Une odeur de vanille flottait dans l'atmosphère douillette de la pâtisserie. Maman s'amusait souvent à mélanger les goûts et odeurs pour réjouir le palais de ses clients. On tenait une petite boutique charmante et bien rangée, dans le coin de la rue Mozard, et le soleil semblait briller plus fort au détour de la ruelle.
Le petit village campagnard où nous avons construit notre bonheur avait un nom très floral et poétique.
Les murs protecteurs d'Heyiol nous entouraient et le marché matinal du samedi se trouvait souvent à l'extrémité. Les habitants étaient courtois et j'allais souvent fouiner dans les stands montés à la va-vite sur la place pour trouver un tissu rare ou une jolie babiole à offrir à maman. Elle était si malheureuse d'avoir dû quitter sa ville natale pour venir s'isoler dans un village perdu. Moi, j'étais toute petite, mais je me rappelais qu'elle fondait en larmes le soir, lorsqu'elle se croyait seule, à l'abri dans son grand lit de bois.
Je l'aidais à vendre le pain doré et les croissants tout chauds, mais je ne pouvais pas m'empêcher de croquer dans le bonbon bleu au myosotis qu'elle m'offrait parfois en souriant d'un air faussement heureux. Je faisais semblant aussi, en étirant mes lèvres jusqu'aux oreilles. Ses yeux bleus, délavés par la tristesse, se reflétaient dans mes pupilles ; mes iris turquoises étincelaient, pleines de vie. Je la regardais intensément, avec l'amour sincère d'une fillette qui croyait encore aux licornes arc-en-ciel ; et je lui murmurais un "je t'aime" qui sortait du plus profond de mon cœur.
Le jour où tout avait basculé, je me trouvais dans l'arrière-boutique ; et maman dans la petite chambrette au-dessus. Elle se reposait tranquillement, son vieux visage se ridant au fur et à mesure du temps passant. De mon côté ; je grandissais en m'affinant. Ma poitrine avait poussé et j'avais gagné en maturité. Seulement, j'aurais voulu que mes oreilles cessent de fonctionner, car les pleurs de ma mère se faisaient de plus en plus intenses et de plus en plus désespérés.
Je vendais toujours les viennoiseries avec enthousiasme, mais la mélancolie me happait, volant les plaisirs de la vie pourtant si précieux.
Ma mère m'appela à son chevet. Cela faisait maintenant deux ans que la maladie consumait son cœur déjà meurtri. Elle me murmura des mots avec une voix très douce, inhabituelle.
- Je vais mourir.
Que disais-tu maman ? Cela faisait depuis ma naissance que tu avais décidé de mourir. Je ne t'avais jamais connu avec un vrai sourire et voilà qu'aux portes de la mort, tes lèvres se hissaient toutes seules, sans le moindre effort.
Que le bonbon bleu était amer dans ma bouche !
Mais maman, tu paraissais si heureuse de me quitter que ton vieux corps tremblait de joie. J'étais intelligente, maman. Malgré tes sourires forcés, tes bonbons au myosotis, ton soi-disant amour...
Tu ne m'avais jamais aimé.
Ces mots, j'aurais voulu te les cracher à la figure. Seulement, j'ai fait comme toutes les filles qui perdaient leur mère faisaient. Je t'ai pleuré. Et lorsque tu étais partie pour de bon, j'ai eu envie de savoir. Pourquoi n'aimais-tu pas ta fille ?
Alors, j'ai su.
Un viol.
Je suis née, moi, Flavia, d'un viol. Ta fille, l'amour, la joie. Envolés. Rien que le dégoût et la haine. Et je savais pourquoi tu m'avais donné la vie.
Une pièce à conviction, une preuve. Pour retrouver le père. Se venger.
Je serai ta justice, maman. Tu seras ma lame. Je prendrai la vie à celui qui te l'a rongée pendant toutes ces années.
Je serai ta vengeance.
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