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tome 1, Chapitre 12 « Ella Faureval » tome 1, Chapitre 12

Glossaire disponible dans le prologue

Cycle des Sphères

Année de la Huitième Sphère

Ronde du Reflux des Marées

Olen 18 - Noxen

Ella resta le bec ouvert plusieurs secondes en voyant, à travers ses yeux de corbeau, un cadavre revenir à la vie. L’homme que les esprits appelaient le démon venait de réaliser l’impensable : interférer avec l’Éthéra d’une manière qu’elle n’aurait jamais envisagée. Elle en était stupéfaite.

Toutefois, elle constata vite les limites de cette réanimation. Le cadavre ne semblait ni capable de parler, ni même de se mouvoir aisément. L’homme qui se tenait au-dessus de lui sortit un couteau de la poche de son long manteau noir et l’approcha du corps. La lame, parfaitement aiguisée, trancha la peau sans difficulté. Le cadavre, impuissant, ne pouvait qu’assister à la scène.

Ella ne sut dire s’il souffrait ; elle ne voyait pas assez son visage pour en lire les expressions, s’il en avait encore. Un morceau de chair fut arraché au niveau du bras. L’homme le saisit entre ses doigts, l’examina, puis l’avala sans la moindre hésitation.

Ella, choquée, resta figée. Elle aurait dû réagir, attaquer cet homme qui profanait les tombes, qui extrayait les cadavres de l’Éthéra ou pire, de Fénora. Mais elle était trop stupéfaite. Son horreur la laissait curieuse. Elle voulait voir ce qu’il ferait ensuite.

L’homme fut soudain pris d’un spasme. Il rejeta la tête en arrière, les bras ballants, et ses yeux rouge sang devinrent blancs. Il était entré dans une transe, ce qui fascina Ella. Son corps convulsa, luttant contre quelque chose d’invisible. L’effet était hypnotisant. Puis, les convulsions cessèrent. Son corps se relâcha, et ses yeux reprirent leur couleur rouge sang. Il inspira profondément, puis tendit la main vers le ciel.

Un éclair jaillit et frappa le cadavre, le foudroyant sur place. Ella retint un croassement de surprise. Le corps mourut à nouveau et son esprit apparut au-dessus de sa tombe. Elle constata la démence de l’âme : un regard hagard, incapable de parler ou de s’orienter. Il était devenu un vagabond, condamné à errer à jamais dans l’Éthéra.

Le cœur d’Ella se serra de tristesse. Elle compatissait à ce destin et ressentit aussi de la culpabilité. Si elle était intervenue, aurait-elle pu empêcher cela ? Elle n’en était pas certaine. Elle décida d’étouffer ce remords et de se concentrer sur l’homme.

Il referma le cercueil, reprit sa pelle et remit la terre en place. Lorsqu’il eut fini, il sortit de sa poche une somptueuse rose bleue et la déposa devant la pierre tombale. Ella s’interrogea sur sa signification. Était-ce une signature ? Un hommage ?

Il épousseta ses vêtements, tendit les mains paumes vers le sol, et une brume noire épaisse s’étendit autour de lui, effaçant toute trace de son passage. Ella admira la diversité des pouvoirs qu’il semblait maîtriser. Foudre, brume, et sans doute bien plus encore.

Seuls les synergistes de très haut niveau voyaient apparaître de nouveaux pouvoirs principaux. Cet homme était donc un archon, le plus rare et puissant des synergistes. Ella aurait dû avoir peur, mais c’était l’inverse. La fascination battait dans sa poitrine.

L’homme resta un moment, les yeux fixés sur la pierre tombale. Puis il s’éloigna, sans laisser la moindre empreinte. Ella commença à bouger, prête à reprendre sa forme humaine et à rentrer. Elle aimait ces métamorphoses animales, mais elles devenaient vite inconfortables, surtout dans un corps de si petite taille.

Alors qu’il passait près d’elle pour rejoindre le sentier pavé, l’homme s’arrêta soudain. Il leva les yeux et fixa Ella, perchée sur sa branche. Elle cessa de respirer, espérant passer inaperçue. Mais c’était trop tard. Il approchait déjà.

— Un pouvoir de transformation connexionnelle… impressionnant, mais insuffisant, dit-il d’une voix grave et puissante qui fit frissonner Ella. Dévoile-toi, ou je m’en chargerai.

Elle ignorait s’il en avait réellement le pouvoir, mais elle préférait ne pas le découvrir. Les archons étaient dotés d’une puissance inimaginable. Mieux valait obéir.

Elle sauta de la branche, reprit forme humaine, et récupéra sa robe dans son sac en toile pour se couvrir.

L’homme la fixait de ses yeux rouge sang, la rendant totalement vulnérable. Les souvenirs de la scène vécue plus tôt lui revinrent en mémoire, et un flot d’émotions la submergea tandis qu’il s’approchait d’elle, tel un prédateur.

— Pourquoi ? demanda-t-il sans cesser de la dévisager.

— Po… pourquoi ? répéta-t-elle, prise au dépourvu.

— Pourquoi être restée à regarder alors que cela te dégoûtait et te mettait mal à l’aise ?

— Je…

Ella ne sut quoi répondre. Elle pensait qu’il allait la tuer pour l’avoir espionné, mais il se contentait de la fixer, sans s’avancer davantage. La lumière des lampadaires maintenait son visage dans l’ombre.

— Tu cherches un moyen d’échapper à ta propre fin, n’est-ce pas ? Et pourtant, tu juges ma manière d’y parvenir. Curieux paradoxe.

— Je ne te juge pas, répondit-elle, rassemblant son courage face à l’aura terrifiante qu’il dégageait. Et je ne cherche pas à fuir ma fin.

— Vraiment ? Alors cette marque maudite sur ton visage, c’est pour faire joli ?

— Ce…

— Assume tes erreurs et sois prête à tout pour les corriger.

Elle resta silencieuse. Il parlait comme s’il connaissait son histoire et ce qu’elle ressentait.

— Dis-moi, si un homme donne sa vie pour un autre, son âme lui appartient-elle encore ?

— Tu prends sa vie. Il ne te la donne pas, rectifia-t-elle en le fixant droit dans les yeux.

Cela le fit rire.

— Tu oublies un détail : ils sont déjà tous morts, dit-il en ouvrant les bras pour désigner le cimetière.

— Tu profanes leurs tombes, tu les réanimes, tu les mutiles et tu les manges. N’as-tu donc aucun respect pour la vie ?

— Du respect pour la vie ? Ils sont morts.

— La vie ne s’arrête pas à Quenara, répondit Ella, la voix de plus en plus assurée. Leur esprit continue de vivre dans l’Éthéra et dans Fénora. Tu te rends compte que les cadavres que tu réanimes ne pourront plus jamais atteindre Fénora ?

— Ce qu’ils ont à m’offrir est plus précieux que leur errance. Ces esprits s’accrochent à des illusions et des souvenirs fanés. Moi, je leur donne un but.

— Tu les condamnes à errer. La plupart sont parfaitement conscients de ce qu’ils sont.

— De ce qu’ils étaient, corrigea-t-il. Ces cadavres n’ont plus de volonté propre. Ce ne sont que des coquilles vides. Je ne fais que réclamer ce qui n’a plus d’utilité.

— Il existe d’autres moyens d’agir.

— Qui cherches-tu à convaincre, toi ou moi ?

Il lui tourna le dos et s’éloigna de quelques pas, signe que leur échange touchait à sa fin. Puis, il se retourna une dernière fois.

— Tu prétends vouloir briser une malédiction, mais chacun de tes pas t’éloigne de ton but. Si c’était vraiment ta seule quête, tu ne m’aurais pas attendu ici ce soir.

Elle resta interdite. Comment avait-il percé ses intentions aussi vite ? Était-elle si prévisible ? Son esprit se brouilla et une migraine commença à poindre.

— Comment te trouver ? lança-t-elle.

— Je serai là le Farel 3, à Noxen, répondit-il avant de disparaître comme une ombre.

Ella fixa l’endroit où il s’était tenu, puis décida de rentrer. Les esprits sortaient déjà de leur cachette et elle n’avait pas envie d’entendre leurs sermons. Elle était certaine qu’ils avaient tout vu, et surtout tout entendu.


Texte publié par Aihle S. Baye, 2 juillet 2025 à 11h30
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