Glossaire disponible dans le prologue
Cycle des Sphères
Année de la Huitième Sphère
Ronde du Reflux des Marées
Sima 16 - Auréon
Pour la première fois depuis longtemps, Suri avait ressorti son saladier et sa poêle pour préparer le repas d’Auréon. Après le travail, elle était allée faire les courses avec le garçon, et à présent, ils cassaient les œufs ensemble dans le saladier. Lorsqu’elle lui avait proposé des crêpes, il avait hoché la tête avec assurance, sa première réaction franche en douze jours de cohabitation. Pour Suri, c’était un vrai progrès. Et cela la rendait heureuse.
Depuis qu’elle l’avait recueilli, il l’accompagnait chaque jour à son travail, observant les jeunes patients défiler dans son bureau. Elle espérait que cela l’aiderait à s’ouvrir peu à peu. Contre toute attente, sa présence l’apaisait. Depuis qu’il vivait chez elle, elle se sentait plus sereine, gardait son appartement propre, remplissait ses placards de produits frais plutôt que de plats tout prêts. Un vide s’était comblé, un manque qu’elle n’avait pas conscientisé jusque-là, mais qu’elle comprenait à présent comme étant causé par le départ d’Ella.
Sa sœur avait rejoint une communauté de synergistes de la nature. Ce départ l’avait profondément marquée. Avec le temps, elle avait enfoui sa peine. Mais aujourd’hui, en prenant soin de ce garçon, elle retrouvait un équilibre. Un sens.
L’enfant termina de mélanger la pâte, et Suri s’attela à la cuisson, improvisant quelques pas de danse sur la musique diffusée par l’enceinte posée sur la table basse. Elle surprit le garçon en train de sourire. Sans réfléchir, elle lui saisit la main pour le faire tourner sur lui-même. Ses yeux violets brillèrent d’amusement.
Une fois la montagne de crêpes prête, ils s’installèrent à table. Confiture, pâte à tartiner, sucre ou beurre, ils goûtèrent à tout. Suri prit une bière, proposa un soda qu’il accepta. Le repas se déroula dans une simplicité joyeuse qui lui faisait un bien fou.
Elle prenait peu à peu conscience que sa vie tournait uniquement autour de son travail. Elle ne sortait jamais, ne connaissait personne à Duléro, hormis ses collègues et ses patients. Et voilà qu’un garçon, rencontré par hasard il y avait une demi-Ronde, chamboulait déjà sa routine. Il ne parlait pas, mais sa seule présence suffisait. Elle ressentait un besoin instinctif de le protéger.
— C’était bon ? demanda-t-elle en débarrassant.
Elle s’était habituée à lui parler, même sans réponse. C’était sa manière de lui dire qu’il pouvait lui faire confiance.
— Oui.
Suri s’immobilisa. Avait-elle bien entendu ?
— Tu…
— C’était très bon, ajouta-t-il avec un sourire discret.
Elle reposa ce qu’elle tenait, bouleversée. Elle avait rêvé de ce moment sans jamais l’attendre vraiment. Le voir s’ouvrir ainsi la remplissait de joie. Elle avait réussi à créer un espace sécurisant. Ses efforts n’avaient pas été vains.
— J’en suis ravie, dit-elle, les yeux humides.
Elle aurait voulu lui poser mille questions, mais elle savait qu’il ne fallait pas brusquer les choses. Elle inspira lentement.
— Comment t’appelles-tu ?
— Je m’appelle Lior.
— Enchantée, Lior. Tu as un nom de famille ?
— Ils ne nous en donnent pas, répondit-il, sa voix douce chargée d’une maturité étrange.
Elle nota l’emploi du « ils », sans oser encore poser la question.
— Quel âge as-tu, Lior ?
— En âge réel ?
— C’est différent ?
Il hésita, pesant ses mots.
— Tu n’es pas obligé de parler, le rassura-t-elle. Tu peux y aller à ton rythme.
— Si. Il faut que tu saches, répondit-il, soudain grave.
— Laisse-moi juste ranger, et on s’installe pour discuter.
Il acquiesça et l’aida à nettoyer. Une fois tout en ordre, ils prirent place sur le canapé, la musique toujours en fond.
Suri croisa une jambe sous elle, et se tourna vers lui.
— Tu peux tout me dire. Je ne te jugerai pas. Je suis là pour toi.
— Je n’ai pas peur. Pas de toi. Je t’ai observée. Je sais que tu es digne de confiance.
Ses mots, troublants, n’inquiétèrent pas Suri. Elle voyait le bien en chacun, convaincue que toute action pouvait être comprise si l’on connaissait ses raisons.
— Quel âge as-tu ? redemanda-t-elle.
— Douze Années.
C’est ce qu’avait estimé le médecin.
— Mais ce n’est pas ton âge réel ?
— Non. Je suis né l’Année de la cinquième Sphère, lors de la Ronde de l’Ombre des Cimes. Un Olen 24, à Auréon.
Elle calcula rapidement.
— Tu veux dire… tu as trois Années ?
— Oui.
— Comment est-ce possible ?
Il plongea son regard dans le sien.
— Donne-moi ta main.
— Pourquoi ?
— J’ai besoin de savoir si tu es prête à entendre ce que je vais dire.
Elle lui tendit sa main. Il la saisit, ferma les yeux quelques instants, puis la relâcha.
— Tu es un synergiste.
— Dans une certaine mesure. Mon pouvoir est d’apaiser par le toucher. Je calme les émotions, je laisse une sensation de sérénité.
— C’était donc toi, au restaurant.
— Oui. Et j’ai aussi une spécificité : je lis les émotions profondes au contact. Même celles que la personne ignore.
— Et moi ? Qu’as-tu perçu ?
— Que tu étais prête à entendre et à écouter. Suri Kilaspel, ce que je vais te révéler bouleversera ta vision du monde. Tu dois rester lucide.
Elle acquiesça, sentant que ce garçon, malgré son apparence, avait vu des choses qui dépassaient l’entendement.
— Je suis né dans une abbaye secrète, cachée à l’ouest de Duléro, protégée par une barrière magique. Seuls des hommes y vivent. Pas de noms, pas de visages. Ils enseignent la nécromancie. Leur but : comprendre Quenara, l’Éthéra, Fénora… et atteindre l’immortalité.
— Mais comment naissez-vous, s’il n’y a pas de femmes ?
— Chaque année, ils réalisent le rituel des Échos de Vie. Ils invoquent des fragments d’âmes depuis l’Éthéra, des âmes en transition vers Fénora. Grâce à ces échos figés, ils créent la vie.
Il décrivit le rituel avec une précision glaçante : le portail, le calice d’argent gravé de runes, le sang des instructeurs servant de catalyseur, l’essence liquide versée sur les pierres sacrées… et enfin, les enfants, émergents du bassin de pierre chaque Olen 24.
— Et votre croissance ?
— Accélérée, grâce aux mémoires et connaissances contenues dans les échos. Chacun de nous reçoit un pouvoir unique.
— La nécromancie ?
— Enseignée dès l’enfance. Nous devenons vite meilleurs qu’eux.
Il s’interrompit. Elle hésita, puis osa :
— Pourquoi t’es-tu enfui ?
Il inspira.
— Notre quotidien était figé : lever, incantations, bibliothèque, repas en silence… Rien ne devait troubler les esprits des morts. Mais certains d’entre nous ont voulu comprendre ce qui se passait dans le cœur de la forêt.
Il raconta les découvertes : les corps, les incantations, la vérité. Leurs morts n’étaient pas des accidents. Ils étaient sacrifiés. Utilisés comme instruments pour interroger l’Éthéra.
— Nous étions conçus pour mourir. Et livrer la vérité sur les mondes.
Il but une gorgée d’eau.
— Ce Noxen-là, j’ai fait demi-tour. Mais ensuite, j’ai commencé à chercher. J’ai appris à lire les souvenirs. Et j’ai tout vu. Trop.
Suri retint son souffle.
— L’éducateur m’a piégé dans son esprit. J’ai perdu connaissance. Je me suis réveillé enchaîné. Ils m’ont privé d’eau, de nourriture, pendant une Spirale. Mon corps a tenu grâce au rituel. Puis ils ont tenté de me tuer. J’ai fui. Et je t’ai trouvée.
Suri resta figée, bouleversée par l’horreur de son récit.
— Les autres sont toujours là-bas ?
— Oui. Condamnés.
— Mais pourquoi ? Il y a assez de morts pour interroger les esprits !
— Nous sommes différents. Plus forts. Plus connectés.
— Il faut les sauver, déclara-t-elle avec force. Leur quête ne justifie pas ces horreurs.
Elle regarda l’heure à sa montre.
— Il est tard. On en reparle demain. On préparera un plan.
— Bonne nuit. Et… merci, murmura-t-il.
Il se leva, l’enlaça brièvement, puis rejoignit la salle de bain. Quelques minutes plus tard, en pyjama, il gagna sa chambre.
Suri resta là, sonnée. Ce qu’elle venait d’apprendre défiait toute logique. Mais rester figée n’y changerait rien. Elle se leva, enfila son pyjama, et partit se coucher.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
3148 histoires publiées 1390 membres inscrits Notre membre le plus récent est L'élan Vibratoire |