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tome 1, Chapitre 10 « Suri Kilaspel » tome 1, Chapitre 10

Glossaire disponible dans le prologue

Cycle des Sphères

Année de la Huitième Sphère

Ronde du Reflux des Marées

Sima 16 - Noxen

Suri fixait le plafond de sa chambre, éclairée par les lampadaires de la rue dont la lumière filtrait à travers les rideaux tirés. Impossible de trouver le sommeil. Sa conversation avec Lior tournait en boucle dans son esprit. Elle avait tenté de penser à autre chose, mais revenait toujours à l’abbaye, à ses enfants prisonniers des nécromanciens.

Avec un soupir résigné, elle s’extirpa du lit. Elle ne dormirait pas cette nuit. Dehors, la ville n’était pas encore endormie. Les restaurants servaient leurs derniers clients, et l’air frais du soir caressa son visage tandis qu’elle marchait, apaisant peu à peu son esprit.

Elle s’arrêta devant La Synergie, le bar le plus réputé de l’île principale de Duléro. Les lettres lumineuses de l’enseigne brillaient, incitant à y entrer. Des rires filtraient jusqu’au trottoir. L’ambiance chaleureuse lui donnait envie d’un verre… mais la foule la dissuada. À travers les vitres, elle distinguait déjà les voiles énergétiques qui enveloppaient les synergistes. Ce lieu leur était dédié, même si les humains y étaient tolérés, peu osaient franchir la porte, et encore moins seuls.

— Vous n’entrez pas ?

Suri sursauta. Un homme à la peau pâle et aux yeux rouge sang lui souriait calmement. Elle resta muette, encore bouleversée par les révélations de la soirée.

— Vous n’avez pas l’air bien, remarqua-t-il. Je vous offre un verre ?

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, répondit-elle en revenant doucement à la réalité.

— Ça vous ferait du bien. Ne vous inquiétez pas, je ne suis ni tueur en série ni psychopathe.

L'évocation la fit sourire, malgré elle.

Elle hésita, regardant l’intérieur du bar. Elle avait envie de se changer les idées, mais l’idée de se mêler à la foule l’angoissait.

— S’il vous plaît… je n’ai pas envie d’être seul. Vous m’accordez un verre ?

Elle finit par céder, touchée par sa bienveillance.

À l’intérieur, il la guida jusqu’au comptoir où deux barmans s’affairaient. Suri balaya la salle du regard, tendue. Heureusement, les groupes étaient suffisamment éloignés pour ne pas la submerger. Les voiles énergétiques restaient à distance, et elle respirait encore librement.

— Une bière, s’il vous plaît, dit l’homme en s’adressant au barman, puis il se tourna vers elle. Et vous ?

Le barman leva les yeux vers elle. Leurs regards se croisèrent, et Suri reconnut aussitôt le voile lumineux : un synergiste de lumière, comme elle.

— Que puis-je vous servir ? demanda-t-il d’une voix douce, sans la quitter des yeux.

— Un mojito.

— Je vous prépare ça, répondit-il avec un sourire auquel elle ne put résister.

Il prépara les verres et les posa devant eux, toujours en la regardant.

— Eryas, va chercher des glaçons, s’il te plaît ? lança son collègue.

— Navré, je dois vous laisser, s’excusa-t-il avant de disparaître derrière une porte.

— Il vous apprécie, glissa l’homme à ses côtés.

— C’est un serveur. Il est juste poli.

— Vous appelez ça de la politesse ? Il ne vous lâchait pas du regard.

Il désigna Eryas, revenu avec un seau de glaçons. Suri sourit, mal à l’aise, et prit une gorgée de son verre. Elle-même n’arrivait pas à détourner les yeux. Une force étrange semblait les relier.

Un mythe circulait chez les synergistes : deux êtres partageant la même source principale et des spécificités complémentaires étaient irrésistiblement attirés l’un par l’autre. Une légende d’âmes sœurs énergétiques, vouées à ne faire qu’un.

Suri croyait à ce mythe, ses parents en étaient la preuve vivante, mais elle ne voulait pas que sa vie amoureuse soit dictée par une légende. Elle voulait choisir, tomber, se relever, apprendre. Si Eryas était vraiment son âme sœur, alors ils se retrouveraient, un jour.

— Comment vous appelez-vous ? demanda l’homme après une gorgée de bière.

— Suri Kilaspel.

— Enchanté. Kaye.

— Vous n’avez pas de nom de famille ?

Il sourit, but de nouveau, puis répondit :

— Duvallis. Kaye Duvallis.

— Enchantée, Kaye Duvallis.

Ils échangèrent une poignée de main.

Le décor bascula.

Suri sentit le sol se dérober sous ses pieds. Le bar disparut, remplacé par une obscurité totale. Un vide angoissant. Elle tenta un pas, sans certitude d’avancer. Un souffle chaud effleura sa nuque. Un frisson la parcourut. Elle se retourna, paniquée, mais ne vit rien.

Elle soupira, tenta de reprendre sa marche.

Deux yeux rouge sang apparurent devant son visage. Un sourire cruel découvrit des dents blanches. Suri recula, puis courut à en perdre haleine. La chose la suivait. Elle entendait ses pas, sentait sa présence.

Son pouvoir ne pouvait l’aider, il ne servait qu’à percevoir les synergistes. Pas à se défendre.

Elle courut sans fin, guidée par son instinct, jusqu’à s’effondrer au sol, exténuée. Des pas résonnaient encore derrière elle. Elle tenta de se relever, chuta de nouveau, et se cogna le front. Reprenant ses esprits, elle aperçut des traces brillantes au sol.

Elle se remit debout, les suivit autant que ses jambes le permettaient. Mais les empreintes disparurent. L’obscurité reprit tout.

À tâtons, elle trouva une surface rugueuse : une porte. Elle chercha la poignée à l’aveugle, la tourna… et s’échappa.

De retour dans le bar, Suri sourit à Kaye, lâcha sa main et reprit son verre, sans se souvenir de ce qu’il venait de se passer.

— Vous allez bien ? demanda-t-elle, le voyant surpris.

— Très bien, répondit-il. Je me suis juste… égaré dans mes pensées.

— Le travail ? C’est toujours à cause du travail.

— Quelque chose comme ça.

Elle n’insista pas. Ce n’était ni le lieu ni le moment.

— Que faites-vous dans la vie ?

— Je suis pédopsychologue, au cabinet Sérénité & Synergie.

— Vous êtes synergiste ?

La question surprit Suri, qui suspendit son geste.

— Pardonnez-moi, c’était déplacé.

— Ne vous en faites pas. Simplement, la plupart des humains n’osent pas poser cette question.

Voyant son incompréhension, elle ajouta :

— En tant qu’humain, vous ne vous sentez jamais… inférieur face aux synergistes ? Injustement démuni ? Rancunier, peut-être ?

— Comment savez-vous que je suis humain ?

— Ce n’est pas la question.

Elle savait. Aucun voile ne l’enveloppait. Pourtant, plus elle l’observait, plus une anomalie visuelle apparaissait, un frémissement, comme si la réalité vacillait.

— Donc vous êtes synergiste ? insista-t-il.

— Pourquoi le pensez-vous ?

Elle reposa son verre, s’adossa au bar. Sa vision se brouillait. Les lumières l’éblouissaient, les voiles lumineux la brûlaient presque.

— Votre cabinet est prisé par les synergistes, dit-il.

— Ce qui ne fait pas de moi l’un d’eux, répondit-elle, en masquant la douleur qui lui vrillait les tempes.

— Certes, admit-il. Mais vous déployez beaucoup d’énergie pour garder les autres à distance.

— Je n’aime pas la foule.

— Pourtant, vous avez échangé avec le barman. Vous n’allez pas me dire que c’était de la simple politesse. Je connais le mythe des âmes sœurs synergistes.

— Et vous en déduisez que je suis une synergiste parce qu’il m’a regardée un peu trop longtemps ?

— Vous niez l’être ?

— Non.

— Donc vous l’êtes, triompha-t-il, un brin malicieux.

— Quelle importance ?

— Aucune. Mais j’aime connaître les personnes avec qui je bois un verre. Savoir que vous êtes une synergiste, c’est un bon début.

Il lui sourit, sans insistance. Cela suffit à Suri pour concentrer sa vision sur lui, tâchant d’oublier l’agression lumineuse autour.

— Vous allez bien ? demanda-t-il en posant une main sur son avant-bras.

— Pas vraiment. Je devrais rentrer, dit-elle en s’éloignant du bar, vacillante.

— Je vous raccompagne.

— Ce n’est pas nécessaire, dit-elle en retirant son bras.

Elle ne le connaissait pas. Et elle n’était plus seule. Elle devait protéger Lior.

Elle se plaça face à lui, lui souhaita une bonne soirée, puis s’éloigna, concentrée sur chacun de ses pas.

Devant son immeuble, elle s’assit un moment sur les marches froides. Les lampadaires projetaient des filaments de lumière semblables à des serpentins. Les étoiles paraissaient proches, presque prêtes à tomber à ses pieds.

Elle ferma les yeux, espérant calmer l’incessant tumulte lumineux. Mais même ainsi, l’intensité persistait.

Dans un effort, elle se redressa, gravit les marches, entra discrètement. Une fois chez elle, elle se débarrassa de ses affaires et s’enferma dans sa chambre. Tout éteindre. Faire le noir complet.

Elle s’allongea dans son lit, espérant que tout cela n’était qu’une réaction passagère à l’alcool, bien qu’elle n’ait jamais vécu quelque chose d’aussi intense.


Texte publié par Aihle S. Baye, 18 juin 2025 à 10h15
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