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tome 1, Chapitre 28 « Chaudasse un jour... » tome 1, Chapitre 28

Éric partit en fin de matinée. Je m’étais avancée durant cette semaine dont j’avais profité du temps laissé libre, enfin, pour me consacrer à mes études. J’avais donc devant moi une dernière après-midi de vacances tranquille.

Je fis un peu de ménage, ce qui alla vite, vu la taille de mon studio. Mélanie toqua vers 14 heures. Je lui proposai l’aspirateur mais elle préféra se vautrer sur mon canapé en me piquant des M&M’s. Elle n’avait que dix minutes avant d’aller voir Amine, à moins que ce ne fût Vincent, ou je ne sais quelle nouvelle conquête.

-T’as la tête d’une fille qui n’a pas beaucoup dormi.

-Quand même un peu.

-C’était chaud ?

-Pas mal.

-Fais pas ta prude, oublie pas que je t’ai vue faire des trucs classés X !

-Oui, c’était chaud.

-A quel point ?

-Au point qu’il n’a pas tenu jusqu’à mon studio.

-Arrête ? Il a craqué où ?

-Dans l’escalier…

-Quoi ? Ici ? Dans l’immeuble ?

-Oui, presque arrivé au quatrième, mais c’était trop pour lui…

-Comme ça debout dans l’escalier ?

-Assis sur une marche.

-Oh la chaudasse ! Donc juste le temps d’enlever ta culotte, quoi.

-Sauf que je l’avais déjà enlevée au resto pour le chauffer un peu.

-…

-Quoi ?

-Mais quelle chaudasse !

-Oui bon ben ça va, hein.

-Non mais c’est un compliment, venant de moi.

-Ouais, ouais …

-Alors comme ça, toi, entre le bœuf bourguignon et la mousse au chocolat, t’as des envies de quitter ta culotte ?

-C’était tout un contexte.

-Je le connais ce contexte, moi je l’appelle « mouiller ».

-T’es terrible…

-Faux ?

-Nan, voilà, t’es contente ?

-Pour toi, oui. Mais l’escalier, ma poulette, là tu fais fort.

-Pourquoi je te l’ai dit…

-Parce que t’en es finalement assez fière, non ?

-En plus t’as raison.

-A quelle heure ?

-Quoi, à quelle heure ?

-A quelle heure il t’a sautée dans l’escalier ?

-Mais je sais pas, moi, il était tard, pourquoi ?

-Pour savoir si j’aurais pu tomber sur vous, en descendant les poubelles à la cave.

-Pourquoi je te l’ai dit…

-Tu sais quoi ? Je vais mettre une puce sur ton portable, comme ça la prochaine fois que je descends l’escalier je regarde si la voie est libre ou si tu copules dedans.

-Vas-y, fais-toi plaisir, lâche tes vannes.

-Tu me diras sur quelle marche c’était ok ? Quand j’essaierai la même chose, ça me ferait bizarre de prendre mon pied sur la même que toi.

Un peu après que Mélanie fut repartie hilare, j’allumai le téléphone de Lola, ce qui me permit de rajouter un certain Alain à mon planning de jeudi. Il annonçait soixante ans. Retraité, il était disponible dans l’après-midi et viendrait après Simon, vers 14h15, si toutefois ce dernier honorait son rendez-vous. Les autres appels furent non concluants. Quelques insultes, quelques hommes souhaitant coucher avec moi et ayant du mal à comprendre pourquoi je ne le proposais pas, un mec branché sado-maso qui voulait que je l’attache, le ligote, le menotte, le fouette, lui donne la fessée, et seulement ensuite le masse pour le consoler, comme une maman incestueuse. Je déclinai poliment. Un peu plus tard, un autre me fit rire.

-Oui bonjour ?

-Allo, c’est Lola ?

-Elle-même.

-Bonjour, je me présente, je suis Karl.

-Bonjour Karl.

-J’ai trente-six ans. Et votre annonce a retenu mon attention.

-Je vous écoute, Karl.

-Vous proposez uniquement des massages, si j’ai bien compris.

-Vous avez bien compris.

-D’accord. J’ai quelques questions à propos de pratiques annexes, disons, mais qui restent dans le cadre du massage.

-Dites toujours.

-Par exemple, envisageriez-vous un massage réciproque ?

-Réciproque ?

-C’est-à-dire qu’à un moment c’est moi qui vous masse.

-Non, je peux tolérer un contact entre vous et moi, mais pas au point que vous me massiez.

-Autre exemple, est-ce que vous me feriez une épilation intégrale avant d’enchainer sur la finition ?

-Je ne suis ni équipée pour ça, ni formée à ce genre de choses, Karl, vous m’en voyez désolée.

-Dommage, ça me tentait bien.

-Je vois ça, oui.

-Vous pensez que votre collègue Alessia accepterait ?

-Le coup du massage réciproque, non. L’épilation, tentez toujours, mais je ne vous garantis rien.

-Bon d’accord, je l’appellerai. Mais j’avais envie d’une blonde.

-Il faut savoir faire des concessions, Karl.

-Et pour le massage réciproque, même avec un tarif spécial ?

-Non, Karl.

-Bon, bon, je n’insiste pas. Merci pour votre gentillesse, Lola.

-Je vous en prie, au revoir.

-Au revoir Lola.

Il y avait un nombre de mecs assez incroyable, finalement, qui étaient prêts à mettre cher pour réaliser des fantasmes dépassant le stade de la grosse papouille sur table de massage.

Vers 15 heures mon autre portable sonna. C’était ma sœur chérie. Je ne l’avais pas appelée, pour respecter son éventuelle envie de garder sa soirée pour elle, mais je brûlais de savoir ce qui s’y était passé.

Vient ce jour, ma peau ne sait plus attendre

Viens cours, des papillons au creux du ventre

Viens me porter secours, je brûle de nous imaginer

-Salut ma puce.

-Coucou grande sœur.

-Tu vas bien ?

-T’as encore du taff ?

-Je peux discuter, tout va bien.

-Non mais je veux dire, pour se voir.

-Ah. Chez les parents ?

-Non.

-Je dois m’inquiéter ?

-Non. J’ai juste besoin de parler.

Je donnai rendez-vous à Charlotte à la gare du village principal situé entre elle et moi, le long de la ligne de notre TER. C’était celle où elle descendait pour aller au lycée, et où j’étais moi-même descendue trois années durant. Il y avait quelques trains le dimanche après-midi : nous aurions le temps de bavarder, et elle aurait celui de rentrer à la maison sans éveiller les soupçons de nos parents, qui la croiraient chez une copine pour réviser les subtilités des nombres complexes ou des oxydo-réductions tout l’après-midi.

J’arrivai un peu après 16h30 sur ce quai que j’avais tant arpenté, et qui me ramena subitement dans mon enfance encore proche. Il avait fait un temps magnifique toute la journée et j’étais sortie avec un jean et un simple chemisier sous mon blouson printanier. Le soleil de début mars commençait à décliner, et ses rayons bas diffusaient une lumière chaude dans l’atmosphère dont l’inertie accumulée pendant l’hiver conservait une rigueur vivifiante.

Mon émotion me prit par surprise. Je revis les toilettes de la gare où, en classe de seconde, je posai maladroitement mes premiers coups de rimmel sur mes cils, à l’abri du regard parental conservateur qui eût désapprouvé. Je revis le long quai, et les jeux idiots consistant à se courir après en évitant les valises. Je revis les distributeurs de confiseries, dont j’avais subi l’interdiction dans l’enceinte du lycée lors de ma rentrée en Première, ce qui avait fait les affaires de ces mastodontes qui trônaient en face de moi, sans oublier ceux présents dans la salle d’attente de la gare et dans le hall principal, que nous dévalisions pour nous gaver coûte que coûte de sucre, de chocolat et d’huile de palme. Je revis les traverses en bois, réseaux perpendiculaires aux voies ferrées que nous empruntions malgré les hurlements des agents qui nous sommaient vainement de passer par le souterrain pour changer de quai, petit rituel que nous avions certainement abandonné aux générations suivantes d’élèves tapageurs. Je revis les rails défier la notion d’horizon en s’engouffrant entre les arbres, sous les caténaires, quittant la vie lycéenne pour retourner vers l’enfance et sa maison, sans jamais se rejoindre alors qu’ils semblaient converger l’un vers l’autre en entrant dans la forêt dont la lisière bordait la gare, dans une nostalgique perspective fuyante. Je revis les recoins entre les arbres, derrière les balustrades, les bancs les plus éloignés au bout des quais, où tant de baisers avaient été échangés dans une discrétion très aléatoire, mélanges de langues enthousiastes auxquels se mêlaient, les jours de courage, quelque main baladeuse s’aventurant sur un t-shirt, voire en-dessous pour les garçons téméraires. Depuis mon bac, épilogue symbolique de ces années qui deviennent merveilleuses au moment où elles s’achèvent brutalement, je n’avais plus mis un pied sur ce quai. Je n’avais fait que le longer depuis mon train, mais mon obligation d’y descendre s’était envolée en même temps que mon adolescence, quatre ans et demi plus tôt.

Charlotte me tira de cette rêverie mélancolique.

-Salut Léa.

-Ah t’étais là ?

-Oui j’étais dans le hall, je regardais si c’était pas annulé, pour le retour, comme c’est encore les vacances.

-Tu vas bien ?

Pour toute réponse, ma petite sœur se rua dans mes bras, déversant sur mes joues et dans mon cou un torrent de larmes visiblement contenu depuis bien trop d’heures. Je la serrai fort, complètement paniquée, tentant de ne pas lui communiquer mon stress, ne sachant comment rassurer une jeune fille de dix-sept ans dont je ne connaissais pas le motif du désarroi. Quand les hoquets se calmèrent un peu, je l’entrainai vers les bancs les plus éloignés. Les rayons du soleil firent briller les tristes rigoles descendant de ses beaux yeux. J’essuyai du pouce ce que je pus, puis lui donnai un mouchoir en papier.

-Tu me racontes ?

Charlotte inspira, puis souffla, tentant à la fois de prendre du courage et de calmer la crise d’angoisse qu’elle s’était enfin autorisée.

-On l’a fait, hier soir, avec Loïck.

-Ok. Et … ?

-Et c’était bien.

-Mais … ?

-Ça a merdé quand il …

Les larmes revenaient. Je patientai malgré mon envie de la secouer comme un cocotier pour lui faire enfin cracher le morceau !

-Ça a merdé quand il... enfin quand … tu vois, quoi …

-Euh non, désolée, je ne vois pas bien.

-Quand il est sorti de moi, voilà !

Charlotte avait haussé le ton. Je ne le pris pas contre moi. Elle était à bout. Le détail principal de cette histoire m’échappait encore.

-Ok donc il a joui, puis il s’est retiré, c’est ça ?

-Voilà.

-Mais alors qu’est ce qui a merdé ?

-La capote ! Elle est restée en moi.

Et le tsunami reprit sur son visage, alors que je me forçai pour éviter à tout prix de hurler de rire et de soulagement. J’avais imaginé bien pire. Loïck lui reprochant quelque chose à cet instant où une jeune fille vit peut-être l’une des minutes les plus fragiles de sa vie. Ou pire, la violant, après que Charlotte serait revenue sur sa décision d’aller « au bout ». Alors, si je concevais sans peine les instants de panique, et même les ramifications de conséquences possibles de cette histoire de préservatif récalcitrant, j’étais quand même soulagée, n’en déplaise aux ruisseaux enfantins qui dévalaient les joues de ma sœur fraichement devenue femme, comme on dit dans ces cas-là. Consciente que c’est moi qu’elle avait appelée pour vider son sac, je tentai de me mettre dans sa tête, en reculant de cinq ans, et pris mon rôle au sérieux.

-Bon, d’accord. Tu as fini par réussir à l’enlever ?

-Oui. Mais trop tard.

-T’arrivais pas à le sortir ?

-J’étais paniquée, ça aidait pas trop.

-Ça, c’est certain. Au fait, t’es au courant que c’est pas efficace, une capote, comme sextoy ?

-Putain t’es conne.

J’étais conne, mais elle éclata d’un rire nerveux. C’était toujours ça de gagné.

-Bon sérieusement, t’as eu peur de jamais réussir à l’enlever, c’est ça ?

-Carrément, oui ! Loïck m’a calmée, il m’a dit qu’il allait essayer mais bon, j’ai pas voulu.

-Oui, tu as bien fait.

-Donc j’ai fini par la virer, mais tu vois le problème ?

-Oui, très bien.

-Putain c’est la merde.

-Ok prenons les choses dans l’ordre. Loïck était puceau jusqu’à hier soir ?

-Oui.

-T’es avec lui depuis six mois c’est ça ? Il n’a pas fricoté avec une autre ?

-Non.

-Bon, niveau MST je ne vois pas trop ce que tu risques. Ensuite… tu ne prends pas la pilule, n’est-ce pas ?

-Non.

-Bien, bien… Question conne mais, tu as vu s’il y a vraiment eu du sperme en toi ?

-Quand j’ai retiré la capote, j’en avais plein les doigts, elle s’était retournée dans tous les sens…

-Je vois.

-Et après, aux toilettes, j’en ai encore retiré.

-Excuse ma question, c’est un peu… indiscret, mais ça a son importance. Tu as saigné ?

-Oui.

-Ok.

-Pourquoi ?

-Il peut arriver que la première fois ne soit pas vraiment la première fois au sens médical… Que l’hymen ne se rompe pas ce jour-là. Le mec est prudent, il n’y va pas trop fort… Et alors tu aurais pu, comment dire…

-Rester fermée ?

-Je ne l’aurais pas dit mieux, oui.

-Ben c’est raté. Il m’a pas loupée.

L’expression me fit sourire. Charlotte retrouvait son sens de l’ironie. C’était bon signe.

-Tu as eu tes règles quand pour la dernière fois ?

-Je sais plus…

-Essaye.

-C’était fini depuis deux ou trois jours quand je suis venue chez toi le week-end dernier.

Je fis un rapide calcul dans ma tête.

-Merde.

-C’est pas bon ?

-Tu fais des concours de morpion avec ta voisine, pendant les cours de SVT ?

-Ok c’est bon, je suis pleine ovulation, c’est ça ?

-Bah en tout cas on ne peut pas l’exclure.

-Et maintenant, on fait quoi ?

Je regardai ma sœur. Elle avait grandi trop vite. Cette soirée cumulait trop d’émotions, dont certaines auraient dû lui rester étrangères, et masquaient l’essentiel de ce qu’elle venait de vivre.

-C’était comment … ?

-Hein ?

-Bah avec Loïck ?

Charlotte piqua son fard habituel, et ses jouent prirent la teinte que choisirait le soleil d’ici une heure.

-Ben tu sais, on a surtout été accaparé par le coup du préservatif.

-Je te parle d’avant…

Un sourire illumina enfin le beau visage, qui prit une expression adulte.

J’ai peur de nous, j’ai pas envie de résister

J’ai peur de nous, la raison n’est pas notre alliée

Tour à tour on se tourne autour, sans jamais avoir basculé

Elle me regarda. Ses yeux brillaient, mais exempts de larmes.

-C’était super !

-Super-super ?

-Ouais, vraiment génial, même ! Je sais pas quoi…

Je la coupai.

-Je ne te demande pas de détails. Ils t’appartiennent. Je voulais juste savoir si ça s’est bien passé.

-J’avais peur d’avoir mal. Mais en fait, non.

-Tant mieux.

-Mais ça doit être ma faute, ce qui s’est passé.

-Comment ça ?

-Quand ça a été terminé, je l’ai un peu serré dans mes bras. Je voulais pas qu’il s’en aille tout de suite.

-T’as voulu faire durer le moment.

-Oui.

-Et il a débandé alors qu’il était en toi.

-Voilà.

-He ben maintenant tu le sauras. Quand tu veux un câlin après le sexe, d’abord le mec enlève la capote, et après il te prend dans ses bras pendant deux heures s’il le faut !

-Je peux te poser une question ?

-Vas-y.

-J’ai pas….

-Oui ?

-Pendant qu’on le faisait, tu sais. J’ai pas eu …

-D’orgasme ?

-Ouais. Tu crois que c’est grave ?

-Pendant ta première fois, entre l’appréhension, la peur de mal faire, les tâtonnements, l’angoisse d’avoir mal, la pose du préservatif, tu n’as pas réussi à jouir … ah oui, c’est gravissime, tu es sans aucun doute frigide.

-Ok c’est bon, j’ai rien dit.

-Non, mais là effectivement il faut tirer toutes les conséquences. Tu n’es pas faite pour le sexe.

-Ça va j’ai pigé…

-Je vais appeler un couvent. Quand les choses sont aussi claires, ça ne sert à rien de s’acharner. Le vœu de chasteté est ton avenir.

-Pitié arrête, j’ai compris.

-Sœur Charlotte, ça sonne bien, non ?

-Mieux que Sœur Léa, en tout cas.

-Ah mais moi j’aime trop la queue, ma chérie !

-Mais arrête !

-Seulement si tu arrêtes tes réflexions débiles.

-J’ai pigé depuis dix minutes ce que tu voulais me dire, hein. C’était pas la peine d’en rajouter.

-C’est toujours la peine.

-Ah oui ?

-Je suis ta grande sœur. Qu’est-ce que tu fais du plaisir de me payer ta tête ?

-Merci d’être venue…

Je la repris dans mes bras et embrassai ses courts cheveux châtains et sa nuque où je laissai une trace de rouge à lèvres. Je pris un mouchoir en papier pour l’essuyer.

-Qu’est-ce que tu fous ?

-C’est pas le moment que les parents voient ça et te croient lesbienne.

-Bon dis-moi, comment on fait, pour mon problème, maintenant ?

-Je vais passer quelques coups de fil pour faire le bilan des places disponibles dans les crèches autour de chez moi.

-Ha ha ha !

-Mais y’a pas grand-chose à faire à part attendre, ma puce. T’es sur 28 jours ?

-Couci-couça.

-Au maximum ?

-Trente.

Je recalculai dans ma tête.

-Ça te fera un beau cadeau pour tes dix-huit ans, dis donc.

-L’angoisse.

-C’est surtout que si t’as tes règles le 26, ça va être compliqué de faire la fête au lit avec Loïck pour ton anniversaire…

-Mais t’es une chaudasse, toi !

-C’est la deuxième fois que j’entends ça aujourd’hui.

-Comment ça ?

-Non, rien. Je veux juste te faire comprendre que la vie continue. Que si tu dois malheureusement être enceinte, on ne vit plus au moyen-âge, il y a des solutions. Et que si ça n’est pas une partie de plaisir d’en arriver là, c’est quand mieux que de te retrouver avec un môme accidentel à élever en pleine année de classe prépa.

-Je suis évidemment d’accord, mais je dis quoi aux parents ?

-Ecoute, il sera temps d’y penser si on en arrive là. Mais tu n’as pas à avoir honte de ce qui s’est passé. Vous avez été parfaitement responsables. Vous vous aimez, vous avez eu envie de faire l’amour, vous avez pris vos précautions, et pas de chance vous êtes un peu novices et vous avez fait une boulette. C’est davantage attendrissant qu’humiliant.

-On parle des parents, là.

-Les détails de ce qui s’est passé ne les regardent pas. A toi de savoir ce que tu auras envie de dire et de ne pas dire. En plus si tu dois avorter, tu seras majeure quand ça arrivera. Et je crois que même si tu ne l’avais pas été, il n’y aurait pas eu besoin de leur autorisation.

-Et si je ne veux pas leur dire ?

-Je ne peux pas t’y encourager, parce qu’il me semble que le dialogue est important, y compris quand il est difficile, et qu’il vaut mieux avoir du mal à exprimer quelque chose dans la contradiction, que de mentir ou de taire ce qui est important.

Tout en balançant à Charlotte ma sentence péremptoire, je me rendis compte à quel point c’était hypocrite de ma part. « Faites-ce que je dis et pas ce que je fais », pensai-je un peu honteuse de l’énormité de la situation. Toutefois, je poursuivis.

-Mais si tu préfères leur cacher la situation, et si on en arrive là, je le respecterai et je m’occuperai de toi. Tu sais que tu peux compter sur moi. C’est l’affaire d’une journée, ils ne s’en rendront pas compte. On fera les consultations préalables ensemble, y’a aucun problème.

-Merci.

-Mais encore une fois… t’es pas forcément enceinte, ok ? Ne pense à tout ça qu’en termes d’éventualité parfaitement gérable. Si tu devais avoir un problème, on aurait une solution. C’est tout. D’accord ?

-D’accord.

-Par contre ce serait bien que tu te mettes à la pilule, maintenant, tu ne crois pas ?

-Carrément. Je vais la demander.

-Qu’est-ce qu’il en a dit, Loïck, de tout ça ?

-Il était emmerdé, il voyait bien que j’étais pas bien. Il aurait aimé que ça se passe autrement.

-Toi aussi, non ?

-Oui.

-Il a essayé de te rassurer ?

-Oui, il a été super. Mais ça allait trop vite dans ma tête.

-Il attend des infos ? Il en parle à ses parents ? C’est quoi, la suite, pour vous ?

-Non c’est pas le genre à parler de ça avec ses parents. Je l’ai appelé ce matin, c’est lui qui m’a dit de t’appeler.

-Tu ne voulais pas ?

-J’avais un peu honte.

-Il a bien fait, alors.

-Ouais.

-Et sinon … c’est un bon coup ?

-Mais arrête, tu recommences !

-J’aime bien te taquiner.

-Ça, je sais !

-Dans quelques années, tu garderas un bon souvenir de ta première fois. Malgré tout ça. Parce que ce qu’il y avait de plus important s’est bien passé.

-Tu crois ?

-J’en suis absolument certaine.

-Ce serait quand même mieux que ça finisse sans grossesse.

-Ce serait mieux, en effet. Dans ce cas ça restera juste une anecdote marrante qui vous fera rire. Qui te fera rire.

-Espérons.

-Ah sinon, une dernière question, miss.

-Oui, quoi ?

-C’est prévu quand, ta deuxième fois ?

-Mais putain, arrête !

Charlotte reprit son train pour rentrer à temps sans éveiller de soupçon. De mon côté, je dus patienter une heure avant qu’un TER ne passe, et décompressai en passant mes nerfs sur l’huile de palme. Parfois, on ne peut donner tort au législateur : quand la malbouffe est à portée de main, grande est la tentation de mal bouffer.

Vers 19 heures, je reçus un sms de Mélanie.

-T’es pas chez toi. T’es dans l’escalier ?

-Ben va voir.

-Trop peur. Tu fais des trucs qui sont pas de mon âge !

-Je suis allée voir Charlotte.

-Problème ?

-Te raconterai. Rien de dramatique.

-Tu veux passer diner, je commande des pizzas ?

-Journée diététique, ça me va.

-Pas trop courbaturée, sinon ?

-TG

-Tu seras là vers quelle heure ?

-Le train arrive en gare dans deux minutes, tu peux commander les pizzas.

-T’en veux une à quoi ?

-Celle au poulet et ananas, avec du curry.

-Ça marche.

-A+

-Tu fais gaffe à ta libido, l’ascenseur est pas réparé…

Je ne lui fis pas un doigt d’honneur, mais le cœur y était.

En face de Mélanie et de ma pizza, je passai assez vite sur les tourments de ma sœur. La situation me semblait finalement assez simple, quand on ne la vivait pas de l’intérieur avec l’affect que cela suppose. Mélanie avait fait des galipettes dans l’après-midi et était d’humeur à ce que je lui raconte les miennes. La discussion fut donc coquine.

Un peu avant minuit, je changeai de porte d’entrée et réinvestis mon studio. Dans le couloir, Mélanie m’interrogea.

-Tu as fini à 15 heures demain c’est ça ?

-Oui, j’ai deux clients. Et toi ?

-J’ai trois rendez-vous à partir de 15h30.

-On se croise, alors.

-Oui, tu peux m’attendre, éventuellement ? Je vais essayer d’être là pour 15 heures.

-Oui, je peux.

-Non mais je voulais juste voir un truc avec toi, pour notre annonce.

-Ah oui c’est vrai, faut qu’on décide si on la reconduit ou si on fait un site, c’est ça ?

-Oui. Et puis j’ai pris un rendez-vous que j’aurais peut-être pas dû prendre.

-Le mec qui veut une épilation ?

-Il t’avait appelée avant, oui, il me l’a dit.

-Karl !

-C’est ça.

-Il t’inquiète ?

-Sur le coup, comme je suis en école d’esthéticienne, je me suis dit que je pouvais le faire. Mais je le sens moyen…

-Tu préfères que je reste, c’est ça ?

-Oui, c’est la première fois que j’ai un doute après avoir pris le rendez-vous.

-Il veut quoi, au juste ?

-Epilation intégrale et finition.

-Ok ça va l’exciter que tu lui épiles la queue et il veut que tu le finisses après…

-Ça ressemble à ça. Mais il avait un côté poli, précieux, ça sonnait faux.

-Genre tueur en série.

-Non, mais disons que si ça te dérange pas…

-C’est lui à 15h30 ?

-Oui, j’ai juste pris une demi-heure, je ne pouvais pas faire plus car j’ai déjà un rendez-vous à 16h15.

-Ben d’accord, je reste. On verra comment on gère ma présence.

-Merci. Je lui ai mis un supplément, je te le filerai.

-Te casse pas pour ça. Tu lui as demandé combien ?

-Cent au total.

-Ah ouais pour trente minutes, pas mal. Tu seras en quelle tenue ?

-Habillée.

-Il prend cher.

-Bah attends, épiler, c’est un savoir-faire !

-J’en doute pas.

-Bon allez je te laisse dormir. On se voit demain vers 15 heures au local, alors.

-Salut Mélanie.

-Salut ma poulette.

Je lui fis la bise. Le temps de l’entendre glousser « et va pas te palucher dans les couloirs, chaudasse », elle avait refermé sa porte et eu le dernier mot. Il faut croire que c’était mon jour.

Chaudasse un jour, chaudasse toujours.

Tu le sais, une évidence de tous les diables

Je le sais, succomber est inévitable

Quel dangereux paradis, s’offrir A bouche que veux-tu


Texte publié par Lealaparisienne, 5 juillet 2025 à 08h44
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