Le monde ne se souviendrait pas de moi.
Je suis né dans une ferme aux confins du royaume de Velmire, loin des cités où les rois forgent leur destinée. Mon père cultivait la terre, ma mère tissait des vêtements que nous échangions au marché contre de la farine et du sel. Nous n’étions ni riches, ni pauvres. Juste des gens, simples et oubliés.
Enfant, j’écoutais les histoires des bardes qui venaient parfois chanter dans notre village. Ils parlaient de chevaliers aux armures d’argent, d’elfes aux yeux perçants, de guerres où seuls les forts survivaient. Moi, je regardais mes mains pleines de terre et je savais que ces récits ne m’étaient pas destinés.
L’enfance s’évanouit vite dans les champs. Très tôt, j’appris à labourer, à récolter, à réparer les clôtures quand le bois s’usait. Mon avenir était tracé dans la boue et la sueur, et je n’avais ni l’envie ni la force d’y résister.
Puis la guerre arriva. Pas comme une ombre sourde grandissant au loin. Non, elle frappa sans prévenir.
Les armées du Nord tombèrent sur nous comme des fauves affamés. Ils n’étaient ni nobles ni justes. Seulement des hommes avec des lames, pressés d’en finir. Les soldats du roi étaient loin, trop occupés à défendre les grandes cités. Nous, paysans sans valeur, étions abandonnés à notre sort.
Je pris une fourche. Qu’aurais-je pu faire d’autre ? Défendre ma maison ? Protéger ma mère qui tremblait près du four à pain ? L’acier répondit à mes maigres espoirs. Une lame traversa mon épaule, le feu se propagea, et je tombai dans la poussière alors que mon monde s’écroulait.
Je n’aurais pas dû survivre. Mais on ne choisit pas toujours.
Quand je rouvris les yeux, j’étais enchaîné. Traîné comme du bétail à travers les routes que je n’avais jamais empruntées. Les vainqueurs avaient pris des prisonniers, non par pitié, mais pour en faire des esclaves.
Ainsi débuta une autre vie, loin des champs de mon enfance. Je devins un numéro parmi tant d’autres, travaillant du matin au soir dans les mines du Nord. Le fer m’entourait, la poussière s’infiltrait dans mes poumons. On ne parlait pas ici. La fatigue remplaçait les mots, et l’épuisement nous arrachait toute révolte.
Les années passèrent. Mon corps grandit dans la souffrance, mon esprit s’émoussa. Je ne pensais plus à Velmire. Je ne pensais plus à rien.
Puis, un jour, le monde bascula à nouveau.
L’Empire du Sud frappa. Une autre guerre, une autre cause, d’autres hommes persuadés de leur grandeur. Les murs s’effondrèrent sous les catapultes, le sol s’imbiba de sang. Dans le chaos, nous, esclaves, fûmes oubliés. J’ôtai mes chaînes d’un poignet trop maigre et je fuis, sans direction, sans but.
J’aurais pu rentrer chez moi. Mais je savais ce que je trouverais. Des cendres. Des ruines balayées par le vent.
Alors je marchai, encore et encore. J’appris à voler, à mendier. Parfois, je travaillais une saison ou deux, puis repartais avant que le poids d’un nouveau foyer ne m’écrase.
Un jour, la guerre me rattrapa.
Les mercenaires avaient besoin d’hommes. Peu importait que je n’aie jamais tenu une épée. Ils avaient besoin de bras, pas de héros. On me donna une lame, on me jeta au combat. La peur me rendit féroce, le désespoir me rendit docile. Tuer ou être tué, voilà la seule vérité.
Les années s’écoulèrent. Je ne comptais plus les batailles. Ni les hommes que j’avais abattus. La gloire n’existait pas. Seulement des corps qui s’effondraient dans la boue, et la certitude qu’un jour, mon tour viendrait.
Mais la guerre ne tue pas toujours sur le champ. Parfois, elle ronge lentement.
J’avais survécu à l’acier et au feu. Mais les maladies de la route, le froid des hivers sans toit, la faim qui creuse et l’épuisement qui tord le dos, c’est là que résidait la vraie fatalité. On ne meurt pas toujours d’un coup d’épée, souvent c’est un long effritement, un oubli progressif du goût des choses, de la chaleur humaine, du sens même de continuer.
Un soir, dans une taverne, j’observai des jeunes soldats rire et boire. Ils parlaient de conquêtes, de richesses, de chansons qui porteraient leur nom à travers les âges. Je bus en silence. Ils ne savaient pas.
Je suis un homme sans nom. Sans famille, sans cause, sans avenir.
Le monde ne se souviendra pas de moi.
Et c’était bien ainsi.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
3089 histoires publiées 1359 membres inscrits Notre membre le plus récent est LudivineR |