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tome 1, Chapitre 1 « Llyr » tome 1, Chapitre 1

Cité portuaire de Madian – royaume de Rumbur

Terre contre mer. Pétrichor contre embruns. Les anciens de Madian arguaient que l’eau était l’élément le plus dangereux parce qu’elle pouvait se frayer un chemin partout où elle le souhaitait à coup de patience et de fissure. Leurs ancêtres le savaient déjà et c’était avec l’aide de Llyr que la cité était née, capable de survivre à l’ire des flots et de ses habitants. Avant que La Grande Inquisitrice arrive. Avant Gwrac’h Brezel ; la première catastrophe. Malgré le second et terrible évènement, nommé Flott Arr, qui créa les trois îles, la ville portuaire était encore debout, toujours aussi riche et belle. Et en dépit des douloureuses pertes qui avaient été provoquées par le dernier et funeste bouleversement : Bradre Kleñved. Même alors qu’elle subissait, à l’heure actuelle, un siège depuis de longs mois. En effet, chassé par le puissant sorcier et ses fidèles, les croyants de Nar avaient dû se réfugier dans les villages et les villes avoisinant, à la recherche d’un peu d’aide. Les inquisiteurs les plus proches les avaient entendus et avaient envoyé un héraut galoper sans plus attendre jusqu’à la capitale. Le prince héritier et la Grande Inquisitrice devaient en être informés dans les plus brefs délais. Rumbur était bien armée, bien préparée, avait l’avantage du nombre et de la discipline militaire. Mais, les juges et les généraux peinaient à venir à bout de la défense du sorcier et de ses alliés. Aucun ne s’était douté que Llyr puisse être aussi puissant et dangereux. Aucun représentant de la justice ne l’avait pris au sérieux quand il s’était présenté en jeunette, peut-être encore vierge de tout vice. Llyr les avait mis en garde, leur avait conseillé de renoncer à cette vaine bataille. Il reprenait ses droits sur sa ville et n'hésitait pas à occire toute personne cherchant à nuire d’une quelconque manière que ce soit. Les juges s’en étaient gaussés.

À présent, leur mine était sombre, patibulaire. Une certaine tension régnait entre les rangs après que l’odeur et le goût métalliques du sang avaient imprégné leurs narines et leur bouche, qu’ils avaient dû vérifier un à un que leurs hommes étaient décédés ou évanouis et que, depuis des jours, ils étaient dorénavant cernés par les gémissements plaintifs des blessés et des apeurés. Aucun ne s’était douté que cela prendrait aussi longtemps, qu’ils entendraient les païens et païennes fêter Beltane. Ils narguaient les militaires parqués dans des tentes sur l’immense plaine qui entourait la ville. Le climat froid avait laissé place au printemps. Les soldats se lassaient de cet immobilisme, de cet impressionnant dôme aqueux qui enveloppait la cité, qui faisait s’éteindre leurs flèches enflammées, capturait les trop téméraires pour les noyer sous les yeux de leurs compères. Pourtant, les guerriers savaient que la muraille avait été abîmée, que la grande porte avait été détruite par leurs attaques. Madian ne devait sa survie que grâce à Llyr qui veillait jour et nuit et ne semblait montrer aucun signe de fatigue. Alors, un enquêteur avait voyagé en direction de la capitale pour supplier Lavena Dinamm de les aider avec ses pouvoirs divins offerts par Nar. Qu’était-il devenu ? La rumeur courait qu’elle l’avait occis sans autre forme de procès en réponse de son courroux. Viendrait-elle à la rencontre de son ennemi ? Personne ne le savait encore. Jusqu’au matin du vingt Parkad où une escorte de plus de soixante et un mille huit cent soixante militaires – inquisiteurs, soldats, et paysans volontaires confondus – arrivait avec, pour les guider, la Grande Inquisitrice en personne. Plus que le nombre croissant de guerriers, c’était la présence de la représentante de Nar qui ravivait leur courage et leur espoir.

Sans surprise, le juge Brezelour s’était précipité à son côté pour l’amener à la tente principale afin qu’il lui donne les derniers rapports. Cependant, à peine les tentures s’étaient refermées derrière eux qu’un chien composé entièrement d’eau traversa le tissu, se gratta l’arrière de l’oreille et aboya. Cahal dégaina aussitôt, enragé par l’affront de ce clébard aqueux se nettoyant des planctons.

— Vas-tu laisser ce mortel s’humilier, chère Dinamm ? jappa le canidé d’une voix de jeune fille.

— Cahal. Attends à l’extérieur et que personne n’entre tant que je n’en aurai pas donné l’ordre.

— Ma dame…

— Tout va bien, petit garçon. Mon messager ne peut guère faire de mal à ta guide. Elle et moi avons des choses à nous dire.

Brezelour hésita quelques secondes jusqu’à ce que le regard noir de Lavena le dissuada d’insister une seconde fois. Il savait ce qu’était devenu l’inquisiteur parti réclamer son secours, et il ne voulait pas être le prochain. Depuis son retour de Congme et l’annonce de la mort des juges Sellod Sorser et Daveth Loargann ainsi que du meurtre du monarque de Rumbur, la Grande Inquisitrice se montrait froide, distante à son égard. N’avait-il pas assez prouvé sa loyauté ? Que devait-il faire de plus ? Après tout, lui aussi souffrait de la perte de son cher ami et compagnon d’arme et d’aventure. La passion colérique de Sellod lui manquait. Que donnerait-il pour le revoir à ses côtés, lui confier et lui parler de ses secrets, de ses espoirs et de ses doutes ? Et il y avait également le soldat Rhian Yaouank qui s’échinait à l’éviter depuis le combat sur la falaise, à le regarder avec rancœur. Mais Cahal était persuadé d’avoir bien agi ; à le protéger contre cette déviance impure. Encore aujourd’hui, le militaire ne se trouvait pas ici même, mais était resté à la capitale, à veiller au Palais de Justice, prêt à intervenir à n’importe quel moment. L’enquêteur prit une profonde inspiration pour se reprendre et bomba le torse après avoir rengainé, prêt à accomplir son devoir, quel qu’il soit. Il avait la mauvaise sensation que tout allait de mal en pire depuis la résurrection du sorcier-marin, mais surtout le décès de son meilleur ami Sellod. Il n’avait plus personne à qui se confier, à qui se fier.

Il était seul.

Dans la tente, une désagréable tension régnait entre le messager et Lavena. Ces derniers ne se quittaient point du regard jusqu’à ce que Dinamm en eut assez et se détourna du chien d’eau pour venir se concentrer sur quelque chose, n’importe quoi. La carte sur la table, par exemple.

— Voilà donc comment tu accueilles ton enfant revenu à la vie, ironisa Llyr.

— Si tu t’attendais à de tendres retrouvailles, mon fils, tu fais une bien grande erreur. J’ai été triste de t’occire, mais ne crois pas que je ne pourrais point recommencer.

— Tiens donc. Et comment comptes-tu t’y prendre exactement ?

Lavena garda le silence, incapable de trouver une réponse convaincante. Même pour elle-même. Malgré tout, elle continua à tourner le dos à Llyr. Son enfant, si cher à son cœur, tué de ses propres mains parce qu’il avait choisi le camp de Maro. Cet enfant qui a pris tant soin de ses mortels rejetons sans rien attendre en retour. Qu’elle souffrait de ne pouvoir le prendre dans ses bras et lui chanter à quel point son amour était grand ! Mais elle avait un but, un objectif à atteindre et n’avait point le droit de se détourner. Néanmoins, Llyr n’abandonna pas malgré le silence pesant et fit preuve de patience à l’égard de cette personne qui l’avait fait naître. Il parla donc sur un ton plus doux.

— Personne n’a compris, le sais-tu ? Pas même moi. Maro a refusé de nous répondre. Nous hais-tu ?

— Je ne puis haïr ma famille…, avoua-t-elle dans un souffle si attristé.

— Alors, je t’en prie. Au nom de tous ceux qui survivent, cesse cette folie. Il n’est pas encore trop tard. Ce que tu as créé peut être défait.

— Penses-tu pouvoir me manipuler de si puérile manière ? Il n’y a guère de retour en arrière et je ne arrêterai point le combat tant que mon but sera atteint. Que toi, tes sœurs et tes frères toujours en vie le preniez pour dit. Je n’aurai aucun répit tant que vous me résisterez et qu’elle ne me reviendra pas ! éructa Lavena.

— Son âme a rejoint l’Anwn depuis bien longtemps, tu le sais bien, annonça-t-il avec chagrin et sentence.

D’un geste rempli de rage et de tristesse, son bras dégagea tout ce qui se trouvait sur la table. Pichet de vin, verres, carte, plume, encrier. Tout chu au sol. Le chien au regard vide tourna la tête sur le côté, curieux de comprendre avant de finalement baisser les oreilles. Dans un murmure peiné, il argua que celle que Dinamm pleurait ne reviendrait pas. Jamais. Si Maro avait refusé de la lui rendre, ce n’était point par cruauté ou par égoïsme. Le sorcier-faucheur ne pouvait restituer le dernier souffle aux défunts.

— Tais-toi ! Va-t’en au lieu de me tourmenter !

— Très bien, mais retiens ceci. Nous savons tous deux que toute action de ta part contre Madian est vouée à l’échec. Tu t’affaiblis depuis Gwrac’h Brezel. Ton heure arrive et le garçon que tu as choisi n’est pas assez fort pour affronter le destin que tu souhaites lui imposer.

— Il le sera bien assez suffisamment pour la mission que je lui octroierais.

— Tu connais mon avis sur ce point. Mais je te mets en garde. Mon réveil a atteint les oreilles de mes frères et sœurs. Il ne faudra pas attendre trop longtemps avant qu’ils récupèrent ce que toi et tes mortels leur avez pris. Et tu connais Cernunnos, il ne s’embarrassera guère de laisser partir tes fidèles sains et saufs.

— Vas-tu donc t’en aller, chien de malheur ?!

Il n’en fallut pas plus pour le canidé de disparaître en une flaque d’eau. Son « Tu as déjà perdu » resta en suspens dans l’air, même après que Lavena appela Cahal qui apparut aussitôt, prêt à accepter sa nouvelle mission. Il jaugea les dégâts présents dans la tente : les effets au sol, la carte tachée de vin, le tapis imbibé d’eau et la Grande Inquisitrice pâle et tremblante. L’intérieur embaumait l’alcool, la colère désespérée… Il garda bouche close, et patienta que Dinamm se reprenne et lui donna ses directives. Avec surprise, il l’entendit lui conter la discussion entre elle et Llyr. Il se figea lorsqu’elle avoua que le sorcier ne se trompait guère ; son pouvoir s’amenuisait et elle n’aurait bientôt même plus assez de force pour les guider. Cela lui coûtait de l’admettre, mais elle n’était plus assez puissante pour combattre une nouvelle fois ce maître des mers. Elle ne pouvait venir en aide à son armée. Et si elle souhaitait étendre son influence sur Congme avant qu’il ne soit trop tard, la Grande Inquisitrice n’avait d’autres choix que de sacrifier Madian, d’abandonner cette ville à ce mécréant.

— Mais, ma dame, pourquoi Congme ? Jamais ils ne se laisseront dominer et Fangrah n’hésitera pas à se rallier à eux.

— C’est pour ces deux raisons que ta mission va être la plus cruciale de ta carrière, mon ami. Enfoncé bien au nord après la ville de Pavis, est caché le sorcier Ormiach. Il était un allié, fut un temps. Ton objectif est de le retrouver et de le persuader de nous rejoindre à nouveau.

— Un… un sorcier ? Vous voulez qu’un païen nous apporte son aide ?

— Souhaites-tu voir ces salezars détruire tout ce que toi et tes adelphes avez mis tant de temps à construire ? L’Inquisition et tous les partisans de Nar, sans exception, seront annihilés si tu ne le convaincs pas, s’exclama Lavena. C’est ta plus importante mission, mon ami. Il n’y a que toi qui peux la réussir. Il n’y a qu’à toi que je peux la confier, en qui j’ai la plus grande foi et la plus grande confiance.

Brezelour se permit de réfléchir quelques instants. Épargner un sorcier était aux antipodes de ses principes, les trahir ne reviendrait-il pas à trahir Nar ? Lui, qui avait tout sacrifié pour le servir ? Puis son hésitation se confronta au désespoir peint dans le regard de la rousse, et il sut qu’en effectuant sa révérence, poing au cœur, il prenait la bonne décision. Pour la victoire de leur Ordre, il pouvait être nécessaire de fermer les yeux sur certaines choses. Enfin, il quitta la tente et ordonna qu’on lui amène son cheval sur le champ. Il ne pouvait se permettre d’attendre le lendemain, l’avenir de Rumbur était en jeu. Cahal n’entendit donc pas la Grande Inquisitrice convoquer expressément tous les généreux et juges présents pour une réunion d’urgence. Dinamm se montra inflexible face à toute l’impuissance de ses hommes de confiance qui ne manquaient pas de la décevoir. Beaucoup d’entre eux subirent son ire et, au bout de plusieurs heures de discussions, elle ordonna au plus paltoquet d’entre eux d’avouer à leurs soldats que le repli des troupes avait été déclaré. Le bilan avait un goût amer. Ils avaient perdu de nombreux hommes pour… rien. Madian était perdu.

Lavena annonça également qu’elle ne pouvait rester pour assister la retraite, obligée de retourner à la capitale pour gérer le chaos y régnant depuis la mort du roi. Cependant, elle leur promit de leur transmettre tout ce que les archives du Palais de Justice recelaient sur la chute de Llyr et de sa cité, si certains d’entre eux refusaient d’abandonner cette mission. Néanmoins, elle fit montre de magnanimité en leur soufflant que, si la terre et la pierre ne faisaient que peu de dégât contre l’eau, le métal et le feu pouvaient se révéler être leurs meilleurs alliés. Un silence s'installa. Réponse douloureuse que pas un d’entre eux ne voulait s’y risquer. Au fond de l’esprit de tous les hauts gradés, ils étaient tous soulagés. Cette folie prenait fin. Ils ne seraient pas les premiers sacrifiés. Ils se levèrent d’un seul geste quand Lavena indiqua la réunion terminée et quittèrent la tente sans plus tarder. Enfin, seule, la Grande Inquisitrice se prit la tête dans ses mains et ferma fort les paupières sous la rage, la tristesse et la profonde solitude qu’elle ressentait. Rage parce que son plan, pourtant sans accrocs, se déroulait à merveille depuis la naissance des trois royaumes et que tout s’étiolait, lentement, devant ses yeux, sans qu’elle puisse rien n’y faire. Tristesse, car elle n’avait pas pu exprimer à son fils tout son amour, sa joie de le revoir en vie et puissant. Qu’elle aurait tant adoré pouvoir le prendre dans ses bras ! Mais Llyr s’était une nouvelle fois détourné d’elle, refusait d’embrasser son point de vue et cela la faisait se sentir plus seule que jamais. Maro lui avait volé certains de ses précieux enfants ! Elle ne bougea pas lorsque des pas s’approchèrent d’elle. Avec le temps, Dinamm avait appris à les reconnaître et à ne pas s’en méfier. L’inquisiteur était devenu son ombre, son protecteur. Il était l’un des rares à qui elle avait avoué l’entière vérité, le total mensonge dans lequel les trois îles baignaient depuis tant d’années. Des dizaines, des centaines d’années ? Bien lui avait pris de lui offrir sa confiance. Il l’avait accepté sans broncher, garantis que cela ne changerait rien de sa fidélité. L’homme resterait son bras armé jusqu’à ce qu’on l’occit sur un champ de bataille. L’enquêteur lui informa que le chemin avait été de nouveau sécurisé et qu’ils pourraient repartir dans la nuit, mais sa supérieure le contredit aussitôt. Pour la motivation des troupes, il était important qu’elle prenne la parole, qu’elle discoure sur leur bravoure, leur force de volonté, leur loyauté pour Rumbur et pour Nar ; qu’elle les remercie pour tout cela ; qu’elle leur assure que leur combat n’avait pas été vain et qu’Il saura les récompenser pour tout ce qu’ils ont fait, font et feront au nom de la perfection. C’était primordial que tout le monde continue d’y croire.

Y compris Wilam Skoilh.

Y compris Lavena Dinamm.

Y compris Nar.


Texte publié par Meeko, 6 mai 2025 à 09h57
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