Quelque part dans l’ancien royaume de Voxong
La Rossignol reprenait la route, avenante, et un large sourire fiché aux lèvres. Des enfants venaient courir autour d’elle avant d’agiter les bras tandis qu’elle s’éloignait. Les adultes, quant à eux, lui souhaitaient un bon voyage ainsi que de prendre garde aux bandits de grand chemin. Mais la trobairitz était confiante. Elle avait parcouru maintes fois ces routes, découvert tant de sentiers, de villages abandonnés et en ruines, d’autres en reconstructions. Gwrac’h Brezel avait fait des ravages dans le royaume de Voxong. Ou du moins, ce qu’il en restait. Mais la Rossignol s’en moquait bien de tous ces malheurs. Le monde ne cesserait jamais de verser des larmes et il suffisait d’apprendre à les essuyer afin de pouvoir aller de l’avant. C’était ce que la musicienne avait assimilé en grandissant. Orpheline sans nom devenue Rossignol qui chantait et jouait de son instrument contre quelques pièces, un repas chaud et un toit sous la tête. Tout le monde aimait entendre ses histoires, même si les fins n’étaient pas toujours heureuses.
En ce moment, la mode était aux épopées guerrières et, bien évidemment, tous les troubadours s'adonnaient à conter les aventures des héros de guerre des différents royaumes qui s’étaient emparés de Voxong. Vaste territoire autrefois uni qui s’est retrouvé morcelé. Et tout ça, par la folie des sorciers et des sorcières. Et cette histoire-là, la Rossignol se plaisait à la jouer dans les auberges, au centre de la Grande Place, dans les fêtes bourgeoises ou des aristocrates. La Rossignol avait même chanté pour une reine ; devant tous les sujets d’abord, dans son salon privé par la suite. La nuit avait été délicieuse.
Elle en était là, à rejoindre la cité de Panimar après plusieurs jours de voyage et une course-poursuite dans les bois pour fuir des malgripes. La Rossignol savait s’échapper de ce genre de situation, jugeant qu’elle n’aurait aucune chance si jamais elle tentait de les combattre. Elle savait manier les couteaux et leur lancer, mais la jeune femme s’avouait perdante face à cette dizaine de relaps. Elle était seule avec sa vielle à roue comme unique richesse. Mais tout se vendait dans ce royaume et une musicienne pouvait tout aussi bien devenir une servante endettée.
Mais Panimar était très rapidement parvenue à lui faire oublier ce mauvais événement, plus particulièrement leur célèbre auberge du Raton laveur Coquet où elle aimait y séjourner. C’était là où elle retrouvait ses plus fidèles auditeurs et l’hôte lui offrait toujours un excellent repas contre une nuit de chanson. L’argent qu’elle gagnait lui était donné par la clientèle qui souhaitait la remercier pour avoir égayé leur soirée.
Et pourtant, toutes les fins n’étaient pas heureuses.
La Rossignol avait aussi un net avantage par rapport aux autres troubadours des vestiges de Voxong. Elle était amie avec la sorcière-mère. La douce, mais redoutable Brigantia. Le passé de cette sorcière était criblé de secrets et elle n’acceptait d’en partager que des bribes. Brigantia lui avait avoué qu’elle était la protectrice de la poésie et une puissante prophétesse – entre autres choses – et craignait que certains événements importants finissent ignorés puis oubliés. C’est pourquoi, avec l’aide d’un de ses fils, qui s’amusaient à voyager vers des contrées toujours plus lointaines, elle narrait ces aventures à la Rossignol qui les retranscrivait dans ses chansons. Celle des Larmes Vertes avait été sa plus célèbre.
Amour interdit entre deux êtres que tout opposait. Cité foisonnante contre nature idyllique. Chasseur contre créature des bois. L’homme avait d’abord été happé par les yeux de jade avant d’être hypnotisé par sa chevelure des flammes. Le citadin, habitué des pauvres vertus, avait voulu s’imposer chez la jeune femme, mais celle-ci n’avait de cesse de fuir jusqu’en haut d’un seul arbre. Immense et majestueux. Lassé, humilié, le nemrod avait alors sorti sa hache et coupé le chêne ancien, persuadé qu’il pourrait enfin s’approprier cet envoûtant feu follet et le ramener entre ses quatre murs. Mais le rouvre tranché, effondré, il n’y avait plus rien de la belle créature et l’homme du rentrer bredouille, s’étonnant à peine du silence de la forêt. Le lendemain, au-dessus de la ville, des nuages mortifères s'amoncelèrent et une pluie verte s’abattit sur les toits. De la mousse y apparut, des arbres poussèrent et la population urbaine dut fuir leurs maisons à présent détruites par la végétation. Ce fut alors à ce moment que le prédateur la revit, cet être aux yeux de jade et aux cheveux de feu, debout sur un immense et majestueux chêne. Les Larmes Vertes racontait que la nature finissait toujours par reprendre ses droits.
La Rossignol avait enchanté de nombreux royaumes avec cette histoire. Et maintenant, elle attisait la curiosité avec ses récentes compositions. En effet, aidée de Brigantia et de son aventureux fils, elle découvrait les récits horrifiques, mais passionnants de Rumbur, de Congme et de Fangrah. Trois vestiges de Voxong qui avaient été perdus après Gwrac’h Brezel. Peu se doutaient qu’il y avait eu des survivants et que ces derniers avaient donné vie à de nouvelles générations, à de nouvelles guerres et atrocités. Alors, la trobairitz avait décidé de narrer, accompagnée de sa vielle à roue, l’histoire de cet homme que la vie n’avait pas épargné depuis sa plus tendre enfance. Cet orphelin voué à une existence de sang, puis à la folie avant d’être sauvé par une douce épouse. Ce renégat qui avait promis vengeance à sa tragique perte avant de s’enfoncer toujours un peu plus dans sa frénésie meurtrière. Ce laps qui avançait vers un chemin inconnu, vers un destin donc aucune imagination ne se serait doutée. C’était l’histoire d’un homme dont la science et les expérimentations avaient détruit son âme, rendu coquille vide. D’un être qui en avait accueilli un autre en son sein pour en créer une troisième personne. C’était un survivant qui sillonnait maintenant les terres, leader d’une guerre centenaire qui n’avait jamais pris fin sur ces îles.
C’était l’histoire de Gwendal Kleze.
D’abord allié, puis ennemi de l’Inquisition fondé par la Grande Inquisitrice : Lavena Dinamm. Veuf d’une épouse assassinée, il avait juré aux cieux de se venger et d’annihiler les sorciers et les juges. Amputé de sa main droite, il avait trouvé soin et refuge dans l’impitoyable forêt de Koad Calcidon. Son gardien n’était nul autre que le sorcier-cerf Cernunnos : grand maître des animaux sauvages, exécuteur du cycle des renouvellements saisonniers, donneur de vie aux arbres… Le sorcier primitif lui confia sa première mission : celle de se rendre à la cité portuaire de Madian pour y retrouver Juzel Saveteer. Le destin se réveillait de sa torpeur. Ce n’était que la première étape. Accompagné de deux mortels – Kavan Goanag et Vanora Stourmerion –, il était arrivé dans ce port, rencontré ce vieux médecin et venu comme il était reparti. Recherché mort ou vif. Et si Gwendal avait été promis à de grandes choses, il en était de même pour Juzel. Assassiné par un seigneur orgueilleux et ignorant, son corps avait été donné en offrande à la mer qui n’attendait que son essence pour sortir de son profond sommeil. Ainsi, le sorcier-marin, Llyr, était revenu à la vie. Ennemi juré de Nar depuis Gwrac’h Brezel, il reprit sa Madian, sa cité.
Gwendal, lui, avait fui au sud de Koad Calcidon avec ses compagnons, poursuivi par le dangereux inquisiteur Sellod Sorser. Celui-ci avait été gravement blessé et était retourné à la capitale pour annoncer de bien mauvaises nouvelles à sa maîtresse, Lavena. Gwendal, quant à lui, s’était trouvé un allié en la personne du bras droit d’Esus : Levias Kunujenn. Ce dernier, nouveau guide chargé de mener cet Homme Sans Âme jusqu’au sorcier Maro, au Temple des Deux où le destin l’attendait.
Mais ses compagnons, Kavan Goanag et Vanora Stourmerion, n’avaient pas accepté le puissant acte de violence dont il avait fait preuve avant de s’enfuir de Madian. Le quatuor se brisa et les deux païens décidèrent de partir à la capitale dans l’espoir de sauver l’épouse de Vanora d’une mort certaine. Mais ils étaient arrivés bien trop tard et ils étaient attendus. La douce Breena Plijadur avait été poignardée à mort par Sellod puis, pendue dans la place publique. Un inquisiteur les attaqua. Wilam Skoilh, qui n’offrit aucune chance de survit à ces deux hérétiques, mais leur permit deux choses : à Kavan, il lui autorisa de découvrir qu’il était, lui aussi, un O Paotr Hep Ene – un Homme Sans Âme – et à Vanora, il pendit son cadavre aux côtés de sa défunte moitié.
Gwendal et Levias, de leur côté, arrivèrent dans cette lande perdue qui abritait le Temple des Deux et d’innommables monstrueuses créatures portant le nom de pinijenn. Ce fut dans un trou à peine assez large pour qu’ils puissent y pénétrer dans d'antiques dédales de couloirs. Maro et Nar. Le destin s’impatientait, mais Sellod avait été envoyé en mission : celui d’occire Gwendal avant que celui-ci n’ôte la vie à Maro. Mais alors que l’inquisiteur allait gagner, Maro s’interposa et tua le juge et le païen Levias. Seul avec le sorcier-faucheur, Gwendal n’eut d’autres choix que de planter sa lame dans le cœur de Maro et le destin s’embrasa. Dès le dernier souffle poussé par le père de nombreux sorciers, les âmes virevoltèrent, pénétrèrent les pores de la peau, la mémoire, les souvenirs, les pensées de Gwendal. Ce fut à son tour de mourir. Plusieurs jours s’écoulèrent avant que le corps de Gwendal respire, bouge et se redresse à nouveau. L’alpha des pinijenn lui avait alors tendu un bâton, symbole du sorcier de la mort. Tous les pinijenn périrent sauf lui, son temps n’était pas encore venu.
De Maro et de Gwendal naquit un troisième être pourvu de tous les souvenirs de l’un et de l’autre, d’une toute différente personnalité. Plus de Maro et de Gwendal. L’individu portait désormais le nom de Myrddyn. Et Myrddyn avait pour mission, pour destin, de retirer la vie de Nar pour qu’un nouveau sorcier-procréateur prenne sa place. Plus juste, moins tyrannique. L’équilibre devait revenir au sein de tous les royaumes.
Cette légende, la trobairitz l’avait déjà chantée à Panimar et dans l’auberge du Raton laveur Coquet. Elle avait reçu de nombreuses exclamations et louanges à la fin de sa dernière note. C’était une vieille histoire comme on en connaissait plus depuis bien des années dans cet ancien continent. Et ce soir, la Rossignol allait entamer un second chapitre de cette épopée fantastique. Qu’était devenu Myrddyn et comment allait-il réussir ou échouer ? Est-ce que ce mignon petit couple que formait Abram Trec’h et Ungus Feal allaient parvenir à braver tous les obstacles et connaître une fin heureuse ? Est-ce que la paix – la vraie – allait enfin régner sur ces trois îles ? Les clients de l’auberge souhaitaient le savoir et, plus tard, la reine du jeune royaume le désirerait aussi. Alors, ce soir, la Rossignol appuya sur la première touche et commença à faire tourner sa manivelle tandis que les premiers sons de sa mélodie résonnèrent dans sa gorge. La vielleuse débuta à entonner son chant, celui narrant l’histoire de la vengeance et de la magie.
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