UN CALME DÉSARMANT
Une fille du tonnerre
Un appel d'urgence clignote sur mon répondeur depuis quatre heures. Je reste de marbre, ayant mis hors d'usage la sonnerie de mon téléphone filaire afin d'éviter les nombreuses offres non-sollicitées de cartomanciennes exotiques ou de vendeurs de kimonos. J'ai confié la tâche de prendre et de régurgiter mes appels à mon fidèle répondeur. En émergeant d'un sérieux travail de récupération au moyen d'une longue sieste, je me décide à écouter l'unique message retenu par mon secrétaire numérique. Un homme, impotent selon la voix entendue, demande de l'aide afin de retrouver la source d'un coup reçu au cœur alors qu'il se trouvait au milieu d'un concert offert par le chœur l'Orphéon. Par chance, le client a laissé un numéro de téléphone pour le rejoindre. Comme il y a urgence, je compose une chanson sur un air connu de moi seul. L'avenir confirmera que cette œuvre insipide demeurera inédite. Retournant l'appel au client, je tombe, sans me blesser, sur le répondeur de ce dernier. Les appels indésirables font plusieurs victimes. Particulièrement celles qui leur répondent. Par répondeus interposés, je et une certaine Rose-Aimée établissent le contact. On a ici la preuve qu'il ne faut pas se fier au ton de la voix, particulièrement quand on a affaire à un transsexuel. Un rendez-vous est pris pour le lendemain afin de faire la lumière du jour sur le problème de monsdame.
---Voici mon problème, de me raconter le client : la semaine dernière sous les projecteurs du stade de foot, j'ai reçu un coup direct au cœur. Une femme magnifique se tenait devant moi. La tête altière, les épaules droites, les seins au garde-à-vous et des jambes à faire marcher n'importe quel gibier, ce fut le coup de foudre immédiat. Ce que j'ai fait, s'appelle, je crois, aller se mettre dans la gueule du loup. Mon cœur battait à tout rompre. Elle tenait dans ses bras l'objet de ma convoitise. Mes yeux ne pouvaient quitter ses yeux bleus, ses oreilles brunes et pointues et sa petite langue rose. Je la voyais, couchée dans son petit sac de voyage rose porté en bandoulière, toute jeune encore. Une petite chatte siamoise à ne pas en douter. Ma main droite s'est avancée prudemment pour flatter la chatte, si attirante. J'ai imploré pour la tenir dans mes bras. Sa propriétaire me l'a confiée pour 10 secondes. Une éternité. Et les deux belles disparurent. Comment les retrouver ?
Fidèle à moi-même, ce qui est plus facile que la fidélité dans mes mariages, je lui propose de passer une annonce dans le journal à l'intention des belles inconnues. Il suggère le texte suivant : "Madame et sa siamoise, si vous lisez cette annonce, sachez qu'il y a un disciple d'Éon de Tonnerre qui a eu le coup de foudre pour votre chatte. Si vous êtes une cruciverbiste, vous connaissez Éon. Sinon, je suis la fille à la voix masculine qui a tenu votre chatte entre ses mains la semaine dernière. J'aimerais vous retrouver pour un partage de bons moments, votre chatte et moi. Si vous n'avez pas lu cette annonce, laissez tomber ma demande." Elle ne l'avait pas lue. Je n'ai pas été rémunéré.
Une enquête qui me touche droit au cœur ayant moi-même un chat siamois nommé Mozart qui me suit depuis 18 ans. Il garde mon lit, surveille mes enquêtes et mes fréquentations. Mais, depuis peu, il file un mauvais coton. Sa neuvième vie désire s'envoler.
Le triangle
Il était une fois un instrument de musique faisant partie d'un orchestre symphonique amateur. Sûrement pas le plus populaire des instruments ni le plus sensuel. Un simple triangle pendu à un poteau d'acier ravaudé. On ne lui a jamais demandé de jouer un solo puisqu'il se contente d'accompagner les autres bruits de l'orchestre. Par contre, il est un spécialiste de la musique puisqu'il ne joue qu'une seule note. Au diable la mélodie. Ce soir, il donne un concert symphonique d'une durée de 90 minutes. Il est très fébrile. Cela fait trois jours qu'il partage sa note avec moi, le nouveau percussionniste avec qui il perfectionne sa passion depuis une semaine. Enquêteur et retraité, je connais ma partition par cœur et je sais que je donnerai juste une note juste. Ce matin, je me suis pratiqué devant le miroir de mon armoire antique. Plus l'heure approche, plus le trac s'empare de l'instrument. Je lui essuie doucement le front avec une lingette de crainte de le blesser. Le concert commence. Tout l'orchestre est en feu. Les violons compétitionnent avec les contrebasses alors que les violoncelles bercent les flûtes traversières. On a un public mesquin composé de prisonniers victimes de mes enquêtes. Ils n'apprécient pas la gratuité de ce concert mais doivent se plier aux ordres de leurs geôliers. Plus le temps passe, plus le triangle espère son entrée en scène. Puis, le grand moment arrive. J'étends la main vers lui, attrape le cordon qui me permet de le tenir au bout de mon bras et, utilisant une petite crapaudine, caresse mon triangle d'un léger câlin. La note vibre, aigüe. Tous les autres instruments répondent à l'unisson. Juste une note juste. Voilà la contribution qu'on lui a demandée pour ce concert. Toute une responsabilité ! La foule se lève et le nourrit d'un silence évocateur. J'en profite pour coucher mon triangle dans un bel étui en peau de panda roux afin d'en protéger la beauté et préserver sa qualité sonore. Je ne le sais pas encore, mais il vient de donner son dernier concert.
Hocquet et Chiquita pleuraient à chaudes larmes devant cette belle note que je venais de leurs offrir. Nous avons terminé la soirée au bistrot devant quelques bières sans alcool. J'ai aussi payé la note.
Histoire presque vraie
Il n'y a jamais de petites affaires pour un gentillet enquêteur chevronné en manque d'affaires à classer. Le service de police me pressa de l'aider dans la disparition d'un ara. Vous avez bien lu, un perroquet. Je ne le répéterai pas. Ce bel animal de compagnie a faussé compagnie à son propriétaire, le maire Lemaire. Pendant la canicule estivale (il n'en existe pas hivernale), ce dernier a ouvert la fenêtre de son bureau pour l'aérer mais c'est l'oiseau qui a pris l'air. Il n'a pu revenir vers son maître qui avait refermé la fenêtre pour faire taire les bruits de la circulation. Depuis ce temps, on recherche la gent aviaire errant à l'aventure. En ce jour de l'Action de Grâces, il eut été plus facile de retrouver un glouglou.
Le maire exige des résultats rapides ; ce que les forces de l'ordre ne peuvent promettre étant syndiquées. Cet oiseau est exceptionnel. Il parle et il peut répéter des secrets que la Justice aurait intérêt à connaître. La rumeur voudrait que des pots de vin (on ne mentionne pas le cépage) débordent dans les goussets du magistrat lors de l'attribution de contrats publics. Le maire est dans tous ses états. Une pétition secrète de 20 signatures, provenant d'ingénieurs et de compagnies de construction, exige du village qu'il mette tout en œuvre pour retrouver le fugitif.
Je rencontre le premier magistrat pour en connaître plus sur les habitudes de son animal indiscret. C'est mon confident, de me dire le maire. Je lui confie des secrets que même mon confesseur, le curé Bouchon, n'entend pas. Il vient souvent avec moi au McDo pour déguster un café lors de mes rencontres privées en préparation de contrats publics. Plusieurs mafiosi trouvent cela hilarant et ne se gênent pas d'en rire. Certains promènent leur chien en laisse, d'autres leurs chats en poussette, moi je suis accompagné de mon ara.
Ne me fiant alors qu'à mon instinct d'enquêteur chevronné et en me basant sur les indices fournis par le propriétaire, je me dis que je dois réfléchir à la situation. Je me rends au McDo pour une pause-café. Le hasard veut que sur le premier banc libre, un ara cherche son maître. Quel plaisir de pouvoir converser quelques heures avec lui… Je le ramène ensuite chez son maître. Les yeux pétillants de soulagement en vertu du retour de son ara, mon client est aux oiseaux. Il le fut moins la semaine suivante quand le chef LaPolice lui passa les menottes. J'avais bien noté toutes les informations que ce témoin privilégié m'avait confiées ce qui conduira certainement à une commission d'enquête sur la corruption municipale et la démission probable du maire.
Évidemment, Hocquet s'empare de l'histoire et ajoute des détails savoureux provenant d'une source anonyme. Ce soir là, Chiquita arrive tard dans la soirée devant satisfaire un maire qui voulait se soulager des tensions occasionnées par mon enquête.
Une filature bien planifiée
Une journée hors de l'ordinaire ! Ce matin, mon agenda me présente une page annotée. Habituellement elles sont vierges, mais celle-ci m'indique qu'une enquête m'attend. Je m'assure qu'une erreur ne se soit pas glissée par un malheureux hasard. Nenni. Je reconnais bien mon écriture oblique avec ses lettres en symétrie. Comme le temps file, je file m'habiller en fonction d'une filature exigée par une compagnie d'assurance. Quand j'entreprends un tel travail, je me prépare méticuleusement contre vents et marées. Je fais le tour de l'unique station-service de St-Jean-D'Épîles afin de faire le plein de sans plomb pour assurer la mobilité de mon auto. Tout un choix ! Jonah LaPolice me rappelle constamment l'importance de ne pas y mettre du plomb vu que c'est mauvais pour la santé mais le super, ça plombe mon budget. La bonne essence tombe sous le bon sens. Puis, je fais le plein de mon téléphone en le raccordant à un fil en dépit qu'il soit sans fil. Parce qu'en pleine filature, je ne dois pas perdre le fil parmi les entrelacs de nouvelles et de messages via Messenger. Ensuite, je le mets en mode ne pas déranger. Normal, puisque je serai en plein travail. Je me dérobe ainsi à toute cassure dans mon enquête. Je m'assure que la caméra active est bien celle à l'arrière du téléphone, sinon je prendrais un autoportrait. Je passe ensuite par le dépanneur pour me procurer du fromage, des chips, des fruits, de l'eau pétillante et de la gomme. Il ne faut pas avoir mauvaise haleine pendant une poursuite où on est hors d'haleine. Et puis, je me déguise en homme ordinaire car c'est celui qui passe le plus inaperçu. Je m'en aperçois quand je me retrouve en société où personne ne remarque ma présence. Évidemment, je traîne mes jumelles qui me permettent de me tenir loin de la scène à observer. Il y a donc beaucoup moins de risques que ma cible me prenne pour cible quand je fais mes mots croisés afin d'agrémenter ma séance de filature. Le temps file plus vite. Cette dernière réflexion me fait penser de ne pas oublier d'apporter mon livre de mots-croisés, celui avec les solutions à la fin. Je serai ainsi certain de solutionner quelque chose aujourd'hui.
La filature débute. Bon, elle aurait débuté si je n'avais pas oublié l'adresse du suspect. De retour au bureau, je croise mes nouveaux chatons, Jonah et Luney, qui quémandent leur nourriture. Je jette un œil à mon ordinateur qui se morfond et je constate que j'ai un message. C'est mon agenda qui me souligne que je dois avoir commencé une filature il y a une heure. Jonah s'amuse à faire valser une photo oubliée sur la table de cuisine. Je la lui enlève. C'est celle de mon suspect. Pour rattraper le temps perdu, je ramasse l'adresse avec adresse et retourne à ma filature. Évidemment, pas de danger de me perdre. Je ne suis quand même pas une fleur de nave. La voix du GPS me conduit directement à quelques deux cents mètres de la résidence de mon suspect. Je suis maître de la situation. Heureusement que j'avais emporté la photo de l'employé. Je l'emploie pour m'assurer que le suspect qui se trouve dans mon champ de vision est bien le bon mec et que je n'ai pas une vision. Les assurances de son employeur mettent en doute le double lumbago dorsal qui handicape son ouvrier depuis 17 mois. Je dois démontrer que sa santé lui est revenue et qu'il peut marcher droit.
Une enquête de routine pour un Jenquet au nirvana ce qui suscite la jalousie de ses confrères. Le tuyau des assurances se confirme : le supposé handicapé est bien chez lui, regardant la télévision. Ma montre indique 11 heures. Mon téléphone également ainsi que le tableau de bord de l'auto. L'horloge grand-père du suspect indique la même heure en temps universel. J'en déduis qu'il est 11 heures. Le temps pour une petite sieste avant que la filature se poursuive. Je mets mon œil gauche dans le formol et le droit en veille. Pas question de me faire surprendre et de tomber sur un bec.
Assis dans ma voiture, jumelles aux yeux, je lorgne ses déplacements au travers la fenêtre de son salon. Le suspect se lève, va au réfrigérateur et se prend une grosse bière. J'étire le bras et prends ma bouteille d'eau. Je ne sais pas quelle émission il regarde, mais il ne bouge pas de son siège. J'en profite pour lire mes journaux sur Internet. Midi. Il se lève, reprend une bière et un salami. Comme j'ai le nez creux, j'anticipais ce geste. Puisque que ventre affamé n'a pas d'oreilles, je n'entends rien. J'en profite pour manger. Hésitant entre un fromage et des fruits, je coupe la poire en deux. Treize heure trente. Je le vois se lever de nouveau, retour au frigo qui lui remet une autre bière. Je termine ma bouteille d'eau. Il se rassoie devant l'écran de télévision dont il me fait écran. Moi, je suis captif de mon auto, poirautant entre la poire et le fromage. Finalement, à 18 h 09, ma cible se lève, revêt un manteau, ouvre la porte et sort de son domicile. Pour ma part, j'ai oublié d'apporter un manteau, ce qui ne m'empêche pas d'ouvrir la porte de l'auto et d'en émerger. Ma cible se colle au trottoir en ma direction. Je ne mets pas mes verres fumés. Je les ai oubliés à la maison et je n'en ai pas besoin pour passer incognito. Je marche vers lui, imitant un ado avec son téléphone ne regardant pas où il va. Mais mon suspect ignore que je suis en train de filmer sa démarche. Pas question de faire litière d'une chose si cruciale dans mon enquête ni de lâcher la proie pour l'ombre. Trois minutes d'une preuve irréfutable que je vais pouvoir montrer à l'assureur. On voit le quidam marcher lentement, souvent obligé de se tenir sur les poteaux qu'il rencontre sur son chemin, titubant avant d'entrer au dépanneur. Y mettant toute la gomme, j'ai juste le temps de remarquer que son haleine aurait besoin d'une gomme, vu qu'il est assez gommé. Je décroche le cocotier. Mon rapport conclut que cet homme a tellement de difficulté à déambuler qu'il a forcément un problème de dos auquel il doit faire face avec assurance.
Hocquet me félicite pour une filature si réussie. Il espère surtout soutirer quelques informations croustillantes pour son journal. Je ne le déçois pas. Il se dépêche d'écrire un article pour La Dépêche en omettant de citer ses sources. Pendant ce temps, je rends visite à La Poule Mouillée où Chiquita m'attend avec lubricité et impatience. Le maire Lemaire ayant quitté le village, elle a perdu un client et a besoin de ma contribution monétaire pour payer son loyer. Mon grand cœur ne peut laisser une jolie femme dans la misère.
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