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Le lendemain Aaron travaille d’arrache-pied. Il frotte les vitres encrassées, repeint leurs châssis élimés et entretient le tout avec une énergie nouvelle. Ce regain d’enthousiasme, il le doit à son impatience de connaître la suite de l’histoire de Heath. De temps en temps, Heath passe pour inspecter ses travaux, le gratifiant d’un hochement de tête ou d’un simple regard. Vers dix huit heures, il le libère de ses tâches et annonce qu’il aura le droit à la suite. Ce mutisme complice n’empêche pas Aaron de se sentir fier.

Le soir venu, après avoir dîner, Heath et Aaron retrouvent leur place dans le salon. Une même flamme dans les yeux, nourrie par le désir de transmission pour l’un, et par la soif de comprendre pour l’autre. Heath s’installe lentement dans son fauteuil et, après un court silence, reprend :

“Où en étais-je ?” demande-t-il, un peu perdu. Sa mémoire, depuis ses derniers temps, commençait à lui jouer des tours. Cela lui rappela sa vieille mère qui, un jour, l’avait regardé sans le reconnaître.

“Au moment où vous et Rhoda aviez gagné le concours universitaire, répond calmement Aaron.

- Ah oui, c’est exact. Nous avions gagné ce concours. Et bien, comme tu peux t’y attendre, à partir de ce moment-là, nous nous sommes entièrement consacrés à la musique. Aucun de nous deux n'allait en cours mais peu nous importait, nous étions jeunes.

Quelques semaines après notre réussite, une lettre officielle nous parvient. Elle détaillait les conditions du concours... Il fallait une chanson inédite, une chorégraphie, une personne pouvant s’apparenter à un manager et une prestation scénique. Le résultat était décidé par le public dans la salle mais aussi par les téléspectateurs ainsi que par les juges sélectionnés. L’adresse y était mentionnée : Dublin en Irlande. Une partie des frais de transport ainsi que tous les frais scéniques était prise en charge par l’organisme.

Pour nous, qui n’étions jamais sortis du pays, le voyage s’annonçait extraordinaire.

Et le jour tant attendu est arrivé. Une voiture nous attendait sur le parvis de l’université. Nous y avons chargé nos affaires et nous sommes partis direction l’aéroport. Et je peux te jurer que ces heures d’attente ont comptées parmi les plus longues de mon existence ! Nous trépignons d'impatience et d’angoisse à l’idée d’arriver sur le lieu et de réaliser notre rêve.

Le trajet jusqu’à Dublin se fît dans le silence. Ce n'était pas un silence désagréable, mais un silence de complicité. Nous répétions nos mouvements en boucle dans nos têtes, de peur d’un oubli fatal.

Lorsque nous sommes enfin arrivés sur place, tout nous a semblé immense : la ville, la salle de spectacle, l’agitation des coulisses, les autres concurrents venus des quatre coins du continent… Le décor avait changé, mais notre volonté, elle, restait intacte.

Une vingtaine de techniciens s'affairaient à planifier chaque détail de l’émission, au millimètre près. La scène était immense, mesurant dans les trentaine de mètres dans mes souvenirs. Certains endroits étaient marqués et on nous expliqua que nous devrions nous y tenir afin d’être correctement cadrés par les caméras.

Plusieurs répétitions furent organisées. Tout d’abord sans son ni lumière, afin de simplement nous habituer à la grandeur de la scène puis ils furent ajoutés. Puis peu à peu, tout s'est mis en place. Je me souviens de l’excitation que j’ai ressenti au moment où les premières notes retentirent et les premières lumières nous balayèrent. Nous les avions choisies dans les teintes bleues, roses et violettes afin de nous accorder à nos tenues, refaites spécialement pour l’occasion.

À la suite des répétitions, des séances photos ainsi que des interviews étaient prévues. En l’espace de cinq jours je crois bien que nous avons dû donner une dizaine d'interviews couplées à presque autant de séances photos mais l’émerveillement ne nous faisait pas ressentir la fatigue. La vieille du concours, dans la chambre d’hôtel, nous nous sommes fait une promesse : celle de ne jamais oublier ce jour, quoi qu’il advienne.