Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 48 « Flashback Printanier » tome 1, Chapitre 48

4. Flashback printanier

Déjà une semaine que l’équinoxe est passée. Amaryllis contient de moins en moins son impatience. Pourtant, elle sait qu’elle va devoir continuer à s’entraîner avant de parvenir à ses fins. Arthus lui a interdit de quitter l’enceinte du bâtiment. Il est allé jusqu’à appliquer un sort qui lui empêche de retirer son bracelet et lui raconte à présent des anecdotes horribles sur les conséquences que peuvent avoir un voyage dans le temps. Heureusement, il n’y en a pas tant que ça, puisque les Chronomages sont extrêmement rares. Déjà trois fois qu’il fait allusion à la plus sordide des histoires pour dissuader ma protégée, c’est sans compter sur sa détermination à toute épreuve.

– User de votre don pour des raisons personnelles n’est de toute façon pas autorisé, lui rappelle-t-il une énième fois. Par ailleurs, manipuler le Temps rend tout imprévisible : tout comme votre confrère déchu avait souhaité retrouver son amour perdu, vous pourriez être déçue par la version du jeune Rockmore que vous allez rencontrer.

– Tant qu’il est vivant et heureux, réplique-t-elle, peu importe le reste.

Exaspéré, Arthus n’insiste pas. Las, préoccupé par toutes les démarches toujours en cours depuis le début de l’hiver pour couvrir les affrontements qui ont eu lieu ici, il congédie enfin Amaryllis. Pour tous les autres, Jeremiah a été victime d’un tragique accident le soir de son anniversaire. Certains étudiants du cursus magique restent sceptiques quant à cette explication, toutefois mon doyen a su rendre ces évènements convaincants. La triste rentrée de ce début d’année a donné lieu à une période de deuil et de recueillement pour l’étudiant disparu, puis la vie a repris son cours. Pour l’instant, Arthus cherche encore une remplaçante pour Mme Light. Quant à Marina, il souhaite lui donner une chance de se racheter. Elle arpente parfois les couloirs, tel un spectre ; je la plaindrais presque. Encore une fois, le doyen me demande de veiller à ce qu’Amaryllis n’enfreigne pas ses prérogatives. J’ignore ce qu’il prévoit à mon sujet. À chaque fois qu’il pose son regard sur moi, j’y lis sa crainte mêlée d’admiration. Je sais qu’il se méfie de mes intentions et il a bien raison : ma loyauté ne lui est pas acquise.

– Alors ? demande Francis en s’écartant précipitamment du mur où il était adossé.

Il emboîte le pas à Amaryllis qui ne lui répond pas tout de suite. Je me contente de suivre en silence, comme à mon habitude.

– Alors rien, le blabla habituel. Le rendez-vous avec Ludovic tient toujours ? murmure-t-elle.

– Bin oui, RAS, mais… tu sais… hum…

– Quoi ? part-elle au quart de tour. Toi aussi, tu vas me demander d’abandonner ?

Francis lève précipitamment ses mains devant lui en secouant la tête.

– Non non ! Juste, méfie-toi de lui, il est quand même bizarre, ce type.

– Il a une dette envers nous. Et nous poursuivons le même objectif.

– Justement, grommelle-t-il, je n’en suis pas si sûr.

Amaryllis s’arrête, surprise, et scrute son cousin. Je saisis parfaitement ce que Francis sous-entend ; leur altercation récente me revient en mémoire. Amaryllis venait de s'éclipser pour un besoin pressant et nous nous étions retrouvés tous les trois.

– Je comprends pourquoi mon frère est tombé sous le charme, a constaté Ludovic avec un sourire en coin. Il a bon goût. Tu crois que j’ai mes chances ?

Francis l'a fixé, outré et dégoûté. Il est vrai que le détachement de Ludovic vis-à-vis de la mort de son frère me choque aussi. Ce n'était pas la première fois qu'il tenait ce genre de propos.

– Il avait, a corrigé Francis d'un ton sec.

– Oh, s'il m'avait écouté on en serait pas là ! Et ce n'est que temporaire. Il y a 98,7% de chances qu'Ama parvienne à utiliser correctement ses pouvoirs d'ici une semaine, 99.7 si elle attend cinq jours de plus. Et avec notre aide, bien sûr.

Il a cherché mon approbation du regard en énonçant cette dernière affirmation, j’ai hoché la tête en gardant une expression neutre.

– Ouais, a rétorqué Francis avec colère et amertume, et premièrement il se souviendra même pas de nous, deuxièmement, n'utilises pas ce surnom alors que tu sais rien de ma cousine.

Ludovic s'est contenté d’éclater de rire devant l'emportement de son interlocuteur, décontenancé devant cette réaction.

– T’inquiète, toi aussi tu auras tout oublié, enfonce-t-il le clou.

Face à ce sarcasme sans limite, je n’ai pu rester de marbre et me suis permis d’intervenir :

– Tu lui ressemble peut-être physiquement, cependant tu n'as pas sa noblesse de cœur, semble-t-il.

Ma réplique acerbe a jeté un froid, étouffant l’hilarité de ma cible. Piqué au vif, Ludovic a baissé les yeux, toutefois ce n'était pas la honte qui l'étouffait, plutôt une rage diffuse et une déception contenue. Il me considère avec respect depuis que je suis parvenue à le libérer de sa malédiction. Mon opinion compte peut-être pour lui et, au fond, le sort de son frère l'inquiète bien plus que ce qu'il peut montrer en façade si j'en crois sa tristesse récurrente dissimulée à la perfection. Amaryllis avait reparu à ce moment-là, coupant court à notre conversation.

Ludovic serait-il prêt à dévier nos objectifs pour servir ses propres intérêts, quels qu’ils soient ? Je ne le crois pas, car j'ai pu percevoir ses sentiments profonds, ce qui n'est pas le cas de Francis. Sa méfiance m'apparaît donc légitime.

– Tu ne lui fais pas confiance, en déduit Amaryllis. Moi non plus, en fait. J’ai l’impression que… Enfin bref, de toute façon j’ai besoin de son aide.

– Tu as l’impression qu’il essaie de remplacer Jeremiah, et c’est juste la vérité, si tu veux mon avis.

Francis se mord la lèvre, Amaryllis lui lance un regard mêlant irritation et chagrin, puis reprend son chemin lorsqu’il s’embue. Un lourd silence s’installe entre nous. Ce n’est qu’en posant ses paumes sur l’immense porte menant à la cavité où se cache Ludovic que la jeune fille reprend la parole :

– Tu sais bien que ce ne sera jamais le cas.

Elle laisse ses mots chuchotés avec une douce ferveur flotter un instant avant de pousser le lourd battant. Après l’avoir aidée, Francis pose une main sur son épaule et lui offre un sourire. C’est apaisés qu’ils descendent les marches, bras-dessus bras-dessous. Ludovic est assis en tailleur, au milieu de cet antre qu’il a investi, les yeux clos, le visage dissimulé dans l’ombre de sa capuche, comme à son habitude. Son visage s’éclaire avant même qu’il ne soulève les paupières. Au moment où il laisse ses traits se révéler à la lumière, je repense à sa première rencontre avec Amaryllis.

C’était fin janvier. Après sa réconciliation avec Justine, Francis avait insisté pour fêter ça et en même temps sortir un peu sa cousine de sa léthargie. Bien sûr, Justine a été choquée par la nouvelle, comme tous les autres. Depuis, elle multiplie encore les efforts pour réconforter son amie et son petit copain. Ce soir-là, donc, ils se sont rendus dans le fameux pub préféré de Francis. J’étais heureuse de cette initiative, d’autant plus que je pouvais désormais me déplacer avec eux, dissimulée dans la rose d’Amaryllis, sans que personne ne le sache à part elle. Lorsque ma protégée est sortie prendre l’air, une silhouette encapuchonnée a attiré mon attention.

Méfie-toi, sur ta droite.

Suite à mon avertissement, elle avait amorcé un repli vers l'intérieur, quand l’inconnu l’a salué d’une voix étrangement familière :

– Bonsoir, Amaryllis.

Il a dévoilé son visage, sous ses yeux ébahis. Un jeune homme qui ressemblait presque trait pour trait à Jeremiah, même sourire, même chevelure sombre et même attitude revêche, jusqu’à son timbre de voix. Seul l’éclat émeraude de ses iris différait. Tapie au creux de sa poitrine, j’ai perçu la respiration d’Amaryllis qui s’accélèrait, son cœur qui s’emballait. C’était la seconde fois que ce nouveau lien me déroutait. Depuis que nous avons découvert ce subterfuge, j’ai même l’impression que je pourrais contrôler les actions de ma protégée à chaque fois que j’investis son pendentif. Cette sensation m’effraie, je m’efforce sans cesse de l’éloigner.

Après cette rencontre, tout s'est enchaîné très vite. Je peine toujours à trouver un nouvel équilibre, plus spectatrice qu’actrice. Tout comme je l’ai été durant les siècles derniers. Ludovic est un personnage insaisissable, ses motivations m’apparaissent floues. Toutefois, il nous a déjà fourni de nombreuses informations. Amaryllis le retrouve régulièrement en catimini, sous ma supervision et parfois celle de Francis qui ne cache plus son antipathie envers ce nouvel arrivant. J’ai un pincement au cœur mélancolique en repensant à ces rendez-vous secrets qui ont tissé la relation entre Jeremiah et Amaryllis. Francis a raison. En retournant dans le passé, nous effacerons tous ces moments qui ne perdureront que dans la mémoire d’Amaryllis. Et la mienne, sans doute.

– Pile à l’heure ! s’enthousiasme Ludovic en tapant dans ses mains. Alors, prête ?

Il ignore royalement la présence de Francis. Leur ressentiment est réciproque. Amaryllis se détache de son cousin et s’approche en souriant.

– Toujours. J’ai progressé depuis la dernière fois. Je parviens à visualiser les événements jusqu’à la semaine précédente.

Ludovic lui apprend à trouver des repères en observant le déroulement du temps. Leurs pouvoirs partagent quelques similitudes. Néanmoins, Amaryllis se concentre sur le passé, même si elle pourrait tout autant viser le futur.

– Moi aussi, j’ai bien repris mes marques. Je ne te remercierai jamais assez, ajoute-t-il en me gratifiant d’un regard empli de reconnaissance.

Je reste impassible, hésitant encore à déterminer si ce choix était le bon. Ses mâchoires se crispent presque imperceptiblement sous son désarroi. La question d’Amaryllis dissipe cette tension contenue avant qu’elle ne s’installe :

– Alors, est-ce que tu vas m’en dévoiler un peu plus, aujourd’hui ?

– Ton cousin ne t’a pas dit ?

Le principal intéressé, en train de ruminer dans un coin, les bras croisés, ne daigne même pas lui jeter un coup d'œil. Aussi, Ludovic poursuit avec un léger rictus :

– Tu as toutes les chances de réussir en poursuivant notre entraînement avec autant de sérieux.

– Quand ? Et qu’est-ce qu’il se passera, ensuite ?

– Tout doux, Ama ! Écoute… révèle-t-il à contrecœur. Je ne peux pas voir au-delà. Mes pouvoirs me permettent de voir le futur, pas le passé, tu comprends ?

– Alors, que vois-tu, après le moment où j’aurai réussi ?

– Rien. Parce que cette ligne temporelle disparaîtra.

Amaryllis frissonne face à cette froide affirmation.

– Par contre, reprend-il dans un murmure glacial, je sais très bien ce qui m’attends alors.

Amaryllis déglutit, consciente du sacrifice qu’il s’apprête à faire. Un retour à la case départ douloureux, je le conçois. Séquestré et drogué par son propre père, de nouveau limité par sa malédiction… Mes doutes reviennent à l’assaut. Tient-il vraiment à revenir dans ce passé si sombre pour lui ? Cette version qu’il nous a racontée représente-t-elle la vérité ?

– Mais je compte sur vous pour me secourir, conclut-il sur un ton adouci.

La réponse d’Amaryllis ne se fait pas attendre :

– Tu as ma parole.

– Alors il est temps de mettre en place notre stratégie.


Texte publié par Wildflower8906, 26 septembre 2025 à 08h52
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 48 « Flashback Printanier » tome 1, Chapitre 48
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
3333 histoires publiées
1459 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Bleu Paris Festival
LeConteur.fr 2013-2025 © Tous droits réservés