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: CONFIDENCES PARTAGÉES

Confidences

Ce soir, mes amis me réservent une surprise-party pour célébrer mes 75 ans. Ils m'ont demandé de réserver une table à La Pointe du Couteau pour l'occasion. Une rare fois où je me retrouve avec Hocquet, Chiquita, Vénus et son frère Hermès. Une bonne poutine et trois bouteilles de vin sans alcool plus tard, l'heure est aux confidences.

Des larmes chaudes et humides ruissellent sur mes joues rougeaudes et crevassées par les nuits blanches passées à cuver un vin infect depuis ma tendre jeunesse et des 60 années qui ont suivi. Je ne suis plus que l'ombre de moi-même, qu'un reflet dans mon miroir. J'avoue à mes amis que je suis un alcoolique anonyme refusant de donner mon nom en entrant dans un bar. Ma beuverie a commencé en 1967 lors de l'Exposition Universelle de Montréal dont le site est devenu Terre des Hommes et elle me poursuit depuis cette époque. Il est vrai que maintenant je me contente de boissons sans alcool mais les dommages sont indélébiles.

Chiquita, pour me consoler, se met à nue en dévoilant que son vrai nom est Marguerite Larue ce qui l'a amenée à devenir effeuilleuse et prostituée. Elle débuta sous le pseudo de Manon, danseuse, en taisant son métier lorsqu'elle envoyait des lettres à sa mère. Celle-ci fut une des dernières veuves de la guerre. Son mari, aviateur dans l'armée canadienne, n'avait pu éviter un tir ennemi qui toucha le cockpit de son avion lors d'un vol de nuit, le jour de l'armistice. Le père de Chiquita n'est jamais revenu. Sa disparition créa un vide, une veuve et une orpheline. Plus question de voir la vie en rose. Un malheur qui inspira Jules Renard lorsqu'il énonça que les absents ont toujours tort de revenir. Les larmes de Chiquita se mêlèrent aux miennes. Je me souviens par contre, que cette version de mon amie ne correspond pas à une version antérieure beaucoup plus triste. Mais elle a droit à ses secrets et ses versions.

Hocquet partage notre peine et pour nous soutenir avoue son sentiment d'imposteur. À ses débuts comme journaliste, il travaillait au Courrier-Sud comme critique littéraire. Il ne signait jamais ses articles, préférant un pseudo : Victor Hugo, afin de conserver son anonymat et jeter son fiel sur les auteurs qui se croyaient de petits princes. Croulant sous les injures publiées dans les réseaux sociaux, il quitta son poste et se réfugia à St-Jean- D'Épîles où La Dépêche se dépêcha de l'accueillir aux chiens écrasés.

Vénus et son frère se regardent n'osant avouer qu'ils furent séparés dès leur jeune âge par la DPJ (Direction de la Protection de la Jeunesse) qui considérait que leurs parents ne pouvaient s'occuper d'eux. Il est vrai qu'ils purgeaient une peine d'emprisonnement de 15 ans pour un viol aggravé par deux meurtres. C'est ainsi que Vénus se consacra à la vente de son corps en faisant le trottoir avant d'être recueillie chez sa bienfaitrice Chiquita. Quant à Hermès, il dirigea un gang de rue dans une grande ville tout en n'ayant aucun domicile fixe. Sa tête étant mise à prix, il décida de fuir la ville et se réfugia chez sa sœur Vénus.

Un déluge de maux

Le lendemain, Hocquet prend sa plume pour écrire un conte destiné à ses nombreux lecteurs. Mais son rédacteur en chef, M. Lecocq, refuse de le publier. Hocquet demande à ses amis de lire ce conte et de trouver une plausible explication à son rejet. En voici la teneur.

L'histoire qui suit aurait pu remonter au Déluge si celui-ci avait existé. Un homme malheureux, âgé de 500 ans, en bavait puisqu'il n'avait pu encore honorer sa femme à cause d'un problème érectile. Seules les pipes réveillaient sa sexualité. Noé, puisqu'il faut que je lui fasse honneur, se rendit alors au bordel La Poule Mouillée afin de débloquer ses inhibitions sexuelles. Chiquita lui fit profiter de son expérience féminine et trois ans plus tard (nous sommes en l'an 1056 après la Création d'Adam et Ève), Noé veilla sur ses trois fils : Sem, Cham et Japhet. Aucune fille ni mention du nom de son épouse dans la Genèse. Le féminisme avait un important retard à combler !

Dieu, ayant raté sa première Création, décida de tout effacer et de recommencer. Après avoir passé un savon à l'humanité, Il décida de tout rincer à l'eau claire via le Grand Déluge. Il chuchota à l'oreille de Noé de garder l'œil ouvert lorsque la pluie ferait son apparition. Craignant de se mouiller les pieds, Noé prit la décision de se procurer une arche chez un antiquaire. Malheureusement, se succédèrent plusieurs mauvaises décisions. Il amena, entre autres, avec lui des éléphants, des lions et des girafes qui prenaient trop de place. Il embarqua aussi des poissons qui périrent hors de l'eau. Pire, il amena sa femme avec qui il se disputa pendant les 375 jours qu'il demeura dans l'arche.

Les cinq seuls survivants de ce grand changement climatique ont eu la mission de repeupler la Terre. Quatre hommes et une femme, tous de la même famille. Le péché d'inceste refait surface. Dieu n'a pas compris la leçon avec Adam et Ève et leurs deux fils. Noé est comblé de malheurs. Il aurait dû amener Chiquita au lieu de sa femme. Il décide alors de noyer son chagrin et invente le vin. Il découvre l'ivresse alors que ses fils le découvrent baignant dans sa nudité. Quelle horreur !

Le découragement gagne Dieu qui ne sait plus à quel saint se vouer. Il s'en alla dans son Paradis en jurant qu'on ne l'y reprendrait plus à vouloir créer un monde parfait. Il laisse donc le soin aux multiples religions d'anéantir la civilisation en créant leurs propres conflits ce qu'elles réussissent très bien.

Hocquet termine la lecture de son article. Chiquita y trouve une source de satisfaction vu le rôle qu'elle y joue alors que moi, plus critique, n'y trouve aucune crédibilité. Personne ne pourrait croire à une telle histoire de Déluge sauf peut-être Donald Trompe !

Bordel au bordel

Le soleil s'est levé deux heures avant le maire Labonté qui profite de ce samedi pour faire la grasse matinée. Son chat tigré ronronne devant sa pitance alors que lui-même sirote son café noir. Le célibat et ses 75 années n'ont aucune prise en ce premier samedi du mois. Cet après-midi, il se rendra à son rendez-vous mensuel à La Poule Mouillée pour jouir de la présence des filles de Chiquita. Pas besoin de pilule bleue dans sa besace pour rendre toute sa vigueur à son sexe.

Rituel matinal, le maire s'empare du journal La Dépêche. La une le renseigne sur la date et la météo. Inutile de traîner un parapluie vu que le soleil sera de permanence. Aucune nouvelle d'intérêt. Les taux d'intérêts sont à la hausse ainsi que le prix de l'essence. Mais le maire n'a aucune dette et la municipalité défraie les frais de son véhicule. Une gorgée de café et une biscotte plus tard, ses yeux sont attirés par un titre en bas de la page 3. En lisant "bordel au bordel La Poule Mouillée'' !, il s'exclame : "Ça alors ! C'est dingue" ! L'article est signé par Hocquet donc parfaitement crédible. L'appétit disparaît. Une lecture approfondie s'impose.

NDLR. Une primeur de notre reporter Hocquet.

Une entreprise florissante du village pourrait fermer ses portes. Les filles du bordel La Poule Mouillée font la grève depuis la nuit dernière afin d'obtenir le droit de faire du télétravail. Un arrêt de travail qui pourrait leur servir de marchepied vers de meilleures conditions. L'œuvre de chair lui coûtant trop cher, la tenancière aurait décidé de prendre ses distances du travail à distance. Elle songerait à mettre les clés dans la porte de son bordel qui deviendrait officiellement une maison close. Une source anonyme, l'ex-enquêteur Jenquet, a confirmé avoir rencontré Chiquita au bistrot À la Pointe du Couteau. Elle lui aurait confié ne plus savoir que faire de sa peau. Elle aimerait se recycler dans ce qu'elle maîtrise le mieux. Deux options s'offrent à elle : 1- le recyclage des peaux de bananes pour les mettre en vente via les réseaux sociaux comme engrais vantant le potassium qu'elles contiennent. 2- la vente d'effeuilleuses pour les fines herbes. Une histoire à suivre.

Pas question pour le premier magistrat de voir disparaître une autre entreprise de son village et particulièrement celle-ci. Qu'adviendra-t-il du tourisme et de sa propre libido ? Il convoque les parties à une réunion d'urgence afin de dénouer le conflit. Une subvention spéciale dédiée à la garde-robe des filles est offerte à la condition que ces dernières se dévêtissent au bordel. De plus, les conseillers municipaux qui se rendront à La Poule Mouillée paieront dorénavant plein prix. À la suite de cette entente, la bonne entente revient au bordel. Une décision qui mènera sûrement à une autre victoire du maire aux prochaines élections.

La boîte aux lettres

NDLR : Monsieur Lecocq s'arrache tous les cheveux de sa tête chauve. Son As reporter Hocquet demeure figé devant son clavier depuis plus de 30 minutes. N'étant pas physiognomoniste, il n'a aucune idée de ce qui le chicote. A-t-il le tournis devant la tâche à accomplir ? Aucun bruit, nul son, que du silence. Même la souris de son ordinateur n'ose chicoter.

La boîte aux lettres de l'ordinateur de Hocquet clignote de tous ses feux. Il finit par ouvrir la lettre intitulée Mes Réminiscences. Une lettre anonyme signée du maire d'Éperney lui propose une enquête et un article qui pourraient lui valoir la renommée et d'importantes subventions gouvernementales imposables s'il pouvait expurger les secrets contenus dans les archives de la mairie. Tout un puzzle Wasgij.

Pas question de se lancer à toute vapeur pour obtenir un inutile scoop. Une enquête à la diable n'amène que de volatiles conclusions. Son ami Jenquet en a fait de nombreuses expériences. Hocquet n'a pas de temps à perdre particulièrement depuis la perte de sa montre. Pas question de se lancer dans une telle recherche.

Le soir venu, Hocquet se confie à son ami qui le rassure. Cette fouille de documents n'était pas rassurante. Ni payante. Refuser cette proposition allait de soi.

De la croix devenue croisette

Malgré ses prières et lamentations, Hocquet se voit refuser par son rédacteur en chef, M. Lecocq, une accréditation pour couvrir le festival de Cannes. Le tourbillon de décolletés sur la Croisette représente bien l'événement, symbole du tape-à-l'œil pour ceux qui comme lui, désirent s'y rincer l'œil. On est loin de la croix érigée en 1369 qui a donné son nom à cette promenade longeant la plage. Cinéastes, actrices et acteurs espèrent la gloire et la fortune. Parfois, ils terminent la nuit ivres et beurrés suite à des ovations qui ne sont pas venues. Sifflets et huées résonnent encore dans leur tête. Les dérapages et scandales feront alors la une des journaux, sauf celui de Hocquet. La Dépêche n'ayant pas dépêché de journaliste.

Hocquet tente sa chance pour obtenir une accréditation CINÉPHILE. Pas de chance. Il ne fait partie d'aucune association de cinéphiles assidus, se contentant des reprises à la télévision et sur Netflix. Il cherche à rejoindre son compatriote Xavier Dolan qui ne lui répond pas, trop occupé à présider le jury de la catégorie UN CERTAIN REGARD. Aucun regard pour Hocquet. Impossible de leurrer le festival en se disant acteur de The Roaming, d'Une Langue Universelle ou de cette Parfaite Étrangeté. Ces trois films du Québec lui sont inconnus. Il lui faut faire son deuil de Cannes. Heureusement que TV5 Monde diffuse des images de la Croisette pour satisfaire sa curiosité. Mais cela ne règle pas son problème existentiel : quel article proposer à son rédacteur en chef ? Il vient me voir dans ma chambre en quête de conseils.

Chiquita quitte sa chambre, traverse le corridor et entre dans la mienne afin de consoler notre ami Hocquet en plein syndrome de la page blanche. Je n'ai rien dans mes cartons ni aucune histoire à raconter et La Dépêche compte sur moi pour pondre un texte, lui dit-il. Mais Cannes n'en fait pas partie. Les deux compères soupèsent toutes les possibilités pour mettre leur ami en lumière. Chiquita, qui aime les préliminaires, propose d'écrire une préhistoire dénonçant le sort des femmes cromagnonnes et très mignonnes qui devaient entretenir leurs cavernes pendant que leurs hommes gambadaient dans la nature. Moi, je suggère plutôt de faire l'éloge de son ancêtre Pierre Caillou qui vivait à l'âge de pierre et qui faisait carrière dans une carrière de silex.

Toutes ces propositions préhistoriques prennent le chemin de l'oubli. Hocquet prend le chemin de sa chambre et Chiquita de mon lit.

Les aurores boréales

Le ciel surplombe un festival d'ondes irisées gracieuseté du soleil qui se trouve en pleine tempête géomagnétique sûrement causée par le réchauffement climatique. Hermès souhaite rédiger un article sur les aurores boréales qui ne se manifestent qu'à l'aurore. Cela mettrait de la couleur dans un journal publié en noir et blanc. Vivement à son clavier dans l'urgence d'attendre l'inspiration. Rien ne vient sauf un message de sa sœur Vénus, perdue dans la grisaille de la journée, sous une tente au camping du PRÉ VERT entourée de feuilles mortes et d'une marmaille qui sème la pagaille.

À son âge et avec les expériences que la vie lui a fournies, Hermès peut confirmer qu'à plusieurs reprises, des femmes ont quémandé son aide. Mais, depuis qu'il est célibataire, i.e. sa naissance, les occasions ont été rarissimes. Il ne s'attendait sûrement pas à ce que cela survienne en cette fin de semaine. La panique s'est emparée de sa sœur Vénus. Pas question pour elle de dormir seule entourée d'inconnus sur un terrain de camping. Elle demande à son frère de la rejoindre.

Le cœur léger et le pied pesant il prend la route 155 nord vers le camping sis en pleine campagne mauricienne. Il était loin de se douter de ce qui l'y attendait. Des kilomètres d'une belle route neuve se déroulent sous ses pneus l'incitant à dépasser la limite permise. Puis, des kilomètres de macadam disparu l'obligent à utiliser son pied gauche pour mettre un frein à sa hâte d'arriver. Évidemment, la combinaison de ces deux facteurs ne l'a pas empêché d'arriver pile à l'heure qui, d'ailleurs, n'avait pas été prédéterminée. Une heure à rouler sous les regards d'une lune gibbeuse, de plants de maïs bordant les champs et d'une multitude d'épouvantails gardiens du terroir. Une heure supplémentaire pour retrouver le bon chemin puisqu'il s'est perdu en arrivant à un carrefour où trois voies s'offraient à lui tel un éventail invitant. Il a pris la bonne route au troisième essai. Pas de chance !

Son arrivée au camping est fracassante. Le préposé au guichet regarde un match de foot et pour lui signifier sa présence Hermès cogne un peu fortement sur le vitrail servant de barrière anti-Covid. Ce dernier éclate en mille (plus ou moins) morceaux. Il défraie le prix d'entrée plus les dommages occasionnés. Le préposé lui demande l'objet de sa visite et il lui rétorque qu'il va voir sa soeur Vénus. La réputation de cette dernière l'a suivie ce qui lui amène un large sourire coquin. Hermès lui explique qu'elle a peur de dormir seule ce qui accentue la malice qu'il voit poindre dans son œil gauche. Le préposé lui indique le lot où se trouve sa soeur : le 69. Hermès laisse l'auto aux soins du stationnement et se rend pédestrement au dit lot. Le PRÉ VERT n'est que grisâtre. Aucun gazon, pas de fleurs ni arbres que des roulottes entassées les unes au côté des autres. Puis le secteur des tentes tente de se démarquer sans y parvenir. Impossible de trouver la paix dans un tel fourmillement de familles, de gosses et de chiens. Et que dire de ce silence brisé par le bourdonnement des autos circulant sur l'autoroute à proximité. Vénus l'attendait avec impatience et une bouteille de rouge.

La présence de son frère la rassure. En regardant la tente, ce dernier est moins rassuré. Une tente individuelle. Aucune place pour lui. Vers minuit, Vénus y pénètre et Hermès s'allonge devant sa porte tel un chien de garde. Il ne dort pas. Les yeux grands ouverts, il admire le ciel étoilé quand, tout à coup, apparaissent au-dessus de lui plusieurs aurores boréales parées de leurs couleurs bleutées, vertes et roses. Un spectacle que la luminosité de la ville aurait occulté.

Son récit a alimenté notre souper à La Pointe du Couteau. Il fut plus savoureux que le pâté chinois qui nous fut servi sans blé-d'Inde. Un repas sans pourboire.

L'évadé d'Alcatraz

Par une canicule particulièrement chaude, je profite d'un air climatisé pour déguster un vin rouge sans alcool ni goût mais rafraîchissant en compagnie d'Hocquet et Hermès. Je déteste le blanc. Je n'aime pas passer une nuit blanche ni avoir des blancs de mémoire. Je me suis déjà fait traiter de raciste en disant qu'une blanche valait deux noires mais j'ai su faire face à la musique passant par toute une gamme d'émotions. Hocquet partage cette aversion du blanc refusant le syndrome de la feuille blanche précédant l'heure de tombée. Heureusement qu'un lecteur vient de lui faire parvenir une histoire à dormir debout que même Alphonse Allaïs aurait publié dans ses chroniques. Il en partage le contenu avec nous.

À monsieur Hocquet, as reporter de La Dépêche

Afin d'élargir les connaissances de vos lecteurs, je vous soumets respectueusement la mésaventure survenue le 12 juin 1962 à mon compagnon d'évasion Frank Morris. Né sous le signe du poisson, son horoscope lui prédisait un voyage imprévu vers des îles du Sud. Se voyant déjà rôtissant au soleil ; entouré de sirènes au naturel, Frank ne voyait pas comment sa situation de locataire à la prison d'Alcatraz lui permettrait une telle évasion. Pas moyen de moyenner sa liberté.

Nous étions deux prisonniers quittant sans regret la prison via une évasion planifiée avec lustre depuis des lustres. Le hasard étant hasardeux, Frank s'est retrouvé malgré lui en notre compagnie. Afin de s'assurer que Frank ne donne l'alarme, nous l'avons amené avec nous. Ce dernier se retrouva ainsi les deux pieds barbotant dans les égouts sous les bâtiments sans insecticide pour éloigner la nuée de bestioles gardiennes des lieux. Flottant parmi les étrons, nous fûmes éjectés de l'île en émergeant dans les eaux de la baie de San Francisco. Une chaloupe nous attendait afin de nous disperser dans la nature. Frank n'ira pas loin. Nous l'avons abandonné sur un îlot à moins d'un kilomètre d'Alcatraz.

J'ai appris au fil des ans qu'il fut rescapé le soir même. Aucune âme qui vive. Aucun vivre pour qu'il survive. En dépit qu'il ait le sang chaud, il n'avait pas perdu son sang-froid. Après 30 minutes de marche, il avait fait le tour de son île désertée par toute civilisation. Que faire ? À qui lancer un S.O.S ? Manque de prévoyance, il n'avait pas prévu faire partie d'une évasion. Détectant au fond de la pochette arrière de son pantalon le petit miroir qui lui servait d'alter ego, il a utilisé le soleil pour envoyer à ses geôliers un appel au secours. Pas question de se noyer dans un verre d’eau. Un retour en taule valait mieux qu'une prison sans chaînes et sans chance de survie et qui ne serait qu'un miroir aux alouettes. Une vedette pleine de policiers vint cueillir notre vedette malgré elle pour la ramener dans le confort de sa cellule.

J'ai appris que Frank venait de rendre l'âme suite à un choc électrique provenant de la chaise sur laquelle il prenait place en prison. Sa courte escapade fut cachée à la face du monde mais je me souviens qu'il fut un bon compagnon d'évasion.

Signé : un évadé anonyme

Voilà le récit que les lecteurs de La Dépêche liront dans l'édition de demain. Ils apprendront aussi que les deux autres évadés ne furent jamais repris.

Hermès et moi avons applaudi à ce texte assurés que M. Lecocq ne pouvait que le publier. Ce qu'il fit.

Un article à l'article de la mort

Une réunion d'urgence au journal La Dépêche perdure depuis cinq heures. Le rédacteur en chef, M. Lecocq exige de ses reporters des idées nouvelles pour ses nouvelles. Les idées fusent et Lecocq les refuse toutes pour manque d'originalité. Lecocq veut du solide. Il y a quelques semaines le journal avait fait ses choux gras avec l'assassinat accidentel d'une prostituée qui avait rendu visite à sa fille, lanceuse de couteaux dans un cirque. Cette dernière avait l'habitude de perfectionner son art en lançant ses couteaux sur une photo de sa mère. Cette lanceuse noire de peau et noire d'alcool avait confondu photo et génitrice.

Hermès, spécialiste des chiens écrasés, propose un article sur les dits chiens. Enfin ! Une idée originale de s'exclamer Lecocq ! C'est ainsi que notre reporter reporte son attention sur un sujet rarement traité : un chien hébergé chez un vétérinaire. Il convoque ses amis Jenquet et Chiquita au bistrot À la Pointe du Couteau. Il veut profiter de leur manque d'expertise dans les malheurs animaliers. Chiquita se souvient de l'homme éléphant qui trompait sa femme en venant à son bordel. Jenquet se rappelle d'une enquête concernant le chaton de Pierre Lapierre inséré dans une bague de fiançailles rendue inutile faute de conjointe consentante. Ces sujets sont rejetés par Hermès qui utilise plutôt sa mémoire eidétique alimentée par Google pour trouver un spécialiste animalier.

Un unique appel à tous à la clinique vétérinaire du Chien Dormant confirme la présence d'un chien récemment opéré. En compagnie de Chiquita, il s'y rend. Un labrador blond prénommé Oro vient d'ouvrir un œil, et le bon, suite à une opération visant à lui enlever une tumeur et une bosse quasimodienne. L'anesthésie ayant endormi sa capacité de marcher, Hermès le trouve écrasé par terre avec la ferme volonté de ne jamais descendre l'escalier qui se trouve à ses pattes. Un bon sujet d'article, si le cabot consent à raconter son histoire. Un faible gémissement semble indiquer un mal de bloc terrible. Normal, il sort du bloc opératoire. Une longue balafre de 20 cm prouve l'intervention du vétérinaire Phil Couture qui a utilisé du fil bleu pour suturer la plaie, ce qui ne plaît pas à Chiquita qui aurait préféré un fil rose. Cette controverse n'a pas l'heur pour l'heure de plaire au chien puisque c'est l'heure de quitter la clinique. Pas question d'adopter la posture debout. Les quatre pattes étirées de chaque côté du corps, Oro se dit qu'au prix de l'intervention, la sortie sur une civière jusqu'à la voiture de Chiquita est de mise. Ce qui fut fait.

Bien étendu sur le siège arrière de la voiture et enveloppé d'une chaude couverture, Oro profite d'une demi-heure de route pour perfectionner son aptitude à convalescer (sic) avant son retour chez sa maîtresse.

S'en remettra-t-il ? Les lecteurs ne le sauront jamais. Malgré une algarade avec le rédacteur en chef, Hermès dû s'avouer vaincu. Son article ne paraîtra pas. On a tué la UNE. Il faut rapidement donner de l'espace au second tour des élections françaises. Hermès lance alors une injure très québécoise que Jules Bouchon lui aurait pardonnée devant son tabernacle.

La coupe déborde

Le front haut, le nez busqué et une abondante chevelure blanche qui n'a pas vu de coiffeur depuis trois ans me décrivent bien. Ce matin de juin, je ressemble à un alcoolique affrontant sa bouteille de bière sans alcool tel un instrument diabolique par excellence pour faire revivre ma mémoire d'ancien buveur. Une grande décision s'impose. Je dois redorer mon image afin que mon miroir reflète exactement mon âge vénérable. Octogénaire depuis quelques heures, je pense que je vieillis. Finie cette cascade de fins cheveux qui se répandent sur mes épaules et que je dois emprisonner en une longue queue. Je lance un SOS à mon amie Chiquita. Spécialiste des queues, elle peut sûrement faire disparaître celle de ma chevelure en criant ciseau. En toute amitié, cette dernière comprend le message et se met à la tâche. Il y a une mèche qu'elle n'a pas joué à la coiffeuse sauf pour des clients avec des goûts particuliers. Les ciseaux virevoltent au gré de gestes imprécis alors que les cheveux s'envolent, courant de la nuque au bas du dos. L'apprentie coiffeuse rend les armes après 20 minutes de labeur faute d'épis à tondre. J'ose jeter un œil à mon miroir pour constater que sans chevelure, je suis devenu chauve !

Heureusement que Chiquita ne s'est pas attaqué à ma barbe, ai-je dis à mon ami Hocquet. Je serais devenu imberbe. Même la reconnaissance faciale de mon téléphone Androïd a eu peine à m'identifier, me prenant sûrement pour un androïde.

Mes cheveux coupés, Chiquita m'annonce qu'elle est sans emploi depuis que les filles à son emploi s'emploient en télétravail. La Poule Mouillée sèche en l'absence de clients. Elle a décidé de fermer sa maison close. Âgée de 45 ans, mon amie veut changer d'orientation. Un malheur n'arrivant jamais seul, Hermès et Hocquet cognent à ma porte. Hermès semble plutôt préoccupé. Il vient d'apprendre qu'il est sous le coup d'une suspension indéterminée du journal pour avoir omis de se présenter au travail lors de la dernière semaine. Lecocq, trônant de son poste de rédacteur en chef sans couvre-chef, l'a convoqué à son bureau pour mener une charge contre son indiscipline. Il a tenté de se justifier en prétextant un virus informatique qui n'a convaincu personne. Hermès l'a vigoureusement nargué en le mettant au défi de le sanctionner. Lecocq a relevé le défi. Depuis hier, Hermès est devenu un employé sans emploi.

Les quatre amis fêtent leurs déconvenues autour d'un festin : un plat de croustilles au vinaigre. Je me retrouve sans poils, Chiquita sans bordel et Hermès sans emploi. Hocquet trouve injuste qu'il soit le seul à devoir travailler.


Texte publié par Jenquet, 25 mai 2025 à 15h41
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