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D’une voix plus douce, je lui souhaite une bonne installation :

— Je ne veux pas vous déranger davantage, docteur. J’imagine que vous voulez prendre le temps de souffler un peu.

Il lève légèrement la tête, en lorgnant à nouveau sur les viennoiseries, qui je n’en doute pas, seront vite englouties après mon départ. J’amorce un mouvement de recul pour partir, mais avant, je ne peux m’empêcher de lui communiquer mes pensées :

— Je vous remercie de tenter l’expérience ici. Du peu que je connais sur mes administrés, il y a de nombreuses pathologies parmi nos habitants, les plus différentes, des cas plus bénins aux plus graves. Votre arrivée et votre présence vont redonner un élan à ce village et ses environs.

Les yeux du médecin se tournent dans ma direction et se plongent dans les miens. Un éclat intense parcourt ses iris bleutés, comme si mes paroles venaient de transcender son cœur. Cette fois-ci, il sourit franchement. Son visage devient lumineux, démontrant que ma remarque le touche véritablement.

— Je commencerai les consultations dès lundi soir, m’informe-t-il subitement. Mes démarches sont à jour.

Je bafouille que je vais faire suivre l’information sur le site de la mairie et par le bouche-à-oreille. Puis il ajoute :

— Comme je vous l’ai dit, j’ai besoin de prendre un nouveau tournant dans ma vie de médecin. Alors je veux commencer au plus vite, là où je peux me rendre utile.

En l’entendant parler de cette façon, j’entrevois la puissance de sa vocation. Je devine que soigner les gens est plus qu’un métier pour lui. Lors de nos appels téléphoniques, je n’ai pas complètement saisi pourquoi cet homme désirait quitter une maison de santé en région parisienne, avec l’assurance d’une vie stable, pour venir en pleine campagne où le rythme serait forcément plus effréné. Il y a quelque chose chez lui qui paraît enrobé de mystère. Je ne me permets pas de lui poser de questions, il me trouverait trop indiscrète. Aussi, je me restreins et lui souhaite :

— J’espère que vous trouverez ici ce que vous cherchez, en tout cas.

Pendant l’espace de quelques secondes, son sourire se crispe, plus amer. Cette expression douloureuse, bien qu’éphémère, m’interloque. Elle me déstabilise. Depuis son arrivée fracassante, il me surprend par la diversité des émotions qui traversent son visage.J’hésite, me demandant si je dois approfondir cette conversation, seulement je me ravise en le voyant se reprendre. Il se racle la gorge et s’apprête à me dire quelque chose quand la voix rauque de Boris retentit au rez-de-chaussée :

— Ma belle ? Docteur ?

— Après vous, Madame la maire, propose ce dernier poliment.

J’apprécie sa galanterie et le radoucissement de son humeur. Je tiens à le mettre à l’aise :

— Mademoiselle la maire. Mais appelez-moi Julie, comme tout le monde.

Je descends la première, suivie par le médecin, curieuse de voir pourquoi le patron de la brasserie nous appelle. Dans le hall, mon ami nous attend avec deux tasses de café dans les mains. Jovial, comme à son habitude, Boris tend la boisson fumante au généraliste et le deuxième à moi. Je le remercie. Néanmoins, je n’ai pas le temps d’attraper son mug que mon téléphone sonne. Sur l’écran, le nom de mon adjoint apparaît. Pierre doit certainement me joindre pour préparer le conseil municipal prévu dans quelques jours. Même si sa vision de notre rôle au sein de la mairie s’avère beaucoup plus politicienne que la mienne, il ne manque pas de précieux conseils. Je m’isole dans mon bureau et règle les derniers détails quant à la prochaine réunion. Quelle que soit l’importance démographique de la commune, le conseil municipal doit se réunir au moins une fois par trimestre. Nous avons convenu de six séances annuelles. En outre, dans quelques jours, nous devrons parler des éventuels travaux pour rénover la cour de l’école, avant la rentrée de septembre. Je quitte Pierre, en notant ses remarques. Je devrai ajuster l’ordre du jour avant le conseil. Mon esprit s’égare un peu, étudiant les derniers événements de l’après-midi. La prudence a remplacé l’impatience, des sentiments contradictoires s’affrontent désormais dans mon cœur. Je veux croire que le Docteur Léger est la perle que notre village recherche. Je ne dois pas laisser le petit incident qui nous a opposés entacher notre collaboration. Surtout que j’ai pu capter, par le naturel de ses expressions, l’investissement de cet homme pour son travail. Peut-être que Boris aura un discours plus objectif en discutant avec lui. Je sursaute en réalisant que je n’ai pas récupéré le café qu’il m’avait si gentiment apporté… ni salué le nouveau médecin. Je me hâte et sors de mon bureau, pour constater que le hall est vide. J’entends les deux hommes parler dans le cabinet médical et m’empresse de les rejoindre. Avec une vigueur certainement excessive, je pousse la porte, mais celle-ci rencontre rapidement un obstacle. Un cri s’élève, suivi d’un juron. La porte vient de taper avec force contre la tasse que tient le docteur et qui se renverse aussitôt sur son costume sans accroc. Ses yeux me renvoient une colère non dissimulée.

— Je suis désolée, m’excusé-je en portant mes mains devant la bouche, embarrassée.

— Et vous êtes maladroite en plus ? soupire-t-il avec dépit.

Je reconnais mon tort, seulement son impolitesse m’insupporte. Ma patience atteint ses limites. J’ai beau être complaisante, je ne parviens plus à me taire :

— Je suis navrée, je crois que vous n’avez pas le monopole des excès de vitesse.

Ma remarque le fige. Il semble atterré par ma réplique, le confrontant à nouveau à son indélicatesse de tout à l’heure. Il fulmine, tapant du pied nerveusement. Je ne reste pas plus longtemps. Tout en amorçant mon départ, je préviens :

— Ne vous inquiétez pas, je vous payerai le pressing.

— Trop d’honneur, Mademoiselle la maire.

Il insiste bien sur ce dernier terme, alors que je lui avais pourtant dit de m’appeler par mon prénom. S’il veut jouer sur ce terrain-là… Je lui réponds avec malice :

— De rien, Mathias.

Fini Monsieur ou docteur, il n’aura pas droit à plus de courtoisie de ma part. Boris me suit, gêné devant le médecin qui s’essuie péniblement avec un mouchoir. Une fois dehors, il me tend enfin la tasse de café qui m’est destinée et commente :

— Ma foi, ça a l’air électrique entre vous.

Je lui relate notre première rencontre et le culot dont il a fait preuve. Boris caresse lentement sa moustache et prévoit :

— Eh bien, ça va être du sport avec ce phénomène. Pourtant, quand il m’a parlé, il m’a semblé bien.

Je pose ma main contre son bras et nous marchons jusqu’à la brasserie. Les intuitions de mon ami s’avèrent souvent justes. Je dois lui faire confiance et ne pas tout gâcher pour de l’ego mal placé.

— OK, accordé-je en soufflant. Il va me falloir plus de café.

Sous l’œil interrogateur de mon camarade, j’argumente :

— J’ai trois mois pour qu’on s’accorde et pour le convaincre de rester ici. Je dois prendre des forces.

Tout en claquant mes mains l’une contre l’autre, je murmure :

— Trois mois, top chrono ! 


Texte publié par Junimarionh, 23 avril 2025 à 10h00
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