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tome 1, Chapitre 7 « Libère-Moi » tome 1, Chapitre 7

Marley s'avança d'un pas pressé dans le couloir blanc. Elle dépassa la fenêtre vitrée qui reflétait le soleil flamboyant de fin d'été.

Les derniers rayons illuminaient le ciel rougeoyant serti de nuages. Elle soupira. Marley se sentait prisonnière de ce lieu morbide. Jeune vétérinaire depuis peu, les chenils étaient son seul emploi qui lui permettait de joindre les deux bouts. Elle détestait cet endroit de mort et de souffrance. Parfois, seule dans sa chambre sous les toits d'un immeuble miteux, elle hurlait sa douleur et son impuissance. Pourquoi personne ne se rendait compte de l'horreur dans laquelle ils étaient plongés ?! Les chiens souffraient, mourraient et aucun gardien ne réagissaient. Elle pensait être la seule. C'était le cas. Plongée dans les notes de sa fiche, elle ne vit pas le gardien s'approcher et lui arracher la feuille des mains. Il était très beau malgré l'horreur de son métier.

- Excuse-moi, mais je reprends ce papier, dit-elle en lui enlevant la feuille.

- Désolé, c'est juste que les numéros m.Deux et f.Sept sont arrivés. Je précise qu'ils sont placés dans le box trois. Tu es assignée à celui-ci. Bon courage.

- Nous disons donc, répliqua-t-elle, en regardant furtivement sa fiche, ses yeux lançant des éclairs, que Nishka et Neïko sont placés dans le box trois.

- Si tu préfères, rétorqua le gardien en haussant les épaules.

Marley rajusta ses lunettes rondes et glissa une mèche de sa chevelure blonde derrière son oreille. Elle soupira pour la dixième fois de la journée. Dégoûtée, la jeune femme se dirigea vers le box blanc. Elle jeta un coup d'œil derrière la vitre et ce qu'elle vit lui serra le cœur, comme à chaque fois. Terrifiés, les deux chiens se recroquevillaient dans l'espace qui paraissait immense et dénué d'amour. Marley avait envie de pleurer. Mais la jeune femme regarda de toutes ses forces pour imprimer cette triste image dans son esprit, attrapa la fiche, enclencha la mine de son critérium et murmura aux gardiens :

- Je suis prête.

•••

Neïko se léchaient les blessures rougeâtres qu'il avait reçu en guise de châtiment pour sa rébellion. La femelle le regardait d'un air méfiant, son corps brun et blanc tremblait de peur. Il se rapprocha doucement d'elle, attiré par ce regard incroyablement doux. Curieux, il l'observa d'un air tendre. Il aimerait bien la câliner pour la rassurer. Sentir la chaleur irradier de sa peau tremblante. Un bruit attira son attention. Derrière une vitre, des visages inconnus qui le scrutaient, impatients ; tous grossiers, écrasés contre la paroi. Leurs yeux exprimaient une malveillance cruelle. Un visage retint son attention. Celui d'une femme pas très âgée, les yeux bleus et les cheveux blonds tirant sur le châtain. Elle affichait une expression de dégoût intense. Attristé, le jeune chien baissa la tête.

Encore une qui ne nous aime pas. En même temps, si elle est là, c'est pour nous faire du mal. C'est évident. Personne ne veut notre bien, ici.

Il se coucha sur le sol froid et se lécha la patte. Il poussa un petit hurlement léger, mais qui suffisait à exprimer son désespoir. Affiché comme une bête de foire.

C'est triste.

•••

Le doux hurlement de Neïko lui serra le cœur. Marley se crispa sur son siège. Elle voulait détourner son regard. Elle voulait s'enfuir comme une lâche. Non. Il fallait qu'elle vît. Pour témoigner lorsqu'ils viendraient les libérer. Elle rêvait d'eux la nuit. Elle les imaginait heureux sans les coups et les privations. Courir, libre, dans les champs de blés sous le ciel bleu. Jouer avec les gouttes de pluie et s'amuser du vol d'un papillon, le regard rendu émerveillé par tant de beautés innocentes. Cette joie simple dont on les privait depuis le début de leur vie qui n'en était pas une. Un semblant, une illusion qui se muait progressivement en enfer. Il fallait agir. Comment rester indifférent ?!

Un toussotement lui provient près de son oreille gauche. Le gardien la regardait. Encore.

- Quoi ? Pourquoi tu me dévisages ? dit-elle, exaspérée.

- Je te trouve...bizarre.

- Comment ça ?

- Tu te crispes pour rien, pousse des petits couinements de souris, serre ta feuille jusqu'à la froisser...

- C'est faux !

D'un air moqueur, il désigna le papier à l'agonie dans les mains de la jeune femme. Elle le jaugea du regard. Les yeux bruns caramel du garçon la faisait fondre tout en lui provoquant de la répulsion. Il souriait, avec une expression supérieure horripilante. Marley se ressaisit et défroissa la fiche. Elle inspira à fond, croisa une dernière fois le beau regard du jeune homme puis se tassa sur son siège, déterminée à l'ignorer.

- Je m'appelle Florian, dit-il, la main tendue, et toi ?

La jeune femme hésita puis la lui serra en murmurant, ses yeux à nouveau dans les siens :

- Marley.

Il lâcha sa main et se dirigea vers ses collègues qui observaient les chiens terrifiés, le sourire aux lèvres. Marley nota qu'il restait en retrait, une expression dégoûtée prudemment contenue sur son visage. La situation le répugnait autant qu'elle. Complètement ailleurs, la jeune femme oubliait de noter les interactions des chiens. Ceux-ci s'étaient rapprochés, suscitant soudainement l'intérêt de Florian.

•••

Nishka. Son nom et pas un numéro. Elle était elle. Pas un chiffre. Et lui alors ?! Qui était-il ?

Elle s'approcha. Un pas, puis un autre. Lui aussi tentait l'approche. Les deux chiens, mâle et femelle, esquissaient une danse silencieuse captivante. Un pas à gauche. Deux pas à droite. Un au milieux. Trois sur le côté. Ils ne se quittaient pas des yeux. Elle ; trop timide, trop farouche pour amorcer le premier pas. Lui ; pas assez courageux et maladroit. Ensemble ; un écho, un espoir. La nuit faisant face au jour. Les contraires qui s'attiraient.

L'amour ?

La glace se brisa comme une évidence à l'instant où Nishka effleura la truffe de Neïko d'un geste doux.

Mouvement furtif du museau.

Qui est-tu ?

Clignement d'œil.

Je suis Neïko. Et toi ?

Éternuement.

Je m'appelle Nishka.

Haussement de paupière.

Tu es perdue aussi ? Je ne comprends pas ce que je fais là.

Aboiement discret.

Moi non plus, je ne sais pas. Tu es un mâle, je suis une femelle...

Ils s'écartèrent pour scruter les gardiens derrière leur prison blanche. Ils étaient perdus...

•••

Marley avait assisté à ce tendre échange d'un œil ému. Elle dévisagea discrètement Florian. Lui aussi n'était pas insensible aux deux animaux, contrairement à ses collègues qui se comportaient comme s'ils étaient au zoo. Il s'écartait de la vitre et semblait attristé. Pourquoi ? Il tourna son beau visage vers elle et la jeune femme rougit, furieuse de s'être laissée prendre à le contempler, lui et son corps parfait. Son cœur se serra en le voyant quitter le couloir, les sourcils froncés, le regard perdu et bouleversé. Elle devait s'expliquer avec lui en tête à tête mais un aboiement retenu son attention. Derrière la vitre, Neïko hurlait comme un fou et Nishka grattait le sol, en proie à une agitation fébrile. Ils se démenaient tout les deux pour sortir d'ici, ensemble.

•••

Je ne veux pas mourir ici.

Moi non plus.

Comment faire ?

Gratte le sol, moi je hurle.

Les deux chiens s'unissaient pour sortir.

Mais personne ne répondait. La terre ne s'ouvrait pas sous les coups de griffes de la femelle.

Ils reniflaient partout, cherchant désespérément une issue. Aucune. Ils observèrent les humains qui riaient aux côtes devant leurs vains efforts. Les deux chiens se regardèrent, et plongèrent sur la vitre qui séparaient les bêtes et les civilisés. Les pattes avant tendues raclant la vitre, ils espéraient la briser. Mais pas une seule fissure. Leurs pattes arrières tremblaient sous le poids de leurs corps à la verticale. Neïko secoua la tête.

Le jeune chien aboyait de toutes ses forces en montrant les crocs. Les gardiens fuyaient, apeurés. Certains prenaient les fouets, d'autres quittaient le couloir. Heureux, derrière le brouhaha affolé, Neïko dévisagea sa nouvelle amie et lui toucha tendrement la truffe, doux baiser que Nishka accepta avec plaisir.

•••

Profitant de la cohue, Marley se dépêcha de retrouver Florian. Tapi derrière la porte coupe-feu, adossé sur le mur, il serrait les poings, en proie à une violente colère intérieure. A la vue de la jeune femme, il se redressa aussitôt, affichant un sourire factice. Moqueuse, Marley croisa ses bras et lui sourit.

- Ho ! Pitié... Pas à moi ! Je t'ai vu... Terré comme un rat dans son trou.

- Intéressant, répliqua-t-il.

- Qu'est-ce que tu caches, sous ton masque ?

- Je ne t'ai jamais dit que si je le portais, c'est parce que je ne voulais pas que tu vois ce qu'il y avait en dessous ? Tu perds ton temps, bella.

- Ne m'appelle plus comme ça, cria-t-elle, offensée. J'ai le droit de savoir !

- Et toi ? demanda-t-il soudainement. Tu ne caches pas quelque chose à l'insu de tous ?

Elle sourit tristement.

- Tout le monde s'en fiche de moi ! Et c'est tant mieux, marmonna-t-elle.

- Pas moi.

Marley releva le visage, ses boucles blondes dégringolèrent jusqu'à son menton.

Florian rit d'un air amer. Il se redressa contre le mur blanc délavé.

- Tu crois que je ne t'ai pas vue ?

- Quoi ?

- Fais pas l'innocente. Tu donnes à manger en plus aux animaux, tu veilles sur les bébés, tu caresses les chiens et tu leur apporte de l'amour... Tout ce qu'il ne faut pas faire, tu le fais.

- ...

- Pourquoi ? Pourquoi es-tu ici, si c'est pour faire des petites mimiques dégoûtées. Tu savais à quoi t'attendre et...

- Non, coupa-t-elle. Je ne savais pas. Vous êtes odieux avec ces pauvres bêtes. Ça me rend malade de les voir souffrir comme ça.

- Pare que tu crois que moi ça ne me donne pas la gerbe de les voir ainsi ?! hurla-t-il, en proie à une violente fureur.

Il tapa son poing serré contre le bois dur de la porte. Effrayée, Marley recula. Son corps se heurta sur le battant et la lourde porte s'ouvrit, projetant la jeune femme contre le béton. Elle s'ouvrit la joue et le sang chaud coula sur la dalle froide. Sa main récolta les perles pourpres et elle regarda le jeune homme. Celui-ci tremblait, les larmes brûlantes dévalaient ses joues pâles et s'écrasaient sur le sol. Le petit bruit des gouttes semblait se répercuter à l'infinie, accompagné par les hurlement lointains de Neïko.

•••

Les fouets. La terreur soudaine. Le bruit. La douleur.

Les gardiens s'acharnaient sur les chiens rebelles. Nishka poussa un hurlement de douleur et Neïko, impuissant, gémissait sous les coups.

Il voulait la sortir de là, l'extraire de cette torture infernale. Il s'était mis devant elle pour la protéger de la punition cruelle mais la chienne s'était écartée, le regard brillant d'une étincelle de courage. Elle ne voulait pas être couverte. Nishka subirait avec lui.

C'était de concert que les deux chiens se recroquevillaient, en protestant sous les coups qui pleuvaient, les visages grossiers des gardiens devenus impassibles.

•••

Les larmes brûlaient sur ses joues. Elles dévoraient sa peau blanche devenue pâle. Son vrai visage se dévoilait. La souffrance et le remords déformaient ses traits. Marley posa doucement sa main chaude sur son front. Elle s'était relevée, compatissante devant la douleur qui apparaissait derrière ce sourire en carton. Le masque fondait comme neige au soleil. La jeune femme savait qu'elle ne devait pas prononcer un mot. La connexion entre lui et elle serait rompue. Marley descendit sa main jusqu'au menton de Florian. Elle le releva doucement, et observa les beaux yeux bruns caramel qui lui faisaient face. Les gouttes cristallines débordaient de ses paupières et roulaient, défigurant son visage. Elle l'enlaça, sentant la chaleur de son corps sur le sien.

- Moi non plus, je ne supporte pas de les voir ainsi. Mais que peut-on faire contre une armée ? Rien.

- Si, on peut, balbutia-t-il. A condition d'être suffisamment courageux.

- Comment ?

Il sortit son téléphone.

- La SPA.


Texte publié par Lora, 17 avril 2025 à 20h43
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