De nouvelles larmes roulent sur les joues d’Amaryllis que Jeremiah s'empresse d'essuyer. L’expression de ce dernier m'apparaît affligée, mais j’y perçois aussi un soulagement qui se confirme dans son aura.
– C'est ça ton plan ? Foncer tête baissée dans la forêt et tuer ton père ?
Jeremiah ne relève pas mes sarcasmes. Je devine où il veut en venir : s'il élimine son père, tout danger sera écarté pour Amaryllis.
– Au moins, j'ai la confirmation que j'en suis capable.
– Au prix de ta propre vie !
– Puisque je dois mourir, autant que ce soit pour quelque chose.
Je m'insurge devant sa résignation. Il aurait donc complètement baissé les bras ? S'est-il mis en tête que sa mort était la seule solution pour protéger Amaryllis ? Je n'en démords pas et insiste :
– Le but, c'est d'essayer de te sauver, tu te souviens ?
– Le tien, peut-être, rétorque-t-il.
– Et celui d’Amaryllis, et de Francis, et certainement de Martine et Arthus, à présent.
– En ce qui concerne Arthus, rien n'est moins sûr.
– Ne t'éloignes pas du sujet principal !
– Tu m’écoutes, Jerem ?
Tout à notre conversation, nous en avons oublié l’existence des autres. Francis fixe son ami avec insistance. Depuis tout à l'heure, Martine et Arthus chuchotent dans un aparté animé.
– Désolé, répond franchement Jeremiah, j'étais ailleurs…
– T’abuses ! On dirait que tu t'en fiches ! Je pensais pas que t'étais du genre suicidaire…
Un léger rire échappe à Jeremiah, s'éteignant bien vite lorsque c'est Amaryllis qui commence à le secouer littéralement :
– Tu ne peux pas rire de ça ! T'as pas intérêt à recommencer, tu m'entends ?
Il la saisit par les épaules pour arrêter les secousses. Les prunelles embuées d’Amaryllis s’ancrent aux siennes. Les yeux écarquillés, Francis observe sans oser intervenir. L'air crépiterait presque sous la tension ambiante.
– Le destin en a décidé ainsi, et je suis prêt à donner ma vie pour toi.
– Et je donnerais la mienne pour te sauver toi, réplique-t-elle de but en blanc. Comment réagirais-tu si les rôles étaient inversés ?
Frappé de stupeur, Jeremiah ouvre la bouche mais aucun son ne s'en échappe.
– Personne n'en arrivera à de telles extrémités, intervient Arthus qui a tout entendu. Nous devons établir rapidement une stratégie. Sous ma responsabilité, ce solstice, vous en sortirez tous indemnes, est-ce bien clair ?
Son ton autoritaire résonne tandis qu'il fusille Jeremiah du regard. Ce dernier reste stoïque. Arthus ignore tout de la prophétie qui pèse sur les épaules du jeune homme.
– Jeremiah ne vous a pas tout dit, révèle Francis avec aplomb.
A-t-il pensé à la même chose que moi ? Ou bien songe-t-il à dévoiler sa véritable identité ?
– Francis… grince Jeremiah entre ses dents.
– Il vaut mieux qu'on mette toutes les chances de notre côté, arrête de tout vouloir régler tout seul !
– Voilà, merci Francky ! surenchérit Amaryllis.
– Bien, vous ne semblez pas avoir d'autre choix, Monsieur Rockmore.
Même s'il ne montre aucune hésitation, Arthus ne peut réprimer une grimace en prononçant son nom. Le masque d’assurance de Jeremiah se fissure de plus en plus.
– Ok ! Puisque vous êtes tous ligués contre moi…
– Venez-en aux faits.
– Mon frère, malgré la malédiction, a conservé certaines de ses capacités de Devin. Il a prophétisé ma mort, l'année de mes vingt ans. J'ai vingt ans pour ce solstice.
Un résumé simple et efficace. Toutefois, la réaction de mon doyen est inattendue. Il pâlit tout à coup et commence à faire les cent pas. Francis et Martine le suivent du regard dans un aller-retour presque comique. Épuisée, Amaryllis a fermé les paupières, serrée tout contre son amoureux.
– Votre date de naissance… marmonne Arthus en cessant enfin son manège. Bon sang, j'aurais dû y penser plus tôt. Votre père a prémédité votre mort !
– Pardon ?... questionne Jeremiah, perplexe.
– Le Nycthémère du Solstice est une créature puissante aux pouvoirs dévastateurs ! Il existe un moyen de le garder sous contrôle… Une fois le délai des vingt-quatre heures écoulé.
– Comment tu peux savoir ça ? demande Martine d'une voix blanche.
– On s'en fiche, laissez-le expliquer ! la coupe Francis avant de baisser les yeux, rougissant.
– Il suffit de sacrifier un magicien né un jour de solstice.
La sentence est sans appel. Jeremiah n'est qu'un pion sur l'échiquier de son père, nous le savions déjà. Néanmoins, je n'aurais jamais imaginé qu’il irait jusqu'à programmer la mort de son propre fils. Lui aussi accuse le coup.
– Mais c'est ignoble… laisse échapper Francis comme un écho de ce que nous pensons tous.
L'ambiance se fait pesante, chacun reste plongé dans ses pensées, sauf Amaryllis dont la respiration profonde montre qu'elle est retournée dans les bras de Morphée.
– Ça fonctionne aussi pour un Nycthémère de l’Équinoxe, murmure Jeremiah, j'imagine.
– C'est le même rituel pour chaque Nycthémère, en effet.
– Il avait tout prévu, souffle le jeune homme. Il a changé ses plans… Ça signifie qu'il sait déjà que je l'ai trahi. Ou du moins, qu'il n'a plus besoin de moi…
Le détachement dont il fait preuve m’impressionne. Pourtant, ce n'est qu'une façade : je sens le maelstrom d'émotions qui l’envahissent dans son aura.
– Où est votre frère ? l'interroge Arthus.
– Disparu… Depuis plus d'un an. Et je soupçonne… Je soupçonne que notre père y soit pour quelque chose.
Arthus fixe Jeremiah avec intensité. Je perçois enfin de la compassion de sa part. Il prend conscience du calvaire que le jeune homme a dû endurer sous le joug d'une telle cruauté.
– Très bien, finit par exhaler Arthus. Il semblerait que l'ennemi ait quelques coups d'avance sur nous. Mais nous n'avons pas dit notre dernier mot pour autant. Comme je vous l'ai déjà affirmé, je ne laisserai rien vous arriver sous ma garde. Écoutez-moi bien, Aeternalis est un endroit spécial. Si nous la jouons fine, sa protection nous sera peut-être accordée.
Jeremiah et Francis échangent un coup d'œil complice et retiennent un rire. Quant à moi, je suis curieuse de découvrir ce qu’Arthus sait à mon sujet. Il plisse les yeux face à la réaction des jeunes gens.
– Croyez-vous que l'ambiance soit à la rigolade ? les sermonne Martine.
– À moins que vous ayez encore des choses à nous apprendre ?
– On peut leur dire, A ?
– Je veux d'abord écouter ce qu'il a à dire.
– Nous savons déjà qu'il y a un bouclier protecteur autour de l'université, répond simplement Francis.
– Ce n'est pas tout. Peut-être que Mademoiselle Amloth aurait pu nous éclairer, mais je vais vous conter ce que je sais déjà… Les légendes ont souvent une part de vérité.
Arthus se réinstalle sur le fauteuil, Martine l’imite sur le second et Francis s’assoit sur le matelas près de son ami. Chacun d'entre nous attend avec impatience le récit de mon doyen, moi la première.

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