«

On y est. C’est mon dernier jour au bureau. Je traîne ma misérable carcasse du vestiaire au laboratoire. À plusieurs reprises, on m’apostrophe pour me souhaiter une bonne dernière journée, ce en quoi j’essaie de répondre cordialement. Personne ne doit subir ma mauvaise humeur. Je suis seul responsable de la situation dans laquelle je suis. Je m’assois à une paillasse et pose ma tête sur mes mains, les coudes sur le plastique froid. Mon regard se perd dans le vide de la pièce tandis que mes soupirs s’enchaînent inlassablement. Je suis minable. J’ai tout gâché. Mon plan était sur le point de réussir.

— Finalement, maugréé-je, je n’ai pas pu lui résister.

J’ai rencontré Juliette lors de mon entretien d’embauche. Quand le directeur me l’a présentée comme future collègue, j’ai immédiatement été sous le charme de son sourire. Plutôt petite, cette demoiselle rayonnait de par sa bonne humeur, tout de suite communicative. Très vite, je me suis senti hyper à l’aise avec elle. Elle avait du répondant malgré sa silhouette fluette, mais savait rire de tout. Petit à petit, nous avons sympathisé au-delà de nos obligations professionnelles, et après quelques semaines, elle m’a fait comprendre que notre amitié comptait pour elle. Ce qui était réciproque. Seulement, peu à peu, mes sentiments ont commencé à devenir plus intenses, à ne plus se limiter à des frontières de plus en plus floues. Et puis un jour, alors qu’elle me charriait encore une fois, j’ai eu l’irrépressible envie de la serrer contre moi et de l’embrasser. Je devais me rendre à l’évidence, je l’avais dans la peau. Elle représente tout ce que j’attendais. Si elle était mignonne à croquer, c’est bien son caractère qui me charmait, de par sa douceur, son humour, sa vision de la vie similaire à la mienne. Je rêvais d’elle, je chérissais notre complicité, malheureusement mon désir devenait éprouvant. Car il y avait une ombre au tableau. Juliette avait déjà son Roméo. Enfin, un Bastien, en l’occurrence. J’ai été bête, au départ. Je croyais que mes sentiments s’étioleraient avec le temps et que tout rentrerait dans l’ordre. Toutefois, le temps passait et je m’attachais de plus en plus à ma Juliette. Or, aimer en silence ne dure qu’un instant. Le coup de grâce m’a foudroyé quand j’ai appris qu’elle envisageait de se marier. Je devais réagir. Je ne pouvais plus m’obstiner dans cet amour à sens unique ou je perdrais toute ma raison. Je n’ai trouvé aucune autre solution. Démissionner… pour m’éloigner d’elle. Et partir. Pour éviter qu’elle ne me retienne, j’ai trouvé un alibi en béton. Prétexter rejoindre mon faux grand amour pour quitter en réalité le vrai.

— Un non-sens, philosophé-je en fermant les yeux.

J’aurais pu tenir jusqu’au bout. Cependant, hier, quand elle m’a offert ses cadeaux, j’ai cru entrevoir quelque chose d’inhabituel dans son regard. Je l’ai laissée d’abord, mais j’ai dû revenir sur mes pas, pour lever mes doutes. Quand je l’ai vue par terre en train de pleurer, je n’ai pu résister à la serrer dans mes bras. Et lorsqu’elle a avoué que j’allais lui manquer, j’ai interprété cela comme un appel. Je frappe soudain du poing sur la paillasse, en me traitant d’imbécile. Je l’ai embrassée et je lui ai tout révélé, comme la grosse andouille que je suis. À ma question « Que fait-on maintenant », elle s’est aussitôt levée et s’est enfuie. Tu m’étonnes qu’elle ait pris peur. J’ai totalement interprété des signes qui n’existent pas et j’ai gâché le dernier lien qui nous unissait toujours, notre amitié. Que pense-t-elle de moi, dorénavant ? Que je suis un vrai blaireau ? Tout à coup, du fond du couloir, j’entends le bruit d’une course. Quelqu’un approche à grande vitesse. J’ouvre les yeux quand je vois pénétrer dans le laboratoire Juliette, les joues rosies d’avoir tant couru. Je me lève aussitôt, mais n’ose l’approcher de peur de l’effrayer. Je veux m’excuser, néanmoins Juliette me désigne en me pointant du doigt :

— Toi, tu es devenu mon anticorps Z !

Interdit, je ne saisis pas ce qu’elle sous-entend. Ses yeux sont un peu rouges, ce qui m’inquiète. Elle inspire profondément pour finalement se lancer :

— J’ai quitté Bastien.

Choc. J’accueille sa réplique, sonné.

— Je me suis rendue compte que ce n’était plus de l’amour qui nous unissait, mais plutôt une vieille habitude illusoire.

Elle agite ses mains dans tous les sens pour accentuer ses propos.

— On allait se marier parce que je le voulais. Parce que je pensais que c’était la solution pour consolider notre relation qui s’effritait inexorablement. Il n’y avait plus que des faibles sentiments d’affection qui nous reliaient. Alors qu’avec toi… Zayn…

Nouveau choc. Mon cœur s’emballe, je crois que je n’arrive plus à respirer, suspendu à ses paroles.

— Toi, reprend-elle, tu es comme un anticorps. Tu m’aimantes à toi. À tes côtés, je me sens comme un ensemble complet, comme les complexes antigènes - anticorps que nous étudions. C’est plus fort que tout, c’est une espèce de règle dictée par les lois de la nature, un phénomène obligatoire. Zayn, tu es inscrit dans mes gènes, c’est indescriptible.

J’avance près d’elle en réalisant l’impact de sa décision. Les pulsations de mon cœur battent à tout rompre, aussi je bégaie difficilement :

— Tu es sûre de toi ?

Elle hoche sa tête de façon affirmative pour appuyer un immense oui qui résonne dans la pièce. Puis, d’une voix assurée, elle ajoute :

— Je t’aime, Zayn. Ne pars pas loin de moi, je t’en supplie !

Dans la seconde, je réduis la distance qui nous sépare et l’embrasse avec envie. Je retrouve avec bonheur ses lèvres qui se pressent contre les miennes, audacieuses. Lorsqu’elles se séparent, Juliette me propose :

— Tu m’as demandé ce que je voulais faire. C’est bien simple, aimons-nous.

Mon étreinte se resserre autour d’elle, tandis que nous échangeons un nouveau baiser, plein de promesses. Je suis bien décidé à lui prouver que notre amour sera éternel.

Un anticorps, ça ne disparaît jamais.