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38. Négociations désespérées

Il ne s’écoule que moins d’une minute avant qu’Arthus n’apparaisse. Seulement, il se retrouve face à l’expression déterminée d’Amaryllis. Lorsqu’il aperçoit Jeremiah derrière elle, il fronce les sourcils.

– Écartez-vous, jeune fille ! lance-t-il en guise d’avertissement. Cet individu est dangereux !

Par réflexe, Amaryllis lève les bras pour faire barrage, encore ébranlée par l’incandescence de ses souvenirs. Je ressens la détresse qu’elle parvient à dissimuler derrière sa détermination inébranlable.

– Non. S’il vous plaît, écoutez-nous !

– Vous n’avez pas idée de…

– Jeremiah a trahi son père, il cherche à me protéger, vous devez nous aider, M. Dawber !

Sa voix résonne, ferme et imposante. J’admire son courage. Malgré la discrétion dont elle fait preuve, Martine ne perd pas une miette de ce qui se joue. Les deux aînés ne cachent pas leur surprise.

– Il vous a manipulée, il faut…

– Arthus, nuance Martine en posant une main sur son épaule, et si nous écoutions ce qu’ils ont à nous dire ?

Puis, elle s’approche de l’oreille du doyen pour chuchoter :

– Tu ne sens pas cette vibration ? Ses pouvoirs ne sont pas éveillés, pourtant on en ressent clairement la puissance. Elle est bouleversée, on doit calmer le jeu !

Soudain, je me rends compte qu’Amaryllis n’a pas récupéré son bracelet. Pourvu qu’elle parvienne à maîtriser le flot d’émotions qui bout en elle ! Jeremiah s’avance à ses côtés, entrelaçant leurs doigts. Elle tressaille avant de se détendre grâce à ce contact. Arthus serre les poings, cependant, son animosité s’est estompée.

– Très bien, consent-il. Si vous parvenez à me convaincre, je n’activerai pas le sceau, mais autrement…

Cette menace qu’il laisse planer incite Amaryllis à se rapprocher de son amoureux, son inquiétude ravivée. Les images de cette souffrance dont elle a été témoin l’assaillent, je le perçois. Arthus a percé une brèche dans la muraille qu’elle avait tenté d’ériger.

– Ne faites pas ça… murmure-t-elle. Je vous en prie…

Jeremiah la serre contre lui pour la rassurer, Arthus se tend.

– Hey… Tout va bien, Jolie Fleur, on est prêts à discuter, d’accord ?

– Où est le bracelet, A ?

Il en est arrivé à la même conclusion que moi. Si Amaryllis perd le contrôle, les conséquences pourraient en être désastreuses.

– Sous le lit, sois prudent, si tu fais un geste suspect, Arthus n’hésitera pas à exécuter sa sentence.

– Amaryllis, reprend-t-il en caressant ses cheveux, tu dois récupérer ton bracelet.

Elle écarquille les yeux et porte instinctivement une main à son poignet. Puis, elle clôt les paupières et respire profondément.

– Ça va aller, je vais gérer, affirme-t-elle en les rouvrant. M. Dawber, nous avons besoin de votre aide. Le père de Jeremiah va agir durant le solstice, il veut que son fils me livre sur un plateau afin de contrer la malédiction.

Arthus plisse les yeux, accentuant la myriade de rides qui les entoure. Jeremiah soutient son regard d'acier sans sourciller.

– Leurs sentiments me paraissent sincères, chuchote Martine.

– Et cette histoire de bracelet ? Il pourrait tous nous manipuler ! Je connais son père, j'ai connu son grand-père et son oncle, les Rockmore ne sont pas dignes de confiance !

Martine soupire avant de s'adresser directement au couple :

– Pouvons-nous examiner ce bracelet dont vous avez parlé, M. Mac… enfin je veux dire…

– Il s'agit d'un simple catalyseur, explique Jeremiah sans tenir compte des bafouillements de l'enseignante. Il a glissé sous le lit.

Son ton calme m'impressionne, mais Arthus réplique froidement :

– Et comment s'est-il retrouvé là ?

– Par votre faute ! s'emporte Amaryllis. Vous nous avez agressés sans sommation !

Sous le coup de la surprise, Arthus ouvre la bouche sans qu'aucun son ne s'en échappe, ses sourcils atteignant presque la racine de ses cheveux grisonnants. Je remarque Francis qui s’est introduit dans la pièce quelques secondes auparavant se couler discrètement sous le lit grâce à son invisibilité. Dans quelques secondes, il pourra intervenir. Cependant, une colère sourde s'ajoute au prisme qui menace d'exploser dans l’aura de ma protégée.

– Amaryllis, tu dois te calmer. Francis va…

Trop tard. Son amoureux aussi a senti qu’elle atteignait le point de rupture. Tout s’accélère : Jeremiah esquissant un geste pour récupérer l’artefact, Arthus qui lève la main vers lui, Martine se jetant sur lui pour l'en empêcher, les perles incarnat qui glissent de leur cachette. Et soudain, tout se fige. Interloquée, Amaryllis aussi reste immobile un instant, fixant le bracelet échoué à ses pieds. Sa silhouette vibre et disparaît par intermitence, son pouvoir échappe à tout contrôle.

– Amaryllis, reprends-toi !

Mon ton désespéré semble l’ancrer dans l’instant présent. Elle s'empresse de récupérer le précieux catalyseur et de l’enfiler à son poignet tout en se plaçant devant Jeremiah. L’artefact s'illumine. Le temps reprend brusquement son cours. Martine perd l’équilibre, Arthus la retient. Jeremiah suspend son mouvement dans une position précaire.

– Amaryllis !

La nitescence du bracelet s'éteint et elle s'effondre dans ses bras, haletante, les yeux hagards. Un flot de paroles sans logique s’échappe de ses lèvres à un rythme effréné. Jeremiah écarte quelques mèches collées par la sueur, effleure ses joues et son front avec une tendresse infinie tout en lui murmurant des mots de réconfort.

– Si après cela tu n'es pas convaincu, assène Martine à son doyen en se précipitant pour aider.

Sous le choc, Arthus garde un moment une expression figée de stupeur. Toutefois, il se reprend très vite et l’agacement prend le pas sur la culpabilité s’insinuant dans son aura :

– Bon, bon ! Et si nous clarifions tout cela ? Mettons que le jeune Rockmore soit réellement de notre côté, comment comptiez-vous vous y prendre pour affronter un magicien dont la puissance surpasse de loin la vôtre ? Sans compter l'instabilité flagrante des pouvoirs naissants de Mademoiselle Amloth ! Et vous pouvez sortir de votre cachette, M. James. Nous prenez-vous pour des débutants ?

Arthus me déçoit avec sa mauvaise foi évidente, ne voit-il pas qu’Amaryllis est au plus mal ? Redevenant visible, Francis s’exécute avec un sourire contrit, les mains levées.

– Loin de moi cette idée… se défend-il d'une petite voix.

– Et, vous, éloignez-vous d'elle, bon sang…

– Ça suffit Arthus ! tempète Martine. Es-tu donc devenu si insensible ? Il est évident qu'il essaie de l'aider et non pas de lui faire du mal !

– Est-ce qu'on pourrait espérer avoir un peu de calme ici ?

Malgré la tension qui pointe dans sa voix et son inquiétude palpable, Jeremiah poursuit ses caresses pour calmer Amaryllis dont la respiration reste erratique. Je tente quelques paroles rassurantes de mon côté, sans succès. Son état m’apparaît vraiment préoccupant.

– Laissez-moi faire, exige Martine.

Tout en parlant, elle s'est agenouillée près du couple et se saisit des mains d’Amaryllis. Je perçois son énergie apaisante dont l'effet est immédiat. La jeune fille se décrispe enfin et plonge dans un sommeil nécessaire. Les épaules de Jeremiah se détendent aussi.

– Merci, souffle-t-il.

Arthus, quant à lui, reste impassible. C'est qu'il est têtu, le bougre ! Il n'admettra jamais son erreur de vive voix. Cependant, il a bien compris qu'il allait devoir mettre de l'eau dans son vin.

– Je vous écoute, donc, lance-t-il d'une voix lasse en s'asseyant sur le fauteuil le plus proche.