bonne première impression.

Rosita, fidèle à ses habitudes, relit le rapport de Joseph-Arthur sans y apporter trop de modifications. Elle n'est pas à une virgule près. Puis, machinalement, sa main droite soulève un stylo et prend note de s'acheter des bouchons pour les oreilles. À quoi pourraient-ils servir ? N'écoutant que ses prémonitions, elle se présente à la Rexall Pharma Plus près de chez elle et repart avec 18 paires de bouchons de marque Opein en Silicone souple pour une protection auditive supérieure. Le pharmacien ignore que dans quelques jours la demande pour ce produit sera aussi grande que celle pour le papier de toilette en début de pandémie.

De retour à la maison, elle partage ses achats avec Natou et Joseph-Arthur. Elle se rend à l'appartement de son ami pour laisser des bouchons à ses chats siamois Jonah et Luney. Tout en leur donnant des gâteries, elle essaie, sans succès, de les convaincre de porter ces étranges objets pour protéger leurs oreilles.

Le soir venu, puisqu'il vient à tous les jours, Natou revient avec de nouvelles informations. Après avoir vu un reportage à Radio-Can elle a fouillé quelques conversations dans le Dark Web et a découvert des renseignements dont il faut renseigner le PM. Joseph-Arthur s'en charge.

Message confidentiel au PM de la part de la cellule l'Œil Triple. Un convoi de camionneurs vient de prendre la route en Colombie-Britannique. Il prévoit arriver à Ottawa dans cinq jours. Suite à une émission de télévision, ma consœur (qui n'est ni ma sœur ni conne), l'agent Vision prédit que cette manifestation pourrait se transformer en occupation du centre-ville. Elle pense, et je la crois, que tout au long de son voyage vers la capitale nationale, le convoi parviendra à rallier de nombreux Canadiens dans leur opposition à la vaccination obligatoire des camionneurs, et ce, sans s’attirer les foudres des autorités policières. Pouvez-vous imaginer des manifestants, non pas en colère et criant des slogans, mais s'installant avec une placidité déconcertante, peut-être en plantant des fleurs ou en organisant un pique-nique géant au milieu de la place. L'absurdité de la situation déstabiliserait les autorités plus que n'importe quelle barricade. On pourrait voir des fonctionnaires perplexes tentant de comprendre les revendications silencieuses, tandis que les passants, d'abord interloqués, finiraient par se joindre à cette étrange forme de protestation. L'occupation serait une subversion douce, un défi par l'incongruité, où le rire et l'étonnement deviendraient les armes les plus efficaces.

Monsieur, je joins à ce rapport un cadeau qui pourrait vous être utile. Il s'agit de deux paires de bouchons d'oreilles qui vous permettront de dormir sur vos deux oreilles en alternant avec la gauche et la droite ou vice-versa. Bonne nuit. L'encre.

Rosita trouve que son ami exagère un peu sur sa prose et sur ce qu'il propose mais elle comprend qu'un ancien journaliste ayant perdu la mémoire n'a pas perdu son goût de l'écriture. Une autre journée sans histoire prend fin Joseph-Arthur est accueilli par ses chats toujours sans bouchons. Une heure plus tard, tout le monde dort, oreilles bien protégées sauf deux siamois qui veillent au son des klaxons.

Le lendemain matin, trois douches coulent et trois amis prennent un petit déjeuner. Natou engloutit un œuf miroir et bacon, Joseph-Arthur rôties et beurre d'arachides tandis que Rosita se contente de quartiers d'orange. Puis, l'ascenseur ramène les agents secrets au sous-sol où Natou constate qu'une alerte clignote sur son écran. Il y a du nouveau avec les camionneurs.

L’invasion du Capitole à Washington a été célébrée par les réseaux libertariens à travers le globe. Plusieurs camionneurs veulent les imiter. Ces réseaux, et ceux de la droite radicale, sont très liés aux États-Unis et au Canada. Des partisans de Trump financeraient même le mouvement des camionneurs. Le mouvement prend de l'ampleur alors qu'un convoi vient de partir de la Beauce et se trouverait près de Québec. Rosita est anxieuse. Elle anticipe une révolte populaire. Natou confirme ses craintes. Elle vient d'intercepter une communication entre des camionneurs beaucerons. Il faut en avertir Trudeau. Ce dernier dort encore. Il n'a pas entendu son réveil après avoir utilisé ses bouchons d'oreilles. On lui remet le dernier rapport de son agent l'Encre.

Monsieur, l'agent Spectre a intercepté des renseignements sur des événements qui viennent de se produire au Capitol. Il y a des gens qui y sont entrés. Entrer comment ? Par les portes, pardi ! Mais figurez-vous que les portes, cette nuit, elles faisaient de la résistance. Elles n'étaient pas d'accord pour qu'on entre comme ça, sans frapper, sans dire "s'il vous plaît". Alors, ces gens, un peu insistants, ont forcé le passage. Forcé comment ? Eh bien, ils ont un peu bousculé les murs et les fenêtres, C'est comme si votre voisin venait vous demander un verre de lait et qu'il défonçait la porte parce qu'elle ne s'ouvrait pas assez vite. Après, paraît-il, ils se sont assis dans les fauteuils. Mais attention, pas n'importe comment. Ils ont mis les pieds sur les tables. Les tables ! Vous imaginez ? Mettre ses chaussures sur une table ! Enfin, tout ça pour dire qu'il y a des nuits où les choses ne se passent pas comme prévu. Et moi, je me demande : est-ce que quelqu'un avait pensé à apporter le plan B ? Parce que, visiblement, le plan A... il a pris la porte, mais pas par où il fallait. S'attaquer au Capitol de Québec pour se donner en spectacle. Quelle perte de temps ! Je crains que bientôt, au lieu d'attaquer le Capitol ils vont s'en prendre à sa sœur la capitale. Bien à vous, l'Encre

Rosita n'ose plus corriger son ami. Toutes ces digressions passeront peut-être pour un message codé. En fin de journée, elle se hâte de récupérer ses bouchons d'oreilles et avertit Natou et Joseph-Arthur qu'il est temps de protéger leurs tympans. Pourtant le silence partage leur environnement. Deux heures plus tard, c'est la cacophonie dans le quartier. Avec l’arrivée du convoi, des effluves de tuyaux d’échappement imprègnent les rues de la capitale. Des dizaines, voire des centaines de véhicules défilent, drapeaux au vent, pendant des heures, dans une clameur tonitruante. Sur les trottoirs, une neige brune, meurtrie par les pas d’une foule électrisée accueille des milliers de manifestants. D'autres convois qu'on ne voit pas sont en route venant de l'ouest et de l'est. La rue Wellington est prise d'assaut.

Natou vient d'identifier un des leaders qui incite les manifestants à la violence. Il faut que les forces policières puissent le contenir. Joseph-Arthur rédige un mémo à leur intention.

Mémo au chef de police d'Ottawa de la part du SCRS : Prenez note que plusieurs éléments extrémistes prennent part au mouvement dit des camionneurs. Un des leaders albertains, Patrick King, est connu pour ses propos racistes, homophobes et transphobes qu'il diffuse sur les réseaux sociaux. Une des agentes du SCRS connue sous le nom de code Spectre l'a formellement identifié et suit ses activités à la trace. Dans une vidéo mise en ligne, M. King souhaite qu’on mette fin aux mesures sanitaires avec des balles de fusil sans en nommer le calibre ni la quantité. Il est à la tête d'une formation qui veut l’indépendance des provinces de l’Ouest sans préciser lesquelles. Ah, l'Ouest ! Ces vastes étendues, ces cieux infinis et ces provinces qui rêvent d'un destin plus personnel. Une formation politique, voyez-vous, qui ne mâche pas ses mots, ni son blé d'ailleurs. Ici, je précise que des libertariens trumpistes fournissent beaucoup de blé en argent canadien pour soutenir les camionneurs les aidant à mettre de l'essence dans leur convoi. Patrick King veut que l'Ouest se dresse, fier et indépendant, comme un épi de blé au vent. Un divorce à l'amiable, mais avec les Rocheuses en prime. Drôle d'idée mais pas drôle qui doit être prise au sérieux. L'Encre.

Natou et Joseph-Arthur remercient Rosita de leur avoir fourni des bouchons d'oreilles. Leur repaire se situe à peine à cinq minutes du Parlement canadien et des centaines de camions occupent le périmètre dont leur rue. Les klaxons se font entendre jour et nuit, ce qui nuit au sommeil des gens du quartier. Plusieurs se plaignent que leur pharmacie a épuisé sa réserve de bouchons pour les oreilles. Jonah et Luney ont trouvé refuge sous les oreillers de leur maître tout en déplorant que les chats aient une acuité auditive supérieure aux humains. Les jours se suivent et ressemblent aux nuits. Voilà maintenant près de deux semaines que la rue Wellington s'est transformée en terrain de camping.

Les rues entourant la Colline du Parlement sont bondées de manifestants. Initialement présenté comme une manifestation contre certaines des restrictions sanitaires liées à la COVID-19, le rassemblement a attiré des personnes ayant divers griefs contre le premier ministre Justin Trudeau et son gouvernement. «Nous devons reprendre le Canada des mains du communisme, du totalitarisme, des décrets illégaux et de la censure », a énuméré avec véhémence Laura, une manifestante venue de Toronto qui a préféré taire son nom de famille mais que Natou a identifié comme Mme Secord.

La situation est critique et il faut agir. Après discussions, la cellule l'Œil Triple prépare un plan d'action en trois points et deux virgules. Joseph-Arthur se charge de da rédaction du plan qui sera soumis au PM le 13 février.

Monsieur, la cellule l'Œil Triple vous propose à l'unanimité de ses membres ici cités : le Spectre, la Vision et l'Encre, un plan audacieux pour mettre fin à l'occupation de votre colline. Premièrement et de façon impérative, vous devez cesser de vous demander quoi faire. Deuxièmement, et dans l'ordre, congédier le chef de police d'Ottawa dont les forces de l'ordre ne peuvent maintenir l'ordre dans sa ville. Troisièmement, vous devez invoquer les mesures de guerre qui furent invoquées, jadis, par votre père bien-aimé par les Canadiens, sauf les Québécois. L'Encre.

L'opération, qui s'est mise en branle le 18 février, découlait d'un plan élaboré cinq jours plus tôt par la cellule l'Œil Triple. Or, ledit plan n'a jamais été approuvé par l'ex-chef de police Sloly, qui a quitté son poste le 15 février. C'est plutôt son successeur par intérim, Steven Bell, qui l'a avalisé par téléphone dans les heures qui ont suivi, ce qui a permis de mobiliser les centaines d'agents nécessaires à la mise en œuvre de l'opération visant le démantèlement des occupants routiers. Le même jour, trois décrets découlent de la volonté du premier ministre Justin Trudeau d'invoquer pour la première fois depuis son adoption, la Loi sur les mesures d'urgence pour mettre fin aux manifestations qui bloquent le centre-ville d’Ottawa. Le 20 février, Joseph-Arthur, Natou et Rosita peuvent enlever leurs bouchons d'oreilles et Jonah et Luney abandonner leurs oreillers. Le calme est revenu grâce au départ des camionneurs.

Tout semble terminé. Mais Rosita est perplexe. Sa main droite tient son stylo qui griffonne : pourquoi des trumpistes ont-ils financé un mouvement qui voulait renverser le gouvernement de Trudeau ? Natou promet de garder ces complotistes dans l'œil de son ordinateur tandis que Joseph-Arthur n'a aucun souvenir de cet ancien président américain.

Une première mission réussie pour la cellule l'Œil Triple. Quelques jours de repos auraient été appréciés n'eut été d'un message venant du patron. La cellule est convoquée au bureau chef pour le 22 février en soirée. Une autre mission les attend.


Texte publié par Jenquet, 1er juin 2025 à 22h12
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