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Dothee entra dans l’atelier et fut aussitôt assaillie d’un brouhaha de bruits métalliques et industriels. Elle se fraya un chemin entre les établis et les machines, se repérant entre les sons artificiels pour trouver le propriétaire des lieux. Cet endroit était bien différent de son jardin et le chant des oiseaux lui manquaient déjà. Elle se boucha les oreilles en progressant vers une scie à métaux et grimaça quand le grincement du fer que l’on pliait résonna.

— Il y a quelqu’un ?

Le cri de Dothee se perdit dans la cacophonie de l’atelier. Les paumes toujours comme bouclier pour ses tympans, elle continua son ascension. La résonance des crissements de l’acier lui provoqua des premiers maux de tête et elle ne rêva que d’une chose : sortir d’ici.

Mais sa mission avait à peine commencé et elle avait besoin du fabricant.

— Oh hé ! s’écria-t-elle de nouveau. Est-ce qu’il y a quelqu’un ?

Soudain, tout se tut. Les machines transformèrent leurs hurlements en ronronnement presque mélodieux. Dothee relâcha ses mains et desserra la mâchoire. Elle eut la sensation de retrouver l’ouïe.

— Il y a quelqu’un ? Répéta-t-elle, insistante.

— Par ici. Suivez la musique.

Dothee tendit l’oreille et capta le son d’une guitare acoustique que l’on tentait d’accorder. Elle se faufila dans un couloir encombré d’outils et de matériaux, et déboucha sur une pièce à la lueur tamisée et à l’ambiance calme. Sur le canapé, un automate jouait sur les clefs de l’instrument pour tirer les cordes vers la bonne note. Quand il leva la tête vers Dothee, son visage mécanique sourit.

— Entrez, entrez. Je suis à vous tout de suite.

La voix vibrait étrangement aux oreilles de Dothee. Elle avait cette drôle d’impression de l’entendre en stéréophonie : les mots passaient d’une cochlée à une autre comme si l’automate se déplaçait autour d’elle.

— Vous venez pour un automate ?

Dothee secoua la tête, encore étourdie par ce timbre grinçant et monotone. Elle en oublia sa question, perdue dans les sonorités claironnantes. Était-il vraiment celui qu’il cherchait ?

— Mademoiselle ?

— Oui, pardon, vous disiez ?

— Êtes-vous intéressée par un automate ?

— Non, répondit-elle un peu brusquement. En fait, je cherche Zoroastre, le fabricant.

L’automate lâcha la guitare qui chuta au sol dans une complainte aigüe.

— Je suis Zoroastre. Comment puis-je vous être utile ?

Dothee se racla la gorge, gênée d’avoir pensé que l’automate n’était qu’une création. Elle n’avait jamais connu d’automate artisan, ni même aussi autonome que celui-ci semblait l’être. Elle chassa ses pensées et affirma alors, de sa voix flutée et assurée :

— J’ai besoin d’un service. J’ai une vieille boîte à musique qui ne fonctionne plus et que personne ne sait remettre en état. On m’a dit que vous pourriez m’aider, que vous connaissiez ces objets anciens.

Zoroastre se leva dans un concert métallique mal huilé et avança en tendant la main. Dothee hésita à lui confier son trésor, puis se souvint du chant qui lui manquait tant. Elle la lui donna d’une main tremblante. Zoroastre la prit avec une délicatesse que la jeune femme ne lui aurait pas devinée. Il la porta à son oreille et resta dans cette position de longues minutes. Dothee craignit qu’il ne soit bloqué, bugué, quand elle le vit soudain sourire. Elle s’arrêta alors de respirer, de peur de troubler la quiétude du moment.

Elle apprécia cet instant, ces secondes suspendues dans le temps, et se concentra sur ce qu’elle percevait pendant l’analyse de l’artisan. Le ronronnement des machines, plus loin ; la vibration du métal ; le psithurisme apaisant venant de la fenêtre ouverte. Elle capta même ses propres battements de cœur et l’écho grésillant d’un vieil acouphène dans son oreille droite.

Puis, le moment éclata : Zoroastre mouva un bras, puis l’autre, et ouvrit la boîte à musique avec précaution. De ses doigts agiles, il bougea les roues crantées sur lesquelles glissait le ruban musical et, comme par magie, le chant reparu. Les larmes aux yeux, Dothee écouta la mélodie suave et cristalline comme si elle l’entendait pour la première fois.