Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 2 « Une Cérémonie explosive » tome 1, Chapitre 2

Chapitre 2 : Une cérémonie explosive

Loi n°1 : Les Sorcières Nocturnes de la Forêt Nox s’engagent à se comporter de manière pacifique avec la Communauté du Crépuscule. De même, la Communauté du Crépuscule s’engage à respecter le territoire, les biens et l’intégrité des Sorcières de la Forêt Nox.

Loi n°2 : L’entrée dans la Forêt Nox nécessite une dérogation spéciale approuvée par les Noxiennes et les Noxiens dont le domaine est concerné. Toute autre intrusion dans la Forêt Nox est interdite.

Loi n°13 : Si l’intégrité d’une Noxienne ou d’un Noxien a été volontairement atteinte par un membre de la Communauté Crépusculaire, l’accord de paix sera caduc. Une décision d’urgence devra être prise entre la victime du préjudice, sa Communauté ainsi que la Communauté crépusculaire.

Extrait de l’accord de paix établi entre la Communauté des Terres du Crépuscule et la Communauté de la Forêt Nox.

Feng était assise sur une pierre moussue dans la cour de sa maison-racine. Elle caressait distraitement un petit dragon-tortue qui quémandait encore quelques chardons. Le soleil, bien haut dans le ciel, indiquait une matinée paisible malgré les cris de ses deux petits frères qui jouaient derrière la cour. Mais tout cela la rendait indifférente. Soudain, elle entendit de monstrueux coassements dans la forêt. Elle leva les yeux. Une silhouette toute de soie jaune vêtue accompagnée d’énormes crapauds sales apparut entre les taillis. C’était son père qui guidait son élevage de Jin Chuan, les crapauds d’or qui portaient chance. Ils devaient, tous les jours, patauger dans les marais de la forêt Nox car les insectes convenaient mieux à leur alimentation. Ceux-ci regagnèrent la grande mare qui se trouvait derrière la maison et y plongèrent avec délice. Leur peau retrouva instantanément une belle couleur dorée.

— Eh bien, ma chérie, tu prends l’air ? demanda son père, souriant.

— Oui oui…

Perplexe, Jin s’assit à côté de sa fille.

— Tiens, ça ne te ressemble pas d’être aussi maussade. »

Feng haussa les épaules, silencieuse.

— C’est à cause de la Cérémonie ?

— … hum… entre autres.

Jin prit un longue inspiration et regarda le ciel au milieu des branches de cuivre.

— Je me souviens de l’époque où je me préparais pour la Cérémonie. J’étais presque un adolescent quand je suis venu sur les Terres du Crépuscule. Je l’ai donc faite à l’âge de quinze ans. J’étais terrifié, persuadé que j’allais être en retard sur les autres. Heureusement, j’avais un ami, un jeune réfugié du nom de Toren qui partageait cette inquiétude. Nous avons travaillé d’arrache-pied ensemble et nous avons réussi. Il avait préparé un remède contre la grippe de la veuve noire tandis que j’avais fait une démonstration d’entretien de la carapace des dragons-tortues. Rien d’extraordinaire mais connaître les besoins spécifiques d’une créature d’origine étrangère aux Terres du Crépuscule a suffi à convaincre la Communauté.

— Je vois… mais Toren, c’est l’oncle d’Agatha, c’est ça ?

— Tout-à-fait, répondit Jin. Il a été adopté par les parentes de Siobhan à l’âge de huit ans. Contrairement à moi qui étais trop petit pour m’en souvenir, Toren a connu le Vieux Monde, il venait d’un pays très éloigné de celui de tes grands-parents. » Il s’interrompit et prit la main de sa fille, si petite, dans sa sienne.

— Je te parle de tout cela car tu finiras par trouver ta voie. Tu connais la magie depuis ta naissance, tu vis au milieu des créatures dont les soins sont exigeants, tu manies le feu comme personne et surtout, tu es la petite fille la plus douce et la plus sincère que je connaisse. Par conséquent, tu feras le meilleur usage possible de la magie. »

Feng baissa la tête et manqua de pleurer.

— Pourtant, Agatha m’a évitée depuis trois jours. Elle trouve toujours une excuse pour ne pas me voir. Si ça se trouve, j’ai fait quelque chose de mal, je ne suis pas aussi gentille que tu le dis.

— Allons, chérie, c’est bientôt la Cérémonie, tout le monde est nerveux, la rassura son père. Parfois, avec la pression, les entraînements et la fatigue accumulée, on peut être plus fébrile, plus distant. Mais tu verras, une fois cet événement pénible terminé, tout redeviendra comme avant.

— Tu crois ?

— J’en suis sûr.

— Mais si…

— Oh là là ! Tu sais ce qu’on a dit sur les « si ».

— Oui, avec des « si », on recrée Outremonde. »

Jin la prit dans ses bras. La porte bleue s’ouvrit, c’était Luan, la mère de Feng.

— Vous êtes là, tous les deux, dit-elle d’une voix aussi fluette que sa taille. Il faut absolument qu’on nourrisse les taoties avant qu’ils dévalisent tout le garde-manger. Et après, on pourra enfin s’occuper de nos estomacs. »

Les taoties étaient de petites créatures poilues qui avaient deux activités favorites : dévorer tout ce qu’ils voyaient et dormir en ronflant bruyamment. De vraies calamités !

— Feng, rappelle tes frères avant qu’ils fassent peur aux crapauds. fit Jin avant d’entrer dans la maison.

Les gamins hurlaient en se courant après, couverts de boue et d’algues.

— Je crois que je préfère les taoties, murmura Feng.

***

Le soir arriva, puis la nuit. Les familles du village accrochèrent des lanternes creusées dans des citrouilles ou des navets à l’entrée des maisons puis s’assemblèrent sur la grande place. Les guirlandes de lampions monstrueux à l’effigie de citrouilles, de chauve-souris et d’araignées parcouraient tout le village. Au centre de la grande place, le pommier, majestueux, affichait fièrement ses pommes encore vertes. Agatha, habillée de la tunique vert anis cousue par sa mère, crispait ses mains sur sa fiole de potion. C’était ironique, elle était extrêmement nerveuse et elle proposerait une potion de détente ! Elle en avait bu dans l’après-midi mais l’effet ne durait pas assez longtemps. Siobhan, magnifique dans sa robe violette brodée de motifs de plantes sur le bas de la jupe et sur les manches, lui souriait avec encouragement. Ce soir-là, elle avait lâché son abondante chevelure rousse et arborait un chapeau mauve décoré de roses noires dont la voilette ressemblait à une toile d’araignée.

– Allons, ma chérie, du courage. Tout se passera très bien. »

Elles s’écartèrent de la foule pour rejoindre des tables installés pour le repas. Un fumet délicieux de tourtes aux champignons, de crêpes et de pain perdu flottait dans l’air. Agatha en avait l’eau à la bouche. De l’autre côté se trouvaient des boissons à l’odeur forte et sucrée dont certaines n’étaient pas destinées aux enfants.

Agatha, pendant que Panacée lui servait une crêpe au miel, se répétait mentalement : « Ça va bien se passer, ça va bien se passer. »

— La Lune commence à devenir rouge, murmura une voix évanescente. La nuit des Solitaires. »

Agatha, surprise, se retourna. C’était Astrion. Ses longs cheveux aussi pâles et lisses que son teint semblaient constamment flotter. Et pourtant, il n’y avait pas de vent, ce soir. Ses trois yeux, fixes et vitreux, étaient tournés vers le ciel. Agatha ne savait jamais si elle le trouvait séduisant ou parfaitement ennuyeux.

— Pourquoi tu dis ça ?

— C’est le Sabbat des Sorcières Noxiennes, répondit-il de son ton placide. Lechuza chassera des cœurs sanglants, Baba Yaga lancera des assauts avec son isba mouvante, Yama Uba se jettera sur le premier innocent venu et Chedipe assouvira sa soif de sang.

– Euh… oui bien sûr…, sourit Agatha embarrassée et un peu terrifiée quand même. Mais tout va bien, Astrion, ça ne se passe que dans la Forêt Nox. On est en sécurité ici, d’accord ? »

Astrion eut un sourire désabusé.

— Que j’aimerais avoir cette innocence. Je n’ai jamais pu la goûter aussi loin que remontent mes souvenirs.

— Il faut un début à tout ! rit nerveusement Agatha. Je te laisse, Astrion, maman m’attend. »

Elle se faufila en poussant un long soupir. Soudain, tout le monde se tut et s’approcha. Siobhan attira Agatha à elle puis la dirigea vers le groupe d’enfants apeurés qui attendait. Elle vit Feng, à l’écart et silencieuse. Son cœur se serra. Elle voulut lui dire quelques mots mais elle fut interrompue par la puissante voix de Volva, grande doyenne aux cheveux de neige qui annonça :

– Sorcières et sorciers de la Communauté du Crépuscule, la Cérémonie des Jeunes Sorcières et Sorciers débute maintenant ! Jeunes enfants sur le point d’entrer dans le monde des adultes, approchez ! »

Les enfants, tremblants, s’exécutèrent. Même Basilio avait perdu de sa superbe. Sa belle peau noire semblait presque grise.

Le Doyen Alberich prononça un discours sur la responsabilité de l’usage de la magie, repris par Doussou Damba qui rappela l’accord de paix établi avec les Noxiennes. Tout usage de la magie devait être utilisée avec sagesse et au service de la Communauté. Agatha repensa alors aux étranges paroles d’Astrion. Vu tout ce qui se disait sur les Noxiennes, il était évident qu’il valait mieux éviter de leur chercher des noises. Pourtant, elle percevait de la nervosité chez les Doyennes, puis elle leva la tête. Une surface transparente captait la lumière des lampions et couvrait toute la surface du village. Un champ de force ? Depuis quand il y en avait un pour une simple cérémonie d’enfants ? Agatha frissonna puis chassa ses inquiétudes. Les adultes savaient ce qu’elles faisaient. Inutile de s’inquiéter pour rien. Cependant, elle avait à peine écouté la fin des paroles des Doyennes. Peu importait, elle suivit le mouvement et retourna sur le côté avec ses camarades.

Alberich, de sa voix chevrotante, appela les enfants un à un. Tous ses camarades passèrent à tour de rôle, le regard de tout le village rivé sur eux. Quel effroi ! Basilio créa une mini-tornade à taille humaine bien maîtrisée, Wicana tendit une fleur et souffla dessus. La fleur se couvrit de givre scintillant. Puis vinrent les autres, Gregor se transforma en un énorme scarabée et manqua de tomber sur la carapace en se redressant, Carmina tint une conversation avec un loup, Ozzy créa une illusion tremblotante à son image etc. Puis ce fut son tour. Agatha avança, tremblante, se sentant plus banale que jamais. Elle se dirigea vers les Doyennes et montra sa fiole.

— Je vous salue… Doyennes… et Doyens du Crépuscule. Voici… oups… pardon… j’ai failli la faire tomber… Euh… donc... c’est ma potion de détente. Elle peut durer jusqu’à cinq minutes de plus qu’une potion de détente habituelle…

— Tu devrais en prendre un peu avant de nous la montrer, sourit Volva sans malice.

Cette plaisanterie, cependant, mit Agatha encore plus mal à l’aise. Elle posa la fiole sur leur table. Chaque Doyenne prit la fiole dans ses mains et commentait la composition, la couleur et l’odeur puis se servit quelques gouttes dans une coupe. Après l’avoir goûtée, chacune resta silencieuse mais afficha un petit sourire satisfait. Il semblait à Agatha que leur traits étaient plus détendus.

— Merci Agatha, sourit Doussou Damba d’une voix douce afin de l’inviter à rejoindre le rang des enfants.

Elle s’éloigna et s’autorisa enfin à respirer.

— Fenghuang ! »

Agatha se tourna brusquement, c’était au tour de Feng. Celle-ci n’avait pas prononcé un mot de toute la soirée. Elle s’avança, presque mécaniquement puis se figea, au milieu de l’assemblée. Elle lança des regards inquiets puis, voyant ses parentes et ses frères lui faire des signes d’encouragement, elle souffla un peu. Elle baissa la tête et leva ses mains en coupe. Elle n’avait pas de glyphe, comme la fois où Agatha l’avait surprise créant cette magnifique fleur de feu. À cette pensée, la culpabilité noua sa gorge. Pourquoi avait-elle réagi ainsi ? Comment avait-elle pu être aussi stupide ? Feng lança une petite volute de feu… qui s’évanouit aussitôt. Tout le monde était silencieuse, dans l’expectative. Feng recommença… même résultat. Mais… que se passait-il ? « Allez Feng ! Allez Feng ! Tu peux le faire ! cria Agatha en son for intérieur. Fais comme la dernière fois ! Allez ! » Mais plus rien ne sortit des mains de Feng. Celle-ci, toute rouge, s’enfuit en courant devant une assemblée stupéfaite. Sa famille s’écarta pour la rejoindre. Agatha sentit son cœur s’effondrer. Pourquoi ? Pourquoi n’avait-elle pas réussi ? Elle était si douée ! Que s’était-il passé ? Et elle se sentit encore plus coupable que jamais.

Volva appela au calme pour faire taire tous les bavardages qui allaient bon train et appela les dernières candidates. Mais Agatha ne les regarda même pas. Elle s’en fichait. Elle souhaitait même que les Doyennes ne l’admissent pas aux cours supérieurs. À la fin, Alberich se leva et clama :

— Vous avez toutes bien travaillé ! Nous allons délibérer afin de décider de votre passage aux cours supérieurs de magie. Pendant ce temps, profitez des boissons et de la nourriture à votre disposition préparées par nos talentueuses sorcières. Remercions alors, Siobhan, Panacée et Cronos pour leurs délicieuses préparations. Remercions également Dionys, Silenis et Maia pour leurs goûteux breuvages. »

L’assemblée se dispersa pour s’installer sur les tabourets, les bancs, les rochers ou les citrouilles à disposition. Siobhan servit des parts de gâteaux à tour de bras tandis qu’Agatha grignota la sienne sans entrain. Puis, elle eut une idée.

— Maman ?

— Oui… une part pour vous et pour le petit. D’accord… oui ma chérie ? Alors deux parts de tarte de tarte et trois de pudding aux châtaignes. Très bien.

— Est-ce que je peux garder une part pour Feng s’il te plaît ?

— Voici pour vous… Oui ma chérie, sers-toi ! Ça lui fera très plaisir. Alors, Zora, qu’est-ce que je vous sers ? »

Pendant que tout le monde discutait, mangeait et buvait, personne ne vit la brume qui recouvrait les racines de la forêt. Ce n’était pas une brume blanche ordinaire mais une sorte de volute verdâtre et froide. Quand tout le monde se rassembla autour des Doyennes, il fut impossible de l’ignorer.

— C’est quoi ? clama un petit enfant.

— C’est normal ? demanda quelqu’un d’autre.

Mais en observant l’expression ahurie des Doyennes, on sut rapidement que rien n’était normal dans cette brume nauséabonde. Au bout d’un certain temps, Doussou Damba se releva et clama :

— Citoyens du Crépuscule, par sécurité, préparez vos sorts de défense mais ne les lancez qu’à notre signal ! »

Prises d’inquiétude, les sorcières adultes, firent des gestes complexes avec les mains. Glyphes, runes, baguettes, bulles de protection, tout était prêt pour se défendre. Les enfants restèrent cachées derrière leurs parentes pendant que la brume passait à travers les pieds. On les leva pour tenter de l’éviter mais en vain. Cependant, elle semblait inoffensive. La vapeur verte poursuivit son chemin tentaculaire jusqu’au centre de la grande place, là où les enfants s’étaient trouvées une heure auparavant. Soudain, une déflagration ! Tout le monde fut projeté en arrière dans des cris de panique ! La tête d'Agatha heurta une citrouille, près de sa mère. Elle se redressa, sonnée. Sa fiole de potion s’était brisée et son contenu ruissela sur le sol herbeux.

La brume qui avait explosé devint une monstrueuse tornade de fumée qui produisit une lumière aveuglante. Tout le monde s’agrippa afin de ne pas être emportée. La terreur avait gagné tout le village ! Agatha se sentit basculer vers le typhon furieux mais fut retenue in extremis par la main puissante de sa mère.

Silence. Calme. Noir.

Le tourbillon avait disparu. Les guirlandes s’étaient éteintes, pendouillant lamentablement aux branches. Personne n’osa se relever au milieu du chaos, tout le monde attendait, sur la défensive. Nouvelle déflagration de lumière ! Cris de panique ! Une lumière verdâtre éclata et aveugla momentanément les villageoises et les villageois ! Puis, elle s’atténua, s’atténua, s’atténua jusqu’à former une petite masse sombre et biscornue, environnée de volutes putrides. C’était une vieille femme laide et loqueteuse dont le regard orageux furetait parmi les sorcières. Elle tenait un grand bâton ensorcelé et un drôle d’objet qu’Agatha ne connaissait pas. Soudain, elle pointa un long doigt tordu vers l’assemblée et hurla d’une voix caverneuse :

— Maudites ! Vous avez brisé notre accord de paix en volant ma précieuse relique ! Préparez-vous à en subir les conséquences. Mes sœurs et moi-même avons un furieux appétit ! »


Texte publié par Les Carnets d’Outremonde, 3 mai 2025 à 11h38
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 2 « Une Cérémonie explosive » tome 1, Chapitre 2
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
3098 histoires publiées
1362 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Floppy Snow
LeConteur.fr 2013-2025 © Tous droits réservés