Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 2, Chapitre 2 « ERRANCE » tome 2, Chapitre 2

ERRANCE

L'itinérant

Arthur a 53 ans. Il a vécu à Trois-Rivières depuis sa naissance dans le quartier ouvrier de St-Philippe et dans un logement minable dont le seul avantage résidait en son bas prix. Sa vie a basculé il y a 13 ans à la suite d’un conflit avec son employeur, le dépanneur du coin. Ce dernier n'a pas accepté de dépanner son employé à court d'arguments pour obtenir une augmentation de salaire. Arthur osait hausser ses revenus en puisant dans la caisse du magasin ce qu'il considérait comme une avance sur son fonds de pension inexistant. Malheureusement, des caméras de surveillance éclairaient son patron sur les agissements douteux d'Arthur. Le propriétaire partagea sa colère avec son employé au moment précis où il le congédiait. Arthur, en arrivant chez lui, se pressa d'en faire autant avec la dame qu'il avait épousée il y a trop longtemps. En faisant le point sur cette situation, il utilisa davantage ses poings ce qui ne plût point à son épouse. Une rupture matrimoniale s'ensuivit dans laquelle Arthur perdit tous ses amis qui étaient surtout ceux de son épouse. Il se vit dès lors obligé de quitter le logis. Peu fier de son comportement, il cacha sa honte en augmentant substantiellement sa consommation d’alcool. Son ivresse permanente causa le refus de tout nouvel emploi, d'improbables conquêtes féminines et surtout le départ de ses maigres ressources financières. Après avoir vendu un à un tous les objets qui avaient un tant soit peu de valeur, il se retrouva sans moyens pour payer la chambre du motel où il avait trouvé refuge. Le gérant, sensible à ce que son locataire vivait, lui proposa de le rémunérer pour de menus travaux, mais Arthur l’envoya promener, trop orgueilleux pour faire du ménage. Voyant qu’il ne réussissait pas à payer son loyer pour un troisième mois consécutif, il préféra quitter sa chambre en catimini et de nuit.

Trois ans plus tard, Arthur erre comme un pauvre hère dans les rues du centre-ville de Trois-Rivières entre ses cachettes sous les ponts et ses abris en carton. Depuis qu’il vit dans la rue, sa santé physique et mentale se détériore. Couché sur un banc du parc Champlain, un vieux journal en guise de couverture, il songe à demander l'aide médicale à mourir qu'il exercerait lui-même. Suite à son réveil sous les rayons du soleil et de l'œil exercé d'un policier, il jette un œil sur le journal qui lui a servi de couverture : une vieille édition de La Dépêche. En page 12, il voit un encadré signé par un certain Hocquet qui relate l'ouverture officielle d'un nouveau centre pour itinérants permanents situé dans le village de St-Jean-D'Épîles à quelques 60 kilomètres de Trois-Rivières. Il met de côté son désir de quitter la Terre et souhaite entreprendre, comme Mao, une longue marche jusqu'à ce village perdu.

Pas question de faire ce périple seul et sans préparation. Il lui faut trouver un compagnon de voyage. Pas facile d'en dénicher un avec qui il s’entendrait bien. Pourquoi pas une compagne ?

Ce midi, à la recherche d'une femme pour finaliser son projet, Arthur partage un sandwich avec Aline une ex-belle femme qui cache bien ses 55 ans. On lui en donnerait facilement 70. Elle a été coiffeuse toute sa vie de jour dans un salon et de soir dans une résidence pour personnes âgées. Seule dans la vie, elle s'engagea corps et âme dans son métier. À trop travailler, elle partagea ses nuits avec l'insomnie. À 50 ans, un mur la frappa et elle tomba en épuisement professionnel. Son ordinateur veillait sur elle en lui offrant des jeux en ligne qui la soulageaient de toutes ses économies. Son crédit bancaire dépassant ses limites limitait ses dépenses. Son propriétaire l'a évincée faute d'avoir reçu ses paiements mensuels. Un court séjour chez sa mère se termina lors du décès imprévu de celle-ci. Aline fut inconsolable. Les factures entraient plus rapidement que les revenus. Évincée du logement de sa mère pour son habitude à ne pas payer ses mensualités, elle passa une première nuit dans un restaurant rapide ouvert 24 h. La rue l’accueillit dès l'aurore. Elle devint par la force des choses locataire de la rue.

Occasionnellement, elle croise Arthur avec qui elle partage sa solitude. Quand ce dernier lui montre l’article de La Dépêche concernant la maison d’accueil pour itinérants, elle décide de tenter sa chance et se joint à ce dernier pour se lancer dans l'aventure.

***

Arthur et Aline font leurs adieux à leur grande famille d'itinérants. Leurs bagages sont prêts. Chacun s'est doté d'un chariot d'épicerie emprunté au supermarché IGA local. Toute leur garde-robe été-hiver y prend place bien camouflée dans des sacs à ordures noirs percés de trois trous pour une meilleure aération. Quatre boîtes de biscuits, 3 flacons de rhum et 8 barres tendres aux arachides les aideront à survivre pendant leur périple. Ils quittent le parc au lever du jour marchant au rythme des roues grinçantes de leurs chariots et fredonnant l'air méconnu de Chariots of Fire. Quatre heures plus tard, les limites de Trois-Rivières les accueillent. Pause-café sans café et prise de connaissance de la distance qui les sépare de leur objectif. Encore 55 kilomètres de marche selon une pancarte routière qui jalonne la route. Cette pensée suffit pour que les deux marcheurs s'arrêtent. Ils se retrouvent devant la prison de Trois-Rivières. Aucune crainte de se faire dérober leur fortune vu que les voleurs y sont bien gardés. Avisant un petit boisé, ils y installent leur abri temporaire pour profiter du soleil et de la lune. Quelques biscuits, quelques gorgées de rhum et un arbre comme dossier de chaise clôturent leur premier jour d'escapade.

En quête d'un domicile fixe, Arthur et Aline reprennent leur marche en se levant avant le lever du jour. Normal, ils sont des itinérants. Depuis ce matin, leur convoi traverse Les Forges, St-Étienne-des-Grès et prend une pause près de St-Boniface. Ils y trouvent un refuge pour la nuit : une ferme d'élevage de bisons Les Bisons des Prés. Ils demandent à la propriétaire si elle peut les héberger pour la nuit. Elle accepte et leur offre même un goûteux goûter, naturellement au bison. Trente têtes de bétails se montrent le museau devant une clôture qui les protège des visiteurs. Se doutent-ils qu'ils finiront éventuellement dans leur assiette ? La pluie décide de venir arroser leur repas. Ils se réfugient dans une petite étable où la mauvaise odeur des bêtes se mêle à la leur. Pour fêter leur deuxième jour d'exode, ils terminent leur deuxième bouteille de rhum. Il ne reste plus que 28 kilomètres à parcourir pour atteindre St-Jean-D'Épîles. Deux jours de marche devraient suffire.

Le lendemain matin, ils prennent le chemin De La Montagne et se rendent jusqu'au village de Ste-Flore. Ils trouvent refuge sous une tente érigée pour la tenue du Rendez- Vous des Peintres qui s'y tient pour la fin de semaine. Dès l'aube, avant l'arrivée des toiles, ils quittent sous les étoiles pour leur destination finale. Du moins l'espèrent-ils.

Les huit derniers kilomètres en paraissent 20. Le village se trouve en pleine montagne. Plusieurs côtes à monter et d'autres à descendre où les chariots d'épicerie veulent gagner la course en précédant les humains. Ils parviennent enfin au terme de leur voyage. Celui-ci s'étend plus bas, dans une petite vallée longeant la rivière Saint-Maurice. Une seule rue principale. Impossible de s'y perdre !

La tournée de Chiquita

Par un beau matin ensoleillé, se promenant sur le trottoir en face de l'hôtel, Chiquita croise le curé itinérant des six villages de la région et omet de le saluer. Ce dernier s'en offusque, lui, un ancien client du bordel La Poule Mouillée tenu par elle-même. Celle-ci lui rappelle que hors de l'église, point de salut. Le père en perd son latin. Il se plaint que Jenquet ait refusé des funérailles à l'église ce qui lui a fait perdre de substantiels revenus et une occasion de distribuer quelques hosties en rencontrant ses fidèles infidèles. Chiquita l'invite alors à venir au Jenquetois pour y déguster un délicieux vin de messe sans alcool. Une invitation rapidement déclinée au présent et pour le futur.

Un peu plus loin, elle aperçoit M. Lapolice, chef et unique policier de la gendarmerie du village, et va à sa rencontre pour le rassurer quant à la présence éventuelle d'itinérants. La préoccupation immédiate du chef de police concerne davantage la perte de son détective expert Jean Jenquet qui pouvait résoudre à lui seul toute une série de crimes avant même qu'ils ne se produisent. Il ne voit pas comment il pourra suffire à la tâche sans lui. Chiquita lui offre de l'aider, le cas échéant. Une offre élégamment refusée.

De retour à l'hôtel, elle se rend au salon Le Raseur Rasé où elle aperçoit Vénus dans tous ses états. Cette dernière vient de recevoir une pétition signée par toutes les femmes du village qui exigent le droit aux services de coiffure et d'esthétisme qui y sont offerts. Elles précisent qu'elles rejettent la coupe calvitie et l'épilation au rasoir. Elles souhaitent des coiffures à la mode et une épilation à la cire. Analysant leurs compétences respectives face à ces demandes, Chiquita et Vénus opposent un refus catégorique à cette pétition mais elles se laissent une porte ouverte, celle du salon. Si elles trouvent du personnel possédant ces talents, les femmes seront admises. Les filles laissent un mot à Hocquet afin qu'il publie une petite annonce dans La Dépêche afin de combler ce manque de main-d'œuvre. Une dernière rencontre avec le maire pour le rassurer. L'hôtel Le Repère est prêt à accueillir ses premiers itinérants ; les cinq chambres ayant été repeintes et bien aménagées.

L'arrivée

Une rumeur traverse le village à la vitesse de la lumière, ou un peu moins, à l'effet que des itinérants se pointeraient à l'horizon. Ils arrivent ! Ils arrivent ! Le chef de police les aperçoit en haut de la longue côte menant au village. Le clocher de l'église aurait pu faire tinter ses cloches si le curé n'était pas parti avec les clés du temple. Vénus abandonne un client qui ne sera rasé que de la jambe gauche. Chiquita délaisse un client qui n'aura qu'une demie-coupe calvitie. Hocquet se dépêche de prendre sa caméra pour immortaliser cette arrivée pour La Dépêche. Le maire revêt son habit de maire… euh il n'en possède pas. Les chariots d'épicerie précèdent l'arrivée d'Arthur et d'Aline. Les présentations sont vite faites.

Une réception civique se déroule à l'hôtel de ville. Un cocktail sans alcool est servi aux arrivants qui auraient certes préféré terminer leur troisième flacon de rhum. Une visite pédestre du village permet aux itinérants de démontrer leur supériorité à la marche. Arthur et Aline mémorisent rapidement les principales attractions du village : la mairie située dans la maison du maire, la gendarmerie qui loge dans le sous-sol de la mairie, une église fermée, un dépanneur lié à un poste d'essence d'apparat puisque seulement quatre villageois possèdent une voiture et un bistrot À La Pointe du Couteau. La visite se termine devant l'hôtel Le Repère, le but de leur périple et nouveau lieu de résidence.

Chiquita prend en charge ses premiers bénéficiaires. Un arrêt obligatoire s'impose. Le groupe se recueille devant l'érable argenté. L'hôtesse explique alors tout le respect que l'on doit aux cendres de Jean Jenquet qui alimentent cet arbre qui sera centenaire dans 100 ans. C'est grâce à cet homme que Le Repère peut accueillir des itinérants. Chiquita conduit Arthur à la chambre no 1 et Aline à la chambre no 2. Les deux chambres se font face. Elle leur indique de bien lire le code de vie apposé au verso des portes et de s'y conformer. Exceptionnellement aujourd'hui, les nouveaux arrivants doivent prendre une douche même si ce n'est pas le jour indiqué dans le code de vie. Ils devront aussi se débarrasser de leurs oripeaux vétustes qui seront remplacés par des vêtements usagés neufs. Pour être conforme au cinquième article du code de vie, Chiquita confisque le troisième flacon de rhum. Une fois la douche prise et la douche nettoyée, Chiquita amène Arthur au salon pour une coupe calvitie tandis que Vénus s'occupe des aisselles d'Aline. Une heure plus tard, tout le monde se retrouve autour de la table pour expérimenter la cuisine de Chiquita. La décence ne nous permet pas ici de vous faire part des commentaires qui auraient pu être émis suite à la dégustation de ce qui semblait être un pâté chinois. Ce qui a donné l'expression VENTRE AFFAMÉ N'A PAS D'OREILLES. On se donne rendez-vous en soirée au Jenquetois afin de clore cette magnifique journée en rencontrant quelques villageois en joie.

***

Avec l'arrivée de ses premiers itinérants, Vénus anime la soirée au Jenquetois devant un parterre de jeunes villageois qui ont peu connu Jenquet sinon par ses légendaires enquêtes et qui sont curieux de rencontrer les nouveaux venus. Ces derniers font preuve de curiosité quant à leur bienfaiteur qu'ils ne connaissent pas. C'est ainsi que Chiquita prend le micro sur la scène pour raviver le souvenir de Jean Jenquet.

Je me souviens, dit-elle, de cet homme à l'aube de sa retraite qui venait, à l'âge de 55 ans, s'installer à St-Jean-D'Épîles. On l'a connu sous son pseudo de Jean Jenquet mais on se doute bien que ce n'était pas sa véritable identité. Il prit temporairement une chambre à l'étage de l'hôtel pour un court séjour qui dura 35 ans. Le lendemain de son arrivée, je l'ai mis sous ma main. Il avait vite repéré le bordel La Poule Mouillée qui faisait partie de l'hôtel. Il me raconta, tout en haletant sous mes caresses, qu'il venait de se séparer d'une quatrième conjointe, de quitter son emploi d'enseignant et voulait s'éloigner de la pollution des grandes villes. Probablement pour se rendre intéressant, il me conta diverses enquêtes plus ou moins crédibles auxquelles je fis semblant de croire. Est-ce que cela l'incita à faire réellement des enquêtes ou davantage à les imaginer ? Je n'en sais rien. Ce n'est qu'au moment où j'ai cessé la prostitution pour me consacrer à mon salon de coiffure que j'en ai appris davantage sur cet homme mystérieux. Un soir, autour d'une bière sans alcool, il leva le coude et le voile sur un pan de sa vie : son enfance.

Mon existence a commencé un 1er juillet en 1945. Date mémorable, du moins pour moi, puisque pour la première fois je mettais le nez (et le reste de mon corps) dehors. On date cet instant comme le début de ma vie, ce qui est faux puisque j'existais sous forme embryonnaire depuis déjà 40 semaines. Et oui, j'aurais dû naître un 24 juin. Premier conflit avec ma mère qui préfèra attendre à la Fête du Canada pour accoucher. Pour me venger, je deviendrai indépendantiste.

Une première déception m'a frappé de plein fouet. J'ai constaté dès ma naissance que mon père n'était pas le médecin qui accoucha ma mère mais un pauvre ajusteur en tuyauterie.

Une timidité légendaire s'installa en moi dès ce moment. Jai eu peur et je me suis mis à pleurer à chaudes larmes (ou froides, je ne m'en souviens plus). Pourtant ce n'était pas l'envie de m'envoler de mes propres ailes. J'ai fait une première tentative de libération à l'âge de 13 mois. Placé devant une grande fenêtre ouverte, j'ai enjambé ma bassinette, poussé la moustiquaire et comme un oiseau, je me suis envolé. Ce premier envol a connu le même sort que le premier vol de l'oisillon. Je suis tombé au sol. Je n'aurais pas dû faire cette tentative à partir d'un deuxième étage ! Premier apprentissage : un crâne peut se fracturer. J'ai alors passé le reste des vacances d'été à l'hôpital. Cela a permis à mes parents de quitter la ville pour la campagne afin que j'aie de l'air pur à respirer et un domicile sis au rez-de-chaussée. À la même époque, j'ai connu le deuxième sexe en la personne de ma petite voisine. Ce fut ma première blonde, mais je ne fus jamais son chum. Comme ma mère a développé un engouement pour les fausses couches, j'ai passé une grande partie de mon enfance chez ma grand-mère maternelle qui était loin d'une femme maternelle. Je pensais avoir connu une enfance heureuse jusqu'à ce que je sache ce qu'était le bonheur.

L'auditoire est pendu aux lèvres brillantes de Chiquita d'un rouge orangé. Mais elle n'a pas d'autres anecdotes sur cette période infantile de Jenquet. Probablement que ses confidences ont cessé au moment où il profita pleinement de ses services.

***

Ce premier contact avec Jenquet amène les deux itinérants à parler un peu d'eux-mêmes. Les villageois font montre de curiosité et Arthur, timidement, raconte son histoire. Évidemment, elle n'est pas glorieuse. Il avoue que sa vie ne fut qu'une suite de déboires qui l'ont conduit à boire et au bord du suicide. C'est à ce moment que Hocquet intervient afin de susciter de l'espoir. Il souligne à son auditoire que même le grand Jenquet avait fait une tentative de suicide dans sa jeunesse, ce qui ne l'a pas empêché de devenir un héros national, du moins dans son village. Il se souvient de ses confidences sur cet épisode peu glorieux de sa vie.

J'avais 14 ans et je venais de quitter involontairement l'école secondaire. Après quelques semaines d'errance dans les rues pendant la journée et de critiques à la maison le soir venu, j'ai décidé que mon avenir se terminerait dans les heures à venir. Je suis allé dans la chambre de bain et j'ai pris dans la pharmacie la boîte de pilules destinées à mon frère pour combattre ses crises d'épilepsie. Aucune idée de leurs effets. Je suis allé dans ma chambre où j'ai écrit un mot pour exprimer à mes parents tout le désamour que j'avais pour eux. J'ai reproché à mon père sa prise de boisson et sa violence envers ma mère. Celle-ci a appris alors que son emprise m'étouffait et que j'aurais aimé au moins une fois dans sa vie qu'elle ait apprécié ce que je faisais de bien. Évidemment, je ne m'attendais pas qu'elle aime le geste que je m'apprêtais à faire mais au moins, moi ça me soulageait de le lui dire. Puis, pour être certain de ne pas mourir et qu'on vienne à mon secours, je me suis couché sur le sofa dans le salon devant ma mère, mon père et le téléviseur. Et puis j'ai attendu. Combien de temps ? Aucune idée. On m'a raconté que ma mère a essayé de me réveiller puis il y a eu des cris dans la maison, puis une sirène d'ambulance et puis le noir total. J'ai cru que j'avais raté ma mise en scène de suicide et que le suicide deviendrait une réalité. Mais je n'y pouvais plus rien.

Suite à ce témoignage et tenant compte de l'heure de fermeture, le Jenquetois expulse ses clients pour qu'ils puissent profiter d'une nuit de sommeil. Hocquet en profite pour écrire un article qui fera la une de son journal sur cet événement mémorable.

Un retour inattendu

Une grande limousine noire arrive devant le Raseur Rasé. La porte arrière s'ouvre discrètement en laissant le passage à un passager âgé bien connu qui ne souhaite pas être reconnu. Donald Trompe rend de nouveau visite à Chiquita pour un rafraichissement de sa coupe calvitie . On se souvient, ou non, qu'il fut un des premiers clients du salon à qui il fait une confiance aveugle. Tout en travaillant sur cette grosse tête, Chiquita apprend à son visiteur le décès de Jenquet et l'arrivée d'immigrants. Le président comprend alors pourquoi il n'en lisait plus les exploits dans La Dépêche, seul journal crédible à ses yeux. Il entend de la bouche de sa coiffeuse que plusieurs enquêtes demeurent inédites. Donald Trompe se rend à la mairie et menace d'imposer des tarifs douaniers au village de St-Jean-D'Épîles si le journal ne publie pas toutes les enquêtes du célèbre détective. Il repart incognito non sans avoir signé un décret interdisant l'arrivée dans le village d'itinérants illégaux. Le maire, à court de moyens, accourt au journal et implore Hocquet de trouver ces enquêtes et de les publier. On obéit au maire quand le maire obéit à Trompe. Le lendemain, La Dépêche publie les démarches de Jenquet pour constituer son escouade canine et dépêche un exemplaire du journal à la Maison Blanche.

Pour me guider dans mes recherches, quoi de mieux qu'un chien guide. MIRA me propose un premier prospect portant le nom de Lolë qui me semble solide sur ses quatre pattes. De type labernois, il me séduit. Un chic type mais je dois vérifier ses capacités de pisteur. Un rendez-vous est fixé dans les sentiers du barrage de St-Narcisse. Vénus et moi s'y rendons en mission de reconnaissance. Notre objectif est simple : vérifier les qualités athlétiques du possiblement nouvel enquêteur canin.

Arrivés à la guérite, je m'assure que les frais d'entrée ne nous seront pas imposés. La préposée, qui était absente, nous assure donc que nous pouvons poursuivre notre route (dans les enquêtes policières, il y a toujours une poursuite). Je poursuis donc mon récit. Arrivés au point de départ et d'arrivée, on constate que notre sentier a été scindé en deux par un éboulement de terrain. Cela ne nous décourage pas puisqu'on sait qu'on peut arriver via un autre départ. Ce qu'on fait. Quelques instants plus tard, MIRA et son cabot arrivent pile à l'heure. Le chien, en me voyant, fait une tentative d'intimidation verbale. Je le laisse faire et prends la laisse que me laisse MIRA. Rapidement on se sent à l'aise. Pour Lolë, puisqu'il faut l'appeler par son nom, il s'agit d'une randonnée initiatique et rien n'indique sa capacité à survivre à ce défi. Sans avertir mon équipe, j'ai mis au programme une marche de 12 km afin de vérifier les capacités du jeune prospect. J'espère moi-même m'en sortir honorablement, question d'orgueil. Ne reculant devant rien, d'autant plus que le chien me tire vers l'avant, je le mets à l'épreuve : traverses de rivière sur un pont enneigé, évitements de trous d'eau, passage dans la boue, rencontres d'une grande variété de quadrupèdes canins accompagnant des humains. Il réussit toutes les épreuves, preuve qu'il peut rejoindre l'agence de Jenquet. Par contre, j'ai remarqué qu'il va demander des soins particuliers étant assez glouton en eau. Sera-t-il un bon pisteur ou un prolifique pisseur ? MIRA ne m'a pas menti sur son potentiel. Je déteste le mensonge qui déforme la vérité. Cela me fait penser au dictateur américain, M. Trompe qui ment tellement qu'il affirmait hier vouloir faire mentir les sondages. Être menteur n'est pas une défaite pour mentir. Le stage terminé, nous revenons au bureau de l'agence.

***

Ce mardi soir, soir d'élections américaines, je me couche tôt. Aussitôt mon chat Mozart vient me rejoindre dans l'indécision. Doit-il se coller sur ma jambe gauche ou mon genou droit ? S'il se fie aux résultats américains, il dormira entre les deux. Ni l'un ni l'autre ne me dérangent. Au moment précis où mes paupières décident d'obstruer mes yeux, ma bonne oreille souligne à mon cerveau que la vibration qu'elle a perçue provient de mon cellulaire qui monte la garde près de mon grabat. Pas question de quitter ma chouette couette pour vérifier la provenance de ce message. Alors, je glisse lentement mon bras valide (celui qui ne soutient pas ma tête endormie), mon poignet touche à tâtons l'outil de communication et le ramène sous la couverture. Avec une habileté développée au fil des ans, je déverrouille l'appareil, ouvre la messagerie et je constate avec stupeur que je ne peux rien lire. Je réutilise mon bras québécois qui retourne sur ma table de nuit (qui demeure quand même sur place de jour) et récupère un instrument qui, dans mon optique, est essentiel à ma vision. Les lunettes bien en place, je lis le texto qu'on m'a texté : Lolë a bien aimé son expérience mais vous n'avez pas réussi le test. Il refuse de travailler pour vous. L'agence Jenquet vient de perdre son enquêteur spécialisé en filature. Il a mis les voiles avec une rapidité foudroyante avant même la signature de son contrat d'engagement. Je me dis qu'il ne peut rien arriver de pire jusqu'à ce que je constate qu'il y a de fortes possibilités pour que Donald Trompe occupe la Maison-Blanche pour un autre mandat. Moi qui croyais que le Covid était une punition de Dieu, je vois bien que Satan est plus fort en plaçant son protégé à la tête des USA. Je profite donc de mon sommeil pour dormir, seul moyen de rêver à un monde meilleur. À mon réveil, je convoque mon seul enquêteur :moi. Je dois vérifier l'information concernant un couple de la rue Frigon qui, semble-t-il, ferait le commerce de l'héroïne et du haschich. Vraiment stupéfiant ! Je me rends ensuite à la pharmacie pour me procurer un shampoing contre les poux vu qu'aux USA on procède au dépouillement des résultats et que je souhaite apporter ma contribution.

***

Une des grandes responsabilités du DG d'une agence d'enquêtes consiste à s'assurer d'un recrutement efficace de ses collaborateurs afin d'obtenir le maximum de qualités au prix le plus bas. Je veux toujours m'entourer d'une escouade canine toujours prête à me prêter pattes fortes. J'utilise occasionnellement et gratuitement les chiens de l'organisation MIRA. Hier, je me suis rendu au domicile de MIRA (un atout dans mon équipe) afin de faire signer un contrat d'engagement (qui ne m'engage à rien) avec Barista, une nouvelle recrue, une petite chienne de trois mois. En arrivant à leur domicile commun je les ai surpris en pleine occupation ludique de brossage de poils. On sait qu'il faut faire attention aux gens qui sont de mauvais poils ou qui sont partis sur une brosse. Je dois procéder à une dernière évaluation de la forme physique de la chienne parce que je constate qu'elle a pris du poids et du volume depuis ma dernière visite. Il faut qu'elle soit capable de me suivre lorsque nous enquêtons dans les divers sentiers mauriciens. Une demi-heure plus tard, les conclusions sautent aux yeux. Sa forme physique est excellente. Par contre la mienne laisse à désirer. Mais comment faire signer un contrat à un animal ? Voilà la question. Même Shakespeare n'a pu répondre à cette question. Devant mon hésitation, Barista devient impatiente et insère ma main dans sa gueule et serre avec sa mâchoire. Les canines de la canine pénètrent dans ma peau fragile. Le sang gicle. J'ai ma réponse. Elle veut sceller un pacte de sang. Elle accepte de me protéger et moi de la promener. Elle consent à travailler pour mon agence en retour de quelques gâteries. Elle s'engage même, si je l'engage, à améliorer ma condition physique en augmentant la longueur de mes pas et à me faire courir de temps à autre. Le contrat est ainsi signé, sans condition. Un accroc à mes principes qu'elle a gagné grâce à ses crocs.

Vénus m'apprendra plus tard, photos à l'appui, que Barista n'a pas vraiment la forme physique qu'elle m'a démontrée. Hypocritement, elle m'avait montré une énergie hors du commun mais dès mon départ elle est allée se coucher pour récupérer des efforts fournis. J'annule donc son contrat. Mais comment faire ? Un peu d'antibiotique et le tour est joué.

Mon agence ne comprend toujours qu'un seul enquêteur.

LA ROUTINE S'INST


Texte publié par Jenquet, 25 mai 2025 à 16h06
© tous droits réservés.
«
»
tome 2, Chapitre 2 « ERRANCE » tome 2, Chapitre 2
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
3131 histoires publiées
1372 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Hiraeth
LeConteur.fr 2013-2025 © Tous droits réservés