Le froid s'insinue dans les couloirs vides. J’effleure ces murs qui ont fait partie de moi durant si longtemps. Cette vacuité n’est que le reflet de ce que je ressens. La chaleur de ces parois, les mouvements des étudiants, leur insouciante jeunesse… Toutes ces sensations me manquent. Je devrais me sentir libre, je me sens nue, mélancolique, affligée… Des larmes coulent à nouveau sur mes joues, à la fois amères et acides. À l'image des souvenirs qui sont remontés à la surface. À l'image des regrets qui pèsent si lourd sur mes épaules. Je cache de mon mieux cette tristesse devant Amaryllis, déjà inconsolable, qui m’attend. Tout est calme. Francis voulait rester aussi pour la soutenir, j'ai toutefois réussi à le persuader de partir passer les Fêtes avec sa mère. Arthus veille, cependant, il a une famille, lui aussi.
Aujourd'hui, Amaryllis m'a demandé de l’accompagner auprès de celui qu'elle pleure depuis déjà quatre nuits. Son état ne le lui avait pas permis plus tôt. Lorsque je la rejoins, je m'alarme devant les cernes qui creusent ses joues striées et la pâleur de son teint. J'ai l'impression qu'elle tient à peine debout. Mon cœur se serre quand je repense à son désespoir lorsque nous sommes reparus sans lui. Pourtant, je perçois une étincelle ravivée dans son regard. Elle en est arrivée à la même conclusion que moi ; elle s'est résignée à attendre ces trois mois qui se profilent, déterminée à agir dès qu'elle en serait capable.
– Tu es prête ?
Amaryllis acquiesce silencieusement, ses lèvres s'étirant à peine. Je lui prends la main pour la guider. Plus nous avançons, plus je sens sa prise se resserrer sur mes doigts.
– Nous y sommes presque…
Les fleurs sur les parois s’illuminent pour nous accueillir dans cette grotte où j'ai végété durant trois siècles. Je n'en regrette pas une seconde. Le pacte que j'ai scellé avec Franck a été mon salut. Je ne peux empêcher mon regard de s'arrêter sur l'Artefact éteint qui gît au milieu des décombres. J'éloigne les angoisses qui me taraudent quant à ce qu'il adviendra de moi. Pour l'instant, Amaryllis a besoin de mon entière attention.
Le cercueil où repose Jeremiah scintille sous la douce lueur qui nous entoure. Sans nous en apercevoir, nous avons ralenti l’allure. Les joues d’Amaryllis ruissellent à nouveau. Ses paupières se ferment au moment où nous approchons. Elle les ouvre lorsque je m’arrête respectueusement pour la laisser avancer et se recueillir. Je serai tout près, si mon soutien est nécessaire.
Amaryllis s’agenouille et pose une main sur la paroi translucide. Des amaryllis éclosent à chaque goutte salée qui s'échoue au sol, puis tout autour de l'écrin de givre. Impossible de retenir mon propre chagrin qui recommence à s'écouler. Un étourdissement me surprend. Est-ce la culpabilité qui m’accable ?
– Pardonne-moi de ne pas être venue plus tôt, mon Doux Peintre… commence-t-elle d’une voix brisée. Je sais que tu aurais détesté me voir dans cet état ! Alors il valait mieux que je ne vienne pas avant, tu vois…
J’entends son sourire, même si je ne peux le voir. Une étrange sensation m'assaille, un vertige plus prégnant. Je ressens des ondes, comme des pulsations. Mon regard dérive vers ce qui fut mon Cœur pendant de si longues années. Je jurerais y avoir perçu quelques étincelles carmin… La voix d’Amaryllis se raffermit, sa résolution ramène mon attention à ses paroles :
– Tu sais, c'est Noël aujourd'hui… J'espère que nous pourrons le fêter ensemble, lorsque nous aurons changé notre futur.
Soudain, une lumière vive, rougeoyante, envahit la caverne. L’Artefact brille à nouveau, la rose d’Amaryllis scintille et je perçois le flux qui relie les deux artefacts. Je comprends qu'ils ne font qu'un. À l'instar de la blessure fatale qui avait déchiré ma poitrine, le Cœur qui m’a abritée si longtemps possédait un creux à l'intérieur : l'un de ses éclats avait été utilisé pour façonner le bijou de famille des Amloth. L'image de Franck passant le collier à son cou me frappe. Il s'est transmis de génération en génération, jusqu'à Althea. Jusqu'à Amaryllis… Encore un évènement que ma mémoire défaillante m'avait dérobé.
– Qu'est-ce qu'il se passe ? murmure Amaryllis, déconcertée.
Le pendentif qu’elle tient à présent dans sa paume absorbe ce qu'il restait de magie dans l’orbe brisé. La lueur rouge éclaire son visage stupéfait, serpente vers moi en un lien aérien, puis, soudain, tout s'éteint. La caverne est plongée dans les ténèbres.
– Cette rose a été ciselée dans un fragment de l’Artefact.
Tout en parlant, je concentre mon énergie pour raviver la lueur des fleurs, désormais teintée d’écarlate.
– C'est ce pendentif qui me lie à ta famille depuis si longtemps. Maintenant que l’Artefact s'est brisé et a cessé de jouer son rôle, l'énergie magique qu'il contenait encore t'es revenue.
– Qu’est-ce que ça signifie ?
– Que mon rôle est de te protéger, par le serment qui me lie à ta famille. J'ai subsisté grâce à Franck Amloth et à cet Artefact qu'il a fabriqué pour moi. Il y a mis une grande partie de sa magie. En échange, il m'a demandé de veiller sur sa descendance.
Déboussolée, Amaryllis fronce les sourcils, cessant de fixer son amulette pour me faire face.
– Comment ça ? Tu ne peux pas vivre sans cette magie ?
– J'étais grièvement blessée. Sans l'intervention de Franck, je n'aurais pas survécu.
– Et… Ta blessure est guérie ?
Un sourire étire mes lèvres, son inquiétude me touche. Je ne lui ai pas raconté en détail ce moment intense, à la fois douloureux et libérateur. Je lui dois la vérité, même édulcorée.
– C'est grâce à Jeremiah.
Amaryllis cille, puis hoche la tête et reporte son attention vers son bien-aimé, figé dans sa prison glacée. Je sais qu'elle a compris qu'il s'était sacrifié pour moi. Je sais aussi qu'elle ne m'en veux pas. De nouvelles larmes silencieuses se fraient un chemin entre ses cils. Elle embrasse le bout de ses doigts et dépose ce baiser sur la paroi cristallisée. Enfin, elle se détourne et sort en silence de la grotte.
Une idée effleure mon esprit. Ce lien que nous ressentions depuis le départ n'était pas le fruit du hasard. Je ferme les yeux et projette ma conscience dans son pendentif, puis me fond à l'intérieur.
– Je pourrai rester près de toi en toute discrétion, à présent.
Elle sursaute, stoppant ses pas, et scrute son pendentif, incrédule.
– Tu es là-dedans ?
Pour lui prouver que c'est bien le cas, je me matérialise sous ses yeux ébahis.
– Waaah… Ça peut être carrément pratique !
J’ancre mon regard au sien, prête à assumer mon rôle jusqu'au bout. À présent, je sais quel sera mon rôle.
– Je ne faillirai pas à mon devoir, Amaryllis. Je te protégerai, quoi qu'il arrive.
Son expression s'illumine et me réchauffe le cœur. J'ai la certitude en cet instant que sa confiance m'est totalement acquise.

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