UNE MISE À NU PUDIQUE
L'enquête progresse
Le chef Lapolice trépigne d'impatience tout en faisant son jeu de patience dans l'attente des résultats d'un test d'ADN. Il est probable qu'un des auteurs du vol de la mallette y ait laissé de minimes traces d'ADN qui seront envoyées au laboratoire spécialisé de la ville de Montréal. Pourra-t-on identifier rapidement les voleurs et par conséquent les blogueurs malfaisants ? L'avenir ou le service de police de la métropole le dira.
Grand soulagement à la mairie suite à l'arrêt des divulgations sur Tak Tik pour démolir la réputation de Jenquet. Un vent d'optimisme balaie le journal La Dépêche qui pressent une augmentation de ses ventes avec le dévoilement des dessous privés de sa vie cachée. Au point où Hocquet a demandé à Arthur de consacrer deux heures par semaine pour sonder les lecteurs tout en leur distribuant le journal.
Pendant ce temps, le bar Le Jenquetois doit trouver une autre attraction pour meubler ses tables les lundis soirs. Hocquet propose de mettre en valeur toutes les toiles peintes par Jenquet. Il explique que ce dernier avait l'habitude de prendre en photo les toiles des grands maîtres. Il envoyait ces photos à une compagnie française qui en produisait des canevas numérotés accompagnés de petits pots de peinture correspondants à ces nombres. Plus de 30 imitations de telles toiles tapissaient la chambre de Jenquet. Il suffit de les mettre en valeur sur les murs du Jenquetois. À l'avenir, Le journal illustrera les textes consacrés à Jenquet avec une reproduction de ses toiles.
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Un premier dossier paraît dans les pages de La Dépêche. Son éditeur a choisi parmi les nombreux sujets possibles la vision que Jenquet avait de sa propre personne quand il rendait sa personne propre. Pour illustrer ce texte, Hocquet utilise une des premières reproductions de Jenquet. Alors qu'il fréquentait le bordel il voulait rendre hommage à un peintre habitué des bordels : Toulouse-Lautrec avec sa toile Autoportrait devant un miroir.
Jamais une femme n'oserait se présenter devant ses amies sans fond de teint. Pourtant, parfois, je pense que mon miroir se présente à moi sans fond de tain. J'ai souvent l'impression que je pourrais passer au travers, mais je n'ose plonger vers lui, de peur de frapper un mur. Comment se fait-il que lorsque je me présente à lui le matin lors de mon rituel de mise en forme via un brossage de dents et un petit rasage, il ne me renvoie jamais l'image que j'aimerais avoir de moi ? Mes pensées sont celles d'un jeune homme. Mon cœur bat encore au rythme d'un athlète et mon esprit est aussi vif qu'à mes jeunes années. Du moins pendant les instants où l'alcool ne le ralentissait pas. Qui est ce vieillard aux cheveux gris et aux traits ridés qui se regarde dans MON miroir ? Ce ne peut être moi. J'ai beau regarder de tous les côtés pour m'apercevoir et pour m'apercevoir que tous mes miroirs me mentent. Où sont passés mes beaux cheveux blonds et mes grands yeux bleus enjôleurs ? Que font ces plis dans mon cou et ces poils dans mes oreilles ? J'ai beau me multiplier dans mes miroirs, je ne retrouve aucune de mes caractéristiques de jeune premier. Pire, je souris à ce que je vois, de peur d'en pleurer. Ô Miroir, dis-moi où j'étais quand j'étais beau.
Je ne comprends pas. Une telle formule marchait avec Blanche-Neige. Le miroir qui appartenait à la reine répondait à sa maîtresse lorsqu'elle lui demandait si elle était la plus belle. Incapable de mentir, il était le symbole de la Vérité. C'est ainsi qu'il lui apprit que Blanche-Neige la surpassait en beauté et qu'elle n'était pas morte contrairement aux ordres qu'elle avait passés. Je connais cette histoire enfantine et je prends bien garde de demander qui est le plus beau. Je veux juste savoir pourquoi je ne le suis plus. Et pourtant la tentation est forte. Mon miroir étant selon moi menteur il pourrait me dire que je suis encore beau. Par contre, sachant qu'il ment, comment pourrais-je interpréter sa réponse ? Et puis, est-ce que mon miroir est vraiment magique ? Comment le savoir ? Il faut que je me renseigne sur les miroirs magiques connus. Ce serait merveilleux que le mien appartienne à l'univers du merveilleux. Il serait tour à tour doué de parole, capable de révéler par l'image des vérités invisibles ou les souhaits les plus profonds. Cela existe sûrement. J'ai vu un tel miroir dans les aventures d'Harry Potter. Son miroir magique s'appelle « miroir du risèD », c'est-à-dire Désir en lettres inversées. Il permet non pas de voir le reflet, mais les souhaits les plus profonds. C'est ce qu'il me faut. Je me place donc devant mon miroir et je souhaite me voir plus jeune. Rien ne se passe. Un autre souhait : un peu moins vieux. Toujours rien. Puis je désire juste me trouver pas pire. Ça marche. Mon miroir fonctionne. Autre désir. J'aimerais avoir près de moi un ami à poil. J'attends. Youppi ! Un autre désir se réalise. Mozart, mon chat, vient me rejoindre. Il me semble que le miroir me parle. Me dit-il vraiment qu'il est temps de me raser avant de prendre une douche ? Je le croyais plus sentimental que ça. Je lui fais la liste de mes souhaits : avoir quelqu'un pour partager ma vie et dont je pourrais partager la sienne. Poussons ma chance au maximum. Que je puisse mourir en pleine santé et plusieurs années après la défaite de Donald Trump. Je me demande si tous ces souhaits vont se réaliser puisque je viens de réaliser que ce miroir peut entendre les souhaits mais on ne dit nulle part qu'il les réalise.
Je ne me laisserai pas avoir. Je vais lui montrer à ce miroir que moi aussi je peux réfléchir. S'il veut me renvoyer une image différente de ce que je suis vraiment, libre à lui. Pour me venger, je ne me placerai plus devant lui. Ainsi, je vais le priver de ma présence. Même s'il me quémande, je resterai de glace.
Succès immédiat ! Dès le lendemain de sa parution, Arthur confirme que les villageois, en plus de recevoir leur journal, l'ont lu cette semaine. Plusieurs se rendent aussi au Jenquetois afin de voir de visu la maintenant célèbre reproduction qui accompagnait l'article. Ils sont également surpris de constater l'absence des commerçants locaux qui n'y placent pas d'annonces publicitaires. Il est vrai qu'il n'y a que quatre commerces dans le village : le dépanneur, le bistrot, Le Repère et le journal. Par chance que les boutiques de Shawinigan contribuent au financement du journal. Un commentaire souvent mentionné par les villageois concerne l'ignorance de la vie antérieure de leur héros. Hocquet leur dévoilera alors, dans son édition de la semaine suivante, un aspect inconnu de ce grand homme : un Jenquet grand voyageur.
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On dit que les voyages forment la jeunesse. Pour Jenquet cet adage a souvent été complété par Les voyages déforment les couples. Il a voyagé beaucoup avant de s'établir à St-Jean-D'Épîles pour ne plus en sortir. La toile de C. D. Friedrich Le Voyageur contemplant une mer de nuages trônait au-dessus de son lit, probablement pour que ses rêves lui fassent parcourir le monde. Son journal intime relate plusieurs de ses excursions internationales tout en nous dévoilant ses déveines amoureuses.
En excluant les voyages dus à la marijuana, je peux remonter à 1976 où j'ai rencontré mes premières palpitations de voyageur aérien en compagnie des poches d'air. Direction La Guadeloupe dans le but d'expérimenter les bienfaits de prendre l'air en avion tout en espérant sauver mon couple. Premier (et dernier) voyage avec ma première épouse Christiane. C'est dans ce magnifique paradis français que je rencontre un natif et résidant de la place qui, lorsque je lui offre une cigarette, l'accepte en me disant qu'il aimerait la fumer comme cela lui plaît. Je suis curieux de voir sa façon d'inhaler. Nenni. Il casse la cigarette en deux et la jette à la casse en me disant qu'il ne fume pas. Je fume de colère. Il ne se gêne pas pour demander à mon épouse (en ma présence) si elle veut coucher avec lui. Vraiment sans gêne. Elle refuse (probablement à cause de ma présence). C'est aussi dans ce magnifique pays, si accueillant, que je me retrouve à quatre heures du matin devant mon auto de location dont les roues ont fui le stationnement, laissant l'auto reposer sur les essieux. Les cieux ne sont pas de mon bord. L'agence de location ne semble pas surprise puisque c'est un sport national afin de récupérer des sommes des compagnies d'assurance. On m'assure que cela ne se reproduira plus. Je me suis demandé comment elle faisait pour le savoir.
J'aurais aimé vous montrer les photos du magnifique lever de soleil que je m'apprêtais à aller photographier, mais quand les nouvelles roues sont arrivées, le soleil était déjà au zénith. Le lendemain, mon couple et celui de mon épouse prenait l'eau. Façon de parler évidemment, nous partions pour la journée sur un voilier vers une île déserte que nous avons partagée, à notre arrivée, avec une centaine de vacanciers. J'avais une certaine crainte du mal de mer, mais ma femme, comme une vraie mère, m'a rassuré. Effectivement, je n'ai pas été malade. Christiane oui. Ce matin là, elle a déjeuné inutilement. J'ai tellement apprécié ce voyage que j'ai vécu sous son unique souvenir pendant les 14 années suivantes.
En réalité, il m'a fallu tout ce temps pour me séparer de Christiane, d'en épouser une deuxième, Aline, passer 10 ans avec elle, suffisamment pour avoir mon voyage. Cela me conduit en 1990. Je n'ai pas nécessairement le goût de voyager mais je gagne un voyage en Floride pour deux personnes. Je pars avec ma fille. Une semaine charnière. Un gros changement dans ma vie surgit. J'abandonne la barbe qui ornait mon visage depuis 25 ans. À mon retour de voyage, j'abandonne aussi cette seconde épouse ce qui me permet la semaine suivante, de me mettre en concubinage avec Hélène. Je choisis de vivre à Shawinigan. Je choisis aussi de vivre ma vie pleinement. Ce sera une décennie de voyages à deux. Mon auto, que je conduis seul, me conduit à deux reprises, à Orlando et me permet de faire le tour de la Floride. Ce long périple permet aussi à ma conjointe de dormir pendant tout le trajet. On ne s'est donc pas disputés gage d'une bonne entente. Puis, pendant trois ans, on se rend à Myrtle Beach, jusqu'à ce que je me rende compte qu'une des plantes de la ville n'appréciait pas ma présence et m'occasionnait des allergies permanentes. Tanné de voir que les restaurateurs croyaient que mon couple n'allait pas bien en me voyant les yeux en pleurs, on cesse de fréquenter ces lieux.
Par contre, les hivers nous voient dans les aéroports. C'est le début de mes voyages annuels vers le sud. Première destination en 1990, la République Dominicaine. Le Fiesta Bavaro accueille ses premiers clients et nous en faisons partie. Un tout inclus qui me fait oublier les rigueurs de l'hiver et apprécier une multitude de seins nus et sains prenant le soleil. On en fait un pèlerinage pendant cinq ans. Puis, je tombe en amour avec Cuba et ses habitants tous Cubains. Je m'y rends à cinq reprises avec ma conjointe et à huit autres occasions, seul. Mais pas seulement en vacances. Congrès, apprentissage de l'espagnol et voyages avec mes étudiants servent d'excuses. Évidemment, c'est aussi dans ce pays que j'initie ma quatrième partenaire. C'est de retour d'un voyage malheureux à La Havane que je me retrouve célibataire et décide de prendre ma retraite en m'installant à St-Jean-D'Épîles.
Hocquet avait bien trouvé aussi un résumé d'un voyage en France où Jenquet, avec sa chorale, avait donné une prestation à la cathédrale Notre-Dame de Paris, à celle de Chartres et à celle de Nantes, mais aucun souvenir mémorable n'y était annoté. Il passa cet épisode sous silence.
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Voilà plusieurs mois que Le Repère accueille des itinérants et tout marche relativement bien. Mais ce soir, une rencontre spéciale se tient au Jenquetois réquisitionné pour recevoir les huit personnes qui logent à l'hôtel. Hocquet a convoqué les cinq itinérants pour faire le point sur leur conduite et les tâches qu'ils assument. Le climat est lourd surtout que l'air climatisé ne savait pas qu'il était invité à la réunion.
Un premier constat s'impose. La règle no 1 du code de vie est respectée par tous si on considère René comme une exception. Hocquet lui demande de ne pas laissé traîner ses gants et ses bottes pleines de terre sur le pied de son lit après ses entretiens autour de l'érable argenté. Un rappel s'impose également quant au code no 2. Aline et Nathalie ont tendance à croire que le fait de ne prendre qu'une douche par semaine les autorise à rester sous les jets d'eau pendant 45 minutes. Et il ne faut pas croire que l'habitude de René de consacrer seulement cinq minutes de douche aux deux semaines équilibre la quantité d'eau chaude utilisée.
Les articles 3 et 4 du code de vie deviennent obsolètes depuis qu'Aline et Nathalie ont pris en charge la cuisine et les repas. Serait malvenu quiconque se plaindrait des repas servis. Quant à l'article 6, Chiquita et Vénus confirment qu'aucun itinérant ne leur a fait de proposition malhonnête ou d'avance sexuelle. Nathalie et Aline demandent si l'article 6 s'adresse aussi à elles. Effectivement, elles ne peuvent courtiser leurs patronnes mais les relations entre itinérants sont permises s'il y a consentement mutuel. Nathalie et Bastien se regardent avec un soulagement dans les yeux.
La répartition des tâches semble plaire à tout le monde et tous sont bien heureux que René soit chargé de la veille et de l'entretien de l'érable argenté, gardien des cendres de Jenquet. Hocquet s'inquiète cependant de la santé de René. Malgré la prise de son médicament composé de cannabis il ne prend pas du mieux. On s'assure qu'il ne le partage pas avec d'autres membres de la communauté. Finalement, on permet à Aline d'entrer dans la chambre no 6 pour en faire le ménage en vue d'accueillir éventuellement un autre pensionnaire.
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