Glossaire disponible dans le prologue
Cycle des Sphères
Année de la Huitième Sphère
Ronde du Reflux des Marées
Sima 4 - Léode
Le visage dissimulé sous une capuche noire, Ella Faureval marchait dans les rues sur l’île principale de Duléro. Le soleil commençait à peine son ascension, mais déjà, les bruits familiers de la ville s’élevaient : les volets s’ouvraient, les portes claquaient. Autant de sons insupportables pour Ella, recluse depuis des Années. La forêt à l’est de Duléro était devenue son exile. Un choix volontaire en réparation d’une erreur de jeunesse..
Pour la première fois depuis longtemps, elle quittait son refuge pour arpenter la ville. Son objectif : trouver dans la bibliothèque de Duléro des ouvrages susceptibles de l’éclairer dans sa quête.
En longeant le cabinet Sérénité & Synergie, Ella évita délibérément de regarder la vitrine. Elle savait que Suri Kilaspel, sa sœur adoptive, y travaillait encore. L’envie de franchir la porte lui effleura l’esprit, mais elle l’étouffa aussitôt et accéléra le pas. Cela faisait plusieurs Rondes qu’elles ne s’étaient ni croisées ni adressé la parole. Autrefois complice, leur relation s’était étiolée avec le temps. Le départ d’Ella, à quatorze Années, avait signé la fin de leur lien.
Quelques Spirales plus tôt, Suri avait retrouvé sa trace dans la cabane en bois qu’Ella occupait, recluse dans la forêt à l’ouest de Duléro, loin de tout. Le vent s’était engouffré entre les arbres ce jour-là, portant avec lui l’odeur humide de la mousse et de la terre. Sans lui demander d’explications, comme si les Années de silence n’avaient jamais existé, elle lui avait simplement murmuré qu’elle ne voulait plus la perdre. Mais il était déjà trop tard. Ella s’était perdue en chemin. Changée. Et elle doutait de pouvoir revenir en arrière.
Face à elle, la Bibliothèque de la place centrale se dressait comme une ancienne église reconvertie. Sa façade de pierre grise, surmontée d’un vitrail terni, projetait des ombres étirées sur les pavés. Les lourdes portes sculptées rappelaient celles des sanctuaires d’autrefois. Derrière les fenêtres en ogive, on distinguait l’éclat doré des rayonnages et la silhouette de hauts plafonds voûtés.
Ella franchit les portes, laissant ses souvenirs derrière elle. Le bibliothécaire, un homme au visage buriné par les Années, lui lança un regard chargé d’hostilité à peine voilée.
Les humains et les synergistes vivaient pourtant en relative harmonie. Mais certains humains considéraient toujours les synergistes comme une menace. Ce ressentiment, souvent, trouvait sa source dans leur longévité exceptionnelle. Les novices atteignaient cent-vingt à cent-cinquante Années ; les synthètes comme Ella, et les archons de niveaux supérieurs vivaient jusqu’à cinq-cents Années. Une longue vie en théorie. La sienne avait déjà pris un détour inquiétant.
D’un geste calme, elle retira sa capuche. Le regard du vieil homme se fixa sur la tache noire marquant la moitié droite de son visage. Même chez les humains, cette trace n’était pas inconnue : une malédiction, née d’un abus de pouvoir synergiste.
— B… Bienvenue.
Il bégaya en baissant les yeux.
— Co… Com… Comment puis-je vo… vous aider ?
Ella ne sut dire s’il s’agissait de peur ou d’un simple trouble de l’élocution.
— Où se trouve la section nécromancie ?
Le peu de couleur qu’il restait sur son visage disparut aussitôt.
Elle savait que poser cette question, en affichant une marque maudite, pouvait éveiller les soupçons. Malgré le fait que le culte des morts n’était pas interdit. Elle avait besoin de réponses, et c’était le seul endroit où elle pouvait en obtenir. La bibliothèque de Duléro, riche d’un patrimoine ancien, abritait inévitablement des ouvrages jugés hérétiques aux yeux de certains humains.
— El… Elle se trou… trouve au… au fond à… à droite. Vo… vous verrez un pan… panneau avec l’in… l’indic… l’indication né… nécrom… nécromancie.
Elle le remercia d’un simple signe de tête et se hâta de suivre ses instructions.
C’était la première fois qu’elle pénétrait dans ce bâtiment. L’architecture évoquait celle des Églises : plafonds en arche, piliers massifs, clarté tamisée. Les espaces de lecture étaient délimités par les bibliothèques elles-mêmes. Fauteuils, coussins et tables parsemaient les zones de repos. Une lumière orangée baignait l’ensemble dans une atmosphère apaisante. On n’entendait que les pas feutrés, le bruissement des pages, et le souffle discret des lecteurs.
Ella longea l’allée centrale en évitant les regards. Enfin, elle aperçut le panneau nécromancie. Deux rayonnages poussiéreux encadraient la section, témoins de son abandon.
Elle saisit un ouvrage dont la reliure de cuir noir était gravée de symboles étranges : des cercles entrelacés, des croix inversées et des runes anciennes aux lignes effilées, semblables à des griffes tracées à même la peau. Certains motifs semblaient luire faiblement sous la lumière diffuse de la bibliothèque. Le sommaire révélait plusieurs chapitres spécialisés. Elle s’attarda sur le premier : La science de la nécromancie.
« Il est tenu pour vérité première en la pratique nécromantique que les âmes des défunts, bien que séparées de leur demeure corporelle, ne sont pas vidées de leur mémoire ni des mystères qu'elles ont emportés au-delà du seuil funeste. Par l'accomplissement de rites et d'invocations scellées par le temps, il est donné au vivant de tirer d'eux réponse et révélation. Toutefois, que nul n'oublie : les esprits des morts, bien qu'assujettis par la science, ne se plient pas aisément et peuvent user de ruse ou détour pour confondre l'invoquant… »
Debout au milieu des rayonnages, elle poursuivit sa lecture avec attention. Elle apprit que la nécromancie remontait à des Cycles si anciens que même leurs noms avaient été oubliés. À l’origine, les nécromanciens lisaient l’avenir dans les entrailles des morts, sacrifiaient animaux, et parfois enfants, pour percer les mystères immédiats du destin. Avec le temps, le culte s’était structuré, les rituels affinés pour favoriser l’apparition d’esprits et la communication avec eux.
Ella connaissait ces rites. Elle savait même quels accessoires amplifiaient l’appel : bougies spécifiques, encens rares. Mais elle en avait rarement besoin. Contrairement aux nécromanciens, elle pouvait entendre les morts sans artifices.
« Quant à l'art de rappeler les corps à un simulacre de vie, il s'agit là d'un acte chargé de gravité et de péril. Par des incantations tissées dans les langages primordiaux et des signes gravés selon des figures consacrées, il est possible de conférer mouvement à ce qui gît dans l'immobilité éternelle. Ces corps, ainsi arrachés à leur inertie funèbre, ne sont pas maîtres d'eux-mêmes, mais demeurent tels des outils muets, soumis à la volonté absolue de celui qui les évoqua… »
Ramener les corps à un semblant de vie impliquait des risques immenses. Une seule erreur dans les incantations ou le tracé des signes sacrés, et la créature invoquée devenait incontrôlable, prisonnière d’un chaos aveugle.
Ella connaissait ces conséquences. Elle avait croisé des esprits altérés, dénués d’humanité, errants sans but ni souvenir. Des fragments d’âme condamnés à l’Éthéra, ce lieu de transition entre Quenara, le monde des vivants, et Fénora, celui du repos éternel.
C’est avec ces esprits-là qu’Ella communiquait : ceux qui refusaient d’abandonner leur ancienne vie, animés par le regret, la colère ou l’amour. Tous avaient une raison de rester. Mais la fin ultime, c’était toujours Fénora.
Après avoir terminé le chapitre, elle remit l’ouvrage en place et parcourut les titres sur les reliures. Rien ne semblait correspondre à ce qu’elle cherchait.
— Vo… vous trou… trouv… trouvez ce que vo… vous cherchez ?
La voix du vieil homme la surprit.
— Pas tout à fait.
— Qu… que cher… cherchez-vous ?
— Des livres de rituels.
Il leva sa canne et désigna la dernière étagère.
— Vo… vous en trou… trouverez i… ici.
— Tous les livres sur la nécromancie sont ici ?
Il ouvrit la bouche, mais aucun mot ne sortit. Finalement, il fit demi-tour. Ella ne tenta pas de le retenir. Elle se doutait que certains ouvrages, trop dangereux pour être laissés à la vue de tous, étaient dissimulés dans des salles sécurisées, accessibles uniquement aux érudits autorisés. Ce qu’elle cherchait se trouvait peut-être encore parmi les rayonnages, relégué en hauteur, oublié ou jugé inoffensif par ignorance.
Elle attrapa une échelle et grimpa jusqu’à la hauteur des étagères supérieures. Un à un, elle déchiffra les titres. Rien. Jusqu’au dernier : un livre à moitié dissimulé au-dessus des autres.
Elle le tira délicatement, descendit, le dépoussiéra et ouvrit à la page du sommaire. Son doigt glissa jusqu’au huitième chapitre : L’Offrande à l’Étreinte des Ombres. Elle tourna les pages, le cœur battant.
« La nécromancie ouvre les portes d’un savoir ancien, tapi entre le souffle des vivants et le silence des morts. Ces pages murmurent des secrets arrachés à l'Éthéra, des rites capables de plier l’essence même des âmes à la volonté de l’invocateur… »
Le voici. L’ouvrage qu’elle cherchait si ardemment. Trois rituels s’y dévoilaient : la Spirale d’Os, le Miroir des Rêves Fracturés, et le Sacrifice du Souffle Luminal.
Elle sortit son téléphone, qu’elle utilisait rarement, et photographia les pages. Son cœur battait plus vite à mesure qu’elle parcourait les instructions. Elle savait que chaque étape devrait être respectée à la lettre. Le moindre oubli… et sa malédiction s’aggraverait.
La nécromancie était dangereuse. Mais Ella était prête à tout pour atteindre son but.
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