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Neïko se réveilla. Encore. Comme à chaque fois. La douleur, les hurlements, les blessures qui pissaient le sang et puis le noir. La soudaine promesse que sa vie lui serait ôtée, son calvaire, terminé. Mais non. Il se réveillait toujours avec un bandage blanc autours de la partie blessée.

Il aimait la nuit. C'était cet espoir qui grandissait en lui, il espérait qu'au petit matin, on le trouverait mort. Mais non. L'enfer continu. Encore. Il voudrait hurler. Il voudrait pleurer. Il aurait aimé être consolé. Mais il avait tellement supplié cette femme d'arrêter qu'il ne pouvait plus pousser le moindre cri. Les larmes s'étaient cachées au plus profond de son cœur. Sa mère était morte. Comme ses amis. Comme son père. Mais qui donc lui restait-il ? Nishka. Son espoir, sa douceur, son courage de vivre dans ce monde affreux.

Étendu sur le sol froid en béton du chenil numéro quatre, Neïko ne bougeait pas. Nevo, son ami de toujours, le pressait, le poussait pour le soutenir et l'encourager mais il ne se lèverai pas. Plus jamais. Il ferma les yeux. Une larme brûlante dévala sa paupière et se nicha sur sa truffe. La seule larme qu'il a fait couler de sa vie. La dernière.

Il soupira. En fermant les yeux, il pensa au monde heureux, lui et Nishka ensemble, Nevo à ses côtés, loin de cette misère et de cette torture. Il aboya à cette douce pensée et gémit, s'abandonnant à la torpeur étrange qui l'engourdissait.

•••

Pourquoi ? Pourquoi lui ? Le désespoir envahit la poitrine de Nishka. La douce chienne, enfermée depuis ce matin dans une cage de la clinique vétérinaire, ressassait les paroles de Narva, son amie.

"C'est fini pour lui, si tu veux mon avis. Trente coups de fouet, autant de ceinture et un couteau enfoncé dans les côtes. Nalya, tu sais, la chienne du chenil huit, avait vu la véto sortir du chenil quatre et énumérer ses triomphes cruels de bourreau tortionnaire à son cher et tendre Arnold."

Elle gémit. Seule dans sa cage, la chienne jeta un coup d'œil à travers les barreaux gris aciers. Elle voulait y croire encore. Neïko était vivant. Il le fallait. Cet ami était le seul qui puisse lui procurer un peu d'espoir.

Nova se faisait examiner par leur vétérinaire, un homme assez doux. Mais celle-ci, malgré les cajoleries du médecin, se tortillait comme un ver pour s'extirper de ces grosses mains velues. Nishka se retourna en demi-tour maladroit à cause de l'espace exiguë. Un cri. Un juron. Elle savait déjà. Nova avait mordue le docteur.

- Tu ne seras pas aussi rebelle, hein ma fifille !

Le vétérinaire, la main droite bandée, dirigea ses deux membres vers elle. Elle frissonna, mais se laissa faire. Se rebeller inutilement, Nishka l'avait déjà fait. La chienne l'avait durement payée.

Le docteur la posa sur la table recouverte d'un papier vert pâle. La lampe éclairait vivement son corps tremblant. Le vétérinaire changea ses gants, pris son stéthoscope et s'approcha de la table d'un pas léger.

Il se pencha pour lui palper son sexe, puis ses mamelles, et sa queue. Nishka avait une furieuse envie de mordre.

Le docteur continua son examen. Il la retourna sur le dos, dévoilant son maigre ventre et scruta du regard la partie la plus intéressante. Il étala du gel et appuya l'appareil sur le ventre frissonnant.

- Voyons voir... J'espère que l'échographie révélera quelque chose...

Le brouillard s'estompa légèrement sur l'ordinateur et laissa place a une forme confuse.

- Pas encore... C'est son estomac...

Il appuya l'appareil plus fort.

- Non.

Déçu, il lâcha l'instrument, le regard lourd. Il murmura à son assistante :

- Marley, veuillez la garder en observation.

•••

La jeune femme s'empressa de prendre la pauvre chienne tremblante dans ses bras. Elle la posa doucement dans la cage froide et saisit une couverture. Elle la borda tendrement et lui sourit.

- Ton calvaire est bientôt terminé. Courage !

•••

Nishka regarda cette inconnue lui parler avec compassion. Personne ne lui avait jamais adressé la parole ainsi. Pas un seul humain. La femme s'écarta, verrouilla la cage, lui adressa un dernier sourire, récupéra sa feuille, éteignit les lumières et sortit en verrouillant la porte.

Plongée dans le noir, Nishka pensa à Neïko. Une sensation étrange mais agréable lui étreignit le cœur. Ce chien n'avait pas hésité à se mettre devant elle pour la protéger des coups. Elle avait remarqué cette étincelle de courage et d'espoir. Il était différent. Cette douce pensée en tête, elle s'endormit plus sereine.

•••

- Allez on se bouge ! Tout doit être près dans une semaine !

- Oui oui ! Oh ! Martin ! Fous-moi ces caisses ici dans l'coin ! Voilà merci !

- Gérard !

- Quoi ?

- Ton sandwich et tes tomates pour demain !

- Merci ma biche.

- Allez on se bouge ! Je veux que tout soit près dans une semaine !

- Lola ?

- Quoi ?

- On est au courant tu sais. Que tout doit être près. Pas la peine de te ronger les sangs. On a encore le temps.

- Mais ! Enfin ! Trois ans que je la veux, cette putain d'autorisation ! Enfin je l'ai eu ! Tu comprends ? Trois ans que j'attends, Myrtille !

- Oui je sais. Mais on est tous là pour le même objectif. Et tu le sais.

•••

- Il fallait qu'on le fasse.

- Appeler la SPA ? Mais...

- Marley.

- D'accord, tu avais raison.

Le bruit programmé des touches du téléphone avaient résonné dans le couloir blanc sale du chenil. Au loin, les hurlements avaient vibré dans les oreilles du gardien qui, les lèvres serrées, avait composé le numéro avec ardeur.

•••

Viré. Vi-ré. Koat sortit du bureau, les bras tombants. La conséquence de son mensonge. Il irait se trouver du travail en ville. Pas grave. Il traversa les couloirs, l'ascenseur et le parking comme dans un rêve.

La Clio noire démarra, la radio tourna, faisant écho a l'abattement de Koat.

Tu vois, j'suis pas un homme

Je suis le roi de l'illusion

Au fond, qu'on me pardonne

Je suis le roi, le roi des cons