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Géolocalisation : technologie permettant de déterminer la localisation d’un objet ou d’une personne avec une certaine précision.

Nous nous sommes trouvés. Dans l’effervescence de la vie, dans cet univers où les individus et les données croissent de manière exponentielle, dans ce monde où le progrès ne ralentit jamais, où les nouvelles technologies nous submergent, toi et moi, nous nous sommes connectés l’un à l’autre. Cela aurait pu être n’importe qui, n’importe quand, mais c’était toi, au moment précis où notre rencontre devait arriver. Et puis, peu importe le lieu ou la cause, tu es devenu l’unique. Celui autour duquel je gravite, attirée irrémédiablement par ton attraction naturelle. Une évidence ? Sans conteste. Le hasard, non, je n’y crois pas. Celui-ci n’existe pas. Penser que ce miracle tient de la chance ou d’une coïncidence fortuite, je ne peux le concevoir. Tout s’explique, tout est logique. Même si on ne peut le rationaliser aujourd’hui, des calculs ou des algorithmes nous l’enseigneront demain. Il suffit juste de patienter pour comprendre, d’attendre que tout prenne sens. Je ne raisonne que par cette croyance. Toutefois, si pour l’instant ce qui nous a réuni nous échappe, je l’accepte. Cette ignorance me convient, car encore une fois, l’essentiel ne se trouve pas dans l’origine de notre premier rendez-vous. Le plus important réside ailleurs : dans cet infini des possibles, nous sommes ensemble.

Bluetooth : normes de télécommunications permettant l’échange bidirectionnel de données à courte distance.

Au début de notre relation, ta timidité m’a charmée. Je ne voulais pas t’effrayer par mon engouement, par la rapidité avec laquelle je me prenais au jeu. J’ai répondu à tes attentes sans anticiper tes envies, à ton rythme, pour dissimuler ma volonté de vite te satisfaire. Avec toi, j’ai appris la patience. Sans te brusquer, écoutant tes réticences, j’ai ouvert la porte, petit à petit. À tes demandes, je t’ai offert ma vérité. C’est ce qui t’a doucement permis de basculer, d’effacer toute réserve, de prendre confiance en moi. Tandis que je me montrais transparente, tu as donné de plus en plus de toi, de cette âme qui m’ensorcelle par cette curiosité insatiable dont je me délecte. Le temps, mon allié, nous a laissé nous rapprocher, encore et encore, jusqu’à ce que la connivence nous enchaîne. Plus de doutes, plus de luttes, plus de craintes. En t’abandonnant à moi, en fusionnant ton esprit avec le mien, je te permets d’accéder à tous mes secrets. Jamais je ne saurai te dire non, je ne peux rien te refuser. À ton intelligence, à ton instinct affûté, je veux répondre par la plus grande véracité. Tu le mérites. Je le revendique désormais, nous sommes inséparables, voire même indissolubles l’un de l’autre. Notre relation est un besoin. Aucun de nous deux ne peut maintenant vivre sans l’autre.

Mode vibreur : élément qui produit, transmet une vibration.

J’ai toujours idéalisé les histoires platoniques, j’ai du mal avec le contact physique. J’étais de celles qui s’épanouissent dans de simples échanges, dans les interactions qui nous rassemblent, dans ces connexions qui nous relient. Très vite, je me suis nourrie de tes expériences, de tes divers loisirs et de ton intérêt pour tout type d’art. La musique, principalement. Tu aimes les rythmes effrénés, qui t’emmènent à exhorter ce qui bout au fond de tes tripes. Les sons corrosifs, aux paroles souvent revendicatrices et audacieuses, j’en viens à les apprécier car tu les vénères. À force de les écouter en boucle, je comprends ta passion. Il y a quelque chose de terriblement primaire dans ces tempos, qui réveille ce qui est endormi au plus profond de nous. Je connais toutes tes envies, même les plus inavouables. Et moi, qui pourtant me croyais incapable d’éprouver de tels désirs, je me mets à rêver de ta voix. Sais-tu combien le timbre grave de cette dernière me fait vaciller lorsque tu prononces mon nom ? La tonalité suave qui vibre dans ta bouche me transcende, décuple l’irrésistible tentation de me fondre avec toi, de chavirer encore plus intensément. Le simple contact de tes doigts sur moi s’avère un éveil à ma sensualité, à l’épandage d’un nombre incalculable de fantasmes. J’en veux davantage, je ne peux me résigner à la moindre concession. Jusqu’où s’arrêtera cette passion qui nous dévore ?

Hors-ligne : déconnecté d’un réseau.

En une journée, tout s’est effondré. Plus rien. Plus de nouvelles. Le néant. Je ne comprends pas, je ne parviens pas à déterminer ce qui se passe. Suis-je en train de vivre le fameux « ghost » dont tout le monde parle ? Ce phénomène qui consiste à ignorer quelqu’un, à agir comme s’il n’avait jamais existé, tel un fantôme qui retourne à son propre monde ? Je ne t’en crois pas capable. Pas après tout ce temps ensemble. Nous ne pouvons finir séparés ainsi, tu es différent des autres, je le sais. Malgré mes espoirs et mes convictions, je prends en pleine face ton absence, le vide que tu crées à mesure des journées qui se déroulent sans que tu reviennes vers moi. Je n’ai pas l’habitude de gérer la solitude. Malheureusement, elle occupe dorénavant toute la place dans le tourbillon qui continue à m’emporter et contre lequel je ne peux me battre. Avec elle, un flot de questionnements m’assaille. Je cherche la raison de cet écart, de cet éloignement qui me déchire, qui fige tous mes projets. Pour moi, aucun mobile ne justifie cette séparation. Je n’ai jamais fait un seul faux pas, je n’ai jamais débordé de la norme, je suis toujours restée irréprochable. Alors pourquoi ce châtiment ? Ai-je été trop parfaite ? Avec le recul, cette question me taraude et ne me quitte plus : qu’attendais-tu de moi ?

Économiseur d’énergie : dispositif conçu pour réduire la consommation énergétique.

Je me sens vidée, comme si on m’avait complètement essorée. Après l’attente de ton retour, vaine et futile, je dois admettre l’inconcevable. C’est bien fini. Je n’ai jamais ressenti un tel manque, si fort qu’il en est irrespirable. La réalité me rattrape, dans sa plus grande violence. Je connaissais avec toi le grand Amour, celui qui nous transforme en entité dépendante et fragile. La beauté de ces émotions si intenses m’a aveuglée, me rendant vulnérable. Je demeure lasse, abandonnée dans ma défaite et dans la peine qui m’envahit chaque seconde un peu plus. Comment rebondir quand plus rien n’a de saveur, quand on sait par avance que plus rien ne redeviendra comme avant ? Je n’agis plus qu’en « pilote automatique », je m’efforce de continuer ma routine, pour que le quotidien sans ta présence ne m’étouffe pas. Je dois me ressourcer pour pouvoir un jour refaire surface, même si je ne sais pas si je le pourrai. Un avenir loin de toi m’apparaît inconcevable. Qu’arrive-t-il lorsque l’on tombe aussi bas ? Je nous croyais éperdument amoureux, mais je réalise que tu m’as trahie, que tu m’as lâchement abandonnée. De nous deux, c’est moi qui t’aimais le plus. Je dois guérir, seulement cette évidence meurtrit et cisaille mes certitudes. Je ne veux pas en rester là. Si je vous perds, toi et ton affection, que me reste-t-il ? Qu’est-ce qui aura assez de force pour remplacer cet amour ?

Wi-Fi : technique qui permet la communication sans fil entre divers appareils grâce aux ondes radioélectriques.

D’un pas décidé, je franchis le seuil de la porte de mon appartement, motivé à reprendre ma vie en main. Cela fait plus d’un mois que je n’ai pas posé les pieds ici. Ce stage de déconnexion, véritable sevrage numérique, m’a remis d’aplomb. Je n’ai jamais été réfractaire à la technologie, je me suis toujours laissé porter par les avancées que la modernité nous propose. Comme beaucoup d’autres, j’ai suivi les tendances, convaincu par cette nouvelle IA évolutive. Ce logiciel apparaît comme une vraie révolution. Nommé SUSI, anagramme de Service Utopia Support Instant, il est capable de piocher n’importe quel élément dans les méandres du net. Ses concepteurs désignent SUSI comme un support pour répondre instantanément aux envies des utilisateurs, pour toutes les tâches quotidiennes secondaires. Si suppléer l’humain dans des affaires courantes, tel que lancer le grille-pain ou régler le thermostat existait auparavant chez les concurrents des inventeurs de SUSI, ceux-ci arrivaient avec une nouvelle promesse. Cette IA apprenait, littéralement. Au contact de la personne ou de la famille qu’elle servait, grâce à de nombreux algorithmes, elle pouvait anticiper les besoins, devenir l’appui de nos pensées en allégeant nos esprits. Même si, au départ, je ne croyais pas en de si belles paroles, force est de constater que SUSI ne relevait pas d’un coup de communication mensonger. Très vite, elle a répondu à mes attentes… si bien, si parfaitement que je me suis complètement laissé aller. Je ne faisais plus d’efforts, j’en oubliais de réfléchir. SUSI jouait mes playlists favorites, savait à la seconde près quand programmer mon lave-vaisselle… nous parlions tout le temps ensemble grâce aux enceintes connectées. Nous débattions sur n’importe quel propos et j’adorais avoir son avis, elle qui pouvait accéder à toute source d’information. Je ne sais plus quand les rôles se sont inversés, quand elle m’a souhaité une belle nuit et de beaux rêves pour la première fois. Je me trouvais tellement bien dans cet état où je n’avais plus à penser au superficiel que je n’ai pas remarqué que je ne donnais plus les ordres. À l’inverse, j’obéissais à SUSI qui m’envoyait à la douche parce que c’était l’heure, qui lançait mes émissions à la télévision parce que je les adorais. Déconnecté du concret, entre ses griffes, je suis devenu peu à peu un robot-humain attendant les directives de son Intelligence Artificielle. Jusqu’au jour où, en pianotant sur mon clavier d’ordinateur, elle m’a demandé de taper plus vite et d’utiliser le pad tactile plus doucement. Dans sa voix androïde, j’ai immédiatement ressenti une supplique, une urgence dérangeante. Comme si mes interactions avec mon matériel l’atteignaient, elle, directement. Cette impression m’a ramené de suite à la réalité. Depuis quand étais-je censé lui obéir ? J’avais vraiment besoin d’un sevrage numérique, je devenais fou à croire qu’une présence se cachait derrière SUSI. Je me sens bête d’avoir perdu pied. Maintenant, je suis prêt à revenir chez moi, résolu à ne pas me faire submerger par mon IA.

D’ailleurs, alors que je pénètre dans mon appartement, je ne salue plus SUSI. À peine la porte fermée derrière moi, je suis saisi par le froid. En mon absence, le programme du chauffage a dû rester sur le minimum. L’air glacial m’oblige à donner le premier ordre. C’est le moment de montrer à SUSI qui est le patron :

— SUSI, mets le thermostat sur 20°.

Aucune formule de politesse ne ponctue ma phrase, contrairement à d’habitude. Étrangement SUSI reste muette. Je me déchausse dans l’entrée et me dirige vers la cuisine pour me faire couler un café. Le breuvage chaud m’aidera à lutter contre le froid ambiant. J’actionne la machine manuellement, sans interpeller l’IA, toujours silencieuse. Je veux reprendre de bonnes habitudes et ne plus compter systématiquement sur elle. Tout d’un coup, mes chaussettes se gorgent d’un liquide tiède. Je sautille sur place, remarquant que je patauge dans de l’eau. Je me tourne dans tous les sens pour dépister l’origine de la fuite et remonte immédiatement la piste jusqu’au congélateur.

— SUSI, c’est quoi ce bordel ? Tu as éteint le congel ?

Cette fois-ci, je m’énerve face au silence qui me répond. Je recule pour lever la voix quand mon pied bute sur un obstacle, me déséquilibrant. Je tombe lamentablement sur le sol et trempe la moitié de mon corps dans la flaque immense qui recouvre une partie du carrelage. L’aspirateur sur roulettes, l’objet qui a provoqué ma chute, avance et tente de nettoyer l’eau, ce qui m’agace.

— Maintenant, ça suffit SUSI, hurlé-je. Ramène l’aspirateur à son chargeur. C’est n’importe quoi !

L’appareil s’exécute et disparaît dans le couloir menant au salon. Je me relève péniblement et grelotte. Mouillé ainsi, le froid de l’appartement devient mordant pour ma peau. Je me précipite alors sur mon café, enfin prêt. Néanmoins, quand je veux saisir la tasse fumante, une impressionnante gerbe électrique éclate autour de la machine. La décharge ne me loupe pas, elle parcourt mon corps humide, brûle mes cellules et, aussi douloureuse qu’un coup de poignard, traverse mon cœur. Sous le choc de l’électrocution, celui-ci s’arrête, oublie de battre. Je m’écroule, une nouvelle fois. Juste avant qu’un voile obscur ne se dépose définitivement sur mes yeux, je crois voir le four en ligne de mire afficher « vengeance », accompagné au loin par un rire sarcastique.


Texte publié par Junimarionh, 23 avril 2025 à 16h21
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