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Né dans un petit hameau québécois, Pierre arrive au terme de son adolescence sans avoir connu la grande ville. Fils et petit-fils de paysans exploitant une fermette de survivance, il n'a jamais connu les cafés, les théâtres ou les cinémas. Pas question de faire le glouton avec de petits plats aux anchois. Un Hochepot au poulet constitue l'aboutissement de ses expériences gastronomiques. Aucun batoude pour le propulser vers l'aisance. La ferme va demander bientôt de nouveaux bras et ses parents lui laissent entendre qu'il devrait songer à créer famille. Il aurait été impudique de lui parler de sexe. Les sous-entendus, sous forme de rébus suffisent comme éducation sexuelle. Hier soir, ses parents ont reçu la visite de Maurice Tessier, un cultivateur du deuxième rang. Les parents se sont entendus pour favoriser l'union de Pierre avec la jeune Pierrette. Évidemment, le curé de la paroisse voit cette union d'un bon œil, tout en précisant que de longues fréquentations permettent de mieux arriver au terminal qui est le mariage à l'église.

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Pierre frétille d'impatience. Dans quelques heures, il fera la grande demande à Pierrette qu'il fréquente depuis deux ans. Malgré son jeune âge, majeur depuis hier, il rêve d'une vie commune avec sa dulcinée qui partagerait avec lui les travaux de la ferme familiale. Ses parents acceptent d'héberger le futur couple dans leur maison et le père de Pierrette lui a officiellement donné la main de sa fille. On dit qu'au mois de mai, toutes les filles sont belles. Quand il pense à Pierrette, il se métamorphose en un Casanova sûr de lui. Pourtant, la timidité est davantage son lot. Laissant de côté un léger handicap visuel qui ne lui permet de voir que 6 degrés, il se rend chez sa belle, mené par son chien-guide, fourni par la Fondation Mira. Il longe la ruelle qui traverse son hameau en le tenant par son licou. Arrivé à l'avenue principale, le chien s'arrête brusquement. Une bicyclette fonce vers eux, à toute vitesse. Pierre fait un bond de côté et se retrouve dans un parterre de fleurs. L'arôme des roses le rend heureux. Au même moment, il entend un vol d'oies sauvages que les beaux jours ramènent du Sud. Quelle belle journée! Normalement, il aurait déjà couvert les deux kilomètres pour arriver chez sa future. Il se rend compte qu'il devra faire une addition de ses pas à cause d'un barrage routier occasionné par une collision entre un distributeur de journaux et une camionnette de livraison. Mais, quand on est en amour, la distance n'a pas d'importance. Bien poli, il arrive quelques minutes en retard chez Pierrette qui, de son côté surveillait son arrivée depuis plusieurs minutes. Toute sa future belle-famille l'accueille avec empressement. Pour elle, ce sera éventuellement une bouche de moins à nourrir. Pour les parents, c'est un soulagement de voir sa fille trouver preneur. Mais ce soir, pas question de finasser en ce souper de fiançailles. La mère de Pierrette a sorti sa belle porcelaine de Limoges, quelque peu ébréchée, héritée de sa mère et à concocté un milhassou mettant en vedette les pommes de terre de leur jardin. La demande en mariage s'effectua dès le début du repas. La réponse était écrite d'avance. Les prétendants constituent une espèce rare en campagne. Pas de dot astronomique sinon le trousseau habituel de la mariée. Un jonc de bois scellera les fiançailles.

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Le printemps vient d'indiquer aux feuilles de faire leur apparition dans les érables entourant la ferme familiale. Ce réveil de la nature met un peu de baume sur l'ambiance délétère dans laquelle baigne la maisonnée. Je viens de fêter mon huitième anniversaire, le plus triste de ma vie. La tablée regroupait mon père, Pierre et mes deux jeunes frères. Le cadet n'a pas encore traversé son premier anniversaire et il ne comprend pas pourquoi je lui sers de maman. Le médecin a parlé d'un décès post-partum. Du chinois pour moi. Le bonheur a alors pris la décision d'aller héberger ailleurs. Les premières semaines, ma tante m'a enseigné comment prendre soin de mon petit frère. Je faisais comme avec mes poupées, sauf que lorsque je changeais ses besoins et voyais qu'il avait les fesses toutes rouges, je paniquais. Une infirmière est venue me rassurer en m'expliquant qu'il ne s'agissait que d'une allergie aux couches. Pendant ce temps, mon père était empêtré avec des papiers notariés qu'il devait photocopier pour envoyer au gouvernement. Je n'y comprenais rien. Les mois d'hiver ont passé.

Ce matin, papa nous a réveillés tôt. Il a une surprise pour nous. Une journée en forêt nous attend. On part dans la voiture familiale, un panier de pique-nique bien garni et plusieurs lignes à pêche. En passant dans le village, papa s'arrête devant une maison et une femme, toute pimpante, vient nous rejoindre. Elle est déjà venue à la maison pour aider papa. Pourquoi vient-elle avec nous ? Plusieurs interrogations plus tard, nous arrivons à un lac où nous attend près de l'embarcadère, une chaloupe dans laquelle nous nous engouffrons. Bébé n'apprécie pas, hurlant à pleins poumons, faisant fuir tous les trolls et elfes se trouvant dans les environs. Papa regarde sa carte pour dénicher une anse propice à la pêche. Il lance sa ligne dans une eau tellement claire qu'on distingue nettement le lit du lac peu profond. Quand il sort une première truite, je ne peux m'empêcher de lui faire une standing ovation pour son exploit. Plus tard, Mais, en écorniflant sournoisement sa conversation avec la dame, en tête-à-tête, j'ai compris que j'hériterais d'une nouvelle maman. Déçue et fâchée, voire trahie par mon papa qui, tel un gigolo, avait besoin du support d'une femme, j'ai laissé les larmes s'évader de mes pupilles. Il m'a prise dans ses bras et m'a expliqué qu'il ne pouvait pas s'occuper seul de trois enfants. Il désirait nous présenter sa prochaine épouse. Pour me consoler, il me donna, en souvenir de maman, un jonc en bois.

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À peine six heures lorsque le réveille-matin se met en tête de me réveiller. Peine perdue, je ne dors pas. Le sommeil n'a pas osé se présenter alors que des informations vespérales inondaient les nouvelles télévisées d'une invasion russe. Je rejoins la cuisine afin de préparer mon petit déjeuner. Pierre, mon père, a plongé ses yeux dans le quotidien qui confirme les mauvaises nouvelles. Sa mère patrie est attaquée. Il sirote lentement son café où vogue une mousse crémeuse surmontée de larmes échappées de ses tristes yeux. Un soupçon de confitures à l'églantine dont je tapisse deux tranches de pain complètera mon demi-pamplemousse Je n'ose dire un mot. Quelques instants plus tard, ma belle-mère, qui partage notre foyer depuis un an, se pointe en rognonnant, comme de coutume. Elle se plaint de ses cheveux hirsutes que son psyché lui a retournés comme vision. Elle passe trop de temps devant son miroir. Ce matin, elle est tellement stressée qu'elle est plus tendue que les cordes d'une harpe. Tout est propice pour une autre querelle de couple. Effectivement, elle éclate. Les index dans chaque oreille, en guise de bouchons, en éloignent les échos . Il faut que je me sauve. Heureusement que l'école m'attend. J'enfile mon chandail kangourou et je quitte la maison. Enfin la paix !

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Johanne arrive tôt à l'école, le sourire aux lèvres. Trois bancs la séparent de Rolland. Malgré ses dix ans à peine amorcés, elle aime quand son regard caresse ses frêles épaules, faisant frémir tous les pores de sa peau. Le savoir derrière elle efface le souvenir de la querelle familiale et les frasques de sa belle-mère en début de journée. Tout en palpant son jonc de bois, unique souvenir de sa mère décédée, Johanne rêvasse à une vie où le bonheur s'installerait définitivement dans son existence. L'espoir d'une fuite de cette lourde atmosphère vinaigrée, dans un foyer qui vacille sur des bases sans amour, l'habite depuis deux ans. On comprend qu'elle souhaite prendre son envol vers d'autres cieux, un amoureux à ses côtés tel un solide tarmac où elle pourrait orchestrer une chorégraphie de douceurs. Un désir de transformer son existence pour y inclure l'amour et l'iriser, tel un heureux caméléon. Un amour qui la mènerait à quitter la misère qui la retient, telle une aréole, au sein de cette famille. Se projetant dans le futur, Johanne aspire à ce premier baiser qu'elle n'a pas encore goûté et qui la transformerait telle une Cendrillon des temps modernes.

"Johanne ? Tu écoutes" demande l'enseignante. Des éclats de rire fusent derrière elle. En se retournant, elle voit Rolland et ses amis se moquant d'elle, perdue dans ses pensées. La réalité refait surface. Elle se sent comme le marc d'un café confiné dans le percolateur et que l'on jette une fois sa tâche accomplie.

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Cendrillon vécut avec une belle-mère acariâtre. Johanne connaît le même sort. Cette mégère diabolique contrôle le père et les enfants en tissant sa toile telle une araignée, certes une veuve noire aux pattes crochues. Elle vient de décider, en se consultant elle-même, que la vie scolaire de Johanne se déroulera chez les bonnes sœurs, qui n'ont de la charité que le nom. Elles sauront mâter son caractère d'adolescente rebelle, ce qui n'est pas entièrement faux. Quel choc ! Une fille de prolétaire parmi une junte de filles de notables. Les conditions gagnantes pour une perte assurée d'estime. Johanne débute alors ses études au collège Kérenna telle une clandestine dans un wagon de privilégiées sans être maître de son destin. Dès ses premiers pas en classe, une pluie d'yeux moqueurs s'empressent de la rejeter. Elle revêt alors son armure d'indifférence qui la protège si bien depuis le remariage de son père. Jonglant avec son porte-bonheur en bois, elle se promet de réussir ses études, afin, l'espère-t-elle, de gagner sa liberté. Il lui faudra être forte. La cantine du midi lui en apporte une autre preuve. En entamant la pointe de pizza de la cafétéria de l'école, elle s'étouffe. Quelqu'un l'a assaisonnée de tellement de poivre qu'elle ne peut s'empêcher d'éternuer, soulevant les ricanements autour d'elle. Bienvenue dans l'enfer de l'intimidation.

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Il suffit de peu de choses pour métamorphoser une existence. Dès sa première semaine au collège*, Johanne se lie d'amitié avec Ophélie, jolie fille de sa classe qui partage la même origine sociale qu'elle. S'installe alors une solide complicité. Preuve qu'en duo, il est plus facile de se frayer un chemin dans l'adversité. Puis, une religieuse, sœur Agathe les prend toutes les deux sous son aile protectrice. Les excellents résultats scolaires de ces complices atténueront les moqueries des autres élèves et adouciront la mainmise de sa belle-mère. Les sessions se succèdent et, suite à de brillantes études secondaires, Johanne et Ophélie s'inscrivent au programme de sciences infirmières. Voilà l'occasion de quitter le nid familial et de vivre, grâce à de petits boulots, dans leur propre logement. Les deux copines ne se quittent plus. Elles partagent loisirs, études et alcôve. Leur relation demeure secrète. À son anniversaire, Johanne offre à Ophélie un jonc de bois semblable au sien. Une attention qui propulse leur amitié vers un sentiment plus profond.

Il est prévu de fêter le Nouvel An dans chez son père. Devrait-elle présenter Ophélie à sa famille et partager leur bonheur? Face à sa belle-mère, serait-ce la goutte qui ferait déborder le vase? D'un commun accord, les filles décident de dévoiler leur amour à cette occasion. La belle-mère n'aura qu'à prendre son trou. Un Premier de l'An qui marquera l'histoire de la famille. À son arrivée, Johanne constate que son père est triste. Ses deux petits frères s'amusent avec leurs cadeaux de Noël : l'un tambourinant sur le casque d'un super-héros à cheval, l'autre peignant une toile avec de la peinture à l'eau. La joie n'y est pas, ni la belle-mère. Johanne apprend que son père va divorcer. Il vient de l'apprendre. Sa femme n'en pouvant plus de vivre avec un cocu. Sobre souper livré par un traiteur. Personne n'ose commenter la situation jusqu'au moment où le père de Johanne remarque le jonc au doigt d'Ophélie. Il regarde la brillance des yeux des deux filles et soudain, il comprend. Un sourire se fait jour sur son visage et un clin d'œil marque l'acceptation du jeune couple.

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La quarantaine entamée, Pierre digère difficilement les derniers événements. Sa deuxième femme vient de le quitter, sans avertissement, pour coucher avec un membre du Barreau, un jeune avocat fortuné, le laissant seul pour s'occuper de deux adolescents turbulents et de sa fermette. En l'espace d'un éclair, le désordre s'installe dans sa vie. Que prioriser? À quoi s'accrocher, sinon aux valeurs familiales? La tentation est forte de noyer sa peine dans l'alcool. Pierre résiste. Sa sobriété, ce qui est sublime à ses yeux, dure depuis treize ans. Terminées ces nuits tourmentées en état d'ivresse. Il faut réfléchir à l'avenir. D'un pas lent, les épaules voûtées sous le poids de ses nouvelles responsabilités, Pierre se rend au bout de sa terre, s'assoit pour réfléchir fesses dans la neige folle et dos appuyé au plus haut noyer noir. Dans sa jeunesse, il se souvient de l'avoir amputé, d'une branche afin d'en façonner un jonc en guise de promesse de mariage. Il doit y puiser force et courage. Comment expliquer à ses deux fils que leur père sait à peine lire et qu'il ne peut les aider dans leurs travaux scolaires ? L'éducation n'a jamais été de son ressort. Et si Johanne pouvait me donner un coup de pouce.

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Couchée sur une froide civière, Johanne subit un examen de routine. On a prélevé quelques gouttes de sang puis une stressante biopsie. Le verdict tombe : une mastectomie totale du sein gauche s'avère un choix envisageable. Johanne émerge de la clinique, désemparée, n'ayant que son psyché pour partager ses angoisses. Sa vie se métamorphose en cauchemar. Inutile de rognonner, il faut combattre cette nouvelle tuile. La jeune femme aime ses seins dont la joliesse l'a souvent poussée aux limites de l'impudique laissant quelques yeux fureteurs y écornifler. Cachant ses mamelons, elle laissait parfois ses aréoles se dévoiler au travers d'une blouse transparente. Elle considérait souvent ses seins comme des jumeaux, malgré quelques différences.. Dès leur naissance, ils furent objet de curiosité et d'envie. Les hommes, et souvent des femmes, désiraient les cajoler et les embrasser. Ils auraient adoré errer dans un camp de nudistes, mais très rapidement, Johanne les a emprisonnés dans des vêtements chastes et étouffants Pas de jalousie, elle leurs donnait les mêmes attentions jusqu'à une certaine nuit où une palpation routinière dévoila une diabolique évidence. Son sein gauche recelait un intrus.

Johanne va voir son père pour lui annoncer qu'elle a choisi de se faire opérer. Pour bien le préparer à cette nouvelle, elle lui fait lire un texte où un des jumeaux raconte qu'on va éliminer son frère. Un titre accrocheur : «La mort de mon jumeau». Ce sera le point d'ancrage de la discussion. Pierre ne trouve pas les mots mais son écoute suffit. Il ne remarque même pas l'absence de jonc à la main de sa fille.

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Une opération réussie, suivie de six mois de chimiothérapie et notre héroïne reprend le travail, emballée de revoir sa bande d'amies dans un milieu agréable. Il en va autrement dans son couple. Il y a des signes qui ne mentent pas. L'harmonie n'y siège plus. Sa conjointe Ophélie devient de plus en plus distante. Souvent, elle invoque du temps supplémentaire à l'hôpital pour découcher. Des rumeurs d'une liaison avec une jeune interne parcourent même les couloirs. Pas facile de faire la sourde oreille. Une réorganisation à l'hôpital les éloigne encore plus. Ophélie se voit affectée aux urgences de jour alors que Johanne est déplacée aux soins intensifs de nuit. Leur relation ne cesse à s'effriter.

Une nuit, Johanne se voit confier une grande malade infectée par le Covid. Un choc. Elle reconnaît à sa voix, sœur Agathe qui au secondaire l'avait prise sous aile. Un mois à veiller sur elle. Quand celle-ci reprend du mieux, Johanne se confie à elle, soulageant son cœur blessé. La tutoyant, la religieuse lui avoue qu'elle a quitté les ordres pour vivre une passion avec un anachorète de la cathédrale de Trois-Rivières, le Père Sauvé Soname. Elle lui dit que parfois, quand on aime, il faut partir. La semaine suivante, Johanne arrive de son travail et trouve sur la table de cuisine une lettre sur laquelle repose un jonc de bois. Pas besoin d'en compulser le contenu. Le message est clair. Depuis la Rome antique, cet échange vintage de joncs signifie l'engagement de deux personnes. Une union romantique scellée par un anneau dont la rondeur représente l'éternité. Pour Johanne, l'éternité vient de se terminer. Quel soulagement ! Une séparation libératrice..

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L'esseulement de Pierre, le père de Johanne a duré six longs mois. Puis, il a rencontré, via les réseaux sociaux, une femme divorcée et sans enfant avec qui il partage sa vie depuis cinq années. Le bonheur a repris sa place dans ce foyer. La nouvelle venue, cultivatrice de naissance, laisse son empreinte sur la ferme qui a changé de paradigme. De l'élevage de bovins, ils ont choisi de passer à la culture, de cougourdons et d'autres cucurbitacées. Une roseraie entoure la plantation. De toute évidence, le parfum de ces fleurs accoise Pierre, loin de se languir dans cette nouvelle orientation agricole.

Johanne expérimente la vie solitaire depuis cinq ans. Combien de rencontres gâchées parce qu'elle aime avec un pied dans le passé et un autre dans le futur. C'est ainsi que le mur du vivre seule se construit. Aucune passerelle vers une relation stable. Pourquoi ne pas briser ce mur par une aventure d'un soir après ces années d'abstinence ? En réalité, elle ne sait plus comment draguer une femme. Heureusement que ses frères ne lui demandent pas conseil en ce domaine ; ils resteraient célibataires. En visite chez son père, une meute de chiots l'accueille quêtant ses caresses. Elle tombe en amour avec un beau labrador blond. Elle prend alors une décision lourde de conséquences en demandant à son père si elle peut le garder. C'est ainsi qu'Oro partagera sa vie, ses marches quotidiennes, ses loisirs et même son lit. À chaque fin de semaine, les deux partent en randonnée le long des ruisseaux et en montagne. Au cours de ses dernières promenades, Johanne a rencontré, à maintes reprises, Audrey qui parcourt les mêmes sentiers avec Barista, une chienne Mira en formation. La complicité s'installe au fil des semaines entre les deux femmes et les deux chiens. Pas besoin de jonc quand l'amitié comble nos besoins émotifs. Ce jonc, artefact d'une ancienne relation éthérée et maintenant sans aucune résonance émotive. Que lui réserve l'avenir ? Quel arcane saura le dévoiler ?

*

Johanne et Audrey ont obtenu des sièges de rêve sis à la corbeille du théâtre pour une soirée mémorable à l'opéra qui présente : La Dame Blanche. À la fin de la représentation, elles démontrent leur enthousiasme en soufflant, de ce mâchicoulis, des confettis suite à la grande performance de la soprano et du ténor. Que de rires en voyant Arlequin reprendre son obole de la sébile du cul-de-jatte se berçant d'illusions.

À leur retour, les événements se bousculent. Johanne apprend que son père souffre d'Alzheimer cachant sa maladie à sa famille. Les deux fils de Pierre décident de reprendre la ferme familiale. Il faut de toute urgence forer un nouveau puits pour irriguer les cultures et alimenter la fontaine qui abreuve les animaux de la ferme.

La dernière visite médicale de Johanne confirme que son cancer est en complète rémission. Malheureusement, sœur Agathe ne survit pas à la Covid. Craignant les piqûres, elle avait refusé le vaccin, Les semaines s'écoulent sous la gouverne d'une pandémie inépuisable. Épuisée par les nombreuses heures de travail à l'hôpital, Johanne décide de démissionner. Un travail de jour et à temps partiel l'attend dans le musée du village. Elle trouve ainsi le temps de s'occuper de son père dont la maladie progresse très rapidement. De retour dans son passé et complètement perdu, il tourne en rond dans la maison, fouillant dans les tiroirs, vidant ses poches, revisitant les tiroirs et demandant toujours où se trouve le jonc de bois qu'il doit offrir à sa fiancée…

*

De retour des obsèques de son père, Johanne se confie à son amie en se remémorant les moments importants de leurs familles. Profitant des derniers jours de septembre, assises devant un feu de camp qui s'entête à s'éteindre et qu'il faut réanimer avec un briquet lui-même agonisant, elles partagent leurs souvenirs. Casquettes et plaids aident les flammes à réchauffer leurs membres transis. Audrey décide de coucher sur papier ces confidences. Désirant faire rigoler son amie et l'éloigner de la psychose, elle invente des histoires remplies de situations cocasses, loufoques et impossibles. Les jeux de mots succèdent aux propos déjantés. Une salade d'histoires mêlant leur quotidien et l'imaginaire. On y retrouve des personnages de contes allant du Chaperon Rouge à Cendrillon ou à un Lucky Luke adossé à un cactus souffrant de potomanie. Elle invente ensuite un détective privé, Jenquet de l'Agence en Quête d'enquêtes, qui ne parvient à résoudre aucune enquête.

Au début, Johanne est la seule lectrice qui s'amuse à lire et à annoter ces écrits, n'hésitant pas à en traiter plusieurs de «nonos». Le manège se poursuit pendant trois ans. Trois mille pages de réminiscences s'accumulent. Impossible d'y échapper. La drogue s'est installée. Audrey doit écrire et Johanne attend les textes avec impatience. Une soif inodore, incolore et volatile, pire que le sarin mais moins létal, rapproche davantage les deux complices. Les mots font lever la pâte de leur amitié comme le levain dans un beignet aux fruits des champs, la scellant à jamais. Un jour, Audrey décide de mettre un de ses textes sur une plate-forme d'éditions WEB. «La mort de mon jumeau» connaît un certain succès : plus de mille lecteurs. Johanne l'encourage à proposer d'autres écrits. Les mois se suivent pendant lesquels Audrey tente sa chance auprès d'un site éditeur d'histoires courtes. On y propose un Grand Prix. Pourquoi pas. Une dizaine de textes plus tard, force est de constater que ses écrits ne sont pas à la hauteur. Ils sont tous rejetés. Ne se décourageant pas, l'autrice en herbe accepte de faire partie d'un comité de lecteurs et se lance dans le défi d'écrire plusieurs courts textes en utilisant des mots imposés. Doublant son plaisir, elle tente d'en faire une histoire suivie sans savoir où celle-ci la conduira. Treize épisodes plus tard, les deux amies se mettent d'accord pour que le texte final s'intitule : «Le jonc de bois».


Texte publié par Jenquet, 23 mai 2025 à 18h10
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