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Sur la cheminée, chez Papy, il y avait un bateau en modèle réduit. Un trois-mâts fabriqué par lui, de morceaux découpés dans des boîtes de fromage, de pics à brochettes et de restes de fils. Si on ne savait pas, ça ne se voyait pas : c’était vraiment une très belle maquette.

Et devant cette goélette, comme un reliquaire, reposait une boîte en bois carrée, marquetée d’une rose des vents. Ludivine ne l’avait jamais ouverte seule. Ce n’était pas un jouet ! Un jour, Papy lui en avait montré le contenu : une boussole de marin. Un compas complexe monté sur plusieurs axes afin d’être toujours horizontal dans le roulis.

— Ludi, t’arrêtes de rêver cinq minutes ? Faut qu’on ait vidé la maison avant ce soir !

La jeune femme s’ébroua, ravala ses larmes.

— Je prends tout ce qui est sur la cheminée ! déclara-t-elle.

Sa mère haussa les épaules. Elle-même n’avait jamais été très en phase avec son propre père et ne comprenait pas la peine de sa fille.

Le lendemain, Ludi s’assit au milieu de son studio pour déterminer l’endroit où disposer son héritage. Le trois-mâts, par évidence, trônerait au bout du bar, un peu surélevé sur un socle. On pourrait ainsi le voir de partout. Le compas était plus difficile à mettre en scène, et puis elle préférait qu’il reste son secret. Elle hésita toute la journée. Le soir venu, elle le garda près d’elle en se couchant. Elle l’observa encore longuement avant d’éteindre. Enfin elle referma la boîte et s’allongea. Le sommeil ne tarda pas.

— Tiens bon la barre, moussaillonne ! cria Papy dans son rêve.

Il courbait la tête sous des paquets de mer en s’accrochant aux haubans pour venir rejoindre Ludi.

— Alors, poursuivit-il, dans quelle direction vas-tu ?

Le navire tanguait, ballotté par des vagues de trois mètres de haut. Ludi plissa les yeux pour voir son cap à travers la purée de pois. Peine perdue.

— Aucune idée ! répondit-elle. Aide-moi !

— Regarde ta boussole…

À ses pieds se trouvait la boîte ornée d’une rose des vents. Elle l’ouvrit. Le compas tournait dans tous les sens ou, plutôt, il restait immobile alors que tout bougeait autour. Elle devait se concentrer pour lire les chiffres.

Se redressant vers son grand-père, elle protesta :

— J’sais pas où on est !

— On est dans ta vie, fillette ! Aujourd’hui.

Ludi se retourna vers la boussole. Elle n’y discerna plus des nombres mais des lignes : des voies de chemins de fer avec leurs aiguillages. En regardant en arrière, elle vit les routes parallèles qu’elle n’avait pas prises, ses différents choix. Elle se repéra sur sa ligne temporelle et localisa son présent. Plus loin, vers le futur, elle aperçut d’autres bifurcations, plus ou moins sévères ou lointaines. Certains chemins se recoupaient : ça de moins à décider pour le moment ! Plusieurs menaient à des horizons grisâtres, d’autres semblaient tendre vers l’éclaircie. Aucun n’était rectiligne ni vraiment simple.

La jeune femme resta longtemps à observer ces lignes croisées. Enfin, elle agrippa la barre et fixa un cap.

Au réveil, Ludi savait précisément quoi faire de sa journée.


Texte publié par Lilitor, 29 mai 2025 à 11h46
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