Je respire profondément et me dirige vers l’entrée de la mairie. J’attends patiemment que le nouveau venu daigne émerger de son tank, tandis que Boris me lance plusieurs clins d’œil en levant ses pouces en l’air. Il n’imagine pas quel énergumène va en sortir. Après de longues secondes où je me demande si, finalement, il ne va pas repartir, le docteur s’extirpe de son véhicule et me rejoint. Le costume gris qu’il porte, impeccablement repassé, lui donne une allure austère malgré son apparente jeunesse. J’arbore un sourire aussi large que possible et m’enthousiasme :
— Nous sommes partis sur de mauvaises bases. Mais je vous souhaite la bienvenue à Baradoux.
Il bougonne quelque chose d’incompréhensible, tout en observant le bâtiment situé derrière moi. Comme ses sourcils ne cessent de s’arquer quand il lit les inscriptions affichées sur la façade, je suis obligée d’expliquer :
— Oui, la mairie et le cabinet médical partagent les mêmes locaux.
Éberlué, il me regarde la bouche ouverte, comme s’il venait d’apprendre une très mauvaise nouvelle. Je n’ai pas voulu lui cacher ce détail, hélas, j’ai peut-être omis de l’aborder.
— Venez, suivez-moi, l’invité-je en ouvrant la porte.
Je dois le rassurer au plus vite. Si ma compagnie lui déplait, il doit constater que nos espaces demeurent bien distincts. Nous pénétrons dans un long hall où sont installées plusieurs chaises rouges et noires, dont les couleurs réhaussent la peinture blanchâtre des murs. Ce hall, faisant office de salle d’attente, dessert trois portes. J’ouvre celle de gauche, qui donne sur le bureau dédié à la mairie. En d’autres termes, mon lieu de travail partiel. Je ne veux pas l’effrayer, aussi j’expose :
— Nous ne serons voisins de palier que deux après-midis dans la semaine. Et quelques heures ici et là. Ne vous inquiétez pas.
Il n’émet aucun commentaire, tout en embrassant la pièce du regard. La liasse de dossiers qui couvre le bureau repose dans un rangement impeccable. Je ne supporte pas le désordre, peut-être suis-je maniaque à l’excès, simplement je ne sais pas m’organiser autrement. Explorer mon antre n’étant pas le but de cette visite, je conduis mon hôte vers la porte de droite, où se tient le cabinet médical. Divisé en deux espaces distincts, il est composé d’un coin bureau et d’une pièce pour les soins et consultations. Je crois percevoir de l’admiration dans les mimiques de l’homme, qui n’attend pas pour arpenter l’ensemble des locaux.
— C’est du bon matériel, concède-t-il en ouvrant tour à tour les buffets et autres placards.
— Tout est neuf, j’affirme en approchant d’une espèce de comptoir.
J’attrape une série de feuilles et la lui montre.
— Nous avons noté dans ce dossier ce qui pourrait vous être utile. Que ce soit en tant que médecin avec les noms des pharmaciens environnants, ou en tant qu’habitant du village.
Tout en haut de la liste, je pointe un numéro de téléphone et annonce :
— Voici mon portable. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas.
Il plonge son regard dans le mien, en affichant un demi sourire dans une grimace narquoise :
— Si c’est pour me faire enguirlander, non merci.
Je me retiens d’être désagréable, digérant le reproche qu’il vient d’émettre. Il m’a déjà tourné le dos, continuant sa fouille scrupuleuse. Je dois rester aimable et ravaler ma fierté malgré le désappointement qui envahit mon esprit. Rester focus sur le bien-être du village et son avenir. Rien d’autre. Sa voix se radoucit immédiatement lorsqu’il suggère qu’avec ce matériel d’excellente qualité, il pourra faire du bon travail. Je découvre une autre facette de sa personnalité, enjouée devant certains ustensiles médicaux. Presque comme un gosse auquel on offre le plus beau des cadeaux. Comme quoi on peut être arrogant et surprenant… Secrètement, je me demande s’il ne serait pas gémeaux. Pour en côtoyer quelques-uns, certains se montrent assez lunatiques. Peut-être que ce trait de caractère leur est propre ? Je reviens à la réalité, interrogeant donc ledit Docteur :
— Vous voulez voir votre appartement ?
J’ai regagné son intérêt. Il pose un stéthoscope sur le bureau et m’emboîte le pas. Nous retournons dans le hall où j’ouvre cette fois-ci la porte qui se situe tout au fond, face à l’entrée. Des escaliers en bois ciré apparaissent. Je lui propose de monter le premier, ce qu’il accepte. Là-haut, je pense que le charme opère. L’appartement, composé d’une vaste pièce à vivre, d’une cuisine toute équipée et de deux chambres, a été décoré avec soin. Même si l’intérieur n’est pas à la pointe de la modernité, j’ai tenu à ce qu’il soit chaleureux. Encore ce matin, je suis venue mettre un bouquet de fleurs fraîches dans un vase et j’ai apporté du pain et quelques viennoiseries. Celles-ci, déposées dans une assiette sur la table du salon, dégagent un parfum légèrement sucré qui embaume la pièce. Une vraie incitation à la gourmandise. Je vois que le généraliste s’en approche et dissimule assez mal son envie de piocher un pain au chocolat.
— Cela vous plaît-il ? le questionné-je en désignant les pièces d’un geste de la main.
Je m’attends à recevoir un nouveau sarcasme, c’est plutôt un compliment qui tombe :
— C’est parfait. Par rapport à mon appartement parisien, l’espace est incomparable.
Je claque des doigts, devant l’homme qui s’inquiète de ce geste soudain. Confuse, je bégaye :
— Non, ce n’est rien. J’ai juste pensé à quelque chose que j’avais oublié.
J’ai vraiment l’impression qu’il me croit folle, tandis que je remets les fleurs du bouquet droites dans leur vase, pour occuper mes mains. Cependant, je viens d’établir une nouvelle hypothèse. Même si je ne veux pas tomber dans le piège des clichés, cet homme vient, en effet, de la région parisienne. Je le sais d’après nos précédents échanges, et malgré tout, ce détail m’a échappé suite à notre rencontre discordante. Peut-être que son comportement de tout à l’heure s’explique par la cadence infernale qu’impose la capitale. Je dois faire preuve de souplesse avec lui. Dans quelques jours, dans la sérénité de notre village, je suis persuadée qu’il trouvera un apaisement et révélera sa vraie nature.
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