Après cette mise au point, Francis rejoint ses amis pour en aviser Jeremiah. Ce dernier paraît en pleine méditation devant une feuille griffonnée, un crayon coincé entre les lèvres.
– Alors ? Ça a donné quoi ? questionne-t-il cependant sans lever les yeux de son papier rempli de schémas et de mots illisibles.
– On va déplacer Ama. Ce n'est pas sûr, ici, et elle va être sous bonne garde, je pense que t'as pas à t'en faire pour elle. Tu fais quoi, au fait ?
– Je mets à l'écrit tous les éléments qu'on a pour y voir plus clair. Je suis d'accord avec ce plan. Elle sera plus en sécurité ailleurs, c'est où le mieux, A ? Tu m'as dit que t'avais pas mal de pièces cachées.
– Beaucoup sont en lien avec mon Cœur, il y a une sorte de labyrinthe tout autour. Mais il y en a une excentrée, du côté des services de sécurité. Ce serait l'endroit idéal.
– Parfait. Quant à cette histoire de Nycthémère… Écoute A, je sais pas trop quoi en penser. Mon père m'avait filé un bouquin à ce sujet… On en sait pas grand chose, au final. Impossible de démêler le vrai du faux.
– Il y a un truc qui revient toujours, réfute Francis. Tout ce qui concerne les flux d'énergie magique. Ils doivent être sensibles aux énergies. Donc…
Il s'interrompt, indécis. Sensibles aux énergies magiques… C'est mon cas. Je n'aime pas du tout son amorce de théorie. Toutefois je l'encourage à poursuivre :
– Donc ?
– Bin… J'en suis pas sûr mais je dirais que s'il y a vraiment un Nycthémère dans l'équation, il sera assez puissant pour briser ton bouclier et…
– Une hypothèse fort intéressante, approuve Arthus en entrant dans la pièce. C'est ce que je crois aussi. Continuez.
Francis rougit jusqu'aux oreilles. Son ami le gratifie d'une tape encourageante sur l'épaule.
– Hum… et je pense qu’il pourra repérer où se trouve l’Artefact. Il faut s'attendre à ce qu'ils prennent pour cible l'endroit où il est caché. Peut-être devrions-nous… leur tendre une embuscade ?
– Tout à fait. Nous devons aussi assurer nos arrières. Quant à vous, vous resterez avec Amaryllis, comme convenu, tranche Arthus.
Francis déglutit sans rien rétorquer. Sa détermination se ressent cependant. Il ne compte pas rester les bras croisés. Jeremiah se lève et s'étire.
– Ok, souffle-t-il. Nous allons commencer par installer Amaryllis en lieu sûr, si vous n'y voyez pas d'inconvénients, Monsieur Dawber…
– Je vous accompagne, allons-y. Comment va-t-elle ?
– Mieux, répond Jeremiah en la soulevant avec précaution. Elle a mangé un peu. Mais elle est toujours épuisée.
Peu surpris, Arthus se contente de hocher la tête en emboîtant le pas à Jeremiah et Francis à ses côtés. Au bout de quelques pas, la jeune fille marmonne :
– Tu m’emmènes où, on était bien là…
– On t’emmène en sécurité, ne t’inquiète pas.
Elle se redresse d’un coup, agrippant ses mains au cou de son porteur. Un seau d’eau glacée aurait été du même effet.
– Quoi ? s’indigne-t-elle. Tu insinues quoi ? Je vais être écartée, c’est ça ? Pas question ! Et je suis capable de marcher toute seule !
Dans sa fougue, elle se dégage de l’emprise de Jeremiah pour se camper sur ses pieds, les mains sur les hanches malgré son teint pâle trahissant sa faiblesse. Sa rébellion est d’ailleurs de courte durée. Elle s’apprêtait à reprendre sa tirade, un doigt menaçant en l’air. À la place, elle vacille dangereusement.
– Tu sais que ta persévérance à toute épreuve est sans doute l’une des qualités qui m’a le plus séduit chez toi, sourit Jeremiah en saisissant ses épaules pour la maintenir, mais tu n’es pas en état de nous accompagner, ma Jolie Fleur.
Les lèvres d’Amaryllis se froissent, des larmes de contrariété emplissent son regard, rivé à celui plein de tendresse que lui renvoie son amoureux. Son amour, son angoisse, sa frustration se mélangent dans l’aura de la jeune fille.
– Je déteste quand t’as raison… capitule-t-elle en le gratifiant d’une pichenette sur l’épaule.
– Tu sais bien que j’ai toujours raison.
La seconde claque d’Amaryllis se fait un peu plus vive malgré son sourire tandis que Jeremiah étouffe un rire. Arthus se racle la gorge. Ce n’est pas la première fois que le couple fait abstraction de tous ceux qui l'entourent. Francis est resté silencieux, les yeux dans le vague. Je redoute ses intentions.
– C’est bon, soupire Jeremiah. On y va, pas la peine de s’impatienter ! Tu peux marcher où tu préfères que je t’emmène ?
– Je vais m’appuyer sur toi, ça ira.
C’est en silence qu’ils longent mes couloirs déserts, enclenchent le mécanisme secret dissimulé derrière une armoire et rejoignent la petite salle lugubre sous mes instructions. Cet endroit ressemble plus à une cellule de donjon qu’à une pièce à vivre et personne n’y a mis les pieds depuis des lustres. De plus, je n’avais pas prévu d’y accueillir du monde.
– Ce n’est pas aussi accueillant que la chambre, j’en conviens… Toutefois, je peux arranger ça.
– Ce qui compte, c’est que nous y soyons en sécurité, réplique Amaryllis d’un ton déterminé. D’ailleurs, vous restez avec moi. Je refuse que vous vous mettiez en danger pendant que je croupis ici ! On laisse les adultes gérer ça, c’est la meilleure solution.
Je vois : elle adopte une nouvelle stratégie pour protéger ceux qu’elle aime. Néanmoins, elle ignore que Jeremiah ne peut se plier à cette volonté. Francis fait la moue en secouant la tête. C’est Arthus qui prend la parole pour expliquer :
– Votre cousin restera à vos côtés. Par contre, Monsieur Rockmore devra m’accompagner. Son père peut le localiser ; s’il reste ici, il vous met en danger. Mes collègues vont vous rejoindre, s’il se passe quoi que ce soit, j’arriverai dans la seconde. Toutefois… hésite-t-il, au vu du nouveau plan probable de notre adversaire, vous ne serez plus une priorité à ses yeux.
Amaryllis ravale son exclamation outrée à cette explication, puis se renfrogne, l’inquiétude la gagnant devant ces suppositions. Jeremiah l’enveloppe de ses bras dans un mouvement rassurant. Elle n’hésite pas à se serrer fort contre lui, réprimant les sanglots qui menacent de la submerger au vu de ses tremblements.
– S’il te plait, sois prudent…
– On a tout prévu, ma Jolie Fleur, ça se passera bien. C’est un futur différent, A sera aussi là en renfort, et puis on a une longueur d’avance, grâce à toi !
Elle acquiesce silencieusement, profitant de cette étreinte avant leur séparation. Lorsque les deux gardiens désignés arrivent, Arthus quitte la pièce que j’ai tenté de rendre un peu plus chaleureuse avec ma magie. Après un dernier baiser empli d’espoir, Jeremiah s’empresse de le rejoindre. Suite à son départ, Amaryllis s’allonge sur le matelas installé à même le sol, serrant contre elle son bracelet aux perles de corail, sans pouvoir retenir ses larmes plus longtemps. Les coups d'œil scrutateurs de Francis ne m’ont pas échappé, il est si absorbé par son observation des lieux qu’il ne pense même pas à consoler sa cousine.
– Que comptes-tu faire ?
– Les rejoindre, quelle question, chuchote-t-il discrètement.
– Raymond et Sophia ne te laisseront pas faire.
– Je sais, mais je parie qu’on peut sortir autrement de cette pièce. Le mur est plus froid de ce côté-ci.
Je retiens un soupir d’exaspération. Que les Amloth peuvent être têtus !
– Tu connais mes talents d’espion, alors aide-moi à rejoindre ton Coeur ! enchérit-il. Je pourrai agir si besoin, personne ne me verra venir dans l’action.
– Ce n’est pas le même contexte.
– J’irai avec ou sans ton aide, murmure-t-il en croisant les bras.
Amaryllis a sombré malgré elle dans un sommeil agité, le front en sueur. Sa faiblesse m’apparaît toujours évidente. Est-ce sage d’autoriser Francis à assurer les arrières de son ami ? De toute façon, je ne parviendrai pas à l’en dissuader.
– Très bien. Je vais détourner leur attention. Tu auras quelques secondes, pas plus.
Je déclenche l’une des runes de Sophia. Aussitôt, les deux professeurs se tendent, sur le qui-vive. Francis n’hésite pas un instant à enclencher la pierre branlante à mon signal. Le boucan que je provoque un peu plus loin, à l’endroit où sont placés les sorts de détection, accapare entièrement les deux enseignants aux aguets. Raymond s’empresse d’ériger un bouclier tout autour de la pièce tandis que Sarah s’approche prudemment du capharnaüm que j‘ai orchestré. Elle active son communicateur magique pour transmettre un rapport à Arthus.
– Tenez-moi au courant, mais aucune brèche n’a été constatée dans le bouclier pour l’instant, répond-il.
Occupé à vérifier le poste de chacun et mettre en place leur embuscade, il se préoccupe peu de ce qui ressemble à une fausse alerte à ses yeux. Après leur vérification, les professeurs ouvrent la porte pour rassurer les deux étudiants, constatant ainsi l’absence de Francis.
– Hum… On lui dit ? interroge Raymond.
– Quelle question ! Bien sûr qu’on lui dit !
Arthus peste lorsque Sophia lui annonce la nouvelle. Toutefois, il décide de rester fidèle au plan malgré cette incartade et n’informe personne d’autre de cette fugue. Il est tendu au maximum, ses ordres claquent dans l’air. En fin d'après-midi, chacun est à son poste, prêt à respecter scrupuleusement les instructions de mon doyen. Je lui ai dessiné un plan du labyrinthe menant à mon Coeur ; il n’a rien laissé au hasard. Le sanctuaire qui l’abrite est situé au centre exact de mon sous-sol. C’est dans une atmosphère électrique que nous attendons le moindre mouvement dans la brume crépusculaire qui survient au dehors. Un silence sépulcral s’abat sur les lieux sous le manteau de la nuit, chacun aux aguets, prêt à agir. Le calme avant la tempête.
Au moment où mon bouclier explose littéralement, je prends conscience avec effroi de la puissance de nos ennemis. Je lance le signal à Jeremiah qui le relaie immédiatement à toutes les personnes présentes grâce à son pouvoir. La tension culmine.
– Quoiqu’il arrive, vous restez près de moi, répète une énième fois Arthus à Jeremiah.
Concentré à l’extrême, ce dernier ne réplique rien. Néanmoins, il blêmit.
– Ils arrivent… murmure-t-il. Je ressens une dizaine de présences, dont celles de mon père et… L’esprit perverti de Lucas. Mon père vient de s’adresser à moi.
– Que vous a-t-il dit ?
– Des menaces… Peu importe. Attendez… Ils se sont téléportés directement…
– Accrochez-vous, le coupe Arthus sans attendre.
Tous se retrouvent presque instantanément dans la grotte cachée, troublant la quiétude habituelle des lieux. Comme dérangées par cette irruption, les fleurs nitescentes ornant les parois de la caverne deviennent soudain plus lumineuses, éclairant vivement la pièce. Dans une alcôve à même la roche, sous une immense cloche de cristal, trône l’imposant rubis, rougeoyant à intervalles réguliers. C’est une sensation étrange qui m’étreint lorsque j’observe cet Artefact, comme si c’était la première fois. Je ne suis pas la seule à être fascinée. Cependant, la pause est de courte durée. Les renforts d’Arthus ne tardent pas à arriver, encerclant les intrus.
– Bien, ironise le père de Jeremiah, je vois que nous sommes attendus ! Nous pouvons remercier mon traître de fils. Nous allons pouvoir nous divertir.
Quelques visages me sont familiers. Je suis surprise de reconnaître Marina, moins pour ce qui est de Light et MacGregor. J’aperçois Lucas, du moins l’entité qui le possède. Son regard brille d’une étrange lueur pourpre, absorbé tour à tour par l’Artefact et par Jeremiah. Comme l’avait prédit Francis, cette chose a été capable de détruire mon bouclier, de détecter mon Coeur et même d’y transporter directement nos ennemis. La créature laisse échapper un grondement sourd.
– Patience, cher ami, tempère Rockmore. Nous avons quelques broutilles à régler, juste avant.
Dans un même mouvement, les attaques fusent. Arthus n’hésite pas à se téléporter directement vers le chef adverse mais il est intercepté par MacGregor. Un combat sans merci s’amorce entre les deux téléporteurs. Rockmore semble absorbé, ses acolytes s’agitant autour de lui pour empêcher quiconque de l’approcher. Je tente de lui envoyer quelques rochers qui s’écrasent sur un bouclier intangible aux reflets mauves, j’en déduis qu’il s’agit de l'œuvre de mon possible homologue. Martine a entamé un corps à corps rageur ponctué d’éclairs blanchâtres contre Light qui la traite de tous les noms d'oiseaux. Et dire qu’elle paraissait si douce ! Je me perds un peu dans cette effervescence, j’ai toujours eu des difficultés à me projeter en ce lieu. Un peu plus loin, Jeremiah esquive habilement les attaques hargneuses de Marina.
– Je te ferai ouvrir les yeux ! hurle-t-elle. Cette garce n’est pas pour toi !
Son interlocuteur se contentait jusqu’ici de repousser distraitement les attaques incandescentes tout en observant les affrontements alentour. Piqué au vif par cette insulte, il foudroie la harpie du regard et elle s’effondre dans un petit cri, portant les mains à sa tête.
– La jalousie est un vilain défaut, cingle Jeremiah avant de se désintéresser d’elle.
En effet, une lance de givre fuse vers lui et il roule de côté pour l’éviter de justesse. Soudain, Francis jaillit de la pénombre et harcèle de ses poings enflammés l’autrice de cette attaque, une blonde polaire au regard glacial. Jeremiah reporte son attention sur Martine, mise en difficulté par un second adversaire ayant rejoint la fausse infirmière. Acculée, elle se tient l’épaule, visiblement blessée. Lorsque l’homme gémit et se retourne contre son alliée, je comprends que c’est l'œuvre de Jeremiah. Light le met à terre sans scrupule, Martine en profite pour reprendre l’avantage.
– Jerem, regarde ! fuse la voix paniquée de Francis, étouffée lorsqu’il reçoit un coup dans le ventre.
J’ai mal pour lui car je crains que certaines côtes aient accusé le choc. Toutefois, la vague de chaleur qu’il envoie devant lui vient à bout de son adversaire, déjà affaiblie. Haletant, Jeremiah se recentre alors sur son père et son expression se teinte d’effroi.
– Attention ! crie-t-il.
En un bond, il se place entre mon Cœur et les tirs qu'il dévie tant bien que mal. Irresponsable ! Je n’avais pas remarqué les innombrables flèches sombres qui se matérialisaient autour de son paternel. J’érige en un éclair un mur de protection devant lui. Les flèches y meurent dans des gerbes noirâtres. Malheureusement, au milieu de cette pluie mortelle, le Nycthémère du Solstice a glissé l'une des siennes, entourée d’éclairs violacés. Je comprends avec horreur que mon bouclier improvisé sera inutile et que Jeremiah ne pourra l’apercevoir à travers ma paroi opaque !
– Écarte-toi !
Trop tard. J’assiste, impuissante, à l'inévitable. Le trait magique perce la roche, puis traverse la poitrine du jeune homme avant de se ficher dans mon Cœur qui se fissure sous l'impact, sous le fracas d'une pluie de cristal.
Tout se mélange alors dans une explosion de couleurs et de sons indistincts. Une souffrance indicible s'empare de moi et mes sensations m'échappent. La pierre qui m'a bâtie, les boiseries qui ornent mes couloirs, les linteaux sculptés de mes ouvertures… Tout s'évanouit et le vide m’envahit, engloutissant mes espérances.

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