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Glossaire disponible dans le prologue

Cycle des Sphères

Année de la Huitième Sphère

Ronde du Reflux des Marées

Lyris 7 - Auréon

Ella était restée trois jours allongée sur le parquet de sa cabane avant de pouvoir enfin bouger convenablement. Elle avait dormi presque tout Vira 5 et Olen 6, ne se réveillant que pour constater l’atrophie généralisée de son corps.

À présent debout, elle parvenait à se mouvoir sans trop de difficulté. Elle avait réussi à prendre une douche et à manger un peu. En se regardant dans le miroir, elle avait constaté les conséquences de son imprudence : à la nuque, ses cheveux étaient devenus d’un blanc immaculé, et sur le sommet de sa tête, le violet s’était tellement estompé qu’on aurait cru que le blanc était sa couleur d’origine, et le violet une simple fantaisie.

Elle ne pouvait plus nier l’urgence de la situation. Il lui fallait absolument trouver l’objet manquant pour tenter le rituel du Miroir des Rêves Fracturés. Les esprits du cimetière avaient parlé de nécromanciens reclus dans une abbaye protégée par une barrière magique. Elle avait estimé qu’Auréon, avec son ciel obscur et sa lumière lunaire, serait le moment idéal pour s’y rendre discrètement.

Son sac était déjà prêt : une robe légère, des lampes torches, quelques tissus pour envelopper le miroir. Elle n’avait plus qu’à se transformer et voler jusqu’à l’endroit indiqué. Mais alors qu’elle s’apprêtait à user de son pouvoir principal, la peur surgit.

Et si c’était trop tôt ? Si son corps n’avait pas encore récupéré ? Et si elle mourait ?

Les questions tournaient en boucle, paralysantes. Elle laissa échapper un cri de rage, espérant expulser ce sentiment d’insécurité qui la rongeait. Elle ne pouvait pas abandonner maintenant, pas si près du but, pas à cause d’une peur stupide de mourir. Elle allait mourir de toute façon, alors à quoi bon avoir peur ?

Elle inspira profondément, refoula ses doutes, et entama la transformation. Quelques secondes plus tard, un corbeau au plumage noir tacheté de blanc s’envola, tenant fermement un sac en toile dans ses serres.

Elle mit le cap à l’ouest, survolant la forêt bordant la berge et les terres de Duléro. Malgré les derniers rayons du soleil, elle ne distingua aucun édifice entre les arbres. Le feuillage était trop dense. Pourtant, la construction d’une abbaye avait nécessairement dû entraîner la coupe d’arbres, la rendant visible du ciel. La barrière magique évoquée par les esprits devait empêcher toute détection.

Elle redescendit sur la terre ferme et reprit sa forme humaine. Elle enfila sa robe, passa son sac en bandoulière, alluma une lampe torche et suivit d’abord un sentier pédestre, avant de s’enfoncer plus profondément dans la forêt.

Rapidement, sa lampe torche devint sa seule source de lumière. Ses pas résonnaient entre les arbres, les feuilles mortes crissaient, les branches craquaient. Pour ne pas alerter davantage la faune, elle rangea sa lampe, retira sa robe et se transforma en hibou. Sa vision nocturne lui permit d’avancer plus facilement.

Noxen était bien avancée lorsqu’elle se posa sur une branche pour se reposer. Elle avait couvert un large périmètre sans trouver la moindre trace de l’abbaye. Elle avait même fini par marquer les arbres pour éviter de tourner en rond… mais en observant les marques, elle comprit qu’elle tournait malgré tout en boucle. Elle avait pourtant changé de direction à plusieurs reprises.

Il n’y avait plus de doute : la barrière magique l’empêchait de s’approcher de l’abbaye. Elle ne pouvait pas la briser seule. Il lui fallait de l’aide.

Elle rebroussa chemin et se rendit au cimetière de Duléro. Elle devait communiquer avec les esprits, quitte à y laisser la vie. Elle reprit sa forme humaine et arpenta les allées d’un pas lent. Rapidement, elle remarqua un silence pesant. Aucun murmure, aucune silhouette éthérée. L’Éthéra semblait vide.

Elle s’enfonça dans un recoin plus discret du cimetière, ferma les yeux, inspira profondément et lança son appel :

— Esprits, écoutez mes paroles, entendez ma voix et venez à moi.

Aucun esprit ne répondit. Ce silence n’était pas normal. Elle insista, puisa plus profondément dans son énergie.

— Esprits, écoutez mes paroles, entendez ma voix et venez à moi.

— Vous n’auriez pas dû venir ce Noxen, Ella Faureval.

Virine, l’esprit qu’elle avait rencontré quelques jours plus tôt, venait d’apparaître.

— Que se passe-t-il ? Pourquoi ce silence ?

— Le démon est revenu.

La peur vibrait dans sa voix.

— Le démon ? répéta Ella, scrutant l’obscurité.

— Un homme de Quenara au regard rouge sang. Il vient à Noxen profaner des tombes.

— Que fait-il exactement ?

— Il pratique la nécrophagie. Il mange les cadavres.

Ella comprit pourquoi l’esprit avait utilisé le mot "démon". Dans la culture nécromancienne, la nécrophagie était une abomination, une malédiction.

— Depuis plusieurs Rondes, expliqua Virine, il vient à Noxen, déterre les tombes, réanime les morts, mange un organe ou un morceau de peau, puis les tue de nouveau.

— C’est donc un synergiste. Quel est son pouvoir ?

— Nous ne le savons pas vraiment. Il foudroie les corps avec un éclair venu du ciel. Est-ce son pouvoir principal ou une spécificité ? Impossible à dire.

— Il vous voit ?

— Nous l’ignorons. Par précaution, nous nous cachons.

— Il mange toujours les mêmes organes ?

— Non, cela varie. Et il ne fait pas de distinction entre humains et synergistes.

— Les synergistes se détériorent moins vite, commenta Ella, pensive.

Elle s’étonnait de n’avoir rien entendu à ce sujet, mais elle vivait si recluse que cela n’avait rien de surprenant.

— Pourquoi réanime-t-il les corps avant de les tuer ?

— Pour empêcher des personnes comme vous de parler aux victimes. Une fois tué une seconde fois, leur esprit est brisé. Ils deviennent vides, incapables de parler, de penser, de se souvenir. Et ils sont bannis à jamais de Fénora.

Ella sentit le vertige de cette révélation. Le démon ne se contentait pas de profaner, il effaçait toute trace, toute mémoire. Un génie monstrueux.

— La police a des informations ?

— Seulement son âge approximatif, sa taille et son poids : entre 20 et 30 Années, 1m82 pour 70 kilos. Il a laissé une empreinte, sans doute volontairement. Il efface tout si facilement qu’on pense que c’est un autre de ses pouvoirs.

— Et vous pensez qu’il vient de l’abbaye ?

— C’est la rumeur dans l’Éthéra. Mais il ne semble pas agir par plaisir. Pas sexuel, en tout cas. Juste… par soif de savoir.

Virine s’inclina légèrement. Ella la remercia et la congédia. Puis elle reprit sa forme de hibou et rentra chez elle.

Elle ne chercha pas à observer les effets de son appel sur son corps. Elle s’installa à son bureau et ouvrit un vieux grimoire, à la recherche d’un passage précis sur la nécrophagie :

« Parmi les pratiques les plus obscures des arts nécromantiques, la nécrophagie demeure la plus décriée et la plus redoutée. Elle consiste à se nourrir des chairs des défunts dans l’espoir d’absorber leurs savoirs occultes et les mystères de l’Éthéra. [...]

Contrairement à la voie noble de la communion avec les esprits, la nécrophagie est perçue comme une violation brutale et dégradante, marquant son adepte d'une souillure indélébile.

Ce savoir volé est toujours payé au prix fort, et les ombres invoquées ainsi ne retournent jamais à leur sommeil sans laisser un sillage de désolation. »

Le démon avait donc renié les siens, les nécromanciens de l’abbaye, en choisissant cette voie impie. Mais ce savoir, aussi impur soit-il, pourrait être utile. Lui seul pouvait l’aider. Il avait vécu à l’abbaye, il pourrait l’y conduire.

Même si sa conscience la mettait en garde, elle n’avait pas le choix. Le temps jouait contre elle. Elle vieillissait trop vite.

Elle devait briser sa malédiction. Et si cela signifiait franchir une fois encore les limites de l’acceptable, alors elle le ferait. Le démon possédait une ressource qu’elle n’atteindrait jamais seule : les souvenirs des esprits ayant atteint Fénora.

Elle allait attendre, chaque Noxen, le retour du démon au cimetière.