Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 2, Chapitre 8 « INTROSPECTION EN RÉTROSPECTION » tome 2, Chapitre 8

INTROSPECTION en rétrospection

Dans les dernières années de sa vie, Jenquet se confiait à ses amis en leur disant que parfois il partait dans un monde parallèle craignant de perdre la raison. Des heures durant, il regardait son téléviseur sans l'ouvrir cherchant à y voir le déroulement de sa vie. Il s'inventait des histoires où il menait des enquêtes sans jamais vraiment les résoudre sinon en leur inventant une fin plus ou moins crédible. C'est dans un moment de lucidité qu'il entendit à la télévision, heureusement ouverte, Jeannette Bertrand qui conseillait aux personnes âgées comme elle d'écrire leurs mémoires. Il sortit un cahier Canada, pris son stylo et rédigea ses souvenirs. Évidemment, ils se retrouvent tous en possession de Hocquet qui s'empresse de les publier au bénéfice de ses lecteurs et de son journal. Curieusement, Hocquet constate que tous les écrits de son ami débutent par les premiers instants suivant sa naissance. Ces textes vont-ils nous permettre de mieux comprendre l'homme ? Les prochaines éditions du journal le diront. Un écrit de Jenquet nous démontre son attirance pour les chiffres.

À peine quelques secondes après mon arrivée sur la planète Terre, on m'affuble d'un numéro d'assurance sociale qui me donne l'assurance permanente de faire partie de la société canadienne. Depuis, je ne suis qu'un numéro matricule condamné à mourir à une date non-déterminée. J'aurais aimé devenir un homme de lettres mais je me suis contenté d'un homme de chiffres indéchiffrables.

Ma naissance égaye ce premier juillet qui fête le Canada. Je n'y participe pas étant trop jeune. Ma vie de citoyen débute mal. Pire, dès ma naissance je me retrouve dans un hôpital, entouré de bonnes sœurs (et non de bouncers) qui veillent à ma sécurité. Ma mère en profite pour prendre deux semaines de congé dans cet hôtel hospitalier entourée de fleurs sauvages et de la parenté. Moi, on vient me voir, tel un singe dans un zoo, de l'autre côté d'une vitrine. Je n'ai pas frappé le bon numéro puisque mes confrères et consœurs de la pouponnière profitent des seins de leur maman respective tandis que moi je dois me contenter d'un biberon à la tétine caoutchoutée laissant couler un lait de vache qui ne vaut probablement pas le lactose maternel. Mais je n'en saurai jamais rien.

Ce n'est point parce qu'on naît un premier du mois qu'on est le numéro 1 dans la vie, ni le 2. Je sais maintenant que l'on vise toujours le premier rang et dès mon arrivée à l'école je l'ai obtenu. Pas uniquement à cause de mes résultats scolaires mais parce que j'étais le plus petit du groupe. On me plaça donc au premier rang, juste devant la robe de ma première maîtresse. J'étais un des privilégiés de la classe qui pouvait apercevoir ses chevilles lorsqu'elle écrivait au haut du tableau noir. Quelle excitation ! Ce chiffre 1 me portera malheur. Je n'avais pas prévu que je devrais partager mon quotidien avec quatre conjointes qui ont fait maison nette un Premier de l'an de l'an 1 d'une décennie. Le chiffre 1 souffre de bipolarité. Parfois il se sent comme le plus petit des nombres, valant moins que les autres. Dans ses bons moments, particulièrement quant on l'utilise dans un jeu de cartes, il se sent comme un as, dominant tous les autres. Il se sent particulièrement utile accolé avec d'autres chiffres pour former des douzaines et des centaines. Il se glorifie en regardant le vaurien de zéro qui, dans les premiers temps des mathématiques n'existait même pas. Ce moins que rien qui tourne en rond et qu'on ignore en débutant l'énumération des nombres se vante pourtant de son importance quand il se trouve à la droite des autres chiffres. Sans lui, point de centaines, de milliers et de millions. Comment savoir s'il fait très froid sans s'y référer ? Le zéro s'enorgueillit d'être le grand frère du "o", cette voyelle qui lui ressemble tant, surtout quand elle se présente en majuscule. Dans ma vie, le 0 et le 0.5 font partie des plaisirs de ma vie. Je ne peux plus m'en passer particulièrement quand je prends des produits désalcoolisés. J'aurais dû le savoir durant toutes ces années consacrées à l'alcool que les deux "o" que contient le mot alcool étaient un message subliminal pour m'inciter à me désalcooliser moi-même. C'est ainsi que, pour être un homme neuf, je suis reparti à zéro. C'était mieux qu'être un moins que rien.

Mon enfance fut très heureuse jusqu'à ce que je me rende compte que j'étais malheureux. Ma vie sexuelle se fit par gradation après ma graduation. Au début de mon adolescence, elle débuta à zéro. Même les frères St-Gabriel, à l'école élémentaire, m'ignoraient alors que mes amis avaient le " privilège " de recevoir des bonbons noirs de ces soutanes noires. Puis, je me suis rendu compte que Dieu m'avait doté de deux mains au bout de bras qui s'allongeaient en pouvant rejoindre mon sexe qui en faisait autant. Autant en profiter dans mes moments de solitude. C'est alors que le désir d'une vie à deux s'implanta dans ma vie d'ado. J'avais le choix entre partager ma vie avec un homme ou une femme. Les hommes n'ayant pas de beaux seins, j'ai opté pour les femmes que je trouvais de toute façon beaucoup plus attrayantes. Mon choix fait, il ne fut jamais question d'être aux deux. Le chiffre 2 m'en a voulu. Sans moi, le premier chiffre pair, tu t'y perds. Mais moi je voulais être père. Pas question de commettre un impair en faisant le mauvais choix. C'est alors que j'ai su que j'étais Pro-Choix. Dès mon jeune âge, j'ai compris que le corps de la femme lui appartenait. Mon seul souhait était qu'elle me le prête occasionnellement. À deux, il est plus facile de former un couple. Ce fut donc la quête de ce 2 qui a marqué la fin de mon adolescence. J'y suis parvenu en pairant le 2. Je me suis marié à l'âge de 22 ans. L'adage, qui n'a d'âge, veut qu'on n'est jamais deux sans trois. J'ai voulu en faire la preuve. En attendant d'avoir un enfant, j'ai dû fréquenter quelques maîtresses (jamais plus d'une à la fois pour demeurer à trois). L'arrivée de ma fille compléta le triumvirat. Mais comme il est difficile de se débarrasser d'une mauvaise habitude, les maîtresses continuèrent à s'accumuler malgré moi. Je mis la faute sur la boisson. Cette dernière était mon talon d'Achille et, comme ce héros grec, je perdis la bataille en recevant la flèche de Cupidon. Au lieu d'abandonner la boisson, je divorçai de mon épouse qui amena avec elle ma fille (qui était aussi la sienne). C'est ainsi que sans crier gare (aucune raison de prendre le train), je me suis retrouver à quatre. La nouvelle épouse me procura deux enfants qui ne me ressemblaient pas du tout. J'eus beau me fendre les cheveux en quatre, rien n'y fit. J'avais fait une erreur. Ma psy avait beau me dire mes quatre vérités en pleine face, j'en perdais la face. Cette catastrophe aurait pu se rimer en quatre strophes. Pendant que je me consolais avec mon rhum, mon épouse se consolait avec un autre homme. Ma vie était devenue une impasse, la quadrature du cercle. Je tournais en rond, souvent rond moi-même. L'image même du moins que rien, un zéro. Il fallait que je prenne un nouveau départ. Je suis donc parti de la maison. Cela se passa un 29 mars il y a exactement 30 ans. Je fis comme le Christ qui vivait son chemin de croix. Et comme lui, trois jours plus tard dans la nuit du dimanche, j'ai connu la résurrection de ma vie sexuelle avec une nouvelle conjointe. Lui n'est demeuré sur Terre que 40 jours, moi je me suis senti au septième ciel avec elle pendant 10 ans. Disant cela, je ne cache pas l'apparition de quelques nuages dans le ciel azuré, mais jamais d'orages. Je fais un high-five à la vie qui permettait au bonheur de faire partie de la mienne. Dix ans plus tard, je me retrouvais encore au point de départ avec le chiffre 1 décrivant ma situation. Et pour la première fois, j'ai passé six mois avec zéro partenaire. Ce fut hideux comme situation. Je me mis à détester le chiffre 6. J'aurais vécu de sots six mois n'eut été de l'été qui m'a permis de me reposer.

Pas question de refaire les erreurs du passé. Une année prend 12 mois pour arriver à maturité. Je n'y arriverai pas en toute une vie. Ce n'est pas un numéro d'assurance sociale qu'on aurait dû me donner, mais un mode d'emploi de la vie en société. Évidemment, comme tout mode d'emploi, je ne l'aurais pas lu.

C'est dans un tel état d'esprit que je devins économiste afin de côtoyer les chiffres alors que j'aimais tant les lettres. Mais il est plus facile de travailler avec 10 chiffres qu'avec 26 lettres. Quand je m'essaie avec les lettres, il m'arrive d'être cacographe . Tandis qu'avec les chiffres, il est difficile de faire des fautes si on ne les transforme pas en nombres. Je ne vous ai pas encore mentionné mon nom. Pas nécessaire il est facile à déchiffrer.

Chiquita reconnaît l'obsession de son ami pour les chiffres et comprend qu'il ait eu besoin des services d'une psychologue pour voir clair dans sa vie peu banale. Bastien n'y a rien compris étant nul à l'école, il n'a jamais su maîtriser les notions mathématiques.

Le chef de police annonce à Hocquet qu'il a reçu le rapport de l'ADN prélevée sur la mallette brune mais qu'à date, aucune correspondance n'avait pu en identifier le propriétaire.

***

Le journal La Dépêche poursuit sa publication hebdomadaire des souvenirs de Jenquet tels que retrouvés dans le cahier Canada.

Dès mon arrivée sur la planète, j'ai compris que ma vie serait au service des autres. Je n'avais pas encore appris à nager qu'on m'inondait d'eau plein le front en m'affublant d'un prénom non désiré qui devait accompagner le nom de mes parents. Aucun contrôle sur ma vie. Sans avoir commis aucun crime, je me suis retrouvé entouré des barreaux d'une bassinette usagée. On ne me laissait aucun choix vestimentaire, toujours en couches blanches que je coloriais régulièrement (un truc à partager pour qu'on s'occupe de soi). Prétextant que le grand air me ferait du bien, les parents ont décidé de déménager. On m'a fait faire mes premiers pas à quatre pattes, usant un prélart encaustiqué à chaque semaine. Au moment où j'ai voulu me tenir debout, on a tenu à me tenir les mains afin que je ne tombe pas. Quel manque de confiance. Puis, on m'a laissé sortir de la maison afin de combler la solitude de la petite voisine. Elle n'avait que cinq ans elle aussi, mais elle me menait par le bout du nez. Je me souviens très bien que je ne me rappelle d'aucun événement de cette époque. Elle fut la première fille à me quitter. Ses parents sont déménagés et elle a décidé de les suivre. J'ai dû alors aller à l'école pour rencontrer d'autres humains de mon âge. À l'école, je percevais derrière moi des bruissements de chaises et des rires étouffés. Mon cerveau s'imaginait que j'étais la cause de ces risées. Cela me donnait un avantage : je n'avais jamais les yeux secs suite à mes pleurs. Cela me conduisit chez un oculiste qui trouvait un de mes yeux louchait. Il décida, sans me consulter, que je devais porter des lunettes.J'ai trouvé cela louche. De retour en classe, je fus vraiment la cause des risées. Faisant semblant que cela ne me faisait rien, j'acceptais de faire les commissions que mes amis demandaient, je devins la sagesse même pour la maîtresse, allant même jusqu'à écouter tout ce qu'elle disait et à m'appliquer dans mes leçons et devoirs. Au premier rang dans la classe, je me hissais au premier rang de la classe. Cela ajouta aux risées des autres humains qui auraient pu être mes amis. En élémentaire 3, je fis connaissance d'un grand frère en soutane. Tout en enseignant, il s'occupait de façon particulière des autres gars de ma classe. Moi, ma mère m'obligeait à m'occuper de mon petit frère handicapé que je devais traîner partout. Tout un handicap quand tu veux te faire des amis. Il faut alors compenser. Je remplissais mes poches de biscuits en feuilles d'érable pour pouvoir fournir mes amitiés et garder ma place dans leur gang quitte à subir des représailles de la part de mes parents. Il faut souffrir pour ne pas souffrir de solitude. Mes études secondaires se firent sous la tutelle de ma mère et de prêtres en m'apportant tellement de satisfaction que la mort tira ses ficelles pour m'amener à elle. Quand je m'y suis approché, elle n'a plus voulu de moi. Tout un rejet. L'université m'a permis de m'évader à nouveau de la cellule familiale. Ce furent alors les ficelles organisationnelles qui m'attachèrent. Pour être apprécié, j'acceptai de me mettre au service de la collectivité. Ce trait de caractère me suivra jusqu'à ma mort. J'occupai tous les postes de présidence dont personne ne voulait. J'en étais tellement heureux que j'ai permis à la boisson de faire de moi son esclave. À quatre reprises, je me suis prostitué auprès de conjointes en adoptant leurs amis, leurs désirs, leurs façons de vivre et leurs loisirs. Une vraie marionnette entre leurs mains. Si j'en avais la capacité, je vous raconterais mes réminiscences sur cette existence, mais cela n'aurait aucun intérêt. Puis, la retraite m'a libéré d'une certaine façon. Mais cela ne modifiera pas la manière dont on m'a façonné. Ce n'est toujours pas moi qui tire les ficelles.

Hocquet se sent un peu mal à l'aise. N'est-il pas un autre manipulateur en utilisant les propos de Jenquet au profit de son journal ? Vénus le rassure. Les villageois veulent en savoir plus sur la vie de leur héros dont la réputation posthume ne fait que grandir. Pour preuve, le maire croule sous les demandes d'itinérants de la Mauricie qui ajoutent leur nom à la liste d'attente pour des places au refuge. Faudra-t-il songer à agrandir l'hôtel Le Repère ?

***

Un nuage noir passe dans la cuisine de l'hôtel, heureusement sans déclencher l'alarme incendie. Au cours du petit déjeuner, Aline boude. Elle se plaint le ventre plein, puisqu'elle vient de terminer l'ingestion de son œuf brouillé, qu'elle a trop de travail. Elle doit aider Nathalie à la préparation des repas tout en assumant son rôle de coiffeuse pour les dames du village qui viennent de plus en plus nombreuses au Raseur Rasé. D'un accord commun, on lui enlève la préparation culinaire du souper au grand déplaisir de Nathalie qui voit sa tâche de travail augmenter. Hocquet en profite pour donner Jenquet en exemple d'un homme qui pouvait consacrer sa vie à de multiples tâches.

Bien que je sois encore un bébé, on me confie un rôle très précis : réunifier ma famille. J'en ai profité pour prendre leur nom de famille et pour les différencier, j'ai nommé ma mère maman et mon père… euh je ne le voyais jamais alors pas de nom. Rapidement, j'ai appris à me débrouiller par moi-même. On me gavait de lait alors je remplissais leurs couches afin d'occuper les loisirs de la maman. Grâce à moi, elle avait des occupations journalières intéressantes qu'elle appréciait sûrement vu qu'elle me remettait toujours des couches afin que je puisse les remplir. Un vrai travail d'équipe. J'ai dû développer également mes cordes vocales sans l'aide de personne. Quelques séances de braillage pour les notes aigües, des cris de joie quand j'atteignais le SI bémol et des coups de pieds sur ma bassinette pour bien marquer le rythme. Des concerts toujours appréciés si je m'en remets à la vitesse à laquelle maman venait y assister. Un soir, alors que maman est venue proche de me reprocher un concert rock, j'ai découvert qu'il suffisait de lui rire de mes deux dents et dire « maman » pour apaiser sa colère. Toute une découverte qui me profitera pendant plusieurs mois. Un matin de septembre, j'ai profité de mes trois mois pour marcher à quatre pattes. Je venais de découvrir la liberté du déplacement. Plus besoin des bras de maman pour aller d'une pièce à l'autre, il suffisait d'avancer le genou gauche et de demander au droit d'en faire autant. J'ai su rapidement qu'avancer aussi les bras empêchait le plancher de venir embrasser mon front. Ce que l'expérience peut faire ! En jouant avec mes orteils, mes pieds et mes oreilles, j'ai réussi à les faire pousser. Avoir connu le futur, j'aurais aussi tiré sur mon outil servant à mouiller les couches. Quelques mois plus tard, sans l'aide de personne, je me suis mis à avancer debout, un pied à la fois. À l'âge de 13 mois, constatant que maman pleurait aussi souvent que moi quand père prenait sa voix d'opéra, je me suis dit qu'il était temps que je réunisse de nouveau la famille ou que je prenne la fuite. C'est en prenant cette dernière option que j'ai atteint la première. Je me suis enfui par la fenêtre. Une mauvaise et douloureuse expérience qui m'a conduit au même hôpital qui avait assisté à ma naissance. La peur de me perdre a amené maman et le père à devenir mes parents. Cela les a rapprochés, semble-t-il. Grâce à moi, ils ont compris que la vie urbaine dans une tour de deux étages n'était pas pour nous. Une fois remis de ma chute et d'une fracture du crâne, j'ai amené la famille dans une maison unifamiliale au Cap, une banlieue rurale. Une vie vraiment trépidante. Je me sens comme un homme orchestre qui doit tout faire. Mais je ne serai jamais un chef d'orchestre puisque je vois bien qu'autour de moi c'est la cacophonie. Puis, ma vie devient un enfer. Je dois faire face à des fauves bipèdes. On me demande d'être un ami, un frère vu l'arrivée d'un frère et aussi un élève qui occupe ses maîtresses. Je suis responsable de mes propres apprentissages. Il faut que je fasse tout par moi-même. Adolescent, j'ai dû me transformer en psychologue afin d'amener le père à prendre conscience de son alcoolisme et de sa violence envers maman. Un premier échec dans ma vie, celui de mon suicide, a amené la réussite de mon objectif initial. Évidemment, mon retour à la vie a ramené quelques ans plus tard le retour à la violence chez mes parents. Une seule solution s'imposait et je l'ai prise. J'ai fugué en m'inscrivant dans une université étrangère, permettant aux miens de vivre leurs malheurs sans me les imposer. Si j'avais eu un arc, il m'aurait fallu plusieurs cordes pour les réunir. Faisant flèche de tout bois, j'accumulai les chapeaux. Étudiant, président des étudiants, bibliothécaire et chasseur de conjointe. Enrichi de toutes ces expériences, je m'achetai d'autres chapeaux : mari, père, professeur, journaliste, de nouvelles présidences, amant et l'EX de quatre conjointes. Je fus sportif, politicien, analyste pour les médias et chercheur en éducation. Toutes ces tâches pour me conduire finalement au rôle de retraité que j'assume depuis presque 25 ans. Une vie mal orchestrée où j'ai joué de tous les instruments sans n'en maîtriser aucun. En passant, j'ai réussi à réunir mes géniteurs qui pataugent tous les deux six pieds sous terre et, curieusement, c'est maman qui se trouve couchée par-dessus le père.

En tant qu'homme orchestre, je me dois de jouer plusieurs instruments. Je suis devenu homme de ménage, cuisinier à temps très partiel, gestionnaire de mon budget et homme à tout défaire (vraiment pas habile de mes mains). Il ne faut pas omettre mon rôle d'aide-aidant auprès d'un chat âgé. Heureusement, il me reste du temps pour permettre à mes amis de s'occuper de moi. Alors je leur invente des histoires d'un héros imaginaire qui me met en vedette. Ils rient de mes enquêtes et en partagent même leurs conclusions. Parfois même, je m'imagine que mes élucubrations sont réelles. Quand je relis mon certificat de baptême et ma carte d'assurance sociale, il ne fut jamais question de me confier tous ces rôles dans ma vie. Mais il est trop tard pour les regrets.

Hocquet, Vénus et Chiquita se regardent. Ils y croyaient eux aux histoires de Jenquet. Peut-être pas un bon détective privé mais un sapré conteur, un homme qui savait jouer avec les mots. Ils se demandent tous comment un homme qui aimait tant les chiffres pouvait si bien se débrouiller avec les lettres. La réponse repose dans une lettre adressée à Marilou.

Tu sais Marilou, que ma naissance n'a pas passé comme une lettre à la poste. De faible constitution, grâce à la mère, on a eu peur que ma mort arrive avant ma naissance. Mais j'ai survécu puisque tu me lis. Je ne faisais pas le poids, disait-on. Pourtant, je portais très bien mes quatre livres et quart quand ma couche était mouillée. Présage de mon état actuel, mes cheveux ont tardé à pousser mais furent précoces à tomber. Je me souviens que dès l'âge de quatre ans, je savais lire toutes les images de l'encyclopédie Pays et Nations et je suivais les aventures d'Henri et de Blondinette dans le journal. Plus tard, j'ai appris qu'il y avait aussi des mots dans les bulles de ces dessins, pour ceux qui ne pouvaient comprendre que via l'image. On m'a appris à compter jusqu'à 10 avant même que j'aille à l'école ce qui m'a permis de savoir que j'avais 10 doigts et 10 orteils. Puis, ma première maîtresse m'a mis en contact avec six voyelles, dont une qui venait de la Grèce, le Y. Mes lectures encyclopédiques me furent alors très utiles, l'image de ce pays étant imprégnée dans mon cerveau. Quelques mois plus tard, on m'a appris l'existence de consonnes, beaucoup plus nombreuses. Il m'a fallu apprendre à mettre les points sur les i, les barres sur les T et une queue dans le Q. Il ne suffisait pas de les apprendre, il fallait aussi les calligraphier correctement. Cela m'a permis de savoir écrire lisiblement, savoir que j'ai perdu avec le temps.

Ma carrière d'écrivain débuta à cette époque. Comme plusieurs auteurs, j'ai débuté par copier les écrits des autres puis à recopier les paroles de mes professeurs pour m'en souvenir. Lors des examens, je réécrivais ce qu'ils m'avaient dit pour leur permettre de s'en souvenir à leur tour. La première lettre de mon cru fut pour annoncer à mes parents la raison de mon suicide. Personne n'a souligné sa qualité littéraire, mais je sais que je fus lu. Puis un échange épistolaire s'est engagé avec ma grand-mère. Je lui donnais de mes nouvelles en retour d'un billet de cinq dollars. C'est à ce moment que j'ai compris le pouvoir financier que j'avais au bout de ma plume. Mon arrivée comme professeur au CEGEP m'a permis de créer la revue généraliste Embruns. Mon départ pour un congé sabbatique d'un an verra son départ pour toujours.

C'est pendant cette période que j'ai mis les lettres au service de l'Écho du St-Maurice et des Hebdos du Cap et de Trois-Rivières. J'ai signé des textes à chaque semaine pendant 12 ans. Puis l'Hebdo du Saint-Maurice m'a confié une chronique hebdomadaire qui m'a permis de dire tout haut ce que je pensais tout bas. Une aventure qui a duré neuf ans. La soif d'écrire s'est rassasiée par la création de notes de cours et d'un livre d'Économie Globale. Projets de recherches, études, analyses et rédactions de politiques résultent du simple fait qu'à l'âge de six ans, j'ai appris mes lettres. Oui, j'écris beaucoup. Mais je suis un homme timide, de peu de mots. Les textes me permettent de m'exprimer sinon je serais taciturne. Ce matin, j'ai ajouté d'autres pages imprimées à mes petits écrits depuis deux ans. Aurais-je le temps de me relire un jour ? Et dire que j'ai toujours rêvé d'être écrivain. Cela sera pour une autre vie.

Hocquet est dubitatif. S'il avait su que Jenquet avait déjà été journaliste, il n'aurait pas engagé Hermès le frère de Vénus, pour écrire dans son journal. Jenquet aurait été sa carte cachée. Il s'en veut beaucoup. Vivement le dévoilement d'un autre trait de caractère de son ami. Il se souvient des nombreuses fois où Jenquet lui disait que sa vie se résumait à absorber des expériences afin d'en faire profiter les autres. Il apprenait dans le but d'enseigner.

***

Les éponges sont exploitées par l'Homme pour leur capacité à absorber. On les retrouve dans la mer et dès leur sortie de l'eau on s'empresse de les réhydrater avant de les presser pour qu'elles puissent rendre ce qu'elles ont absorbé. J'étais loin de me douter, lorsque je baignais dans les eaux utérines de ma mère, que je faisais partie de la famille des éponges. Je comprends maintenant pourquoi j'ai épongé toute ma vie. Comme tout se joue avant six ans, semble-t-il, J'ai passé ces années chez des grands-mères avec des bonnes pour me garder. Pendant ce temps, ma mère gardait le lit pour causes d'engrossements voués à des avortements involontaires. J'ai vite absorbé que mes parents ne m'aimaient pas. Je me suis empressé, plus tard, à leur remettre ce manque d'amour. Mon séjour dans des établissements scolaires, pendant plus de 20 ans, furent la preuve de mon épongisme. J'absorbais toutes ces connaissances que je remettais en échange de notes. Mon immersion dans le monde des relations amoureuses connut le même sort. Pendant de nombreuses années, je laissais les alvéoles de ma patience se gorger d'insatisfactions jusqu'à saturation. Règle générale, l'éponge se tordait au bout d'une dizaine d'années, prête à repartir pour de nouvelles immersions. J'en ai profité aussi pour éponger ma soif grâce à l'alcool qui devint une sorte d'alcool à frictions jusqu'au moment où, saturation oblige, plus aucune goutte de ce liquide n'y trouva place. Je suis une éponge prête à toutes les tâches pour être aimé. Je crains par-dessus tout qu'on me laisse dans un coin du placard ou en CHSLD en me laissant me dessécher. Je n'aurais alors plus aucune utilité. J'ai vite compris que même la plus belle éponge n'a de beauté que dans son utilité à la société. On ne la sort pas de la mer pour en faire un objet de décoration. Évidemment, je parle ici des éponges d'origine animale. Très peu pour moi ces éponges synthétiques vendues en épiceries dont la seule fin est de terminer dans un bac à déchets. Je suis un homme éponge dans tout ce qui a de plus noble et d'élégance. Je suis au service des autres mais tout en me nourrissant de ce que j'absorbe. Sur ma pierre tombale (qui n'existera pas) on pourrait inscrire : Ci-gît l'homme-éponge qui a tout pris ce qu'il a pu de la société et qui a toujours pris soin de la lui rendre par la suite. P.S. Je souhaite que mes cendres retournent à leurs racines.

René s'agenouille devant l'érable argenté heureux que les cendres de Jenquet soient sous ses racines. À genoux pour biner et sarcler autour de l'arbre, il se demande ce que lui a retenu de la société et ce qu'il lui rend. Une petite déprime s'installe. Vivement un peu de cannabis thérapeutique. Sait-on vraiment qui nous sommes ?

Nathalie se sent de plus en plus seule et aimerait bien que Bastien puisse combler cette solitude. Mais elle craint les hommes qui sont trop souvent fidèles à leurs infidélités. Elle demande l'avis de Chiquita qui lui confirment qu'à son bordel, 100 % des maris qu'elles recevaient étaient des maris infidèles. Jenquet, si exceptionnel fut-il, ne faisait pas exception. Vénus intervient auprès de Nathalie en lui demandant de voir le bon côté de la vie qui prend plusieurs détours pour lui transmettre des valeurs à privilégier. Jenquet à profité de telles transmissions des valeurs québécoises.

Dès ma naissance on m'ausculte. "Il a dix doigts et dix orteils et un pénis. Il est normal". Voilà comment s'est faite mon entrée dans la vie. À l'aube d'en sortir, je possède toujours tous mes doigts de mains et de pieds ainsi que mon attribut masculin. Dès ma jeunesse, une maîtresse m'enseigna les rudiments de la langue française. Moi, je n'apprenais que des lettres que je liais ensemble et qui donnaient des mots que j'écrivais côte à côte. Toute cette démarche m'apparaissait tellement inutile. Pourquoi écrire alors qu'on peut dire à haute voix ce que l'on veut exprimer ? Puis on m'a demandé de réécrire ce que je pouvais lire dans un livre. On ne m'a jamais parlé des droits d'auteur. De toute façon, je ne pouvais m'imaginer ce qu'était un auteur. Pourquoi copier quelque chose qui existe déjà. On n'a qu'à lire l'original ! Le temps passa et on commença à me dicter des dictées. Aucun problème de compréhension du texte, mais incompréhension quant aux remarques concernant ma façon de le réécrire. Pourquoi de vieilles règles de grammaire et de grands-mères quand moi je comprends très bien mon écriture ? Je faisais des fautes et ce n'est pas faute d'avoir fait attention, malgré la tension engendrée par le regard vigilant de cette mère qui m'a engendré. Probablement par manque d'intelligence, j'ai dû consacrer 20 ans de ma vie pour compléter ma scolarité, passant près de devenir docteur, sans avoir le droit de pratiquer la médecine. Ne sachant que faire de ma vie, j'ai décidé de la consacrer à une douce vengeance. Je ferai souffrir d'autres étudiants en essayant de leur inculquer ce qu'on a mis tant d'années à m'apprendre. J'y ai mis tout mon cœur, en m'assurant que ces cégépiens puissent noircir page après page que je corrigeais avec attention, tant au fonds qu'à la forme. On nomme cette opération la formation éducative. Et puis, 35 ans plus tard, est venue la délivrance. Plus besoin d'apprendre ni d'enseigner. Je suis devenu un homme de huit lettres : R-E-T-R-A-I-T-É. Fini l'obligation d'écrire dans un français correct. C'est à cette époque que je me suis consacré à l'espagnol dans le but de bien prononcer les lettres, écrire des mots correctement et faire des phrases significatives, le tout dans une grammaire correcte. Cinq années furent suffisantes pour y parvenir. Au cours de celles-ci, je me suis permis d'enseigner cette langue et de l'utiliser pour corriger des étudiants qui l'apprenaient. Puis, comme une vieille hémorroïde, je suis sorti du corps enseignant. Malheur à moi ! Mes amis de St-Jean-D'Épîles ont insisté pour que je leur transmettre des récits d'enquêteur sur des causes irrésolues. Je suis devenu inventeur d'histoires.

***

Je ne me gêne pas pour vous avouer que j'avais l'enseignement dans les gènes de mes parents. Elles portent l'ADN de ma grand-mère, enseignante en son temps. Six de ses 13 enfants se retrouvèrent devant des classes. Nous sommes quatre cousins, cousines à être sortis du corps enseignant en prenant notre retraite. Dès mes premiers jours, je me suis efforcé d'enseigner à ma mère l'art d'être mère. Je lui ai montré à me changer, à me laver, à m'endormir et à me nourrir. J'avais déjà beaucoup de pédagogie en moi en lui laissant expérimenter toutes ces tâches avant de lui signifier mon accord sur ses manières d'agir. J'ai sûrement eu beaucoup d'influence sur elle puisqu'elle a réussi à s'occuper de deux autres enfants. Lors de mon quatrième anniversaire de naissance, on m'a offert un tableau noir et des craies. Grâce à mes enseignements, mon nounours a appris les bonnes manières et a su que je n'avais aucun don pour le dessin. Je n'en ai toujours pas.


Texte publié par Jenquet, 25 mai 2025 à 16h21
© tous droits réservés.
«
»
tome 2, Chapitre 8 « INTROSPECTION EN RÉTROSPECTION » tome 2, Chapitre 8
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
3131 histoires publiées
1373 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Jean phi
LeConteur.fr 2013-2025 © Tous droits réservés