Sous le choc, je ne compte pas répondre à Jeremiah dans l’immédiat. Une réflexion s’impose et je dois redoubler de vigilance. Je m'enquiers de l’état d’Amaryllis que ce traître a malmenée. Elle essuie à peine ses larmes en sortant du passage secret, puis inspire à pleins poumons pour se redonner contenance. Une nouvelle fissure dans son cœur, comme si elle n’avait pas déjà assez souffert durant sa courte vie. En entrant dans sa chambre, la jeune fille se force à sourire devant son amie qui vient de finir de se préparer.
– Tadaaaa ! Tu penses quoi de cette nouvelle robe ? demande Justine en tournant sur elle-même.
– T’es super belle, comme d’habitude.
En effet, la brunette a relevé sa chevelure en un joli chignon et mis en valeur son regard noisette en amande par un maquillage léger. Sa robe ébène à volants lui sied à la perfection.
– Oh, mais il faut te préparer, toi aussi ! On va être en retard ! Tu as déjà choisi ta tenue ? Attends, on va te trouver ça vite fait !
Telle une pile électrique, Justine s’évertue déjà à fouiller dans l’armoire de son amie.
– Celle-là ! Comme ça on sera assorties ! s’enthousiasme-t-elle en plaçant le joli vêtement noir devant elle.
– Oui, ce sera parfait !
Amaryllis tente de garder la face, mais son ton surjoué la trahit. Justine finit par comprendre que quelque chose cloche. Elle fronce les sourcils et son regard se pose sur le bracelet incarnat que son amie ne cesse de faire glisser entre ses doigts.
– Qu’est-ce qui se passe Ama ?
– Oh, rien, t’en fais pas. Je vais me changer et on y va !
– Non non non, tu me la feras pas, à moi ! Dis-moi tout !
Justine s’est assise sur le rebord du lit et invite Amaryllis à s’installer à côté d’elle en tapotant le matelas.
– J’ai pas trop envie d’en parler… murmure la jeune fille d’une voix brisée.
– Oh, ma choupinette !
Ni une ni deux, Justine enlace son amie qui fond en larmes.
– Tu sais… T’es pas obligée de tout me dire de suite, et puis, on peut reporter, pour ce soir !
– Non ! Surtout pas, ne reporte pas pour moi, je sais que c’est important pour toi, t’attendais cette soirée avec impatience, et ça fait des jours que vous préparez ça ! Et puis, ça me changera les idées !
– D’accord, répond Justine en la prenant par les épaules. Tu sais que je s’rai toujours là pour toi, hein ?
– Oui, je sais, merci Juju…
Amaryllis sourit à travers ses larmes et serre les mains de son amie avant de partir se changer en vitesse. J’ai bien peur que la rencontre avec Francis n’arrange pas les choses, mais que faire ?
Je suis désolée que ça se soit passé ainsi
– C’est pas de ta faute… Au contraire, c’est pas comme si tu m’avais pas mise en garde. Je vais aller me changer les idées, et puis on réfléchira à tout ça plus tard, d’accord ?
Oui mais attends !
Trop tard, elle s'est détournée de son reflet et s’empresse déjà de rejoindre Justine. En plus, Francis s’affaire à convaincre Jeremiah de venir quand même. Pourvu qu’il n’y parvienne pas !
– Allez, mec ! J’aime pas te voir déprimé comme ça, viens avec nous !
– Hors de question. Ça ferait que mettre tout le monde mal à l’aise ! Ne rate pas ton entrée, tu mérites d’être heureux.
– Arrête avec ta philosophie à deux balles ! Il s’est passé quoi, avec elle ?
– Ça te regarde pas…
Francis croise les bras, bien déterminé à obtenir ce qu’il veut.
– Dans la mesure où c’est la meilleure amie de Justine, si, ça me regarde.
– Je l’ai déçue. Comme je déçois toujours tout le monde, comme je te décevrai sûrement un jour…
Francis en reste bouche-bée. Moi, je me demande juste si Jeremiah ne joue pas simplement la comédie, comme il sait si bien le faire. Pourtant, j'ai l'impression qu'il est sincère.
– Arrête un peu ! Je te reconnais plus, ces derniers jours ! C'est juste à cause de cette fille, vraiment ?
– Je t'ai déjà parlé de mon frère ?
– Euh… Non… Mais je vois pas bien le rapport, là.
– Il était Devin.
Francis écarquille les yeux. Cette conversation prend une tournure intéressante. Le pouvoir de divination est le don le plus rare qui existe. On ne compte qu'une poignée de mages qui en ont maîtrisé l'usage. Son frère serait l'un d'entre eux ? Ou aurait été, si j'en crois l'usage du passé… Jeremiah cherche-t-il à s'adresser à moi à travers ce dialogue après que j'ai laissé notre communication en suspens ?
– Waouh… La classe.
– Avant de disparaître, poursuit Jeremiah en ignorant cette remarque, il m'a prédit comment j'allais mourir.
– Oh… Flippant, j’comprends mieux pourquoi tu déprimes, mais bon, t'as la vie devant toi, hein !
Jeremiah émet un rire sans joie.
– L’année de mes vingt ans.
Francis devient blanc comme un linge et ses mots restent bloqués dans sa gorge. Je ne m'attendais pas non plus à cette révélation.
– Tu me fais vraiment peur, là… T'es trop jeune pour mourir ! Et puis, dans quoi t'as bien pu te fourrer pour risquer ta peau ?
– Si tu savais…
– Y a forcément un moyen d'éviter ça ! se désespère Francis.
Son portable s'anime sur la table de chevet. Les filles sont déjà parties, peut-être que Justine commence à s'impatienter. Encore sous le choc, son petit ami n’y prend pas garde et se laisse tomber lourdement sur le matelas aux côtés de Jeremiah qui réplique :
– Tu le sais comme moi… Les visions d'un Devin se réalisent, quoi qu'il arrive.
– Sauf si tu as des éléments pour les contrer. Pour chaque prédiction il y a une action salvatrice qui…
– Mon frère m'en a fourni. Il m'avait supplié de ne jamais intégrer cette université.
– Bordel… Pourquoi tu l'as pas écouté, alors ?
– Parce que j'ai été trop présomptueux, soupire Jeremiah.
– Ouais, comme d’hab quoi…
À force de vibrer, le téléphone s'échoue au sol. Justine doit sans doute penser que Francis s'est défilé. Jeremiah semble regretter sa confidence.
– Tu devrais y aller, je t'ai déjà retenu trop longtemps.
– Tu viens de m'annoncer que tu vas bientôt crever et tu crois que je vais te laisser comme ça ! Je pars pas sans toi. Tu m’accompagnes et c’est tout.
– Je vais seulement avoir vingt ans dans trois semaines, techniquement il me reste encore peut-être un an, tu comptes me coller au basques tout le temps jusque là ? s'amuse Jeremiah. Et je te rappelle que tu dois rentrer chez toi pour le week-end.
– Comment tu peux prendre ça autant à la légère !
– Il y a encore certaines choses que je compte bien régler avant de passer l'arme à gauche. De toute façon, les conditions ne sont pas encore tout à fait réunies, alors t'inquiète.
– Si tu veux que je t'aide, il faudra peut-être penser à me donner plus de détails que ça… grommelle Francis en ramassant son mobile.
– On en reparle lundi. Amuse-toi bien, et oublie-moi au moins le temps de cette soirée, ok ?
Le blondinet reste figé un instant, indécis.
– Tu sais, Jerem, on se connaît pas depuis si longtemps que ça… mais j'ai jamais eu un pote comme toi, et j’suis sûr que tu me décevras pas !
– Merci Francky… murmure Jeremiah avec un faible sourire.
Francis s'éclipse enfin après un dernier signe de main. Jeremiah a perdu de son assurance ; il est perdu tout court.
– Qu'est-ce qui m'a pris de lui raconter ça… marmonne-t-il.
Son regard dérive vers le miroir. Toutefois, il ne m'adresse plus la parole. Il ne l'admettra jamais, mais il est terrifié. Et ce depuis qu'il a réalisé ses sentiments naissants pour Amaryllis. Est-ce lié à la prédiction de son frère ?
Peut-être que tu comptais m’attendrir
Mais ne crois pas t'en sortir aussi facilement
– Sans cette foutue grippe, tu n'aurais jamais découvert mon identité.
– Encore cette arrogance…
– Chassez le naturel… confirme-t-il avec un sourire en coin.
Très rapidement, il reprend son sérieux.
– Si tu comptes me dénoncer, sache que tu mettrais Amaryllis encore plus en danger.
– Et pourquoi devrais-je te croire ?
– Je te l'ai dit. Cette mission est un test. J'ai échoué une fois, on m'a laissé une seconde chance. Tant que je suis sur le coup, ils ne tenteront rien de plus.
– Qui sont-ils ?
Il hésite, sa respiration rapide m'indique qu'il est au comble de l'angoisse. J'avoue être un peu peinée de le voir dans une si grande détresse. Cependant, je ne peux pas le laisser me dissimuler encore des informations. Je prends le ton de la menace :
– Si tu ne veux pas que je fasse en sorte qu'on découvre qui tu es, tu ferais mieux de répondre à mes questions.
– Mon père… et ses sbires. S'il te plaît, A, je t'assure que je te dis la vérité… Je veux juste vous protéger.
– Nous protéger ?
– Ne me dis pas que tu n'y a pas pensé. Tu es aussi la cible de mon père.
– Tu es censé te sacrifier pour nous protéger, donc ?
Jeremiah sursaute en entendant le mot “sacrifier” et se passe nerveusement une main dans les cheveux. Il semblerait que j'aie visé juste.
– Je… Mon frère n'a pas été si précis.
Il me ment. Mais je n'insisterai pas sur ce point pour l'instant.
– Il t'avait mis en garde. Je ne comprends toujours pas pourquoi tu es venu ici malgré tout.
– Il a disparu depuis plus d’un an ! Je devais juste trouver la descendante des Amloth et tenir jusqu'à l'équinoxe d’automne. J’ai pensé que ce serait facile… Je me suis dit que ça allait être marrant, que j'en profiterai pour m'amuser, que pour une fois je serai libre…
– Tu n'avais pas prévu de tomber amoureux.
– Ça me paraissait tout simplement impossible ! C'était… une légende, pour moi, un conte pour les enfants… Pas la réalité.
Son côté cynique ressort encore une fois. Je me pose une multitude de questions. Comment a-t-il été élevé pour avoir ce genre de pensées ? Puis, ses paroles précédentes me reviennent en mémoire. Manipulé, formaté… Son père se serait servi de lui comme d'une simple arme ? Le teint de Jeremiah est cadavérique, son visage recouvert de sueur et je perçois les tremblements qu'il tente de cacher tant bien que mal.
– J'ai une dernière question, pour cette fois. Pourquoi avoir gardé ton vrai prénom ?
Il paraît surpris par mon interrogation. Je ne vois pas ce qu'il y a de compliqué à comprendre. À moins que…
– Comment peux-tu savoir qu'il s'agit de mon vrai prénom ?
Cet étonnement m'interpelle. Tout comme ses réactions. Son père ne l'a pas simplement manipulé ; il l'a coupé du reste du monde.
– Jeremiah… Que t'a raconté ton père à propos de ta famille ?
Il fronce les sourcils, déboussolé.
– Tout ce que je sais, c'est que ma mère est morte à cause des Amloth, qu'ils ont jeté une malédiction sur nous et que mon père serait prêt à tout pour les détruire et recouvrer sa liberté de mouvement.
Soit il est un acteur hors pair, soit il n'a vraiment été qu'un pion sur l'échiquier de son père depuis le départ.
– Sais-tu que tu portes le même prénom que ton grand-père ?
– Non… m’avoue-t-il.
– Sais-tu que ton père est l'assassin des parents d’Amaryllis ?
Ses yeux s'arrondissent et son visage devient plus blême encore. Ses lèvres tremblent, la communication se coupe. Aucun doute, il ne joue pas la comédie. J'y suis peut-être allée un peu fort… Je voudrais le réconforter mais il a fermé son esprit.
– Non… murmure-t-il alors que des larmes roulent sur ses joues.
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