Le soleil était de retour, ce matin-là.
Dothee le sentait sur sa peau, le voyait à travers ses paupières closes, le devinait haut derrière la vitre. Il amorçait le renouveau, les beaux jours tant languis, la promesse d’une nouvelle vie. Elle ouvrit les yeux et sourit. En tendant l’oreille, elle capta le rire de sa grand-mamie et ceux de sa tante Emy. Elle écouta le chant mélodieux des oisillons quittant à peine leur nid. Elle voyait l’ombre des branches sur le mur, se mêlant à la tapisserie anis de sa chambre d’étudiante.
Elle eut alors envie d’écrire. Depuis le premier jour de sa maladie, elle avait tenu ce journal de bord qu’elle gardait secrètement sous son oreiller. Entre ses doigts, elle retrouvait le plaisir d’une tradition longtemps oubliée, remplacée par une technologie lisse, sans âme. Elle aimait tout ce que ce présent lui apportait, mais avait eu besoin, pendant toute la durée de son traitement et encore maintenant, de garder une trace plus tangible. Plus réelle. Elle attrapa son stylo et commença.
« Printemps. Je t’attendais, comme chaque année. Mais cette année plus encore, je crois. Il n’y a que toi, et toi seul, qui est capable de raviver mon cœur de tes couleurs et de redonner à la maison son âme d’enfant. Les entends-tu ? Ces rires que mes oreilles ne captaient plus ?
Quand tu arrives, quand tu reviens, on ne t’entend pas, mais on sait que tu es là. Alors que l’hiver laisse toujours ses affaires traîner dans l’entrée, les tiennes sont toujours bien rangées. Tu es la saison de la douceur, enveloppée d’une aura émeraude et suivi d’un parfum de cerisiers en fleurs. Mamie Alda sourit elle te croise quand les couloirs. Tante Emy fredonne en cuisinant. Maman garnie la maison de tes fleurs multicolores. Papa s’active de nouveau à l’extérieur. »
Dothee s’interrompit et regarda par la fenêtre. Un mouvement presque imperceptible capta son attention. Dans les rayons matinaux, des ailes brillantes survolaient les massifs de jonquilles dans une traînée de poussière scintillante. Les dames du printemps étaient déjà en action tandis que d’autres prenaient le thé dans la petite serre du jardin de tante Emy. Curieuse d’entendre leurs conversations de clochette, Dorothee quitta la chaleur de ses draps et ouvrit la fenêtre. Le fond de l’air était encore froid, soufflé encore par un frère jaloux du retour de son aînée. Elle s’installa sur le rebord de la fenêtre, son vieux carnet aux pages jaunies par le temps sur les genoux, et poursuivit :
« Une nouvelle vie est insufflée en moi à chacune de tes respirations. Je sens la promesse que tu laisses sur ton passage, celle d’aller au-delà de soi, de se rencontrer et de s’accepter enfin. C’est une toute nouvelle moi que je dois appréhender, désormais. Guérie, je sens cependant encore la brûlure de la maladie au creux de mon ventre, souvenir de ce qu’elle m’a brusquement légué avant de s’en aller. Tout un équilibre à retrouver. Tout à remettre à sa place.
Mais tu vas m’aider, n’est-ce pas, printemps ? C’est pour ça que tu es là. »
Elle leva les yeux vers les parterres de fleurs que son père désherbait avec précaution, épaulé par les petites fées ; elles ne pouvaient s’empêcher de s’en mêler, mais cela n’avait pas l’air de le déranger.
Dothee ferma son carnet, coinça son stylo sur le dos et s’apprêta à refermer la fenêtre. À ce moment, néanmoins, une odeur arrêta son geste. Elle chercha son origine, faisant courir son regard sur le jardin de tante Emy, ceux du voisinage, jusqu’à la digue, puis la campagne. Ce fut alors qu’elle la vit. Majestueuse dans ce soleil printanier. Étincelante des fées qui s’y promenaient, la colline des roses couvait Arlences d’une aura chaleureuse et protectrice. Cela faisait bien longtemps que Dothee ne s’était pas perdue dans les allées de la roseraie et n’avait plus senti ce parfum qui lui mettait toujours du baume au cœur. Mais maintenant qu’elle était rétablie, elle pourrait y retourner.
Seule.
Seule pour la première fois depuis des mois. Pour la première fois depuis cette annonce qui l’avait obligé à tout vivre par l’intermédiaire des autres, dans une bulle stérile de précautions. Pour la première fois depuis que le cancer avait voulu la condamnée.
Rien que d’y penser, ce doux songe la réjouissait. Il lui tardait de goûter à la liberté.
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