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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

HORLECH

Le sable avait l’odeur des braises. Et la couleur du sang.

Morgren ahanait, l’éclat en ligne de mire. Dans ce désert brûlant, le reflet métallique aperçu au loin était devenu son but, sa quête.

Ses vêtements lacérés collaient à sa peau. Sable, sueur et sang emmêlaient ses cheveux bouclés, maculaient sa barbe drue d’une boue poisseuse. Chaque respiration embrasait ses poumons, desséchait ses lèvres craquelées.

Il gravissait les dunes, les jambes empesées. Ne ménageant pas ses efforts, comme s’il s’agissait d’une course, comme s’il lui fallait arriver le premier, quoi qu’il en coûte.

Et il lui fallait arriver le premier. Quoi qu’il en coûte. Avant l’ombre. Elle avançait derrière lui, engloutissant peu à peu les dunes, son corps impalpable déployé dans une infinie démesure.

Ce n’était pas l’ombre qu’il redoutait, mais ce qu’il en sortait. Un peu de fraîcheur ?…Plutôt une froideur d’outre-tombe, tranchante et ciselée, de crocs et de griffes.

Le jeune orkalien se souvenait de la première nuit dans le Horlech. Oh oui, il s’en souvenait… Il avait failli y laisser sa peau. Ceux qui l'avaient jeté dans cet enfer lui avaient laissé pour seule arme un simple couteau. Mais il avait entaillé, entaillé, entaillé dans la chair immonde et caoutchouteuse, jusqu’au dernier cri d’agonie de la bête ! Elle lui était tombée dessus, sortie de l’ombre. Des ailes écarlates et une gueule affûtée. Créature de la nuit pour cauchemar glacé.

Il en avait réchappé par miracle. Ouais… Il contempla les sillons noirs gravés dans ses mains. Ici se niche ton pouvoir, lui avait-on dit. Il te suffit de convoquer l’orflux.

L’Académie l’avait bien travaillé. Érudit, combattant, avisé. Un parfait Cytark.

Je suis multitude et ma force est vôtre… Mon corps est mon esprit… Mon esprit est mon corps… Il secoua la tête en ricanant. « Conneries, mon petit maître ! » Tout ce qu’il avait appris n’aurait pas empêché qu’il se fasse écharper et dévorer tout cru. De la chance, c’était tout. On ne ressortait pas vainqueur de ce genre de prédateur. On fuyait, on esquivait, on se terrait.

Il avait juste perdu un œil. Une paille. Il aurait pu, il aurait dû être haché en morceau.

Sa main glissa sur le bandeau reptilien qui lui ceignait le crâne, masquant son œil crevé. O ma chance, ma putain, ma reine ! Qu’est-ce que j’ai fait ? … Hein ? … Dites ! …

Lentement, il leva la tête vers le ciel lisse et bleu. Je ne me souviens pas… J’avais bu. Je crois j’avais bu. Et après ? …

Des bribes de souvenirs affluaient mais dans un chaos insaisissable. La seule image qui lui parvenait, nette et précise, était celle d’une bâtisse. Un tétraèdre, colossal et ténébreux. L’Académie orkalienne. Avec ses colonnes en métal et ses stries noires. Et sur son fronton de marbre, cette inscription :

Mystère, Misère et Mort.

Trois mots gravés pour l’éternité dans leurs lettres d’or et de grenat.

Mais ce souvenir en masquait un autre. La veille de son avènement. Et de son réveil dans ce désert infernal.

Le Conseil orkalien

Il fronça les sourcils. L’institution suprême avait-elle joué un rôle ? Il était sur le point de l’intégrer. C’était dans l’ordre des choses. N’avait-il pas montré ses capacités, enduré et réussi toutes les épreuves ?... Il n’était pas du sérail. Un transfuge, une basse extraction. Un Dorykan. Il se mordit les lèvres. Était-ce pour cela ? Possible… Mais il n’était pas le premier. Il y avait eu des précédents. Sur les dernières décennies, un petit nombre d’hommes et de femmes issus des couches inférieures avait réussi à pénétrer l’enceinte sacrée des Cytarks.

Asriel Melartok, Godrin Lehent, Malekias Valrun, trois prélats bien assis issus du bas-peuple. Trois anciens Dorykans. Et qui siégeaient toujours.

Les visages des trois conseillers tournèrent dans son esprit. Avaient-ils participé à son ostracisme, sa mise au rebut ?

Et vous, Laoch Mecialès, mon petit maître, que diriez-vous de tout ça ? Du fond de votre retraite, ça doit vous faire ni chaud ni froid. Vous m’avez enseigné que l’improbable est…

Ses lèvres frémirent soudain.

Eliz… Avait-elle… ? Son esprit refoula l’hypothèse. Sa propre femme, son épouse aimée et chérie. Il secoua la tête. Hors-sujet. Cette évocation attisait sa colère, décuplait sa rage. Si jamais il t’arrivait malheur…

Il devait sortir de là. Il y mettrait toute son énergie, mobiliserait toutes ses forces, ses capacités et son savoir.

Et l’orflux, bien entendu.

Un soupir de dépit glissa sur ses lèvres meurtries.

À sa connaissance, personne n’était jamais sorti du Horlech, de la prison sans mur. Il n’avait aucune chance de trouver la sortie de ce labyrinthe aux parois invisibles.

Aucune chance. Ouais. J’ai entendu ça toute ma vie… Les poings serrés, il lança au ciel impavide un rire sarcastique en hurlant : « Toute ma vie ! »

Derrière lui, l’ombre avançait toujours plus vite. Il pressa le pas, luttant pour ne pas s’enliser dans le sable rouge. Ses cuisses brûlaient, menaçant de se déchirer à chaque mouvement.

Les dunes ne lui facilitaient pas la course, se dressant comme des vagues toujours plus hautes et massives au fur et à mesure qu’il s’approchait de l’éclat.

En haut d’une crête effilée, son pied droit s’enfonça soudain. Il perdit l’équilibre et roula sur la pente abrupte qui se trouvait de l’autre côté. Sa chute dura quelques secondes. Il reprit son souffle et recracha un peu de sable. Puis, péniblement il se redressa.

Rien de cassé, rien de foulé ni tordu. Blessé, il aurait été foutu. Une proie trop facile.

Il regarda droit devant lui, bouche bée. Une carlingue éventrée gisait à une centaine de mètres. Un glisseur orkalien… Ici, la surface était plane, compacte. Il tourna la tête. L’ombre était sur le point d’engloutir la dune qu’il venait de dévaler. Il puisa dans ses dernières forces et courut aussi vite qu’il le put en direction de la carlingue.

Arrivé près de l’épave oblongue, il s’arrêta, essoufflé. Un large trou béait sur le flanc de la tôle ensablée. La porte avait été arrachée. Il donna un grand coup de pied dans le glisseur et attendit, l’oreille alerte, son couteau à la main. Les pièges étaient nombreux, vicieux, fatals.

Non.'Y a rien là-dedans. À demi rassuré, il passa la tête et inspecta méthodiquement l’intérieur du vaisseau. Des lanières de cuir pendaient entre des restes de sièges éventrés. Des bouts de métal, de verre, des objets cassés, des papiers jaunis ou brûlés. Il enregistra mentalement tout ce qui pouvait lui servir et s’intéressa à l’avant de l’épave. Si seulement il y avait une arme…

Le cockpit était enfoncé aux trois-quarts dans le sable. Seul le sommet des sièges dépassait. Un objet émergeait, là où jadis se trouvait la vitre.

Il s’approcha et tendit la main avec précaution. Ses doigts grattèrent doucement le sable. Une boîte… Il déblaya avec frénésie le pourtour de l’objet métallique, au risque de se blesser sur les bouts de verre ensevelis. Une poignée apparut bientôt. Il tira d’un coup sec et sourit. Une trousse de secours… La précieuse boîte calée contre sa poitrine, il rampa vers l’arrière de la carlingue. À cet endroit, le plafond était plus haut. Il saisit ce qui semblait être un reste d’accoudoir, s’en servit comme pelle et érigea un petit mur de sable. Il laissa une mince ouverture entre le mur et le plafond et y inséra le reste d’accoudoir. Couteau au clair, il s’allongea dans l’espace clos ainsi créé.

La lumière déclina rapidement et l’ombre engloutit le vaisseau.

Morgren se tint immobile, attentif au silence de l’obscurité.

Il devait attendre ainsi, transi, le corps en souffrance.

Alors il attendit.

Et entendit…

D’abord des petits bruissements. Comme du vent qui souffle. Puis qui se met à claquer. De plus en plus fort. Enfin, des battements d’ailes, réguliers, vindicatifs. Qui s’approchent. S’approchent. S’approchent encore...

La carlingue se mit à trembler.

Il se raidit, la mâchoire serrée.

Les battements cessèrent d’un coup.

Il voulut déglutir, se retint. Sa main fébrile enserra le couteau. Si fort que ses doigts blanchirent.

Un cri strident déchira le silence et vint percuter ses tympans. Quelque chose de froid agrippa ses entrailles tandis qu’un long frisson traversa son corps.

La carlingue trembla de nouveau. Puis les claquements reprirent. Et s’éloignèrent…

Tétanisé, il attendit, lèvres closes.

Et n’entendit plus rien.

Incapable de bouger, il laissa le temps s’écouler.

Enfin, émergeant de sa torpeur, il s’épongea le front, expulsa l’air de ses poumons, aspira une franche goulée, puis expira de nouveau.

Il était à l’abri dans le ventre du glisseur. Un improbable cocon de métal et de sable.

Avec précaution, il vida la trousse sur ses genoux et prit ce dont il avait besoin pour nettoyer son œil. Puis il ôta avec peine sa tunique souillée de crasse et de sang et nettoya toutes ses plaies.

Le regard vide, il mâcha lentement une pâte alimentaire.

Tous ces gestes lui avaient pris ses dernières forces. Alors, il essuya les larmes qui perlaient à ses yeux gris, referma ses doigts sur ses paumes tavelées et s’endormit, sans entendre au loin murmurer le vent.


Texte publié par Carmin, 5 mai 2025 à 13h00
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