Un train vers le passé.
Une jeune femme entre dans le wagon. Elle s'assoit en face de moi. Nos regards se croisent, et le mien se détourne, troublé que je suis par sa beauté. Le train démarre, m'arrachant à mon état. C'est fait, je pars, 18 heures pile, comme sur le billet. Trop tard pour descendre, je vais tout droit vers mon passé... Un moment, le temps s'arrête...
Le coup d’œil jeté à ma montre, glisse simplement sur les chevilles de la jeune femme, et la "caresse" jusqu'au sac en toile bleue, qu'elle tient sur ses genoux. Je n'ai pas encore revu ses yeux. Je n'y tiens pas à cet instant. Pourquoi garde-t-elle sa main plongée ainsi dans son sac, est-ce une arme, qu'elle y sert si fort ? Ou bien s'y réchauffe-t-elle ?
Son bras assez fragile semble trembler, elle en sort soudain un mouchoir, plié et parfumé, dont elle s'éponge le front, et qu'elle porte ensuite à ses lèvres. Il s'en dégage une odeur de pin d'épice et d'herbe brûlée, semblable à un goûter de fin juin, qui me remplit d'une impression d'été, lorsqu'à ce qu'à nouveau je croise son regard.
J'ai l'impression qu'elle ne souhaite pas s'y dérober et je m'attarde à observer son visage. Il est plein d'un charme franc, au milieu de quelques mèches brunes et vagabondes. Cependant, malgré la fraîcheur de ses traits, elle semble fatiguée, comme blasée de lassitude et de mélancolie. Et puis, il y a ses yeux, profonds à s'y perdre, et qui eux aussi, je le comprends en y plongeant, me dévisagent sans pudeur.
-- Tu as du feu ? Me dit-elle dans un sourire complice.
-- Oui, enfin je crois... J'en suis presque à oublier un de mes vices majeurs. Je lui tends mon briquet, espérant tout à coup la frôler. Elle allume une de ses cigarettes, trop fortes pour moi, et m'en offre une. J'accepte, elle me rend mon briquet et me remercie.
La dame âgée, assise à côté d'elle, se lève et change de place, sans doute incommodée, nous laissant seuls...
Je ne peux m'empêcher d'interpréter sa fuite, que comme une politesse de sa part. Un peu comme un cadeau, un prétexte supplémentaire pour faire davantage connaissance, et ça je crois, je le veux.
-- Elles sont fortes, lui dis-je, retenant ma toux. C'est quoi ton prénom ?
-- Pour l'instant, je n'ai pas envie d'en avoir ! Appelles-moi simplement "Toi".
-- D'accord... Et moi, ce sera "Moi".
Il y a un moment de silence. Je me demande, en regardant à ma droite le paysage standards qui défile, qui, de nous deux, posera la première question ? Heureusement pour moi, c'est elle.
-- Que fais-tu dans ce train, tu vas, tu pars, ou tu quittes ?
-- Je vais, je crois, pour essayer de retrouver une partie de mon passé… Et "Toi" ?
-- Je quitte, j'en suis sûre, les mots m'ont fait douter, et le temps m'a persuadée...
-- Quelqu'un t'attend où tu vas ?
-- Non, il n'y aura que moi, et tant mieux ! J'ai besoin de faire un peu le vide dans ma tête... Si tu savais, tout y est un peu trop confus.
-- Tu veux m' en parler ?
--A toi, puisque je vais t'appeler "Moi", je veux bien, mais pourras-tu comprendre ?
-- Il faut comprendre pour juger, pas pour entendre... Dis toujours.
-- Tu es marrant, tu parles comme un curé.
-- Je ne les ai pourtant jamais fréquentés. Allez, dis-moi.
-- C'est pas facile... Tu sais hier, je suis allée rendre visite à un ami qui m'est très cher. Arrivée en ville, je suis passée à l'endroit qu'il m'avait indiqué, pour lui trouver sa dose, et puis je l’ai rejoint. J'ai vu dans ses yeux, lorsque je l'ai retrouvé, son impatience et sa fébrilité.
Il m'a tendu la main, et pour quelques instants, je l'ai laissé oublier ma présence... Il s'est piqué...
Ensuite, il m'a prise dans ses bras en me berçant. Son regard était illuminé, alors que son visage était toujours aussi pâle, et ses mains glacées. Je lui ai dit que je ne voulais plus vivre ainsi, la peur au ventre... Craindre pour lui, sans cesse, cela devenait au dessus de mes forces.
Il m'a serrée fort contre lui, et ma dit de ne pas m'en faire, qu'il allait quitter tout ça, et m'emmener où il ferait toujours beau, loin des autres...
Je voulais le croire, au moins essayer pour l'aider, mais je n'y arrivais pas. Je l'avais vu faire tant de choses incroyables, j'étais en quête de lui, et non d'un ailleurs. Nous le savions tous les deux, alors je lui ai souri...
Et puis, il y a eut ce coup de fil de Georges, agacé de tomber sur ce foutu répondeur :
-- Bon ! Sylvain, si tu es là, décroches ! Ici tout est en place, il ne manque plus que toi. Tu sais ça va être un gros coup, il arrive déjà plein de monde. Je t'ai obtenu un article dans "Gallery", mais la nana insiste pour te rencontrer ce soir. Alors, qu'est-ce que je lui dis, que tu as la migraine ? Magne-toi, tout le monde te réclame, et une fois de plus ne transforme pas la "coqueluche" que tu deviens en "rubéole"...Ce serait trop con ! Je t'embrasse, et j'espère à tout de suite.
-- Il peint, il se drogue et, tu l'aimes ?
-- Non ! Ce qu'il devenait m'effrayait. C'est notre passé commun que j'aimais, et ce qu'il avait fait de nous... De toute façon cela n'a plus d'importance, lui, au moins maintenant, il est libéré de tout ça...
-- C'est à dire ?
-- Comment t'expliquer ? C'est cette saloperie de dose, qui était trop forte, ou bien, il avait pris une autre merde avant. En fait, j'en sais rien, tout ce que je sais, c'est que quand Georges lui a laissé ce message, il est resté impassible, comme si cela ne lui était pas adressé. Et puis soudain ses mains se sont crispées, il s'est mis à trembler et m'a dit qu'il n'avait plus mal, et plus peur non plus... Et puis il est tombé, sans que je puisse le retenir.
Je ne voulais pas comprendre, j'étais pétrifiée... Je l'ai appelé le plus fort que j'ai pu, et n'ai eut que le temps de lui glisser son blouson sous la tête, avant qu'il ne se relâche complètement, les yeux grands ouverts. Il était là, sans vie, une de ses mains dans les miennes, et sur sa joue droite, une de mes larmes coulait. Jamais, de ma vie, je ne m'étais sentie aussi désespérée... Je l'avais peut-être tué, en lui procurant la dose qu'il s'était injectée. Cette idée, me torturait, et combien je m'en voulais d'être venue, une fois de plus à son aide, ce soir-là.
Elle semblait bouleversée et sortit à nouveau son mouchoir. Un peu gêné, je me tournais vers la vitre, cherchant un mot à dire, et ne le trouvant pas.
-- Voilà pourquoi je suis dans ce train, qui me mène vers une petite maison, où avec lui, j’ai passé de si chouettes moments... En espérant ne pas m'y sentir encore plus triste.
-- Tu as peut-être raison, car la nostalgie, est parfois un "pansement" à bien des bleus...
Nous entrâmes soudain dans un tunnel, et le noir qui envahit la rame, me porta à penser que notre rencontre, n’était pas forcément hasardeuse... Car moi non plus, je n’étais pas au mieux de ma forme...
Passé le tunnel, le paysage avait totalement changé. Il y avait des vallons recouverts d’une forêt dense, et pas loin des rails, serpentait une rivière, où le bleu du ciel se reflétait.
Qui de nous deux allait reprendre cet entretien ? Ce fût elle…
-- Et "Moi", alors, c’est quoi au juste qui fait que tu sois là en face de moi, dans ce train ?
-- C’est compliqué... Ma meilleure amie, avec qui j’ai eu une relation amoureuse épisodique, était très attachée à moi… Nous travaillions également ensemble, et formions une belle équipe. Elle assimilait vite le travail que je lui apprenais, et bien souvent nos rires dans l'atelier, faisaient plus de bruits que celui des maillets sur les ciseaux à bois.
Seulement, la nature étant ainsi faite, il s’avère qu’étant "bi", et déjà depuis un bail avec mon mec, elle avait bien compris sa malchance d'être tombée amoureuse de moi... Comme elle disait "je sais très bien que lui et toi c'est de la pierre... je ne fais pas le poids" !
La vie a fait, qu’elle a fréquenté des garçons qui ne lui correspondaient pas, et même qui abusaient d’elle et l’on menée tout droit vers l’alcoolisme, jusqu'à boire de l'alcool à quatre vint dix degrés...
Elle m’avait abandonné à un moment de ma vie où j’avais le plus besoin d’elle… Mais je l’en ai toujours excusée, et un jour, je lui ai demandé de venir passer deux jours chez moi, pour faire le point sur nos vies respectives.
Nous-nous sommes retrouvés, et avons passé ces deux jours comme si nous nous étions quittés la veille, à parler, boire et rire de nos folies passées… Et l’on s’est séparés, en se promettant de renouveler rapidement un moment identique. Je la revois dans la rue, de dos partant prendre son métro, et cette image reste gravée dans ma mémoire.
Puis je suis parti à la campagne, comme tous les ans à cette époque. Je lui ai téléphoné plusieurs fois pour avoir de ses nouvelles, mais je tombais chaque fois sur son répondeur. Il ne s’était passé que quelques jours depuis nos retrouvailles...
Jusqu'à un coup de fil de sa sœur, qui m'apprend qu'elle est morte ! Elle avait, après avoir bu, tenté de se pendre dans sa cuisine au lustre, qui a pété, alors elle s’est pendue avec son écharpe à la rampe de l’escalier montant à l’étage… Même ses trois chats, qu'elle aimait pardessus tout, n’ont pu la retenir d’accomplir ce geste fatal.
Je crois qu’elle s'est rendu compte du temps gâché à ne plus nous voir, car si nous n'étions plus amants, nous demeurions comme frère et sœur !
Je craints que ce moment, si chouette passé ensemble, n’ait été la lame qui trancha quelques jours plus tard le fil de sa vie, et je ne me remettrai jamais de cela...
-- Je suis désolée pour toi, et je comprends ton désarroi, et puisqu’il semble que le hasard nous ait réunis dans ce train, l'un en face de l'autre, ce ne soit pas pour rien... Alors il est peut-être temps de se présenter vraiment, tu crois pas ? Mon prénom c’est Viviane, et je suis heureuse que le hasard nous ait placés ainsi, l’un en face de l'autre, dans ce train, en partance pour ailleurs…
-- Moi, c’est Roland, et je suis ravi que cette vieille dame, se soit éloignée, nous permettant ainsi de nous pencher sur nos fuites respectives…
Dans le wagon, nous ne sommes que trois, Viviane, moi et la vieille dame, alors nous nous permettons d’abaisser la vitre de la rame, pour fumer une autre cigarette. De sentir Viviane si proche de moi, avec ses cheveux qui grâce au vent frôlent mon visage, me fait ressentir le même émoi douloureux, comme si mon amie disparue était à nouveau là…
-- Tu pleures Roland ?
-- Non, c’est juste la fumée de cigarette portée par le vent,
que j’ai pris dans les yeux…
Refermant la vitre, nous nous rasseyons, et Viviane se recoiffe légèrement et sort de son sac de quoi se remaquiller… Moi je la regarde fasciné, faire cela avec une telle dextérité et élégance.
En me dévisageant, elle me dit :
-- Voilà, rien de tel pour effacer le souffle du vent, ou les griffures du temps !
-- Je devrais peut-être essayer, Viviane, tu crois pas ?
Elle me sourit d’un air complice, ce qui me réchauffa le cœur...
-- Donc, tu te rends dans cette maison, où avec Sylvain vous avez passé de bons moments. Tu ne crains pas que ce soit plus difficile que tu ne le supposes ?
-- Non, c’est le seul endroit où je sais que je vais retrouver une partie de ce que nous étions ensemble, des photos, ses tableaux, et le reste, car ce lieux pour tout dire c’est "Lui" ! Et d’ailleurs, puisque tu prétends vouloir retourner vers ton passé, pourquoi ne pas venir avec moi là-bas ? Découvrir qui était un être disparu, ne te rendra pas celle que tu as perdue, ni à moi, mais au moins nous saurons tous les deux les raisons de notre présence en ce lieux…
-- Tu veux vraiment que je t’accompagne, je crains d’être importun ?
-- Non, je t’assure viens avec moi, dans l'adversité c'est plus facile de ne pas être seul... Et puis je te parlerai de lui, et toi tu me confieras tous les secrets de votre amitié, et je crois que cela sera bien plus facile si l'on se donne la main pour ce "pèlerinage", j’en suis sûre !
-- Alors si tu vois les choses ainsi, je suis partant, car tu m’as convaincu, et grâce à toi je retrouverai une partie de mon passé en t'en parlant, alors que je ne savais pas où le chercher… C'est donc d’accord, je t’accompagne, emmène moi au bout du monde !
-- Bon alors, à la prochaine station, on descend, tu prends ma main et on file vite fait, vers cette petite maison perdue au fond des bois !
-- Tu me sauves Viviane !
-- Non Roland, on se sauve ensemble...
FIN.
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