Le mois d’août touche à sa fin. Cette date est une étape primordiale dans la stratégie soufflée par Ludovic que nous suivons dans les moindres détails. Je sais qu’Amaryllis sera à la hauteur, j'ai confiance en elle. Même si cette mission s'avère délicate, elle la mènera à bien pour sauver celui qu'elle aime. Elle inspire profondément tout en réajustant son masque aux allures vénitiennes dont les dorures entrelacées scintillent. Ses lèvres sont parées de la même couleur et sa robe assortie chatoie dans le soleil estival déclinant à l'horizon. Elle vérifie une énième fois la lettre dissimulée dans sa manche bouffante.
– Respire, tout va bien se passer !
Elle opine en arrivant devant l’imposante bâtisse reflétant les rayons encore brûlants. La façade immaculée paraît neuve, malgré le style néo-classique qu'elle arbore avec son fronton sculpté et son immense portique aux colonnes parfaitement alignées. Le manoir des Mac Gregor. Intimidée, Amaryllis lisse les pans de sa robe dans un geste nerveux.
– Et si ça ne fonctionnait pas ? doute-t-elle encore. Il pourrait ne même pas ouvrir cette lettre…
– Il l'ouvrira. Allons-y.
Elle souffle, prend son courage à deux mains et s’immisce dans la foule qui avance vers l'entrée, intégrant un petit groupe de demoiselles ricanant derrière leurs éventails. Son arrivée passera inaperçue. L’illusion entourant les lieux dissuaderait quiconque dépourvu de magie qui souhaiterait entrer dans leur domaine : un marécage putride et des ruines sinistres au bois pourrissant. Les Mac Gregor sont si sûrs de leur réputation qu'ils ne contrôlent que paresseusement les entrées, surtout celles des jeunes femmes ; il suffit de porter la tenue adéquate. Resplendissante dans la sienne, Amaryllis pourrait toutes les éclipser. Briller parmi les pierres précieuses pour mieux se fondre dans la masse. Je me demande si elle n'en a tout de même pas fait un peu trop ; elle m'évoque un diamant au milieu de breloques.
La fête bat déjà son plein à l'intérieur. Nous n'en connaissons pas la raison exacte ; Ludovic ne nous a pas renseignées sur ce point. Pourtant, nous ne tardons pas à le découvrir :
– Dommage qu'il ait été promis à cette traînée, se désole la première commère en s’éventant, il est si canon !
– Tsss, à ce qu'il paraît, c'est un sacré coureur de jupons, tu as encore tes chances !
– Oui mais le mariaaaage…
C'est avec étonnement que je reconnais la théâtrale Marina malgré son déguisement à plumes d'un rose criard. Qu'est-ce qu'elle fait là, elle ?
– Tu peux toujours essayer de le séduire… intervient la troisième d'une voix nasillarde. Paraît qu'il est pas très partant pour cet arrangement.
– Vraiment ? On pourra dire tout ce qu'on veut, c'est pourtant une sacrée belle femme cette Ilyana !
Les trois cancanières poussent à l’unisson un soupir à fendre l'âme. Je m'inquiète soudain de la réaction de ma protégée. Jeremiah serait donc l'objet d'un mariage arrangé ? Amaryllis reste impassible en apparence, toutefois je perçois son trouble.
– Un bon parti pour les Mac Gregor, surtout, souligne Marina avec amertume.
– Oui mais à ce qu'il paraît, Jeremiah compte s'inscrire à l’université, ce qui pourrait remettre cette union à plus tard.
– Quoi ? glapit la groupie. Il faut absolument que je sache où ! Je dois a-bso-lu-ment m'y inscrire aussi !
– Oh oui ! l'encourage la voix haut perchée. Fonce, on est avec toi ma chérie !
Happée par la splendeur de la grande salle où elle vient d'entrer, Amaryllis s'arrête. Le brouhaha nous empêche de suivre plus avant la conversation. En tout cas, cela explique pas mal de choses concernant Marina. Elle risque d'être déçue si elle s'inscrit malgré tout, car après ce soir Jeremiah devrait renoncer à cette idée. Des couples se forment déjà sur la piste de danse dans une valse rythmée. Amaryllis promène son regard sur les nombreux masques et costumes bigarrés. Le lien qui nous unit me permet d’user de ses cinq sens ou bien d'avoir une vision plus globale à ma guise. Ainsi, je peux aussi surveiller ses arrières. L'immense lustre répand sa fluorescence magique en fonction du rythme de la musique, des guirlandes courant le long des colonnades viennent parfaire ce spectacle lumineux. D'immenses escaliers de marbre mènent à un étage orné de fenêtres aux encadrements élégants bien que simplistes. Amaryllis s'y dirige, dans l'optique d’avoir une vision d'ensemble et pour respecter nos prérogatives. Elle ne tarde pas à trouver ce qu'elle cherchait.
Deux danseurs se démarquent, attirant un cercle de curieux. Malgré la distance, Jeremiah est reconnaissable sans peine par sa prestance et sa chevelure de jais. Un masque argenté aux courbures gracieuses recouvre une bonne partie de son visage. Rien à voir avec son déguisement raté d’Halloween, je ne peux m'empêcher de penser. Sa cavalière n'est pas en reste, le port altier. Ses longs cheveux ruissellent en boucles rougeoyantes sur ses épaules, couvrant l'échancrure d’une robe à l’émeraude éclatante. À la fin du morceau, Jeremiah murmure quelque chose à son oreille et la jeune femme étouffe un rire derrière le dos de sa main. Amaryllis déglutit. Je l'encourage :
– Les choses se compliquent, mais il suffit de saisir le moment opportun.
– Comment veux-tu que je l'approche ? chuchote-t-elle. Il est le centre de l'attention !
– L'occasion se présentera, si Ludovic a bien calculé son coup.
– Et cette femme… ce mariage… Il ne m'en a jamais parlé !
– Vous aviez d'autres priorités, il me semble…
– Oui, tu as raison… mais si… enfin tu sais…
– Rappelle-toi de la raison qui nous a amenées ici, rien d'autre n'a d'importance.
Elle tressaille, les yeux toujours rivés sur Jeremiah qui s'approche du buffet, sa prétendante au bras. J'ai ramenée ma protégée vers les enjeux importants de cette soirée : sa détermination est de retour, effaçant l’hésitation et les doutes qui la rongent. Nous sommes ici pour changer un futur funeste, pour le reste, nous aviserons, même si je comprends que cette situation soit éprouvante pour ma petite Amaryllis. MacGregor senior, hôte de la soirée, s’approche. Ilyana finit par s'éloigner enfin de son cavalier, en grande conversation avec son prétendu futur beau-père.
L'espace d'une seconde, Jeremiah laisse transparaître une certaine lassitude dans son attitude. Soudain, son attention est attirée par Amaryllis. Leurs regards se croisent. Il ignore quelques donzelles qui s'approchent, dont Marina, s'empare de deux verres de champagne au passage puis s'éloigne et gravit les marches à grandes enjambées afin de rejoindre l'un des balcons, un peu en retrait. Amaryllis se fige lorsqu'il passe devant elle dans une invitation silencieuse.
– C'est maintenant !
Ma protégée se reprend et saute sur l'occasion. Tout se déroule selon nos plans. Elle trouve Jeremiah en pleine contemplation du crépuscule étalant sa palette scintillante, appuyé sur la rambarde. Il a retiré son masque, comme pour offrir son visage à la brise légère agitant quelques mèches de ses cheveux d'ébène. Sans un mot, elle s'avance et s'installe à ses côtés.
– C'est magnifique, n'est-ce pas ? glisse-t-il.
Il lui offre toujours son profil, elle peine à contenir toutes les émotions qui l’assaillent. Son émoi est tel que je le ressens à travers l’Artefact.
– Oui, très beau, murmure-t-elle.
Ce n'est pas le coucher du soleil qu’elle observe. Sa voix trahit tout ce qui bouillonne en son fort intérieur. Jeremiah se tourne vers elle, un sourcil relevé, conscient de la fascination dont il est l'objet. Un sourire en coin s'est esquissé sur ses lèvres et je parie qu'il allait servir l’une de ses répliques enjôleuses. Pourtant, il reste coi, surpris face aux prunelles embuées de cette inconnue devant lui. Je décide d'intervenir :
– Calme-toi, Amaryllis… N'oublie pas les circonstances de votre première rencontre. Jeremiah n'est pas encore digne de confiance, contente-toi de lui remettre le pli.
– Je sais que je peux faire de l'effet, mais à ce point… Est-ce que tout va bien ?
Il n'a pas pu résister, finalement… même s'il montre un minimum de sollicitude. Statufiée, les lèvres tremblantes, Amaryllis ne répond rien, ses iris ambrés toujours ancrés à ceux de Jeremiah qui fronce les sourcils.
– Je sais pas trop, avec le masque, enfin… hésite-t-il, on se connait ?
Elle secoue la tête et détourne les yeux. Une larme dont elle s’empresse d'effacer l'existence s'échappe de ses cils.
– Viens, je t'invite à danser, ça te changera les idées !
Jeremiah tend une main vers elle avec un clin d'œil charmeur. Amaryllis panique. À la place de saisir cette paume tendue, elle y dépose la lettre et s'éloigne à pas vif.
– Attends !
La jeune fille ne l'écoute pas, bouscule la prétendante de Jeremiah en train de le rejoindre à l'extérieur, ignore les protestations de cette dernière et slalome à travers la foule. Je perçois alors la magie de Jeremiah s'élancer à sa suite, telle une déferlante. D'instinct, je l’endigue pour l’empêcher d'atteindre ma protégée :
– Ne pars pas, s'il te plaît !
D’inoffensives paroles, en somme, cependant je suis presque sûre de les avoir interceptées. Lorsqu'Amaryllis s'est assez éloignée du manoir, je la laisse recouvrer son souffle et ses esprits. Elle essuie ses joues encore humides en s'asseyant dans le train.
– L’as-tu entendu, en partant ?
– De quoi ?
– Son appel, par télépathie.
– Non…
Intéressant. Je perçois les flux magiques et je pourrais donc également les contrer. Je me recentre sur ma petite Amaryllis, complètement déboussolée.
– Écoute, je sais à quel point ça a dû être difficile pour toi, mais tu as réussi, bravo !
Amaryllis se contente de hocher la tête, serrant les poings. Après un instant de réflexion elle me répond :
– Oui et non… C'est vrai que c'était dur de savoir qu'il n'est plus le même, de garder mes distances, mais tout ce qui compte c'est qu'il soit bien vivant, pas vrai ? J'espère juste que ça va marcher…
– Ça marchera, et j'ai découvert une autre de mes capacités qui vient de me donner une idée.

| LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
|
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
3333 histoires publiées 1459 membres inscrits Notre membre le plus récent est Bleu Paris Festival |