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tome 1, Chapitre 8 « Renaissance » tome 1, Chapitre 8

En direction du sud de Koad Calcidon – royaume de Rumbur

Abram était fourbu, épuisé, et plus que tout, en colère. En colère contre Ungus qui refusait de comprendre et d’accepter son point de vue, qui lui tenait tête et continuait de les guider vers un endroit honni. Trop dangereux, trop mortel pour eux deux. Pourquoi son aimé écoutait naïvement les paroles d’un sorcier ? Pénétrer dans Koad Calcidon, c’était signer son arrêt de mort, tout fidèle de Nar qui se respectait le savait et ne s’y risquait pas. Que le sorcier-cerf Cernunnos ne veille pas sur cette partie de la forêt n’y changeait rien. Le sud était gardé par Esus, un autre monstre païen qui clamait n’avoir aucun genre et pouvoir choisir son identité à son bon vouloir. Tantôt femme, tantôt homme. Il n’y avait pas de juste milieu. C’était à n’y rien comprendre. Il n’y avait rien de naturel là-dedans ! Et que dire de sa hache qui ne le quittait jamais. Sa hache pouvait tout aussi bien détruire une lame ou une vie que de magiquement créer une arme puissante ou de donner vie à des animaux en bois – comme un taureau qui avait combattu pour lui lors de Gwrac’h Brezel.

— Qui sommes-nous pour juger ? avait alors questionné Ungus. Esus est né ainsi et a sûrement dû apprendre à accepter son corps quand des gens l’ont rejeté. Personnellement, je vois plutôt cette fluidité comme un avantage.

— Et lequel ? renifla Trec’h.

— Il peut être qui il veut quand il le souhaite. C’est ce à quoi nous soupirons tous quelque part. J’avoue parfois envier cette liberté.

— Ung’…

Le jeune inquisiteur regardait son militaire comme s’il le voyait pour la première fois. Il n’avait pas soufflé son prénom sous le ton de la désapprobation, mais plutôt sous celui de la tristesse et de la surprise. Est-ce qu’Ungus Feal se sentait prisonnier ? De quoi ? De qui ? De sa condition de soldat ou de cette relation inavouable ? Est-ce qu’il se sentait obligé de le protéger ? Regrettait-il de lui avoir juré allégeance ? Est-ce que… Un rapide baiser le sortit de son tourbillon de questions et le ramena face au visage tant aimé. Ungus arborait un tendre sourire et n’hésita que quelques secondes avant de porter sa main à la joue d’Abram qui s’y appuya sans aucune retenue. Par Nar qu’ils se chérissaient tous les deux. Ses inquiétudes et ses peurs étaient risibles. Son soldat le lui confirma.

— Ne doute pas de nous, je t’en conjure. Ma soif de liberté n’a aucune saveur sans toi à mes côtés. Nous avons cru tous les deux que l’Inquisition serait le phare de notre vie.

— Avant que l’on se rencontre, souffla Abram.

Le sourire affectueux du militaire s’agrandit à l’entente de ces mots et opina du chef.

— L’Inquisition et ce monde qui entoure nous rejetterait sans hésitation s’ils savaient pour nous deux. Comme le juge Sorser a essayé de le faire. Nous n’y avons plus notre place, encore moins si nous souhaitons perdurer ensemble. Veux-tu rester auprès de moi et supporter mon étouffante présence possessive ?

— Veau coquard, gloussa l’enquêteur. Comme si tu pouvais en douter.

— Je doute, amour. Je doute parce que je n’oublie pas ton ascendance et la mienne. Inquisiteur de père en fils, issu d’une famille influente. Je ne suis qu’un gamin des rues qui mangeait des rongeurs pour survivre et qui n’a eu que la chance de pouvoir s’en sortir en m’enrôlant dans la garde inquisitoriale. J’ai pu grandir sous la protection d’un gentil enquêteur et je suis tombé amoureux de l’un d’entre eux. Pas de pouvoir. Pas d’emprise. Je n’ai rien à t’offrir, hormis ma protection et mon amour sans limite. C’est trop peu…

— C’est plus que suffisant, gronda Abram qui n’en pouvait plus entendre Feal se mésestimer. Je n’ai nul besoin de richesse ou d’influence. Je m’en fiche ! Je ne suis pas un homme avide de pouvoir. Je te veux toi auprès de moi.

Abram porta le visage de son amant en coupe.

Ils devaient mettre leurs sentiments au clair, briser les non-dits.

Le juge lui avoua alors sa passion, prononça ces trois mots. Abram lui promit de le suivre où il le désirera tant que cela signifiera vivre librement ensemble, même parmi les hérétiques si cela permet de contribuer à son bonheur. Trec’h était prêt à tout pour son soldat. Certes, jamais il ne pourrait renier Nar, mais il réalisa qu’Ungus était bien plus important. Il exécrait la guerre et craignait de mourir ou de le perdre durant un combat. C’était lâche. C’était égoïste. Et Abram s’en fichait. Doucement, ils s’appuyèrent sur le front de l’autre, respirant ce même air, ce même amour qu’ils avaient trop longtemps caché. Ungus ne lui avait pas encore effectué sa déclaration. Sans doute était-il trop ému, mais alors qu’ils remirent leur destrier au trot, leur main se trouvèrent et refusèrent de se dénouer pendant tout le trajet. Arrivés à l’orée de la forêt, ils descendirent de leur cheval, les délestèrent des selles, des rênes… de tout ce qui les assujettissait, et leur offrirent à leur tour la liberté. Ils se débarrassèrent chacun de leur côté de tout ce qui représentait l’inquisition et ne gardèrent avec eux que les armes.

La sérénité peinte sur leur visage et dans leur regard, ils s’enfoncèrent dans Koad Calcidon.

Qu’Esus soit miséricordieux et les accepte.

Abram Trec’h et Ungus Feal venaient de trahir Nar.

Pour la liberté.

Pour leur amour.

Extrême ouest du royaume de Rumbur

Lorsque l’homme avait repris connaissance, il n’était que douleur. Tout son corps y réagissait et renvoyait l’information dans chaque nerf, dans chaque neurone, dans chaque muscle, chaque organe. Il n’eut que la force de hurler cette géhenne tandis qu’il reprenait vie. L’orage tonna en réponse. De ses membres tremblants, il rampa sur la pierre glaciale, humide et étrangement lisse. L’esprit embrouillé, comme sortant d’un trop long sommeil, il ne parvenait pas à réfléchir correctement. Ses oreilles sifflaient et il avait le goût et l’odeur du sang dans la bouche et le nez. Il sentait le vent qui lui fouettait sa peau nue. Nue… Depuis quand l’était-il ? L’individu ne s’en rappelait pas. Ses souvenirs étaient flous dans cette tempête de colère, de chagrin et de rage.

Une main froide voulut l’attraper sous l’aisselle et il se débattit. Les jambes encore faibles, il ne put qu’user de ses genoux pour s’écarter rapidement de l’importun. Importun qui se révélait être une jeune fille portant une robe qui avait connu des jours meilleurs. Elle se tenait là, au bord de la falaise, l’air serein, un sourire doux sur le visage.

— Mon cœur se réchauffe en te voyant si vivant, mon cher frère.

— Qui es-tu, gamine ? croassa de sa voix rauque et douloureuse.

Il cracha quelques grumeaux de sang.

L’adolescente se rapprocha de quelques pas et s’accroupit. Il n’y avait aucune once d’inquiétude ou de peur en elle. Juste une confiance si grande qu’elle calma quelque peu l’homme en face d’elle. Une vague puissante atteignit les bords de la falaise pour se retirer aussitôt, laissant un peu d’écume et des habits trempés. La jeune fille gloussa. Elle expliqua qu’à force de vivre dans les eaux, elle n’avait plus vraiment la notion de pudeur et que c’était ses amis aquatiques qui lui ont rappelé que le réveillé souhaiterait peut-être se vêtir.

— Tu…

Il n’avait aucun mot. Et pourtant, il avait d’innombrables questions à poser.

— De quoi te souviens-tu, mon frère ? Sais-tu ton nom ? interrogea-t-elle, le sérieux revenu.

— Bien sûr que je sais qui je suis, idiote ! N’ose pas me sous-estimer. C’est juste que…

— Tu ne reconnais pas l’environnement ni ton enveloppe corporelle.

L’individu obtempéra du chef avec méfiance et Llyr soupira. Le sorcier marin aurait dû s’en douter. L’âme de son frère, bien que très puissant malgré son trépas, était resté prisonnier dans son état vaporeux depuis de trop nombreuses années. Son esprit n’en était pas ressorti indemne et il lui faudrait un peu de temps avant de recouvrer tous ses sens. Alors, Llyr commença à lui raconter la naissance du conflit entre Maro et Nar, mais un éclair s’abattit dangereusement proche de lui et il planta son regard accusateur dans celui de son frère. Avant de se stopper net. Les yeux du réveillé étaient chargés de colère, de rancœur, mais, surtout, de chagrin. Il savait déjà. Il ne se souvenait que trop bien de la violence et la douleur de la déchirure, de la perte. Son aimée avait été assassinée et il n’avait pas été présent pour la protéger ou la pleurer comme il se doit. À la place, il s’était plongé un peu plus dans l’ire et le combat. Sa masse n’avait de cesse de tournoyer contre ses ennemis et ses éclairs étaient mortels.

— Je suis désolée, mon frère… souffla Llyr.

— Mes souvenirs s’arrêtent à la main de mè… de Nar qui arrache mon cœur, cracha-t-il en détournant les yeux baignés de larmes. Suis-je mort ?

Le sorcier approuva et lui expliqua que son trépas s’était déroulé durant Gwrac’h Bretzel. Llyr lui raconta le déferlement de pouvoir se déchaînant dans le continent de Voxong, le violent séisme qui scinda le sud des terres en trois. Flott Arr, murmura l’homme et Llyr acquiesça. Il nota qu’à cette période, l’âme prisonnière pouvait encore être à l’écoute de son environnement avant de reprendre son histoire. Il lui expliqua qu’à son trépas, ses fidèles lui avaient dressé un tombeau sur le lieu même où il avait été tué. Ainsi, il avait manqué Bradre Kleñved qui avait décimé deux tiers de la population de l’île sur laquelle ils se trouvaient et qui avait été baptisé Rumbur.

— Pourquoi Bradre Kleñved ?

— Suite à la fin de Gwrac’h Bretzel et le traumatisme lié à Flott Arr, les survivants étaient bien trop perdus. Il avait bien trop à reconstruire, d’éventuels rescapés à retrouver. Et derrière le voile de détresse, le combat entre les fidèles de Nar et nous ne s’arrêtait pas pour autant. C’était juste… plus discret. Tout ceci a fait que l’accompagnement des défunts a été trop lent et la décomposition des cadavres a engendré une maladie mortelle et contagieuse. Il a été conclu un temps de repos. Un temps pour les trépassés et la sauvegarde des vivants. Les deux camps en ont profité pour recouvrer leurs forces et leurs lignes de défense. Nar a usé de cette accalmie pour créer l’Inquisition. Elle a perverti l’humanité de son mensonge en se faisant passer pour une fidèle de Nar devenue sorcière et Grande Inquisitrice chargée de nous éradiquer. C’est à peu près là où nous en sommes encore aujourd’hui, soupira Llyr.

— Cette sodiante n’aura donc jamais de cesse de se comporter comme une enfant capricieuse ?!

Llyr fronça les sourcils, mais ne pipa mot. Certes, leur mère était devenue leur ennemie, mais cela n’était guère une excuse pour l’insulter.

— Il se trouve que notre mère s’est bien trop affaiblie lors de Gwrac’h Brezel et rien ne va en s’arrangeant la concernant. Elle se consume de jour en jour et refuse d’accepter la réalité. Je suis parvenue à récupérer Madian et tous les ports est de Rumbur sans rencontrer la moindre difficulté ou résistance. Mais je reste persuadé qu’elle prépare quelque chose de funeste pour les trois royaumes et ton retour est plus que la bienvenue.

— Par la foudre…, souffla l’homme. Tu es Llyr.

Celui-ci acquiesça et sourit. Il était heureux d’être enfin reconnu. Llyr ne s’attendait juste pas que son aîné charge vers lui et le prenne aussi brusquement dans ses bras. Masse de muscles contre faible corps. Le sorcier marin perdit inévitablement l’équilibre et jura contre la brute épaisse trempée contre lui. Était-ce un reniflement qu’il venait d’entendre dans son cou ?! Bon gré, mal gré, il passa ses frêles bras autour de la taille de son aîné et patienta que ce dernier se calme. Llyr pouvait comprendre. La douleur de la perte, la rage de la guerre, la haine familiale, la mort… et cette résurrection inattendue et inexplicable. Comment ? Pourquoi ? Llyr l’ignorait et ce n’était pas une sensation qu’il appréciait. Finalement, son frère parvint à se reprendre et se recula.

— Comment m’as-tu fait revenir ? Je te pensais même tombé. J’avais pourtant eu vent de ton trépas, accusa-t-il.

— Nar a complètement déréglé l’équilibre et notre père se refuse d’ouvertement intervenir. Nar a usé de son pouvoir pour s’octroyer le don de retirer notre cœur et notre vie de sa main gauche. Si j’ai bien compris, c’est ce qu’elle nous a fait subir à tous les deux.

— Mais nous ne sommes pas morts.

— Non, nous ne le sommes pas, s’agaça Llyr d’être coupé par des absurdités.

— Alors, pourquoi ?

— Parce que Maro refusait de prendre une âme qui n’était pas encore censée décéder, répondit une voix inconnue.

Le ciel tonna dangereusement et une lame aqueuse apparut derrière les deux sorciers, prêts à commencer un combat. Pourtant, Llyr se détendit presque aussitôt en reconnaissant l’individu et la créature qui l’accompagnait. Il posa ses doigts menus sur le bras de son frère et l’encouragea à baisser sa garde.

— As-tu obtenu les réponses à tes questions ?

— Bonjour à toi aussi, Juzel. Ou devrais-je dire Llyr ? Tu es devenue une jolie jeune fille, plaisanta le nouveau venu.

Moquerie que Llyr balaya d’un revers de la main.

— Pour continuer de vous expliquer, Maro était pour l’équilibre entre la vie et la mort. Il n’accueillait que les âmes dont il était temps de récupérer. Malgré la terrible guerre, vous n’étiez pas censé périr. Et Nar n’avait pas le droit de s’octroyer ce pouvoir. Sa mission est de donner la vie et non de la prendre.

— Rôle qui est devenu le tien.

— Tout à fait. J’en oublie mes bonnes manières. Je te souhaite un bon réveil, sorcier-foudre, ton retour est plus que la bienvenue dans cette guerre contre Nar. Tu résides actuellement dans le corps de Daveth Loargann, un inquisiteur – mais un homme juste et brave – assassiné par l’un des siens. L’accueil de son âme a libéré son enveloppe charnelle qui se trouvait être parfaite pour t’héberger.

— Un pinijenn t’escorte ? nota le sorcier-foudre.

Le dernier de son espèce expliqua la nouvelle personnification de la Mort. Tous les autres ont accepté de s’éteindre, sauf l’alpha qui a désiré l’accompagner dans cette ultime bataille contre l’usurpatrice. Qu’il leur pardonne sa cauchemardesque apparence, Nar maîtrisait mal la résurrection à l’époque. Il leur précisa également que l’heure était grave et qu’il n’était plus temps d’en perdre. Nar avait usé de ses pouvoirs pour faire revenir à la vie, une toute dernière fois, un sorcier plus que dangereux pour les trois îles. Il l’avait ressentie. Il l’avait appris lorsque l’âme du pauvre et doux Rhian Yaouank avait pleuré dans son être. Il s’était alors arrangé pour que l’âme de son aimé, Daveth, l’accueille et le console.

Un amour dans la mort.

— Vous en oubliez encore vos bonnes manières. Je connais votre rôle, mais pas votre nom.

— En effet… Durant mon ancienne vie, j’étais Gwendal Kleze. Maintenant… eh bien… Je suis maintenant juste Myrddyn.

Avec un sourire satisfait, Llyr regarda Myrddyn et Taranis se serrer la main.

Maro était donc mort.

Son temps était venu.

Il était temps que Nar s’éteigne à son tour.


Texte publié par Meeko, 21 juin 2025 à 16h23
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