Je n’ai plus de voix. À force de chanter dans le micro, ma gorge a décidé de se mettre en mode veille. Zayn s’assoit à mes côtés et observe comme moi certains de nos collègues s’égosiller à leur tour. Il sait que j’économise ma voix et s’occupe de me divertir en commentant quelques prouesses vocales. Hélas pour nos oreilles, Patricia de la comptabilité a décidé de rejouer absolument tout le répertoire de Joe Dassin… sans le talent de ce dernier. Le pauvre chanteur doit se retourner dans sa tombe s’il entend l’hommage que lui réserve notre chère comptable. Nous nous jetons un coup d’œil complice et partons tous les deux dans un fou rire mémorable.
— Je préférais Didier sur « Que je t’aime », susurré-je à voix basse quand je me suis enfin calmée.
— Quoi ? me demande de répéter Zayn en se penchant vers moi.
Je veux réitérer ma réplique quand je perçois la fragrance de son parfum. Ambrée, légèrement épicée. Virile. Je frémis en pensant qu’il lui sied parfaitement. Pourtant, le charme évident de mon ami ne m’a jamais marquée. Même s’il a un physique plutôt avantageux, je retiens plus son charisme et aime sa facilité déconcertante à jouer avec humour. Or là, pour une fois, je dois admettre que l’odeur de son parfum correspond véritablement à sa prestance. Puisque je reste muette sous le coup de cette réflexion, Zayn interprète mal mon silence :
— Viens, sortons deux minutes. Nous pourrons nous parler sans que tu sois obligée de forcer ta voix.
Même s’il a tort sur l’origine de mon mutisme, j’accepte volontiers, préférant quitter temporairement Patricia en pleine revisite de « Et si tu n’existais pas ». À l’extérieur, la bise est glaciale. Nous sommes mi-novembre et l’hiver se veut mordant. Le froid me saisit malgré ma doudoune, qui me donne pourtant l’air du bonhomme Michelin. Dehors, il n’y a presque personne hormis quelques courageux fumeurs qui ne traînent pas. Je grelotte en avançant sur la terrasse qui encadre le karaoké et lève mon visage vers le ciel.
— Ça sent la neige, prédis-je en observant la nuit qui nous entoure, opaque et mystérieuse.
Soudain, ma capuche se rabat doucement sur ma tête. Je pivote pour gronder Zayn qui doit encore s’amuser à me taquiner. Cependant, quand je me retourne, je ne le vois pas rire. À l’inverse, ses lèvres dessinent un sourire discret, presque mélancolique. Dans la pénombre ambiante, je ne parviens pas à discerner l’éclat habituel de ses iris, pourtant je pourrais garantir que son visage n’exprime pas la même jovialité qu’à l’accoutumée. On dirait même qu’il est grave. Inquiète, je ne peux m’empêcher de poser ma main sur son bras en l’interrogeant :
— Ça va ?
Il pince sa bouche en un liseré fin, ce qui m’angoisse encore plus. Enfin, il attrape mes doigts et lâche :
— Juliette, j’ai besoin de te parler d’une chose importante.
Mon cœur rate une mesure, tant son ton est posé, empreint d’une gravité que je ne lui connais pas.
— Je ne pourrais pas faire la publication avec toi l’année prochaine.
Intriguée, je reste bouche bée. La publication est la synthèse de nos expériences et de nos résultats portés au monde scientifique. De toute évidence, si Zayn ne peut la réaliser avec moi, c’est qu’il y a un problème. Je réagis aussitôt, voulant comprendre :
— Tu es malade ?
— Non, m’assure-t-il en souriant tout à coup. Merci de t’inquiéter.
— Tu veux une promotion ! m’alerté-je vite.
Je claque mes doigts libres en allant dans son sens :
— Tu as totalement raison. Tu as fait du super bon boulot, et s’ils veulent te garder, ils doivent te récompenser. Écoute, j’appuierai ta demande, car tu le mérites. Dès lundi, je…
Cependant, le grand brun m’interrompt en enserrant ma main encore plus fort et en secouant la tête :
— Non, cela ne concerne pas mon salaire. Je vais partir. En Bretagne.
J’ai besoin de décortiquer ces informations. Partir ? À l’opposé d’ici ?
— Mais… pourquoi ? bégayé-je.
— Je vais rejoindre ma copine là-bas.
— Ta copine ? répété-je comme un bête écho. Tu n’en as jamais parlé.
— Je l’ai rencontrée grâce à une application, il n’y a pas si longtemps. Simplement, j’aimerais que ça fonctionne et je veux me donner toutes les chances.
Il incline sa tête sur le côté et reprend :
— Enfin, tu vois, quoi… la distance, c’est pas mon truc.
Le choc qui me tombe dessus est colossal, seulement je ne peux pas le lui montrer. Je suis son amie, et son bonheur doit compter plus que tout, surtout plus que ma sidération. Je tente d’oublier cette sensation tellement douloureuse que cette annonce me provoque et souris, mielleuse :
— Félicitations, grand ! Tu es un sacré petit cachottier.
Je ne parviens pas à décrypter l’expression qui traverse son visage alors qu’il me remercie. Devoir quitter cet ami dont je suis si proche me parait inconcevable. Je dois pourtant m’y résoudre quand il m’abat sa dernière carte, achevant d’émietter mon cœur :
— J’ai posé mon préavis ce matin. Je pars dans trois mois.
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