Glossaire disponible dans le prologue
Cycle des Sphères
Année de la Huitième Sphère
Ronde du Reflux des Marées
Olen 18 - Noxen
— Vous êtes encore là ? fit remarquer Virine en apparaissant devant le corbeau perché sur une branche.
L’animal lui répondit par un croassement, puis se laissa tomber de son perchoir pour reprendre forme humaine. Ella récupéra une robe de soie et s’en drapa devant l’esprit, qui continuait de la fixer avec sévérité, telle une mère confrontée à la bêtise de son enfant.
— Pourquoi persistez-vous ? ne put-elle s’empêcher de demander. C’est un homme dangereux, ce qu’il fait...
— C’est atroce, termina Ella. Mais comprenez que je n’ai plus le choix.
— Peut-être puis-je vous aider. Dites-moi ce que vous cherchez si ardemment.
Ella la regarda un moment, puis céda. Elle ne perdrait rien à demander de l’aide, sinon un peu de temps, et celui-ci ne lui manquait pas. Depuis plusieurs Noxen, elle venait au cimetière dans l’espoir d’y croiser le nécrophage, celui que les esprits appelaient le démon.
— Sauriez-vous où trouver un miroir ancien, fissuré, imprégné de mort… ou un cristal pur façonné à partir de gemmes lunaires ou d’un fragment d’étoile terrestre ?
L’esprit vacilla. La peur s’empara d’elle.
— De tels objets… commença Virine d’une voix tremblante, n’ont qu’une seule et unique utilité.
Ella regretta aussitôt sa question. Elle devinait déjà la suite.
— Vous cherchez ces objets pour accomplir des rituels et lever votre malédiction, affirma-t-elle.
— C’est le seul moyen, se défendit Ella sans grande conviction.
— Avez-vous mesuré les risques ?
— Je n’ai rien à perdre.
— Et les vivants de Quenara ? Et les esprits de l’Éthéra ? Sans parler de Fénora. Avez-vous seulement songé à ce qui vous entoure ?
L’esprit la sermonnait comme une enfant égoïste. Pourtant, Ella avait tout sacrifié pour les Veilleuses du Chant de Vie. Elle avait offert son temps, son pouvoir, sa dévotion à la faune, à la flore, à la communauté. Comment pouvait-on la juger égoïste ? Elle s’était entraînée sans relâche pour être à la hauteur du devoir… mais elle avait trop donné, et en retour, la malédiction marquait son visage comme un fardeau.
— Vous vous voyez comme une victime ? Mais n’oubliez pas : vous êtes la seule responsable de vos choix.
— Vous ne savez rien de mon histoire, répondit Ella sèchement.
— Les esprits savent beaucoup de choses, Ella Faureval. Ne l’oubliez pas. Votre sort est tragique, je le reconnais, mais n’en rejetez pas la faute sur d’autres.
— Si vous avez terminé votre sermon, je ne vous retiens pas. Le cimetière est vaste, vous trouverez un autre endroit où errer.
— Comme vous voudrez.
Virine fit quelques pas, puis revint sur ses pas.
— Permettez-moi une dernière mise en garde avant de vous laisser.
Ella soupira, mais hocha la tête.
— Le rituel du Sacrifice du Souffle Luminal comporte des risques. Si l’âme invoquée est tourmentée ou mal intentionnée, elle pourrait se retourner contre vous et réclamer votre essence en échange, expliqua-t-elle d’une voix grave. Quant au Miroir des Rêves Fracturés, il est le plus dangereux des deux. Si le miroir se brise trop, cela pourrait fendre la barrière entre les mondes, vous exposant à des visions insoutenables… et à l’invasion d’esprits malveillants, aussi puissants que des archons synergistes.
— Comment savez-vous qu’il s’agit de ces rituels ? Et comment les connaissez-vous ?
— Je vous l’ai dit : les esprits savent beaucoup de choses. Réfléchissez. Est-ce que cela vaut vraiment la peine de mettre en péril les mondes ?
Sur ces mots, l’esprit s’éloigna et disparut sans laisser de trace.
Ella s’appuya contre le tronc de l’arbre sur lequel elle était perchée quelques instants plus tôt, puis glissa jusqu’à l’herbe humide, l’esprit en désordre. Qu’était-elle en train de faire ? Mettait-elle réellement les trois mondes en danger ? Elle connaissait les risques, mais elle pensait qu’ils étaient maîtrisables… Avait-elle tort ?
Et pourquoi attendait-elle le démon, Noxen après Noxen ? Elle parlait aux esprits, elle avait des pistes. Que pouvait-il lui apporter, lui ? Elle ne le savait même plus. Pourquoi ce besoin de le voir ? De le rencontrer ? Il ne détenait pas les objets nécessaires aux rituels. Alors que faisait-elle ici, assise au sol dans ce cimetière glacé ?
Elle se releva lentement, prenant appui sur le tronc millénaire, et se dirigea vers la sortie d’un pas lourd.
C’est alors qu’elle réalisa que le silence était absolu. Plus un souffle, plus un insecte. Même le vent s’était tu. Elle s’arrêta, scruta les alentours… et le vit.
L’homme que les esprits nommaient le démon.
Il marchait à travers les tombes, une pelle à la main, avec l’assurance de celui qui règne sur ces lieux. Ella recula, silencieuse, retourna vers l’arbre, ôta sa robe de soie, et se transforma en corbeau. Nichée dans les branches, elle l’observa.
L’homme, vêtu d’un long manteau noir et d’une capuche dissimulant son visage, s’arrêta devant une vieille pierre tombale couverte de mousse. Il s’agenouilla, révélant un profil marqué par des yeux rouge sang. Après avoir nettoyé la tombe, il se redressa et commença à creuser, avec une aisance déroutante.
Ella se sentit mal à l’aise. Elle savait ce qu’il allait faire. Et pourtant, elle resta, figée sur sa branche, à l’observer.
Il reposa sa pelle, se pencha au-dessus du trou, puis ouvrit le cercueil en bois sans le moindre effort.
À l’intérieur : un homme au corps intact. Un synergiste.
À leur mort, les synergistes ralentissaient naturellement leur décomposition grâce à leur pouvoir élémentaire. Cette phase pouvait durer une Ronde ou plus, selon leur maîtrise, avant que le corps ne commence à se dissiper. Certains archons ne se désintégraient qu’au bout de dix Cycles.
Celui-ci semblait tout juste décédé. Peut-être une ou deux Rondes. Difficile à dire.
Il avait des cheveux noirs, soigneusement coiffés, avec des mèches orange sur le devant et bleues sur les côtés, un style étrange, mais fréquent chez les synergistes, qui expérimentaient souvent leur apparence au fil des Cycles. Une barbe balbo, parfaitement taillée, soulignait son visage marqué de rides légères. Ella estima son âge à une soixantaine d’Années. Mais pour un synergiste, cela équivalait à une cinquantaine humaine.
L’homme au-dessus du cercueil tendit sa main droite, paume vers le ciel. Un grondement sourd s’éleva alors que des nuages sombres s’amoncelaient. Un éclair jaillit des cieux, traversa le cimetière, et frappa sa main avec une violence inouïe. L’arbre d’Ella trembla sous l’impact, manquant de la faire tomber.
Elle s’accrocha à la branche, fascinée.
L’homme abaissa sa main, la posa sur le torse du cadavre. L’électricité se déversa dans le corps, comme un défibrillateur mystique. Trois impulsions suffirent.
Le mort ouvrit les yeux. Son cœur battait à nouveau.
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