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tome 1, Chapitre 22 « Portrait » tome 1, Chapitre 22

22. Portrait

Deux semaines se sont écoulées depuis que j'ai compris qui était vraiment Jeremiah. Je m'en suis voulue, par la suite, de constater à quel point ma révélation l'avait touché. Ce soir-là, il est resté longuement figé à verser des larmes silencieuses. Puis, les yeux rougis, il a déambulé tel un zombie jusqu'à l'extérieur. Je me suis inquiétée mais il a fini par revenir, tard dans la nuit, bien après Amaryllis, Justine et Francis. Je m'attendais à ce qu'il rejoigne sa chambre, toutefois, il s'est dirigé vers l'atelier secret. Là, il a hésité longuement devant une toile vierge, alors j'ai fait voleter un pinceau et une palette jusqu'à ses mains. J’étais d'abord satisfaite de le voir ébaucher un léger sourire mais il a reposé délicatement le matériel, à mon grand désarroi.

– Ça fonctionne pas comme ça, A. Il faut d'abord que je fasse une esquisse.

Sa voix était encore un peu brisée, mais j'étais contente qu'il m'adresse la parole et soit déterminé à reprendre la peinture. Il a passé son samedi, son dimanche et plusieurs nuits à structurer son tableau avant de commencer à y ajouter de jolies couleurs pastel.

À chaque fois, je suis fascinée de le voir à l'œuvre, avec minutie et précision. À mesure qu'il avançait, je reconnaissais les traits d’Amaryllis. Il l'a représentée en mouvement, un sourire radieux aux lèvres, ses cheveux flottant au vent et entourée de fleurs colorées virevoltant autour d'elle. Je crois bien qu'il vient de poser la dernière touche car la satisfaction illumine son visage.

Ça y est, je l’ai achevé ! T’en penses quoi ? Pas mal, non ?

J'admets que tu es plutôt doué. Pourquoi avoir arrêté de peindre ?

Le sourire de Jeremiah disparaît, laissant place à la mélancolie sur ses traits. Il inspire profondément avant de se lancer :

La peinture était l’un des seuls loisirs que m'autorisaient mon père. Mon exutoire… Grâce à mon frère, j'avais le matériel nécessaire. Lui aussi me trouvait doué… Mais mon père n'était pas du même avis. Le jour de mes dix-neuf ans, il a incendié mon atelier. Il m'a expliqué que je n'aurai plus de temps à consacrer à cette activité futile. Tout est parti en fumée. Je n'avais plus retouché à un pinceau, depuis. Je n'étais plus que son ombre, celui qui agissait en son nom, sous la fausse identité qu’il m’avait forgée. J'ai menti, volé, séduit, dans le seul but d'une vengeance qu’il a voulu faire mienne.

Je reste muette suite à cette confidence à laquelle je ne m'attendais pas. Si cruel… L'influence de ce père tout puissant me glace. Je n'imagine pas la pression qu'il doit faire subir à son fils. Je m’apprête à lui demander pourquoi son paternel ne s’occupe pas lui-même de tout son sale boulot quand Jeremiah reprend la parole :

Tu sais, conclut-il doucement, en brûlant mes œuvres, je crois bien qu'il a brûlé une partie de mon âme…

Émue, je me désole de ce constat et m'empresse de trouver des paroles de réconfort.

Mais tu as pu la faire renaître de ses cendres. C'est un très joli portrait, je suis sûre qu'elle va adorer.

– Je ne crois pas que je vais le lui montrer…

Sa réponse m'intrigue. Je pensais qu'il l'avait peint suite à la demande qu’elle avait formulée, pour se faire pardonner de son comportement abject. Ils se sont évités, durant tout ce temps. Pour Amaryllis, ça a été un choc de découvrir que le petit ami secret de Justine n'était autre que le meilleur ami de Jeremiah. Cependant, elle a pris sur elle, constatant que les tourtereaux s'entendaient à merveille. Par contre, malgré son suivi avec Mme Light et le soutien de Justine, je la trouve bien plus morose qu'à l'accoutumée. Même Lucas s'est inquiété pour elle, la semaine dernière. Je laisse donc fuser mon interrogation :

Pourquoi le peindre, alors ?

Pour effacer cette peine dans son regard qui me hante…

– Ce n'est pas en te créant une illusion que tu vas rendre son sourire à la vraie Amaryllis.

– Je ne crois pas qu'elle ait très envie de me revoir… Je compte sur toi pour lui transmettre mes conseils, par contre.

– Lâche.

Il soupire. Je sais qu'il s'est renseigné, depuis notre conversation. Parfois, il me confie ses trouvailles, toutes plus sombres les unes que les autres, et je m'efforce de le réconforter. Comme pour confirmer mes dires, il se désespère :

Comment je pourrais la regarder en face après ce que tu m'as appris et tout ce que j'ai découvert depuis ?

– Tu n'es pas ton père. Tu n'es pas responsable des actes qu'il a commis.

– Facile à dire. Je suis le dernier descendant d'une famille maudite qui a décimé la sienne. Et puis, elle a dû déjà passer à autre chose, de toute façon !

– Bien sûr que non. Crois-le ou non, elle pense toujours à toi.

Sans me répondre, il nettoie ses pinceaux et s'affaire à tout ranger.

Il ne me reste que quelques heures avant le début des cours, élude-t-il. Je vais aller me coucher.

Je ne manque pas de le sermonner. Je croyais qu'il voulait se dépêcher de finir cette œuvre pour s'excuser auprès d’Amaryllis et j’avoue être assez déçue.

Ça valait bien la peine de sacrifier toutes ces heures de sommeil… Je ne sais même pas comment tu tiens encore debout.

Il esquisse un sourire.

De toute façon, j’ai des insomnies.

Je n’insiste pas, même si je m’inquiète vraiment pour sa santé. Avant toute cette histoire, il allait bien mieux. Hélas, à force de tirer sur la corde, son état s’est à nouveau dégradé. Je repère les moments où il communique avec son père lorsqu’il s’absente et revient avec une migraine carabinée. Il m’a d’ailleurs confié qu’il lui était de plus en plus difficile de maintenir son sort. J’ai ainsi appris qu’il l’utilisait pour bloquer toute information se rapportant aux deux familles dans mon enceinte. Cette capacité est impressionnante mais demande beaucoup de ressources. Le jeune homme craint qu’Arthus ne fasse la même découverte que moi d’ici peu. Si c’est le cas, il risque d’avoir de gros ennuis…

Ce lundi s’écoule rapidement. Mme Brun n’est toujours pas revenue. Arthus se comporte bizarrement. Ses manigances sont discrètes, mais moi, je les ai remarquées. Il surveille Amaryllis de près. Je ne l’en ai pas informée, de peur de l’angoisser. Elle est déjà bien assez perturbée par l’abandon de Jeremiah.

D'ailleurs, après ses cours, la jeune fille se dirige vers l’atelier pour la première fois depuis leur accrochage. Durant plus d’une heure, elle s’exerce seule aux sorts qu'ils avaient travaillés ensemble. Elle finit par se fatiguer assez facilement, oubliant de s’économiser comme il le lui avait appris et y veillait à chacune de leurs entrevues. En remettant son bracelet catalyseur devant l'immense miroir aux moulures argentées qui orne le mur du fond, elle soupire. Distraite, elle s'attarde à jouer avec les jolies perles aux nuances incarnat.

– Il me manque… murmure-t-elle.

Lui, ou bien ses conseils ?

– Sa présence, sa voix, son sourire… enfin, quand il est sincère, précise-t-elle dans un léger rire.

Tu as son numéro

Il me semble

– Il m'a rejetée… Pourquoi accepterait-il de me répondre,

Bon. Il va falloir que je force un peu les choses, parce que sinon, entre l’un et l’autre, on y sera encore l’année prochaine ! Je dévoile la toile colorée qui trône dans un coin de la pièce. Je l’avais recouverte pour la protéger, une fois la peinture séchée. Amaryllis saisit le mouvement à travers le reflet et se retourne, intriguée. Elle s'approche et ses yeux s'agrandissent d'émerveillement.

– Waouh… C'est magnifique ! Pourquoi ne me l'a-t-il pas montré ? interroge-t-elle en reportant son attention sur le miroir.

Il l’a terminé cette nuit

Et il se morfond dans son coin

Tout comme toi

Les yeux de la jeune fille brillent un peu. Je ressens le trouble et les espérances que cette œuvre éveille en elle. Je replace le drap sur la toile avec délicatesse.

– Non, attends ! Je veux l'admirer encore !

Tu n'as qu'à le lui demander

Amaryllis fronce les sourcils puis éclate de son rire cristallin.

– Toi alors… Tu m'as mise en garde contre lui, et maintenant tu me pousses dans ses bras ?

L'amour peut faire bien des miracles

Je crois qu'on peut lui laisser sa chance

La jeune fille rougit à mes paroles, puis inspire profondément.

– D'accord. Je vais lui donner rendez-vous demain.

Déterminée, elle sort son téléphone et tape un message, hésitant, s'y reprenant à plusieurs fois. Enfin, après quelques minutes, elle souffle :

– Voilà, c'est envoyé !

Je m'empresse d'observer la réaction de Jeremiah. Je brûle de savoir ce qu'elle a écrit mais je n'ai aucune envie de dévoiler ma faiblesse face aux technologies. Par contre, je remarque qu'il reste impassible et ne répond pas. Aussi, je m’empresse de demander dès que la première occasion se présente :

Alors

Tu vas y aller j'espère.


Texte publié par Wildflower8906, 16 mai 2025 à 21h47
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