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tome 1, Chapitre 4 « La Pierre d'âme » tome 1, Chapitre 4

Précédemment : La Baba Yaga a fait irruption en pleine Cérémonie et accuse les Crépusculaires d'avoir volé la Relique qui donne vie à sa maison. Elle leur donne quatre jours pour la restituer et lui amener le ou la coupable. Passé ce délai, elle organisera des chasses en se servant des enfants comme gibier. Un grand conseil de devineresses a lieu et la vision ne laisse aucun doute : Jin, le père de Feng, y est mêlé. Il est arrêté sous les huées et les injures des Crépusculaires.

Chapitre 4 : La Pierre d'âme

L’aube venait à peine de poindre que Feng déambulait déjà dans le village. Elle ne savait pas où ses recherches allaient la mener mais il fallait essayer. On avait arrêté son père et il restait moins de quatre jours pour retrouver le véritable coupable du vol de la Relique avant que Baba Yaga n’exerce sa vengeance meurtrière. Pour la première fois depuis sa naissance, le village était plongé dans un silence de mort. Les Doyennes menaient leur enquête en recherchant tous les indices possibles… en commençant par les domiciles des réfugiés tardifs. La confiance d’une communauté soudée s’envolait si vite !

Feng n’avait pas parlé à sa mère de son escapade. En fait, elles ne s’étaient rien dit depuis l’arrestation de Jin. Enfermée dans le même silence que celui qui frappait le village, cette petite femme mince au regard dur était devenue une étrangère pour Feng. Même ses frères, pourtant si jeunes, ressentaient la tension et l’absence. Les Crapauds d’Or ne demandèrent pas à retourner dans la forêt Nox et restaient groupés, les uns serrés contre les autres.

Après avoir dépassé le pommier millénaire, elle poursuivit un sentier en chemin de terre où poussaient des chrysanthèmes et arriva à la bibliothèque du village. Elle ouvrit la porte. Calliope, la bibliothécaire, fronça les sourcils.

— Qu’est-ce que tu fais là, toi ?

Encore une qui croyait son père coupable. Peu importait, elle devait poursuivre.

— Bonjour Calliope. J’ai absolument besoin de consulter tous les livres sur la forêt Nox et les Noxiennes qui y habitent.

— Pour disculper ton père ? Ma pauvre petite, ça ne doit pas être facile d’être la fille d’un criminel. »

Feng serra les poings et se retint de hurler sur la bonne femme qui la toisait depuis son bureau encombré de parchemins.

— S’il vous plaît, Calliope. Je veux des réponses. »

La bibliothèque poussa un soupir et la dirigea vers le rayon historique.

— J’ai épluché tous les livres depuis la soirée fatale où Baba Yaga a fait son apparition. Tu n’apprendras rien de plus mais si cela peut permettre de t’apaiser un peu, consultes-en autant que tu le souhaites. Et surtout n’abîme rien !

— Merci ! »

Une fois la sorcière éloignée, Feng prit un tabouret et scruta les ouvrages un à un. Elle saisit alors deux ouvrages : Nox, du Vieux Monde au Refuge, puis Les plus grandes prédatrices de la forêt Nox. Elle s’installa sur un champignon géant et confortable qui poussait sur le parquet impeccable de la bibliothèque et se mit au travail.

***

Agatha, malgré le climat d’angoisse ambiante, ressentit une joie immense. Feng allait passer quelques jours chez elle. Enfin, quatre jours au minimum si Baba Yaga ne décidait pas de manger tous les enfants qu’elle trouverait sur son chemin. Apparemment, la maman de Feng avait besoin d’être seule et les frères de Feng seraient gardés par Doussou Damba, qui avait gardé de sérieuses distances par rapport aux vives controverses sur les Réfugiés tardifs du Vieux Monde. Après tout, elle avait été l’instructrice d’oncle Toren et il était devenu le plus grand apothicaire d’Outremonde. Rien à voir avec un criminel !

Le crépuscule commençait à tomber quand Feng arriva dans les Marais. Siobhan la prit dans ses bras et lui souhaita la bienvenue. Agatha ne sut que lui dire. Elle était malheureuse parce que son papa avait été arrêté et sa maman ne voulait pas la voir auprès d’elle. Pourtant, il lui avait toujours semblé que Luan aimait sa fille. Après tout, Agatha n’avait jamais connu son père, par conséquent, il ne lui avait jamais manqué. Est-ce que Siobhan se serait enfermée dans une terrible solitude si elle avait été séparée d’un homme qu’elle aimait ? Mais surtout, surtout, Agatha s’en voulait terriblement ! Elle avait été si engluée dans sa jalousie de voir Feng réussir une prouesse magique extraordinaire qu’elle avait préféré la fuir. Abandonner au lieu d’être abandonnée. Elle se sentit si stupide qu’elle eut envie de se gifler… ce qu’elle ne fit pas. Elle ne voulait pas passer pour une folle. Innocenter Jin était l’occasion parfaite pour se faire pardonner… et sauver le village de la cruauté de Baba Yaga, bien entendu !

Agatha prit son courage à deux mains et s’approcha de sa meilleure amie.

— Coucou Feng, comment tu vas ?

— Ça va… murmura-t-elle mornement.

Mais quelle idiote ! Évidemment qu’elle n’allait pas bien ! Alors pourquoi posait-elle cette question ? Agatha allait vraiment finir par se gifler !

— Mes chéries, fit Siobhan, j’ai fait du gâteau, venez manger un peu.

Elles s’installèrent à table où tout le fatras habituel avait repris sa place : grimoires empilés, bougies rouges à moitié fondues, bols d’herbes et de fruits, crânes d’animaux et fioles. Siobhan avait repris son activité de guérisseuse en plus de s’occuper de la maison, du jardin et des mares.

— Tu ne manges pas ? s’enquit Agatha.

— Je n’ai pas très faim.

— Tu te sentiras mieux après avoir mangé, tu sais.

— Oui, ça n’aidera pas papa si je me laisse mourir de faim. »

Agatha fut rassurée par la décision pragmatique de Feng.

Quelques minutes plus tard, Agatha invita Feng dans sa chambre et lui montra un deuxième hamac qu’elle avait suspendu.

— Regarde, tu vas dormir ici ! Ça te plaît ? »

Pour la première fois, un sourire éclaira le visage de Feng.

— Oh que oui ! Ta mère et toi êtes géniales ! »

La culpabilité piqua une nouvelle fois le cœur d’Agatha. Non, elle n’était pas géniale. Elle devait se rattraper parce qu’elle était lâche et mauvaise ! Elle voulut lui demander pardon, là, tout de suite et lui expliquer ce qu’elle avait ressenti quand elle avait vu la belle rose de feu créée de ses mains mais les mots ne sortirent pas. Ses lèvres restèrent scellées malgré elle. Pourquoi était-ce aussi difficile ? Le sourire de Feng disparut aussitôt.

— Je m’en veux tellement, Agatha. lâcha-t-elle, soudain.

— Hein ? Mais pourquoi ? Ça n’a pas de sens ! Tu n’as rien fait de mal !

— Pas encore. Vous m’avez accueillie toutes les deux alors que je vais devoir partir.

— Attends, je ne comprends pas. Tu veux partir où ? »

Feng s’assit sur un champignon qui, comme à la bibliothèque servait de fauteuil, et sortit un gros livre relié de son sac.

— Papa est quelqu’un d’extrêmement honnête. Jamais il ne volerait quoi que ce soit ! Quelque chose a forcément été mal interprété par les Devineresses. En plus, j’ai appris qu’Astrion a fait un malaise en plein milieu de la vision d’hier soir avec Lechuza. Si ça se trouve, il n’a pas rien pu montrer de sa vision. Si Astrion ne peut pas nous dire ce qu’il a vu parce qu’il est trop malade, je dois trouver quelqu’un qui ne sera pas de la communauté, qui ne ment jamais et dont les révélations sont toujours justes. »

Agatha s’assit à côté d’elle.

— Pourquoi quelqu’un qui n’est pas de la communauté ?

— Papa m’a toujours dit qu’il faut prendre du recul pour mieux comprendre une situation, si on est trop dans l’émotion, on peut se tromper. Et toute la communauté a peur de Baba Yaga alors il faut quelqu’un d’extérieur.

— Dis donc, tu parles comme une adulte !

— Justement, si les adultes ne peuvent rien faire, nous ferons les choses nous-mêmes. »

À ces mots, elle lui montra une illustration. Une femme au visage de chouette au regard blanc, lumineux et glacé. Un bec menaçant s’entrouvrait comme si elle allait happer les doigts d’une lectrice qui oserait poser ses doigts sur la page.

Agatha sentit son cœur s’accélérer.

— Attends, attends… tu veux dire que tu veux aller voir… la Lechuza ?

— Oui.

— Dans la forêt Nox ?

— Je n’ai pas le choix, si je ne le fais pas, personne le fera.

— Mais Nox est dangereuse. Les sorcières et les bêtes féroces te tueront ! Tu vas mourir et tu ne sauveras personne !

— Je prendrai les crapauds d’or et ferai le même chemin que papa, je le remplacerai. Les Noxiennes ne diront rien.

Agatha écarquilla les yeux. Nom d’une citrouille percée ! Feng perdait complètement la tête ! Il fallait absolument la dissuader d’aller se faire tuer dans la forêt Nox. Une idée, vite, une idée !

— Astrion ! s’exclama Agatha.

— Quoi ?

— Feng, ne bouge surtout pas, c’est une question de vie ou de mort ! Je reviens tout de suite. Tu ne bouges surtout pas !

— D’accord mais ne parle pas à ta mère de ce que je viens de dire.

— C’est juré !

Agatha courut le plus vite qu’elle put à travers les marais jusqu’à l’observatoire d’Astrion. À ses pieds, elle trouva Myrddyn, préoccupé. Ses cheveux blond cendré se détachaient de sa natte et de profonds cernes marquaient ses yeux gris.

— Tiens, qu’est-ce que tu fais là ? »

Agatha dut reprendre son souffle avant de lui répondre.

— Je dois voir Astrion, question de vie ou de mort !

— Astrion tient le lit, il va très mal depuis… hier soir.

— Je sais mais c’est hyperméga-urgent !

— Je suis désolé, Agatha, je ne peux pas te laisser entrer. C’est déjà difficile pour Doussou Damba de ne pas venir le voir, alors imagine son inquiétude si l’observatoire devient une salle de réunion.

— Je serai la seule à venir le voir, Myrddyn. S’il te plaît.

— Non, Agatha, rétorqua-t-il d’une voix douce. Retourne chez toi. »

Soudain, par association d’idées, elle pensa à Kraa. La dernière fois qu’elle avait écrit une lettre pour son oncle Toren, Kraa s’était fait prier pour la porter. Agatha avait parlé de la nécessité d’envoyer des nouvelles à son oncle afin qu’il ne se sentît pas seul mais cela n’avait pas marché. Il avait fallu le convaincre avec quelque chose qu’il aimait, lui ! La viande crue ! Et Kraa avait accepté !

— Myrddyn.

— Oui, soupira l’intéressé. Qu’est-ce que tu veux encore ? »

— Tu sais, oncle Toren a sauvé plein de gens dans une bonne partie d’Outremonde.

Myrddyn sursauta et lui lança un regard suspicieux :

— Euh… oui bien sûr. Du moins, les contrées que nous connaissons. Pourquoi ?

— Si oncle Toren avait été là, qu’est-ce qu’il aurait fait ? Qu’est-ce qu’il aurait fait si Baba Yaga avait menacé de manger tout le monde ? poursuivit Agatha.

— … Tout son possible, bien sûr. »

Il détourna le visage pour cacher le rose qui avait coloré ses joues émaciées.

— Et il serait allé voir Astrion car le fils des Lunes a des prémonitions toujours justes et ne peut pas mentir, c’est ça ?

— Oui, c’est vrai. Mais il l’aurait soigné aussi. Tu as de quoi soigner un devin frappé de malaise dans une vision commune qui inclut Lechuza, une des Noxiennes les plus redoutables de la forêt Nox ? cingla-t-il.

Agatha réfléchit. C’était vrai, ça. Agatha n’était pas très attirée par la fabrication des remèdes. Seule la potion de réconfort avait trouvé grâce à ses yeux. Sinon, c’était plutôt les expériences explosives qui la mettaient en joie.

— Oui mais… il n’est pas là. Tu sais, je pensais le réconforter même si je n’ai pas ma potion. Et il pourra dire ce qu’il sait même sans utiliser son don. Laisse-moi le voir, s’il te plaît.

— Écoute…

— Si nous obtenons des réponses, tu seras un héros ! Tu auras sauvé les Terres du Crépuscule.

— Dis-donc, tu n’en fais pas un peu trop ?

— Et oncle Toren le saura puisque je l’écrirai dans une longue lettre bien détaillée.

— Mais… il n’en est pas quest… pourquoi tu... Ah ! Ça suffit ! Cinq minutes, pas plus ! Et si j’apprends que tu embêtes Astrion, tu auras de mes nouvelles ! »

Agatha poussa un cri de triomphe et monta sur l’échelle avec l’agilité d’un ouistiti. Myrddyn avait toujours eu un faible pour oncle Toren, finalement c’était plus facile de le persuader que de pousser Kraa à faire son travail de corbeau voyageur !

Une fois arrivée au sommet, elle aperçut une grotte fermée par des lianes. C’était la demeure d’Astrion. Elle s’approcha. Les lianes s’écartèrent sur son passage et se refermèrent derrière elle. Elle se rendit compte qu’Astrion vivait dans un total dénuement. Une couchette, des bols disposés sur un tapis de paille tressée mais aussi un télescope et une carte céleste accrochée sur le mur du fond. Le jeune homme était allongé, les yeux clos. Ses cheveux argentés donnaient toujours autant l’impression de flotter. Agatha avança sur la pointe des pieds et murmura : « Astrion. »

Celui-ci ouvrit un œil, puis deux, puis trois et esquissa un faible sourire.

— Agatha, fille de Siobhan. L’innocence commence à quitter tes yeux, murmura-t-il de sa voix douce.

Agatha fut interloquée par sa déclaration mais elle se rappelait qu’il avait toujours prononcé des paroles énigmatiques… cela dit, elles étaient toujours vraies.

— Astrion… tu… tu avais raison hier soir. Les Noxiennes sont vraiment dangereuses ! Mais je ne pensais pas que Baba Yaga viendrait jusqu’ici. J’ai eu la peur de ma vie, tu sais.

— Tu es venu ici car tu veux des réponses. »

Ce n’était pas une question.

— Oui, maman m’a appris que tu t’étais évanoui juste après la vision commune que les Devineresses ont eu avec la Lechuza. Tout le monde pense que c’est le papa de Feng qui a volé la Relique. Mais c’est faux ! Il n’aurait jamais fait une chose pareille ! Mais toi, tu es différent des autres ! À cause de toutes ces sorcières en colère, Feng ne peut plus faire un pas sans se faire insulter par les autres enfants, même par celles qui étaient nos amies !

Agatha reprit son souffle. Elle avait prononcé toutes ces phrases avec une telle vitesse qu’elle aurait pu être championne d’apnée !

— Je comprends ta colère, Agatha. Malheureusement, les Crépusculaires sont aveugles.

— Pourtant tout le monde s’entendait bien avant ! Je ne comprends pas.

— J’aime cette Communauté, Agatha. Malheureusement, il suffit d’une crise pour que son équilibre vacille. Cela doit être dans la nature de toute société. »

Agatha demeura silencieuse. La Communauté du Crépuscule risquait-elle donc vraiment de se déchirer en plus de subir la menace des Noxiennes ? Elle tenta néanmoins de se rassurer. Les Doyennes tentaient d’apaiser tout le monde et lançaient des enquêtrices partout, y compris dans la Forêt Nox. Siobhan lui avait dit d’attendre qu’elles revinssent mais Agatha et Feng ne voulaient pas rester dans l’expectative.

— Les enfants sont en danger et Feng et moi sommes des enfants ! Alors c’est à nous de régler le problème. Enfin c’est ce que dit Feng... Dis-moi Astrion, as-tu vu la même chose que les autres quand tu t’es évanoui ? Tu t’en souviens ?

Astrion tourna son regard vers le plafond où quelques points de lumières, filtrés par les lianes, s’étiraient doucement.

— J’ai vu la même chose que les autres devineresses. La même chose que toi quand Myrddyn, Albérich et Volva sont venues. Tu t’en souviens ?

Astrion lui retournait donc la question ! Mais c’était à lui de donner les réponses ! Cela dit… elle fouilla dans sa mémoire.

— Mais comment tu sais que… Ah oui ! C’est vrai ! Tu vois tout, toi. Alors, je me souviens d’une pierre bleue magnifique qui brillait dans tout le salon de Feng. C’était bien la Relique, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Et il y avait bien Jin de dos avec ses crapauds d’or !

— Oui…

— Ensuite... Eh ! À aucun moment on le voit voler la relique ! Alors ce n’était peut-être pas lui !

— Peut-être pas, répondit Astrion d’un ton égal.

— Mais alors pourquoi tout le monde a crié « Jin Jin Jin » ?

— La Divination ne se fait pas uniquement par des images mais aussi par des sons ou par des mots, des noms qui nous apparaissent. »

Agatha était encore plus perdue que jamais. Elle aimait bien Astrion mais elle perdait son temps.

— Peut-être a-t-il été mêlé à la disparition de la Relique indirectement, poursuivit le jeune homme.

— Oui ! C’est vrai ça !

Agatha sentit l’espoir remonter.

— Je suis sûre que ce n’est pas lui. Peut-être que quelqu’un le suivait… peut-être que…

— On ne résout pas un mystère avec des « peut-être », interrompit Astrion dans un soupir. Tu as vu autre chose, n’est-ce pas ?

— Euh… oui ! Les formes qui font peur. »

Astrion se crispa.

— Continue ! exhorta-t-il vivement.

Agatha fut surprise d’entendre Astrion prendre un ton différent de ce ton évanescent et égal qu’il avait l’habitude d’adopter.

— Euh j’ai surtout vu des ombres. Et elles étaient plus moches que Baba Yaga ! Elles avaient des griffes, des crocs énormes et poussaient des cris aigus… des cris graves aussi. J’ai eu la peur de ma vie ! Peut-être plus que quand j’ai vu Baba Yaga est apparue et nous a menacées de nous manger !

— Agatha, fit Astrion d’une voix blanche, je n’ai pas pu les voir car c’est à ce moment là que j’ai perdu connaissance. J’ai bien peur que Baba Yaga ait acquis un pouvoir plus terrifiant que les Terres du Crépuscule et de la Nuit ait connu.

Agatha sentit son souffle se couper.

— Et Lechuza ? Est-ce qu’elle ne vous a pas toutes trompées ?

— Non… elle ne le peut pas.

***

Feng n’avait pas tout dit à Agatha, elle l’aurait tellement inquiétée qu’elle en aurait forcément parlé à sa mère. Elle voulait profiter de son absence pour filer en douce mais Siobhan était toujours en bas pour récolter les champignons comestibles qui avaient poussé sur le plafond. Tant pis, elle devrait faire croire à Agatha qu’elle avait changé d’avis et partirait pendant la nuit, même si c’était un mensonge et que cela lui donnait mauvaise conscience. Mentir à son amie ou sauver son père ? Elle tenta de ravaler ses larmes et souffla très fort pour calmer l’énorme boule au ventre qui se gonflait comme un taotie après avoir mangé. Machinalement, elle posa les yeux sur la page de la sorcière qui avait capté son attention à la bibliothèque.

"Lechuza est une Noxienne connue pour avoir fui les persécutions du Vieux Monde. Si rien n’a été confirmé à son sujet, elle aurait vécu sous la coupe d’un homme ivre qui la battait et la terrorisait. La violence de cet homme aurait même tué ses propres enfants. Son calvaire s’est achevé quand elle l’a tué. Cet acte aurait révélé ses pouvoirs et lui aurait conféré cette apparence de femme-chouette que nous lui connaissons. Poursuivie par les Inquisiteurs, elle aurait trouvé un passage pour Outremonde. Elle aurait sévi dans la ville de Port-Bois dans laquelle, sous sa forme d’oiseau nocturne, elle crevait les yeux et éviscérait les hommes ivres qui sortaient de tavernes mal famées. Attrapée par des autorités de la ville portuaire, elle fut transférée dans la grande cité de Lux, l’une des capitales de mages les plus importantes. Lechuza parvint à convaincre le tribunal de ne pas l’exécuter en jurant de prédire tout malheur qui s’abattrait sur la Cité. Elle tint sa promesse. Après une centaine d’années dans l’ombre de Lux, elle demanda à s’exiler pour vivre une vie de solitaire tout en prêtant serment sur sa vie de ne jamais effectuer de prédictions trompeuses et de ne jamais revenir sur Port-Bois. C’est ainsi qu’elle se réfugia dans la Forêt Nox auprès des sorcières solitaires et nocturnes. Cependant, si Lechuza ne ment jamais, ses révélations sont très énigmatiques. Et il est difficile d’obtenir plus de précisions de sa part sans risquer la vie de ses globes oculaires."

Feng referma le livre, le souffle court et le cœur battant. Elle sentit sa volonté vaciller. Elle avait si peur !

***

Astrion poussa un long soupir de lassitude.

— Ton amie Feng va prendre une décision radicale. Je ne peux empêcher ce qui arrivera. Ce que des êtres aveugles ne peuvent faire, des enfants clairvoyantes peuvent y parvenir. Mais pas seules ! »

Il porta sa main blanche sur la gemme nacrée incrustée dans son index à la place de l’ongle et l’en extirpa. Un cratère lisse et diaphane apparut à la place. Il lui tendit la magnifique perle qui diffusait une lumière douce dans la pénombre de la grotte.

— Ma pierre d’âme vous protégera. Montrez-la aux Noxiennes. Je suis un enfant de la Nuit alors elles pensent que je suis des leurs. Par conséquent, elles ne vous tueront pas. En revanche, soyez vigilantes, les autres créatures de la forêt n’en tiendront pas compte et pourraient bien vous pourchasser. Gardez-la précieusement, ne la perdez pas. Elle fait partie de moi. »

Agatha récupéra la gemme en tremblant. Le sort en était jeté !

***

— Agatha, murmura Feng, j’ai si peur. »

Agatha l’observa depuis son hamac. Son cœur battait à tout rompre.

— Tu pars ce soir ?

— Ne le dis à personne s’il te plaît. Il faut que je le fasse, tu comprends ?

— Je ne dirai rien à personne… »

Feng demeura interloquée. Soit Agatha se révélait étrangement accommodante, soit elle avait une idée derrière la tête.

— À une condition, annonça cette dernière.

— Je m’en doutais, soupira Feng en levant les yeux au ciel. Je ferai tout ce que tu voudras mais je t’en supplie, ne m’empêche pas de sauver mon père ! Même les Doyennes ne pourront rien faire pour lui, de toute façon !

Agatha sauta de son hamac et sortit quelque chose de sa poche. Une magnifique gemme nacrée qui lui parut étrangement familière.

— On part ensemble. Et comme tu es très intelligente et que je suis rusée comme un renard, comme dirait maman, on va trouver un plan génialocataclysmique !

Feng sourit à travers ses larmes. Une grande chaleur dissipa fugacement les nuages de l’angoisse. Elle ne serait pas seule !


Texte publié par Les Carnets d’Outremonde, 15 juin 2025 à 12h55
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