*TW : violence, meurtre*
Lorsque je reprends enfin conscience de mon environnement, je ne sais combien de temps s'est écoulé. J'ai si mal… Que m’est-il arrivé ?
Soudain, je comprends. J'ai perdu la connexion qui me reliait au bâtiment. Tout m'apparaît si étrange, lointain. Je suis prostrée dans cette pièce que je considérais comme une partie de moi. Ces mains translucides sont les miennes. Elles trempent dans un liquide poisseux. Des réminiscences se superposent à cette image. Un champ de bataille. Mes regrets. Mon propre sang. Un visage amical dans l’adversité, encadré de boucles blondes.
L'image de Jeremiah transpercé par une flèche me ramène brutalement à l'instant présent. Sans même y penser, je suis instantanément à genoux à ses côtés. Son souffle est presque imperceptible, toutefois il est encore conscient et l'émerveillement se lit dans ses prunelles où se reflète une étrange lueur dorée.
– Un… ange ?...
Je pose mes paumes évanescentes sur sa blessure, j'espère pouvoir la refermer. Une mare de sang s'épanche déjà autour de lui. Qu’est-ce qui lui a pris de s'interposer ? Ça n'aurait jamais dû se passer ainsi !
– Jeremiah…
Ma propre voix m'étourdit. Je constate avec angoisse que je suis incapable de le soigner.
– Oh… C'est toi… murmure-t-il.
Son aura est vacillante, son énergie vitale s'enfuit. Je tente de la retenir, sans succès. Ma vision se brouille un peu, est-ce que je pleure ?
– Amaryllis…
– Je veillerai sur elle, je te le promets.
Ma promesse sonne creux à mes propres oreilles. J'avais promis de le protéger, lui aussi. L'affliction et le désespoir menacent de m’étouffer. Pourtant, les traits de Jeremiah s’éclairent alors que ses paupières se ferment.
– Merci… pour tout, A, articule-t-il dans un dernier souffle.
Je reste immobile quelques secondes avant qu'un autre sentiment me submerge. Une vague de colère mugit avec violence. C'est ma voix qui hurle tandis que je me redresse. Des objets volent tout autour de moi. J'ignore à quoi je ressemble en cet instant, en tout cas, les expressions que je perçois face à moi sont toutes teintées d'effroi. Toutes sauf une.
Lorsque je croise le regard narquois de mon ennemi, je ne me contiens plus. Une déferlante de mobilier et de pierres fondent sur lui. Cependant, des cris féminins m'alertent. J'avais presque oublié. Martine aux prises avec Light, Francis à terre, Arthus combattant MacGregor… Je risque de blesser mes alliés.
Je n'ai pas le temps de m'en préoccuper plus avant qu'une sensation glaciale enserre ma gorge. Je me dégage d'un coup sec et me retrouve face au regard vide de Lucas. Visiblement, je maîtrise une forme de téléportation. Ses coups pleuvent sur moi, je les esquive, non sans difficulté. Il possède les mêmes capacités que moi. Sauf qu'il a l'avantage ; je suis déjà affaiblie et il peut me blesser, moi pas. Je ne prendrai pas le risque de provoquer une autre mort. Cette pensée fait remonter la rage qui m’anime, je la déverse dans un cri que je dirige non pas sur l'hôte mais sur l'invocateur. Ce dernier se contente d'un rire sardonique alors que Lucas balaie mon attaque d'un revers de main. Une partie du plafond s'effondre et j'ai un pincement au cœur.
– Alors c'est toi, la grande Aeternalis… La soi-disant Déesse de la Destruction. Pathétique ! se gausse mon ennemi avant de prendre un air marmoréen. Sans l'intervention de mon idiot de fils, cette flèche ne t'aurais pas épargnée. Mais peu importe... sa mort sert mes intérêts et tu seras la suivante. Ce soir, j'anéantirai tous mes ennemis !
Soudain, Lucas me dépasse. Je saisis en un instant ce qui attire son parasite et m'interpose. S'il veut que son invocation persiste après minuit, il a besoin d’aspirer les pouvoirs de Jeremiah. Une paroi luminescente s'érige devant moi, je l'ai bâtie sans même y songer. Et je la sens, sa magie qui le quitte. Puissante. Vibrante.
– Lumineuse…
Je laisse échapper mon murmure avec quelques nouvelles larmes. Mon homologue s'acharne, je tiens bon. Hors de question qu'il se repaisse ne serait-ce que d'une parcelle de son âme. Pourtant, je faiblis. Cette puissance serait-elle supérieure à la mienne ?
Une douce chaleur m'enveloppe et ma protection se renforce. C'est seulement à ce moment que je prends conscience du trou béant dans ma poitrine et de l'énergie qui m'aide à le combler. La magie de Jeremiah s'infiltre en moi et je me sens plus vigoureuse, plus tangible. Un grognement guttural résonne dans la gorge de Lucas. Son hôte enrage, visualise sa défaite. Rockmore tente d'intervenir mais il est intercepté par Arthus qui a neutralisé son adversaire. Cette fois, c'est sur mes lèvres que s'étire un sourire.
J'efface le mur qui me sépare de mon adversaire, prête à chasser cet intrus. Parcourue de cette nouvelle force, j’aspire sa magie pour l’éjecter. Il résiste, tente de s’approprier ce que je lui ai refusé, puis se résigne enfin, conscient que ce combat est perdu d'avance. Lorsque sa dernière trace s'évapore, le corps de Lucas s’affaisse comme une poupée de chiffon. Je le rattrape et accompagne sa chute. Même s'il est inconscient, ses signes vitaux sont stables. Rassurée, je reporte mon attention sur les combats qui se jouent encore. Martine est parvenue à se défaire de Light qu'elle ligote contre un pilier. Par contre, Arthus est en mauvaise posture. Avec un air triomphant, Rockmore lève une épée d'ébène pour asséner le coup de grâce.
Sans qu'il ne puisse réagir, je suis déjà derrière lui, mes ongles tranchants contre sa gorge. Le glas de mon ton sonne proche de son tympan :
– C'est fini. Lâche cette arme. Tu vas payer pour tous tes crimes et tu ne nuiras plus à personne.
L’arme s'évapore, il lève les mains, englobant le triste état de la pièce, et crache son venin :
– La destruction, très chère, c'est tout ce dont tu es capable en foulant notre sol. Notre alliance aurait été fabuleuse !
J'appuie les lames que j'ai formées plus fort, du sang perle à son cou, pourtant il ricane. Je lui donnerai sans doute raison en l'assassinant ; cela m'est égal. Pense-t-il que je vais hésiter à supprimer une ordure telle que lui ? Il ne fait qu’attiser les flammes déjà dévorantes de mon ire. Je siffle entre mes dents :
– C'est faux. Mes pouvoirs sont peut-être destructeurs, néanmoins, j'ai choisi de les utiliser à bon escient, contrairement à la pourriture que tu es.
– Non, Déesse, ne faites pas ça ! intervient Arthus. Cet homme doit être jugé pour ses crimes, et une mort rapide serait trop douce.
– C'est vrai.
Je relâche un peu mon étreinte en approuvant et sens la satisfaction de mon ennemi prendre le pas sur la peur qui l’avait gagné.
– Mais nous n'avons pas le temps pour ça.
Je l'égorge d'un mouvement sec, à la surprise générale, dont la sienne. Son corps heurte le sol dans un bruit mat. Je n'éprouve aucun regret.
– Pardonnez mon geste, cher Doyen. C'est ce que Jeremiah aurait voulu, pour notre sécurité à tous.
Je porte involontairement un poing à ma poitrine en prononçant ces paroles. Malgré la contrariété du désaccord suintant de son aura, Arthus hoche la tête sans me contredire. Personne n'ose prononcer un mot. Light et MacGregor blêmissent, les yeux exorbités. Je n’en ai cure. Le silence n'est troublé que par les reniflements de Francis. Je me téléporte à ses côtés et pose un genou au sol pour me mettre à sa hauteur.
– Tu t'es bien battu, avec honneur et courage.
– Ce n'était pas assez ! sanglote-t-il.
Sa tristesse est aussi teintée de colère que la mienne. Je l'enlace avec douceur.
– Nous n'avions pas prévu cette… configuration. Mais ne porte pas la responsabilité qui m'incombe.
– Oui, on a pas pensé à l'amour au sens large… énonce Francis à travers ses larmes.
Une digue menace de céder en moi sous le sens de ce qu’insinue le jeune homme. Je refoule cet ouragan sans pour autant pouvoir empêcher le ruissellement sur mes joues.
– Dis… reprend-il d'une voix tremblante. Tu veux bien m’emmener à ses côtés ?
Je m’exécute dans l'instant, sans même y réfléchir. Francis ferme d'abord les yeux devant cette vision insoutenable, puis il s'active. Je l'observe croiser les bras de Jeremiah pour cacher l’horrible blessure au milieu de son torse. Ensuite, il lève ses paumes au-dessus du corps inerte et la température baisse drastiquement. Je comprends alors ce qu'il souhaite entreprendre.
– Tu m'aides ? m'interroge-t-il.
– Pas besoin de demander.
Tandis qu'il forme un cercueil de glace, je le cristallise pour qu'il perdure et efface les traces pourpres. L’œuvre de Francis est magnifique, formant un immense diamant où trône au centre un amaryllis ciselé, comme si Jeremiah le tenait entre ses mains. Le visage encadré de mèches noires apparaît serein sous le prisme du givre.
– Repose en paix, mon pote… murmure Francis en parachevant son art. T'étais un mec bien.
Je presse son épaule avec compassion. L’écho de nos émotions résonne au fond de nous.
– Amaryllis va être dévastée…
Ma gorge se serre lorsque Francis énonce l'évidence. Toutefois, je trouve la force de lui répondre :
– Nous la soutiendrons.
Jusqu'à l'éveil de ses pouvoirs. Car je n'en doute pas, elle n'abandonnera jamais : la prochaine équinoxe sera l’échéance afin de mettre en œuvre notre nouveau plan.
Fin de la première partie

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