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tome 1, Chapitre 7 « Une flamme d'espoir » tome 1, Chapitre 7

Précédemment : Feng et Agatha ont rencontré Lechuza, la sorcière-chouette devineresse. Celle-ci accepte de leur donner plus de précisions sur le vol de la relique mais veut quelque chose en échange. Elles ont jusqu'à la tombée de la nuit pour le lui offrir. Sur le chemin du retour, les filles et Tom Gibus sont capturées par une vieille sorcière du nom de Patte-en-Bois qui l'emmène dans la chaumière d'une femme du nom de Marisa.

Chapitre 7 : Une flamme d’espoir

Marisa inspecta chacune des plantes de ses mains en ruine puis leva ses yeux pâles vers les jeunes filles.

— Merci pour votre aide, Agatha et Feng. Chose promise, chose due, Patte-en-Bois va vous raccompagner. Vous avez les yeux rouges, le sommeil ne sera pas de trop.

— V’nez donc les p’tites corneilles, invita la vieille Patte-en-Bois, si mon œil est plus bien vaillant, j’ai un flair de chien de chasse et je connais Nox comme ma poche. Il est pas dit qu’les sales bêtes de la forêt viennent chercher le bâton de la vieille Patte-en-Bois alors il vous arrivera rien !

Elle se leva douloureusement, attrapa le bâton en question et invita les filles à la suivre mais Feng s’écria :

— Attendez s’il vous plaît !

Marisa lui lança un regard interrogateur. Patte-en-Bois ouvrit la bouche pour lui répondre mais Feng poursuivit :

— S’il vous plaît, nous devons rester. Nous avons jusqu’à cette nuit pour convaincre Lechuza de nous révéler tout ce qu’elle sait sur le vol de la Relique de Baba Yaga. Si nous ne venons pas, elle ne nous autorisera plus jamais à lui demander quoi que que ce soit. Laissez-nous un peu de temps, je vous en prie !

— Elle a raison, affirma Agatha, en plus nos mamans doivent savoir que nous avons disparu alors si elles nous retrouvent maintenant, on ne pourra plus sortir pour enquêter sur la Relique.

À ces mots, les yeux de Marisa flamboyèrent de rage, ses mains ravagées par les flammes se crispèrent au poing que des plaies se rouvraient. Qu’allait-il leur arriver ?

— Êtes-vous inconscientes à ce point ? Comment pouvez-vous être aussi égoïstes et aussi inconséquentes ! »

— Mais… tenta Agatha.

Mais Marisa, furieuse, l’interrompit.

— Vous êtes parties sans le consentement de vos mères depuis presque une journée et vous préférez continuer à jouer avec vos vies devant Lechuza sachant qu’elles s’inquiètent pour votre sort ? Vous devriez avoir honte ! Patte-en-Bois, changement de programme. Nous enverrons un corbeau aux Doyennes du Crépuscule.

— Mais vous ne comprenez pas ! poursuivit Agatha tandis que Feng, rouge de honte, contemplait ses pieds. Baba Yaga va nous tuer dans moins de deux jours parce qu’un ou une idiote de notre communauté a volé sa Relique et fait accuser le papa de Feng qui ne volerait jamais rien !

Mais Marisa ne se laissa pas démonter :

— Petite effrontée ! J’ignore comment ta mère se débrouille avec toi mais tu devrais réfléchir à tes paroles. Des membres de votre communauté défilent sans cesse devant Lechuza, l’agaçant toujours un peu plus et rien n’a pu la convaincre. Et vous croyez que vous, deux enfants, êtes capables de le faire ? Vous croyez affronter une sorcière aussi puissante que Baba Yaga qui fait trembler les autres sorcières de Nox ? C’est de la folie. Rendez-vous compte à quel point votre décision est dangereuse ! Non seulement, vous risquez de mourir ou finir mutilées mais vous ne sauverez personne. Vous aggraverez même les choses en excitant la colère des Noxiennes solitaires ! »

Ce fut au tour d’Agatha de baisser la tête, les oreilles empourprées. Le discours que venait de tenir Marisa était sûrement celui que tiendraient leurs mamans et même le papa de Feng. Patte-en-Bois s’approcha d’un pas claudiquant et d’un geste doux, leur dit :

— Marisa a raison, mes p’tites corneilles. J’sais bien que la vieille Baba est impulsive mais nous sommes nombreuses à Nox à vouloir la raisonner. Et selon le traité, une décision d’urgence doit être prise entre les deux communautés. J’étais là quand il a été rédigé. Et croyez-moi, même si Baba Yaga est puissante, elle devra se conformer aux termes du traité. Ne laissez pas la peur vous faire faire des bêtises et laissez les adultes faire. Petite Feng, si ton père est innocent, les Doyennes du Crépuscule finiront par le savoir. Et les Gardiennes de Nox aussi. Venez mes rainettes. »

Mais en se dirigeant vers la porte, elle se cogna la tête au chambranle de la porte et manqua de tomber sur le sol jonché de paille. Elle se raccrocha à une étagère et se redressa, le souffle court.

— Patte-en-Bois, intervint Marisa, je vais tenter de soigner ton œil comme je peux. Reste là avec les filles s’il te plaît. Je vais en profiter pour envoyer un corbeau aux Doyennes mais aussi aux médecines de Nox. Tu as beaucoup trop attendu pour le soigner. »

Cette fois-ci, Patte-en-Bois soupira et s’assit sur une chaise à bascule qui trônait dans un coin de la pièce. Marisa lui servit un lait de chèvre avant de regagner son fourneau. Agatha et Feng, pendant ce temps, étaient assises dans la paille, dans un coin de la pièce, silencieuses. Malgré leur grande fatigue à cause des derniers événements et du manque de sommeil, elles ressentaient une puissante culpabilité. Ramenées à la réalité, elles comprirent qu’elles n’étaient que des petites filles, de petites choses insignifiantes face à un grand monstre qui voulait les dévorer. Elles se serrèrent l’une contre l’autre, penaudes. Agatha tremblait en repensant aux paroles de Marisa. Sa maman l’avait toujours encouragée et aimait ses petits défauts qu’elle métamorphosait à chaque fois en qualités : sa désorganisation devenait créativité, sa calligraphie approximative devenait de l’art et son manque général d’attention prenait l’allure d’un tempérament rêveur. Jamais elle ne s’était dit que cette grande femme rondelette, joviale et forte pût s’inquiéter ou montrer le moindre signe de terreur. En l’imaginant pâle, tremblante, l’appelant désespérément dans les Marais sans obtenir de réponse, son cœur se brisa.

Feng, quant à elle, repensa à son père, accusé. S’il était innocenté, cela n’allait pas aider la communauté à retrouver le coupable. Et Baba Yaga n’avait pas l’air de s’intéresser au fameux traité qui maintenait la paix entre les deux peuples de sorcières. Elle leva les yeux et vit Marisa s’affairer pour préparer les remèdes. Elle la vit écarter tous ses ustensiles de cuisine, prélever des herbes séchées qui pendaient au plafond puis les tirer, les hacher, les effriter, les réduire en poudre au mortier puis les faire bouillir. Elle ne savait pas si elle avait toujours été à Nox mais elle donnait l’impression d’avoir fait cela toute sa vie. Pourtant, en observant ses mains brûlées, Feng ne put s’empêcher de penser au traitement infâme réservé aux sorcières et aux sorciers du Vieux Monde. Les Inquisiteurs les brûlaient sur des bûchers dressés sur des places publiques au nom de leurs convictions et de leurs superstitions. Pendant un instant, le regard de Marisa accrocha le sien. Il n’y avait aucune colère dans son regard. Il y avait au contraire quelque chose d’émouvant, de profondément tragique dans ses yeux. Un regard qui lui rappelait celui, noir et profond, de sa mère. Cette mère qui se levait aux aurores pour nourrir les bêtes et qui travaillait toute la journée sans se plaindre alors que ses pieds lui faisaient mal au point qu’elle ne pouvait parcourir de longues distances. Cette mère silencieuse qu’elle n’arrivait pas toujours pas à comprendre. Mais une chose était sûre, elle lui manquait.

Marisa sortit un instant pour chercher de l’eau. Patte-en-Bois leur sourit :

— Allons les petites grenouilles, je n’vous vois pas bien mais je me doute bien que vous faites des têtes de condamnées à mort. Allons, faut pas en vouloir à Marisa, elle est ici depuis quelques années et sa vie a pas été bien belle vous savez.

— Ah bon ? s’enquit Agatha d’une voix brisée.

— Oh que non ! J’sais pas grand-chose de son histoire mais l’état de sa peau, surtout de ses mains et de ses pieds tout cuits en disent long ! Tout ce que je sais, c’est qu’elle a eu une enfant et qu’elle l’a perdue. Elle était un peu plus âgée que vous...

— C’est pour cela qu’elle s’est mise en colère ? demanda Feng. Parce qu’elle a pensé que nous aurions pu être ses filles et qu’elle aurait réagi comme nos parentes ?

Patte-en-Bois acquiesça, pensive.

Agatha se sentit vaguement distraite. Non pas que la situation ne la préoccupât pas, bien au contraire, mais cela lui rappelait un air… une petite chanson indistincte qui lui courait dans la tête. Mais où l’avait-elle entendue ? Une berceuse chantée par sa mère ? Non… Non, c’était vers le territoire de Lechuza ! Et cela lui rappelait…

— Feng, tu te souviens de la chanson qu’on a entendue près de l’arbre de Lechuza ?

— Oui mais… les paroles étaient incompréhensibles. Pourquoi tu me demandes ça ?

— Eh bien… tout à l’heure, je voulais appliquer l’idée de Tom Gibus ! Il a clairement dit qu’il fallait donner à Lechuza ce dont elle avait besoin. Et si sa chanson en parlait ?

— Oh Agatha, c’est une excellente idée ! Mais rien ne nous dit que c’est elle qui chantait. Qu’en pensez-vous Patte-en-Bois ?

— Ma foi, répondit-elle en attrapant des biscuits posés sur le guéridon, Lechuza est une solitaire, je ne passe jamais vers son territoire, question de respect de la propriété. Certaines Noxiennes chantent des chansons anciennes pour rappeler leur ancienne vie, leurs tourments ou leurs amours passées. Mais afin que personne ne perce leurs secrets, certaines ont tendance à en brouiller le sens. Vous savez que nous ne parlons pas toutes la même langue mais que c’est la loi de l’Universel d’Outremonde qui permet de nous comprendre ?

Les filles, connaissant bien leurs classiques, hochèrent la tête. Patte-en-Bois leur tendit les biscuits. Elles ne se firent pas prier. Cela faisait plusieurs heures qu’elles n’avaient pas mangé. Elles remercièrent Patte-en-Bois qui en profita pour leur servir un peu de lait de chèvre.

— Eh bien, ce langage Universel peut être brouillé par la magie, rendant les paroles opaques ou inaudibles. Une manière de s’exprimer sans se mettre à nue devant le tout venant. Nous, Noxiennes, sommes très pudiques sur notre passé.

— Quel dommage, soupira Agatha après une bouchée de gâteau, si nous comprenions ces paroles, peut-être que nous serions capable de donner ce dont elle a besoin.

Soudain, la lueur jaunâtre de l’une des chandelles changea de couleur, devenant de plus en plus verte. La flammèche s’éleva et esquissa de petits cercles vers la fenêtre, du côté du potager.

— Eh ! s’exclama Feng. Mais c’est Tom ! On dirait qu’il veut nous dire quelque chose.

—Tu crois qu’il a entendu ce qu’on a dit ? demanda Agatha.

La porte s’ouvrit doucement. Marisa était de retour avec deux seaux d’eau qu’elle déposa près de la table. La flammèche de Tom se dissimula derrière des sacs de farine.

— Alors, voyons ce que donne la potion, dit-elle. Une fois que ce sera fait, je vais préparer à manger pour tout le monde.

— Merci Marisa, remercièrent les jeunes filles.

La sorcière leur adressa un signe de tête avec un bref sourire, saisit un petit bol gradué et le plongea dans le seau. Ensuite, elle versa son contenu dans la potion puis dessina un glyphe complexe avec ses doigts. Une petite lueur s’en échappa et illumina brièvement le breuvage.

— Voilà, cela devrait faire l’affaire, Patte-en-Bois. »

Agatha se mordit la lèvre pour ne pas faire remarquer à cette Marisa que de laisser une pauvre vieille dame parcourir bien des lieues dans la forêt Nox à sa place était quand même culotté. Et elle osait leur faire la morale ! Feng lui lança un regard dissuasif. Elle la connaissait trop bien, elle savait qu’Agatha risquait de faire une gaffe quand elle était fâchée.

— Madame Marisa, fit Agatha prudemment, la pauvre Patte-en-Bois doit être fatiguée et nous ne voulons pas vous embarrasser. On va aller chercher Tom Gibus, lui pourra nous raccompagner. Et vous serez débarrassée de lui. Il a bien compris la leçon et il ne viendra plus vous embêter. »

Bon moyen d’écarter Marisa pour enfin mener leur plan à bien. Si leurs parentes s’inquiétaient sûrement, ce serait pire si l’action menée à Nox était vaine. Ce n’était qu’une question de temps et il s’écoulait à grande vitesse.

— Cet épouvantail de malheur ? Il est entré par effraction sur mon territoire, par conséquent, c’est à moi de décider de son sort.

— Mais il n’appartient à personne, ce n’est pas un objet, rétorqua Agatha, laissez-nous partir et vous n’entendrez plus jamais parler de nous, c’est promis !

— Hors de question ! Ma décision est prise et vous ne bougerez pas d’ici.

Agatha se contint pour ne pas lui hurler : « Vous n’êtes pas ma mère et ce n’est pas vous qui allez vous faire manger par Baba Yaga. Je vous déteste ! » mais elle se retint, elle ne voulait pas causer plus d’ennuis à Feng ou à Tom.

— Agatha, intervint Patte-en-Bois, qu’as-tu donc dans ta poche ?

Agatha et Feng ouvrirent les yeux tout ronds. Mais… savait-elle que…

— Vous possédez quelque chose d’extrêmement précieux confié par un être à part, un enfant de la nuit élevé sur les terres du Crépuscule. N’est-ce pas ?

— Mais comment savez-vous que…

— J’ai senti son aura dès que je vous ai libérées du lierre.

— De quoi s’agit-il ? interrogea Marisa.

Feng et Agatha hésitèrent. Pouvaient-elles vraiment leur faire confiance ? Après tout, les biscuits n’étaient pas empoisonnés et elles avaient l’air de vouloir leur bien. Après un regard entendu échangé avec Feng, Agatha sortit la précieuse gemme de sa poche de cuir attachée à sa ceinture.

— Elle appartient à Astrion, le Fils des Lunes, avoua Feng. Et Lechuza la veut. Mais elle n’est pas à nous donc on ne peut pas se permettre de la lui donner. Madame Marisa, vous avez entièrement raison sur une chose : nous n’aurions pas dû agir seules et inquiéter nos parentes. En fait, c’est ma faute. Agatha voulait juste m’aider. C’est moi qui ai décidé de voir Lechuza sur un coup de tête car j’étais terrifiée par ce qui est arrivé à mon père… et par ce qui risque de nous arriver… dans deux jours ! »

Sa gorge se serra et son cœur palpita en se rappelant cette date fatidique où les enfants crépusculaires risquaient de mourir. Marisa ne répondit rien, comme si elle l’encourageait à continuer.

— Mais Tom et Agatha ont eu une excellente idée : si on arrive à cerner les vrais besoins de Lechuza, peut-être aurions-nous une chance de trouver le coupable !

— Comment avez-vous eu cette pierre d’âme ? demanda Marisa d’un ton radouci.

— C’est Astrion qui nous l’a donnée, informa Agatha. Il a dit quelque chose qui m’a marquée : « Ce que des êtres aveugles ne peuvent faire, des enfants clairvoyantes peuvent y parvenir. » alors on s’est dit que ça pouvait être nous.

— Le Fils des Lunes a-t-il ajouté autre chose ? interrogea Patte-en-Bois qui commença à retrouver l’œil vif.

— Euh… je ne crois pas… je ne sais plus.

— Fais appel à ta mémoire.

L’œil unique de la vieille sorcière, maintenant soigné, brillait d’intelligence. Encore une fois, Agatha était étonnée. Savait-elle vraiment ce qui s’était passé ? Était-ce une devineresse ? Agatha réfléchit un instant. Le souvenir apparut de lui-même.

— Oui… il a dit « mais pas seules ! » Je n’y avais plus pensé !

— Alors, je vais vous aider, trancha Patte-en-Bois. Nous trouverons ensemble comment contenter cette vieille Lechuza sans qu’elle s’attaque à vos yeux. Après tout, si l’enquête des crépusculaires n’a rien donné, il est plus sage d’agir de notre côté, qu’en penses-tu Marisa ? Si cela peut apaiser la vieille Baba, ce sera déjà ça de pris. »

Celle-ci regarda ces deux enfants, petites, aussi fragile que des feuilles d’automnes mais si tenaces. Et elles n’avaient que deux jours avant que Baba Yaga se déchaînât sur elles et sur les autres enfants.

— C’est d’accord, affirma-t-elle. Tu détiens une sagesse insurpassable, Patte-en-Bois, nous ferons comme tu l’as dit.

Elles s’installèrent autour de la table. Marisa servit le thé et rouvrit une boîte de biscuits.

— Je voulais appliquer l’idée de Tom, fit Agatha, celle de cerner les besoins de Lechuza pour mieux les comprendre mais je n’ai rien pu observer. Tu t’es aperçue de quelque chose, Feng ?

— Hum… je me souviens qu’elle frissonnait. Il faut dire qu’il fait très froid sur son domaine.

— Cela fait partie des conséquences de sa métamorphose, confirma Patte-en-Bois.

— Comme une sorte de malédiction ? demanda Marisa.

— En quelque sorte. Autrefois, elle était totalement humaine mais elle a décidé de modifier son corps et ses aptitudes pour traquer tous les ivrognes qu’elle croisait dans le Vieux-Monde puis à Port-Bois quand elle est arrivée dans l’Outremonde. C’est le fardeau qu’elle doit porter pour assumer cet état.

— Donc quelque chose qui réchauffe. conclut Feng. Mais dans la durée !

— Pensez-vous qu’un brasero suffirait à une sorcière comme Lechuza ? s’enquit Marisa, cela m’étonnerait. Si elle avait souhaité un objet aussi banal, elle se le serait déjà procuré. Le plus important à retenir est qu’elle est animée par la vengeance mais qu’elle ne peut plus l’exercer comme avant. Pourtant, ces dégénérés de Port-Bois auraient mérité un bon nettoyage.

Feng vit à nouveau les mains de Marisa se crisper. Visiblement, elle ne portait pas plus d’estime à cette ville portuaire que les autres Noxiennes.

Soudain, le feu follet de Tom Gibus apparut au milieu de la table.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Marisa.

— C’est Tom ! s’exclama Agatha. Il sait plein de choses sur Lechuza.

Marisa se leva d’un bon et recula :

— Sortez-moi cette chose d’ici !

Patte-en-Bois tenta de la calmer mais elle refusa de l’entendre. On aurait cru qu’elle était effrayée par ce spectre alors qu’elle avait malmené le reste de son corps une heure auparavant.

— S’il vous plaît, implora Feng. Il ne vous veut aucun mal ! Il vous nous aider. Pourrions-nous le lui demander ? S’il vous plaît ?

Marisa regarda Patte-en-Bois.

— Pourquoi pas ? fit la vieille sorcière. Il doit être âgé de plusieurs siècles. Alors il doit avoir une certaine connaissance.

—Très bien, céda Marisa en soupirant. Mais je refuse qu’il entre. Aucun homme n’entrera jamais chez moi !

— Mais vous savez, tenta Agatha pour la rassurer, Tom Gibus n’est plus vraiment un homme. Du moins, vu que c’est un squelette, il n’a plus les... attributs d’un homme… donc...

— Agatha ! se récria Feng, toute rouge.

— Ben quoi, c’est vrai !

— On va aller dehors, madame Marisa, reprit Feng, toute rouge. Encore merci de nous laisser du temps pour réfléchir.

— Et détachez-le, ordonna Marisa, je n’ai pas envie de voir ce résidu d’ectoplasme verdâtre s’inviter dans mon salon.

Soulagées, elles trouvèrent Tom et le détachèrent.

— Ah ! Enfin ! Merci, les filles, vous êtes mes héroïnes ! Je pensais rester l’horrible épouvantail de cette folle pour de nombreuses années. Tant de belles fêtes manquées à cause d’elle !

— Tom, soyez gentil, répondit Feng. Marisa a peur. C’est pour ça qu’elle est souvent fâchée. D’après ce que j’ai compris, elle a peur des hommes. Certains ont dû lui faire du mal auparavant. Et comme elle a perdu une enfant, elle doit être très malheureuse. Je comprends que vous soyez en colère mais… je sais qu’elle n’est pas méchante.

— En plus, ses biscuits sont excellents ! poursuivit Agatha.

— Braves petites, merci de me rappeler la souffrance que peuvent subir les vivants et vivantes. Dans ma non-vie constituée de fêtes en tous genres, j’ai tendance à l’oublier.

— Au fait, s’exclama Agatha qui sortit son calepin de sa poche en cuir. Vous nous avez aidées donc je tiens ma promesse. Prêt pour le grand nettoyage ?

Tom Gibus sautilla comme un enfant.

— Ooooh que oui ! Le retour de ma gloire passée approche !

Il écarta les bras dans un geste théâtral, attendant qu’Agatha lançât son sortilège. Elle souffla sur le glyphe qui s’éleva et tourbillonna à toute vitesse autour du squelette en costume. En quelques secondes à peine, les vêtements de Tom devinrent si propres et si lustrés qu’ils étincelaient sous la faible lueur de la forêt.

— Oh ! Quelle joie ! Le mauve de ma veste et de mon chapeau resplendit telles des améthystes au soleil ! Le noir de mon pantalon est un véritable morceau de ciel nocturne et que dire de mon gilet ? Mordoré comme une pièce neuve ! Merci à toi, tu as fait un splendide travail ! Bien, je vais devoir vous laisser, de nouvelles aventures attendent le vieux Tom…

— Attendez ! interpella Feng. Nous avons besoin de vous pour une toute petite chose. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle vous êtes apparu au milieu de la table, non ?

— Hum… j’ignore de quoi tu es en train de parler. Je voulais juste vous demander de me détacher et surtout, à la petite Anita de rendre la splendeur de mes vêtements.

— Non Agatha.

Feng poussa un soupir exaspéré. Mais Agatha ne lâcha rien, heureusement :

— Vous vous souvenez quand nous sommes allées ensemble voir Lechuza ? Il y avait bien une musique, non ? Une chanson aux paroles incompréhensibles.

Tom gratta son chapeau et répondit :

— Euh… oui en effet mais je ne vois pas en quoi elles sont si incompréhensibles.

— Ah bon ? s’exclama Feng. Donc vous les avez comprises ?

— Oui chère Ling et même retenues ! J’ai une excellente mémoire !

— Aussi excellente que la mémoire des prénoms ? Je suppose que c’est aussi vrai que je m’appelle Feng, n’est-ce pas ?

— Euh… fit Tom, embarrassé. Disons qu’à force de chanter et d’entendre de chouettes rengaines pendant les fêtes, ma mémoire est plus efficace quand il s’agit de chant. Laissez-moi déclamer ces paroles.

Âme lassée

Errant dans la nuit glacée

Toujours rongée

Par le passé

Âme trahie

Emportée dans la danse

D’une vengeance

Inassouvie

Quand reverrai-je 

Dans mon cœur de neige

La chaleur enflammée du soleil ?

Âme maudite

Payant le lourd tribut

D’une revanche acide

À la mémoire de mes enfants perdus.

— Cette chanson est si triste, murmura Feng. D’après mes recherches, Lechuza se vengeait en attaquant des hommes ivres. Peut-être que l’un d’eux a tué ses enfants ? Un mauvais mari peut-être ?

— Oh mais c’est affreux ! s’exclama Agatha. Mais que peut-on offrir à une mère qui a perdu ses enfants ?

— Malheureusement, je suis mal placé pour vous répondre, répondit Tom.

— Merci pour ce que vous avez fait pour nous, Tom, sourit Feng. Bonne chance à vous !

— Ce fut un véritable plaisir de faire votre connaissance, salua Tom en s’inclinant. J’espère vous revoir dans de meilleures circonstances. Si jamais vous entendez parler d’un anniversaire de mort dans le coin, faites-moi signe.

« En espérant que ce ne soit pas le nôtre », se dit Feng en elle-même.

Pendant que Tom s’éloignait, Feng et Agatha rentrèrent. Personne d’autre que Marisa pouvait les aider à résoudre le problème de Lechuza mais il fallait faire preuve de tact. Il ne fallait pas la faire souffrir davantage.

Elles entrèrent et racontèrent aux deux sorcières le contenu des paroles de la chanson. Marisa détourna un instant le regard mais ce fut elle qui prit la parole en premier.

— Je ne sais pas ce qui est arrivé à Lechuza mais elle doit se sentir très seule.

— Mais pourquoi ne voit-elle pas d’amies ? s’enquit Agatha.

— Certaines personnes se réfugient dans la solitude pour faire leur deuil, répondit Marisa dans un murmure, parce que leur douleur est si puissante que les mots ne suffisent pas à l’exprimer. Et cette solitude, même recherchée, finit par peser très lourd…

Feng leva la tête et réfléchit. Soudain, elle s’exclama :

— J’ai une idée ! Agatha, tu vas réaliser ta potion de détente ! Elle a des vertus réconfortantes ! C’est la meilleure chose à faire.

— Ne dis pas n’importe quoi, répliqua Agatha, c’est une sorcière puissante. Si elle avait envie de faire une potion aussi simple, elle peut le faire en quelques minutes. Elle va se moquer de nous ou pire, nous torturer ! Ce qu’elle veut, c’est quelque chose dont elle a besoin mais qui soit surpuissant… comme une pierre d’âme justement !

— Oui mais peut-être qu’elle n’a pas pensé à quelque chose d’aussi simple ! Qu’en pensez-vous, mesdames ?

Patte-en-Bois sourit :

—T’as un bon raisonnement. Parfois, certaines sorcières sont si puissantes qu’on oublie qu’elles sont comme nous, qu’elles ont des désirs et des besoins si anodins qu’on y penserait pas plus qu’à not’premier éternuement !

— J’ai déjà préparé des potions de détente et de réconfort, avoua Marisa, mais cela ne dure pas très longtemps, même si je n’ai aucun doute sur les capacités d’Agatha à les réaliser.

— Donc on peut la revisiter, c’est ça ? demanda Feng. Comment on peut faire ? Je pense qu’on pourrait lui donner quelques glyphes de feu quand elle a froid mais je ne sais pas si ça va l’intéresser. Si ça se trouve, elle les maîtrise.

Le cerveau d’Agatha se mit à réfléchir comme une machine à laquelle on avait ajouté de l’huile dans les rouages. Oubliée la fatigue, elle se rappela un moment… anodin justement !

— La chaleur ! s’écria-t-elle. C’était ce que mon oncle Toren voulait faire avec cette potion. Il voulait ajouter une source de chaleur suffisamment douce pour ne pas dissoudre la lumière de lune mais assez stable pour durer longtemps !

— C’est une idée intéressante, approuva Marisa. Et comment comptes-tu t’y prendre ?

— Oh mais je vais juste me contenter de faire la potion, rien de plus. Car c’est Feng qui va créer cette chaleur ! Elle est incroyablement douée avec le feu ! »

***

Chacune s’était mise au travail et préparait les ingrédients. Feng, en revanche, ne comprenait rien à la situation. Elle avait fait des prouesses avec le feu, juste avant la Cérémonie. Mais la nuit même, elle avait été incapable de réaliser quoi que ce fût. Agatha, comprenant qu’elle s’était trahie, se rendit à l’évidence. Elle devait avouer ce dont elle avait le plus honte. Elle attendit que les deux femmes s’éloignassent vers le chaudron suspendu dans l’âtre pour lui parler.

—Tu avais raison, Feng, fit-elle, penaude. J’ai été nulle quand je t’ai laissée tomber juste avant la Cérémonie.

— Oh ! Je ne pensais pas ce que je disais quand nous nous sommes disputées.

— Mais c’est vrai… » soupira Agatha, les larmes aux yeux. Cependant, elle les ravala courageusement. Il fallait assumer à présent.

Alors elle reprit :

— Trois jours avant la Cérémonie, je m’inquiétais parce que je ne me sentais pas prête. Ma potion n’avait rien d’exceptionnel mais je savais que tu étais encore plus effrayée que moi alors j’ai voulu te donner un peu de ma potion. Et c’est là que j’ai vu ta magnifique rose de feu. Elle était si belle ! Et tu pouvais la tenir dans tes mains.

Feng écarquilla les yeux. Elle avait tout vu !

— Hein ? Tu as regardé par la fenêtre ? Mais alors pourquoi… tu… tu…

— Parce que j’ai eu peur, lâcha enfin Agatha. Je ne sais pas si tu te rends compte mais tu as fait quelque chose que même de grandes sorcières ne savent pas maîtriser ! Même oncle Toren n’a jamais su stabiliser du feu ! C’est facile de le faire avec de l’eau, il suffit juste de la changer en glace… mais alors du feu ! Alors… j’ai repensé à ma pauvre petite potion, mon pauvre petit cerveau en bazar… je me suis sentie nulle. Je pensais que tu n’allais pas plus être amie avec moi si tu étais admise parmi les sorcières confirmées et pas moi... »

Feng était abasourdie. Elle ne s’était absolument pas attendu à cela ! Agatha l’admirait au point qu’elle avait eu peur pour leur amitié ?

— Mais… balbutia-t-elle. Mais tu as vraiment cru qu’on ne serait plus amies… pour ça ? Je pensais pourtant que ma rose te ferait plaisir… je voulais t’en faire cadeau...

Agatha se mit à pleurer.

— Je suis tellement… tellement désolée ! J’ai fait n’importe quoi !

Feng la prit dans ses bras et la serra très fort.

— Qu’est-ce qu’on a été bêtes toutes les deux, on aurait dû se parler directement et ça aurait réglé le problème. Je pensais que j’avais fait quelque chose de mal ! Tu te rends compte que ta soi-disant pauvre petite potion va sûrement nous sauver la vie ?

Agatha sourit. Feng ne lui en voulait pas ! Pour un peu, elle oubliait presque la menace de Baba Yaga.

— Par contre, je n’ai réussi qu’une seule fois, avoua Feng. Je ne sais pas si je pourrais recommencer. J’ai perdu tous mes moyens à la Cérémonie.

— Mais là, on va t’encourager ! s’exclama Agatha. Tu ne seras plus toute seule pour le faire !

Feng sourit douloureusement.

— Sauf que je préfère seule pour créer… je n’aime pas sentir les regards sur moi. »

Marisa qui avait attrapé la conversation au vol posa timidement sa main sur l’épaule de Feng.

— Essaie donc dans le cellier. Mais fais attention à ne pas brûler les récoltes.

***

Agatha avait presque fini la potion. Pour la lumière de lune, elle avait ingénieusement sorti la pierre d’âme d’Astrion. Une incantation de Patte-en-Bois avait suffi pour capter un peu de lumière. Elle avait rassuré Agatha en affirmant que ce n’était que de la lumière et non l’âme du Fils des Lunes qui se trouverait dans la potion.

Soudain, la porte du cellier s’ouvrit. Feng sortit, tête baissée, les mains derrière le dos.

—Tout va bien ? demanda Agatha, livide.

Feng leva la tête. Elle montra alors un magnifique bouton de lotus aussi flamboyant que son sourire.

***

Tom Gibus s’avançait fièrement à travers la forêt. Encore quelques mètres et il serait enfin débarrassé de cette terre de malheur. Pendant qu’il cheminait, il feuilleta son agenda mental. Où allait-il mettre en scène son grand retour ? Au Café Monstrueux de Lux où il racontait ses plus terrifiantes histoires à des étudiants et étudiantes en quête de sensations fortes ? À son bon vieux cimetière où ses très anciens amis le saluaient toujours avec leur reste de tibias à la main ? Une bouffée de nostalgie l’envahit. Mais une atmosphère nauséabonde la remplaça aussitôt. Encore des gaz de marécages ! Non, après mûre réflexion, ce n’était pas cela. Il regarda autour de lui… en fait, il ne voyait plus rien. Tout l’environnement était envahi par un brouillard sombre et glacial. Même sans peau, Tom frissonna. Une odeur épouvantable de mort l’envahit. Pas celle, tout à fait habituelle de ses amis mort-vivants… ni même la sienne...non… c’était au-delà de ça. Comme une… destruction.

Un peu de brume s’évapora. Un grondement terrible retentit. Et là… Tom aperçut l’inimaginable !

Son âme tapie à l’intérieur de son crâne ne fit toute petite et il ressentit comme les battements effrénés d’un cœur fantôme. Un souvenir inconscient de son ancienne condition de vivant, sans doute. Sans un cri, il rebroussa chemin en courant le plus vite et le plus loin que sa carcasse osseuse lui permettait ! Quelque chose d’horrible était à ses trousses !


Texte publié par Les Carnets d’Outremonde, 20 août 2025 à 13h40
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tome 1, Chapitre 7 « Une flamme d'espoir » tome 1, Chapitre 7
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