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24. Retrouvailles

Mince, je ne sais pas à quelle heure Amaryllis a fixé leur rencontre… Hors de question que Jeremiah soit en retard. À une demi-heure de la fin des cours de la jeune fille, j’envoie un verre d’eau dans le visage du dormeur.

– Hey ! Mais ça va pas ?? Pourquoi tu fais ça ? s’indigne-t-il en se redressant d’un coup.

– Je ne voudrais pas que tu sois en retard.

– J’avais réglé un réveil, et c’est pas avant une heure !

Oups… Au temps pour moi.

– Tu pourras te faire beau, comme ça. Vu ta mine de déterré…

– Ça va, n’en rajoute pas s’il te plaît…

Il se dirige vers la salle d'eau en ronchonnant. Je vais le laisser se préparer en paix.

Après leur dernière heure, Amaryllis aide Justine à choisir sa tenue dans une ambiance bon enfant.

– Je te trouve bien enthousiaste, aujourd'hui ! remarque Justine. Ça fait plaisir de te voir enfin retrouver un peu ta bonne humeur !

Les joues d’Amaryllis s'empourprent et un sourire espiègle se dessine sur les lèvres de Justine.

– Oh, toi, tu me fais des cachotteries ! Tu veux toujours pas me dire qui c'est ?

– Disons… que je vais attendre de voir comment ça se passe aujourd'hui.

Justine acquiesce avec un clin d'œil complice.

– Tu veux que je t'aide à choisir ta tenue ?

– Merci, mais je pense que j'ai déjà choisi !

– Montre !

Amaryllis sort de son armoire une jolie robe blanche qui n'est pas sans rappeler celle du portrait imaginé par Jeremiah. Très bon choix, au demeurant.

– Pourquoi est-ce que tu ne mets jamais de décolleté ? Ça t'irait si bien ! Et puis, il est joli ton pendentif, c'est dommage de le cacher en permanence.

– Il a de la valeur. Toi, je te fais confiance, mais je préfère que personne d'autre ne le voie.

– Pas même ce garçon ?

– Juju !

Les deux amies éclatent de rire et se saluent avant que Justine ne parte à la rencontre de son amoureux. Comme à son habitude, Amaryllis se rend sur place avec quelques minutes d'avance. Je remarque immédiatement le regard mauvais de Joseph qui se retourne sur son passage. Compte-t-il profiter de l'absence de Lucas pour prendre Amaryllis à parti ?

Quand il lui emboîte le pas, je tente le tout pour le tout et soulève l'une des lattes de mon parquet à son passage. Joseph trébuche mais reprend rapidement son équilibre, suivant toujours Amaryllis.

– Tu t'en sortiras pas comme ça, sale sorcière !

Ah, j'y suis peut-être allée un peu fort… Visiblement, il croit que sa malchance répétée vient d’Amaryllis. La jeune fille sursaute et se retourne, faisant face à Joseph et aux deux idiots qui l’accompagnent.

– Lucas ne sera pas là pour te défendre, cette fois, ajoute-t-il avec un rictus.

Amaryllis se met à courir mais il la rattrape en quelques enjambées et la plaque contre un mur, bloquant ses mouvements, appuyé de part et d'autre de son visage. Malheureusement, il n'y a personne d'autre dans ce couloir peu fréquenté. La jeune fille ne cache pas son dégoût face à cette proximité forcée.

– Lâche-moi, Joseph, tu vas trop loin !

– Ah ouais ? Et qui va m'en empêcher ?

Ses comparses ricanent alors qu'il enfouit son nez dans le cou d’Amaryllis en proférant des paroles obscènes, malgré les sanglots de la jeune fille qui se débat. Jeremiah va arriver d'une seconde à l'autre, en attendant, je brûle les mains de l'agresseur sans aucune pitié. Il pousse un cri de fillette et recule.

– Sale garce ! Je vais te…

Des exclamations étouffées retentissent derrière Joseph alors qu’il s'apprête à abattre son poing sur la jeune fille. Jeremiah est arrivé en trombe, poussant les deux autres sans difficulté, et attrape fermement le poignet de l’agresseur, le forçant à reculer. Amaryllis en profite pour donner un coup de genou bien placé à son assaillant qui gémit. Jeremiah le retourne avec habileté contre la parois, maintenant son bras.

– Et si tu t'attaquais à un adversaire à ta taille ? Ah, mais désolé, je suis bien meilleur que toi, donc je vais pas te faire un dessin.

Il pousse violemment Joseph en avant, et ce dernier s'étale de tout son long.

– Si tu t'avises de toucher à un seul de ses cheveux, ou non, juste de l’approcher, menace Jeremiah, je te refais le portrait. C'est clair, dans le petit pois qui te sert de cerveau ?

Joseph se relève tant bien que mal et s'enfuit sans demander son reste, suivant les autres qui ont déjà détalé. À peine Jeremiah se retourne-t-il vers Amaryllis qu'elle lui saute au cou.

– Tu es venu ! s'écrie-t-elle avec soulagement à travers ses larmes. Merci…

Surpris par son geste, Jeremiah reste un instant les bras ballants, puis finit par l'envelopper doucement, comme si elle n’était qu’une petite poupée fragile.

– Je… Je sais que je t'ai fait de la peine… Pardonne-moi… murmure-t-il.

Amaryllis se blottit contre son torse et il resserre un peu son étreinte, glissant une main dans sa chevelure aux reflets d'argent avec tendresse. Soudain, elle s'écarte pour croiser son regard, la mine inquiète.

– Est-ce que ça va ? l'interroge-t-elle.

– Ce serait plutôt à moi de te poser cette question ! Il t'a…

– Tu es si pâle… et tu fais de l’arythmie.

– De l’arythmie ? répète-t-il en haussant un sourcil.

– Les battements de ton cœur sont si irréguliers que j'ai eu l'impression qu'il pourrait s'arrêter à tout moment ! Et ces cernes…

Elle frôle les pommettes de Jeremiah du bout des doigts, lui arrachant un frisson. Les yeux de la jeune fille s’embuent encore une fois et elle suppose d'une voix angoissée :

– Tu es malade, c'est ça ? C'est grave ? C'est pour ça que…

– Je manque juste de sommeil, réfute-t-il en saisissant doucement les mains échouées sur ses joues. Et tu m'as sauté dessus sans prévenir… Sèche ces larmes, s'il te plaît, je me déteste déjà assez de t'avoir blessée. Et puis, je le pensais vraiment, tu sais : ton sourire est magnifique.

Amaryllis approche son visage du sien à mesure qu'il parle, si près que leurs souffles chamboulés doivent sûrement se mélanger. Si j'avais des poumons, j'aurais sans doute retenu le mien.

– Ose encore me faire croire que tu ne ressens rien pour moi, après ça, susurre-t-elle.

– Je n'ai jamais dit ça.

– Alors embrasse-moi…

– Amaryllis…

– … ou c'est moi qui le ferai…

– … tu me rends fou…

– … et ça me plaît…

D'un même élan leurs lèvres se rencontrent enfin dans une douce intensité. Je devrais aller voir ailleurs pour leur laisser un peu d'intimité, mais je suis si attendrie par cette scène touchante que je ne parviens pas à m'en détourner. J'admire le bonheur qui transparaît sur leurs traits lorsqu'ils se séparent pour se contempler l'un l'autre.

– C'est la première fois que j'embrasse un garçon.

– C'est la première fois que je tombe amoureux.

Le sourire d’Amaryllis s'élargit à cette déclaration. Jeremiah effleure sa tempe du dos de ses phalanges.

– Oui… Sublime.

C'est alors que je la perçois. La présence d'un intrus. J'étais si absorbée par ces retrouvailles que je ne l'ai pas remarqué plus tôt. Sa téléportation soudaine y est sans doute aussi pour quelque chose.

– Ton sourire m'avait manqué… chuchote Jeremiah.

Je m'apprête à trouver un moyen de prévenir les jeunes gens lorsque la voix sévère de l’espion retentit.

– Comme c'est touchant… Et si nous mettions fin à cette mascarade ?