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tome 1, Chapitre 3 « Suri Kilaspel » tome 1, Chapitre 3

Glossaire disponible dans le prologue

Cycle des Sphères

Année de la Huitième Sphère

Ronde du Reflux des Marées

Sima 4 - Évanée

— Je vous revois le Sima 10 à Léode. Passez un bon Téruna.

— Merci.

— Avec plaisir, au revoir.

Suri referma la porte derrière l’enfant et sa mère, puis se tourna vers Ficia, l’assistante administrative, en soupirant.

— J’ai cru que tu sortirais jamais de ton bureau.

Maksim, son associé, riait derrière sa tasse de café, adossé à la machine.

— Ça s’est bien passé ? demanda Ficia depuis son bureau.

— Il y a encore du chemin, mais ça avance. La petite maîtrise mieux son pouvoir, et sa mère commence à accepter la situation.

Suri se massa la nuque, les traits tirés par la fatigue.

— On verra à la prochaine séance. Je l’orienterai peut-être vers toi.

Maksim acquiesça avec bienveillance.

— Je ferai de mon mieux pour l’aider.

Âgé de vingt-six Années, Maksim était art-thérapeute et hypnothérapeute. Il arrivait que Suri lui transmette certains patients. Parfois, les enfants avaient besoin d’une approche différente pour progresser.

C’était le cas de la petite Zerya. Son père, un synergiste, était décédé quelques Années après sa naissance. Sa mère, humaine, avait été désemparée face aux manifestations de pouvoir chez sa fille à ses huit Années. Suri l’aidait à comprendre et à maîtriser son don, un travail exigeant. À cet âge, les émotions rendaient les pouvoirs instables. Elle accompagnait aussi la mère, pour lui apprendre à interagir avec son enfant et créer un environnement favorable à son développement.

Issus de familles variées, ses patients avaient entre huit et douze Années. Leurs parents se composaient parfois de deux synergistes, parfois d’un couple mixte, et plus rarement de deux humains. Suri avait remarqué combien les parents manquaient d’informations pour accompagner un enfant synergiste.

Elle était devenue pédopsychologue pour soutenir ces familles et permettre aux enfants de son peuple de comprendre leur pouvoir, de s’épanouir malgré les obstacles. Bien qu’il existait des écoles pour les jeunes synergistes, elles ne couvraient qu’une partie de l’éventail nécessaire à une maîtrise complète des pouvoirs. Les élèves y apprenaient les bases, mais aucun programme ne se concentrait sur l’aspect psychologique et émotionnel de la maîtrise des dons. Suri avait eu la chance, enfant, d’être accompagnée par des parents synergistes qui lui avaient transmis les clés de la compréhension et de la gestion de son pouvoir. Mais ce n’était pas le cas pour tous. Et c’est ce manque, ce vide dans l’éducation, qu’elle s’était engagée à combler, devenant ainsi une guide pour ceux qui n’avaient pas cette chance.

Suri s’était associée avec Maksim, un ami rencontré à l’université de Nérial, avec qui elle s’était immédiatement liée d’amitié. Ensemble, ils avaient acheté un local en plein cœur de Duléro et fondé le cabinet Sérénité & Synergie. Grâce à l’aide précieuse de Ficia, ils œuvraient chaque jour pour améliorer la vie des habitants.

Le cabinet, baigné de lumière naturelle, respirait la sérénité. Les murs blancs et les meubles en bois clair créaient une atmosphère douce, réconfortante. Des plantes vertes disposées çà et là apportaient une touche de vie, tandis qu’un petit coin café, ouvert sur le reste du cabinet, invitait à la détente. Sur une étagère bien ordonnée, des brochures sur la psychologie, l’hypnose et les différentes formes de thérapies attendaient les visiteurs curieux. Chaque détail semblait pensé pour mettre en confiance, comme une promesse de mieux-être dès le seuil franchi.

— Tu as encore des patients pour Évanée ?

Maksim lui tendit une tasse de café fumante.

— Non, et heureusement. Ce dernier rendez-vous m’a épuisé.

Suri huma l’arôme avant de boire une longue gorgée.

— Je vais faire un peu de paperasse, puis je rentrerai.

— Profite de Téruna pour te reposer, lui conseilla-t-il avec douceur.

Ficia se leva et les rejoignit.

— C’est ce Téruna que tu pars avec ton copain ?

Maksim sourit, les yeux brillant d’impatience.

— Oui. Azée m’emmène à Nérial.

— C’est une belle région. Il y a des coins vraiment très sympas à faire en couple.

— L’idéal pour un Téruna en amoureux.

Suri fit un clin d’oeil à son ami. Son visage vira au rouge et son regard se fit fuyant. Elle rit, puis s’adressa à Ficia.

— Qu’as-tu de prévu ?

— Une virée shopping avec ma fille, ciné, puis soirée soins visage devant des films à l’eau de rose.

— Vous avez tous des vies palpitantes !

La voix de Suri trahissait une once de regret.

— Tu devrais sortir, l’encouragea Ficia.

— Va au bar, va rencontrer des gens !

Suri sourit, mais l’expression était un peu triste.

— Je suis bien comme ça, vraiment. J’ai juste… besoin de temps pour moi.

Son sourire forcé devint plus lourd, comme une façade fragile. Une fois leurs regards détournés, elle se réfugia dans son bureau, le cœur alourdi, laissant la pile de paperasse l’engloutir, espérant fuir ce vide qu’elle portait en elle.

À vingt-six Années, elle semblait avoir déjà parcouru un chemin bien plus long que les autres. En tant que synergiste de niveau deux, sa vie pouvait s’étendre sur des Cycles, mais la vivre paraissait aussi lointain que le ciel étoilé. Les humains qui l’entouraient avaient cette urgence, cet instinct de profiter du peu de temps qu’ils avaient. Elle, elle s’épanouissait dans son travail, mais sa vie personnelle restait figée. À quoi bon si elle devait vivre seule, paralysée dans l’éternité ?

Elle prenait soin des autres, mais oubliait souvent de s’occuper d’elle-même. Par moments, une vague de tristesse la gagnait, comme un rappel silencieux de ce qu’elle laissait de côté. Alors elle se rassurait comme elle pouvait : elle avait encore du temps, se disait-elle. Si elle maîtrisait pleinement son pouvoir, elle pourrait devenir une synergiste de niveau trois et vivre jusqu’à trois-cents Années.

Parfois, elle pensait aux humains. Comment vivaient-ils avec ce temps si court ? Elle comprenait leur ressentiment : voir leur vie filer, pendant que la sienne s’étirait au-delà de toute mesure. C’était peut-être ça, le prix de l’immortalité : un fardeau invisible, une solitude qui se creusait avec les décennies.

Elle but une gorgée pour chasser ses pensées, puis se remit au travail.

Une heure plus tard, elle quitta son bureau. Maksim était en rendez-vous, Ficia au téléphone. Suri la salua d’un geste avant de sortir, savourant les rayons du soleil. Elle ferma les yeux, inspira profondément.

Souriant, elle les rouvrit. Après que ses pupilles se furent adaptées à la lumière, elle prit la direction de son appartement. Un enfant courut dans sa direction et la heurta de plein fouet. Immédiatement, Suri s’accroupit à sa hauteur.

Il était terrorisé. Ses yeux violets, dilatés, scrutaient les environs, cherchant une échappatoire. Lorsqu’il croisa son regard, son corps se figea, comme apaisé.

— Est-ce que tu t’es fait mal ? demanda-t-elle doucement.

Il secoua la tête. Elle posa délicatement ses mains sur ses épaules pour le rassurer.

— Comment tu t’appelles ? Tu es perdu ? Où sont tes parents ?

Pas une réponse. Le silence, épais, pesant. Il la fixait, sans ciller, les lèvres closes. Suri comprit qu’il ne parlerait pas. Pas maintenant.

Elle réalisa alors son état : pieds nus et blessés, vêtements en lambeaux, cheveux salis par la poussière, peau marquée de traces de larmes sèches. Un regard égaré, comme marqué par un vécu qu’il n’était pas prêt à raconter.

Elle jeta un regard autour d’eux, espérant apercevoir un adulte, un parent affolé. Mais personne ne semblait le chercher. Elle pensa d’abord à l’emmener chez elle. L’idée la traversa fugacement. Mais il pouvait être recherché. Il valait mieux s’en assurer.

— Tu veux bien me tenir la main ? On va aller voir la police, juste pour vérifier si quelqu’un te cherche. D’accord ?

Il hésita. Son regard se chargea d’angoisse, de panique presque. Suri sentit son cœur se serrer. Elle lui murmura quelques paroles rassurantes, un sourire doux aux lèvres, et ils prirent ensemble la direction du commissariat.

Un agent en uniforme les accueillit à l’entrée. Suri le reconnut : ils s’étaient déjà croisés lors d’une précédente affaire.

— Bonjour. Je suis tombée sur lui devant mon cabinet. Il semblait paniqué, seul, et il ne parle pas.

L’homme jeta un coup d’œil à l’enfant, puis il fronça les sourcils en constatant son état.

— Vous n’avez vu aucun adulte avec lui ?

— Personne ne semblait le chercher.

Il hocha la tête.

— Très bien. Suivez-moi, on va faire une vérification dans nos fichiers. Il n’y a pas eu de signalement récemment, mais on ne sait jamais.

Il les conduisit dans un petit bureau, alluma son écran et commença à taper quelques mots-clés sur le clavier.

— Aucune disparition signalée correspondant à sa description, dit-il après un court silence.

— Quelle est la procédure maintenant ?

— Habituellement, on contacte l’assistance sociale. Ils prennent le relais.

Il se tourna vers elle, hésitant un instant.

— Vous êtes bien Suri Kilaspel, la pédopsychologue ? On a déjà entendu parler de vous, certains collègues ont travaillé avec vous. Vous pourriez le prendre en charge.

— C’est bien moi.

Elle regarda le garçon, elle ne pouvait pas l’abandonner aux services sociaux.

— Je suis disposée à m’occuper de lui.

Un sourire soulagé étira les lèvres de l’agent.

— Il vaut mieux qu’il soit avec quelqu’un de confiance. Je vais vous faire signer les documents nécessaires.

— Et si ses parents se manifestent ?

— Ils passeront par l’assistance sociale. Vous serez contactée pour discuter de la suite. Rien n’est figé.

— D’accord.

Il s’éclipsa, revint rapidement avec un dossier.

— Vous pouvez rester ici. Prenez votre temps.

— Merci.

— Un agent viendra prendre votre déposition. Un médecin va examiner le garçon.

Suri prit le stylo et remplit les documents : identité, coordonnées, profession, situation financière. Son métier plaidait clairement en sa faveur.

— Bonjour, inspecteur Sorel, brigade des mineurs.

— Suri Kilaspel.

Ils se serrèrent la main. Un médecin les rejoignit à ce moment-là.

— Docteur Valerune. Je vais examiner le garçon, annonça-t-il avec calme.

Suri hocha la tête.

— Je vais vous poser quelques questions, reprit l’inspecteur Sorel.

— Bien sûr.

— Comment l’avez-vous rencontré ?

— Il m’a percutée devant mon cabinet. Il courait, sans regarder devant lui.

— Dans quel état était-il ?

— Apeuré. Il semblait fuir quelque chose.

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

— Il scrutait les alentours, comme s’il craignait qu’on le retrouve. Et son apparence m’a frappée : il était sale, les vêtements en lambeaux… On aurait dit qu’il errait depuis des jours.

— Vous avez eu les bons réflexes. Merci.

Il esquissa un sourire, sincère, cette fois.

— Vous souhaitez le prendre en charge ?

— Oui. J’ai l’habitude de travailler avec des enfants comme lui. Je suis formée à ces situations.

— Je le sais. Certains collègues m’ont parlé de vous en très bons termes. Mais je devais poser la question.

— Je comprends.

Le médecin revint, l’air grave.

— Il semble avoir douze Années. De nombreux hématomes, certains anciens. Il a été maltraité.

— Torturé ? demanda Sorel.

— C’est possible. Il faudrait des examens plus poussés, mais il refuse tout contact physique. Il panique dès qu’on l’approche.

— Vous pensez qu’il parlera ? demanda Sorel en se tournant vers Suri.

— Pas pour l’instant. Il est en état de choc. Il a probablement été élevé dans un climat de peur constante.

Le médecin hocha la tête, visiblement d’accord.

— Il faudra du temps, conclut-il.

— Et vous êtes sûrement la mieux placée pour l’aider, ajouta l’inspecteur. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, tenez-moi au courant.

— Je le ferai. Mais cela peut prendre plusieurs Spirales.

— Prenez le temps qu’il faudra.

Il lui tendit sa carte. Suri la glissa dans sa poche et sortit avec l’enfant.

— À partir de maintenant, tu vas vivre avec moi. Il y aura une chambre rien que pour toi. D’accord ?

Il hocha la tête, les yeux encore méfiants. Suri lui sourit, mais un frisson d’inquiétude lui traversa le cœur. Elle tendit la main. Il hésita, puis l’attrapa. Ses doigts abîmés s’enroulèrent timidement autour des siens. Ensemble, ils prirent la direction de l’appartement, deux inconnus un peu moins seuls.


Texte publié par Aihle S. Baye, 30 avril 2025 à 10h18
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