Célia chutait… ou dérivait. Le vide l’engloutissait sans fin, sans qu’elle ressente ni peur ni douleur. Le temps s’était effacé, comme s’il n’avait jamais existé. Les yeux clos, elle percevait seulement une chaleur diffuse, qui vibrait au creux d’elle-même.
Par instants, elle crut discerner un écho lointain, semblable au battement d’un cœur qui n’était pas le sien. Était-ce le monde extérieur qui tentait de l’atteindre… ou une nouvelle illusion du Saule des Âmes ?
Peu à peu, la chaleur devint pesante. Ses pensées s’embrouillaient, ses membres engourdis revinrent à elle, lourds et douloureux. Le néant s’effritait, remplacé par une pression dans sa poitrine et des sensations éparses.
Puis, son dos toucha une surface moelleuse. Ses muscles frémirent sous des picotements avant qu’une douleur vive ne lui traverse la tête. Sa vision s’éclaircit, accrochant la lumière vacillante d’un chandelier suspendu au-dessus d’elle. Une voix enfantine perça le brouillard, suivie du bruit d’une chaise qu’on repoussait.
— Elle se réveille !
Ryn se précipita vers l’humaine allongée sur le canapé, bientôt rejointe par Cornelia, Irène et Alma. Célia tenta de se redresser, sans en avoir la force.
— Calme, conseilla Tyane, adossée au mur, impassible. Ton âme doit encore se convaincre d’avoir retrouvé ton enveloppe charnelle.
Déboussolée, Célia les regarda tour à tour. La certitude s’imposa : elle avait quitté l’illusion. L’archère souriait, les jumelles montraient de l’inquiétude, Cornelia la toisait, le menton haut.
— Combien de temps j’ai… tenta-t-elle d’articuler.
— Trois jours, répondit la druidesse en anticipant. Lorsque nous avions passé cette épreuve, cela n’avait duré qu’un peu plus d’une heure. J’imagine que c’est normal pour une humaine sans prédispositions magiques. Nous verrons de quoi tu seras capable avec une arme semblable aux nôtres… et pleinement consciente.
Sans un mot de plus, Cornelia quitta la pièce et monta se coucher. Ryn soupira et adressa un clin d’œil complice à Célia.
— Elle ne le montre pas, mais elle était très inquiète pour toi. Quand nous avons appris que Tyane t’avait emmenée au Saule des Âmes, je pensais que nous ne te reverrions jamais ! Tu as réussi l’épreuve alors que tu n’es pas une créature magique ! Comment as-tu brisé l’illusion ? Tu as vaincu la monstruosité végétale ?
Tyane se racla la gorge pour refroidir l’enthousiasme de Ryn. Elle s’approcha avec un objet dans les mains. Comprenant ce que cela signifiait, les jumelles aidèrent Célia à se redresser et à s’asseoir. Toutes firent un pas en arrière.
La cheffe de l’Ordre des Racines s’avança avec un fourreau noir orné de filigranes blancs et le posa sur les genoux de Célia.
— Ceci t’appartient, dit-elle d’un ton sérieux. J’ai fait forger un nouveau fourreau pendant ton sommeil. Tu fais désormais pleinement partie de notre ordre. C’est le début d’une nouvelle existence pour toi. Sois digne de notre confiance, et du pouvoir que tu tiens maintenant entre tes mains.
Célia passa machinalement ses doigts sur le fourreau. Son cœur s’emballa. Comme guidée par un instinct irrépressible, elle saisit la poignée. Aussitôt, les elfes se raidirent, prêtes à la maîtriser.
Célia ne leur prêta pas attention et tira lentement l’épée. L’humaine la reconnut aussitôt… et n’en crut pas ses yeux.
— C’est l’arme avec laquelle j’ai… !
— Que la personne sorte ou non de l’illusion, elle obtient toujours son dû, expliqua Tyane. Tant que ta volonté demeure inébranlable, jamais elle ne te trahira. Pour l’heure, repose-toi. Tu ne reprendras pas l’entraînement avant d’être pleinement rétablie.
Après avoir mangé un peu et discuté avec elle, Ryn, Irène et Alma allèrent se coucher. Tyane resta un long moment à son chevet, cherchant à comprendre comment elle avait brisé l’illusion du Saule des Âmes.
Célia raconta par bribes, la voix faible et hésitante. Elle parla de l’abomination végétale, de la Pourfendeuse de Démons, puis de l’apparition de la lame. Ses mots trébuchaient, comme si elle revivait encore l’épreuve. Tyane écouta sans l’interrompre, jusqu’à ce que la jeune fille s’endorme d’épuisement. Elle se leva, alla souffler les bougies et quitta le manoir.
Dehors, la Maître-espionne s’assit sur les marches. Elle posa ses coudes sur ses genoux et passa une main sur son visage, comme pour chasser le tumulte de ses pensées. Elle avait vu de ses yeux ce dont Célia et sa lame étaient capables. Ce pari qu’elle avait osé ne lui inspirait plus aucun doute : cette humaine accomplirait de grandes choses. Et, le moment venu, elle saurait la guider… ou l’exploiter.
Célia avait passé la nuit dans le salon, incapable de monter seule jusqu’à sa chambre la veille. Son corps était endolori, tel celui d’une guerrière brisée par des jours d’entraînement. Elle se redressa péniblement en entendant des pas descendre l’escalier du manoir. C’était Ryn. L’archère lui adressa un sourire radieux avant de se diriger vers la cuisine pour préparer le petit-déjeuner.
Cornelia descendit peu après et, à la surprise de l’humaine, lui fit un signe de la main. La druidesse alla chercher un grimoire dans la bibliothèque et s’installa à table. Après quelques secondes de lecture, elle posa son regard sur la jeune fille.
— Comment te sens-tu ? demanda-t-elle d’une voix moins méprisante qu’à l’accoutumée.
— Un peu… différente. C’est difficile à expliquer. J’ai l’impression qu’on m’a pris une partie de moi et qu’on l’a remplacée par… je ne sais pas.
— Tu commences à ressentir les effets secondaires de ton nouveau jouet.
— Comment ça ?
Cornelia inspira profondément et soupira.
— Puisque tu as surmonté l’épreuve, tu as le droit de savoir. Les créations du Saule des Âmes ne sont pas ordinaires. Elles naissent de puissants sentiments et reflètent la véritable nature de leur porteur. Tyane m’a raconté que tu avais touché une grande hache rouge dans la Tanière de Ludan.
Célia se souvenait en effet de ce magnifique tranchoir, mais accompagné d’une insatiable soif de sang.
— C’était un soldat de l’armée régulière, vaniteux et ambitieux. Il voulait acquérir assez de puissance pour atteindre le sommet de la hiérarchie. Face à son arrogance, nous l’avons conduit là-bas. L’illusion l’a englouti en quelques secondes. Aujourd’hui, il doit certainement massacrer des innocents dans une illusion dont il n’a pas conscience. Ou pire, peut-être a-t-il déjà été dévoré par la monstruosité végétale.
Célia trouvait cela aussi incroyable qu’effrayant. Elle pensa aux armes de ses équipières. Pour Tyane, il était évident que sa magie des ténèbres révélait sa nature. Quant aux jumelles, elle se rappela les paroles de Ryn sur leur âme commune : Irène et Alma possédaient exactement la même épée, mais les avaient échangées. En revanche, elle n’avait pas d’idée concernant Ryn et Cornelia.
— Pour faire simple, reprit la druidesse, une partie de ton âme se trouve maintenant dans ton épée. Et le vide laissé a été comblé par la magie du Saule des Âmes.
— Et quelle est cette magie ? demanda Célia, de plus en plus intriguée.
— À toi de le découvrir. Maintenant, silence. Je lis.
Elle replongea dans son ouvrage, tandis que Ryn terminait de préparer le petit-déjeuner. Elle dressa le couvert avant de poser les plats au milieu de la table. Un peu plus tard, les jumelles descendirent et allèrent directement voir Célia pour s’enquérir de son état.
Surprise, l’humaine leur indiqua qu’elle avait encore un peu mal, mais allait mieux qu’hier soir. Plus ou moins rassurées, Irène et Alma s’échangèrent des regards entendus et lui tendirent chacune une main. Elles la firent se lever et la soutinrent jusqu’à table. Ce geste toucha Célia, et Ryn, heureuse de voir ses sœurs d’armes s’ouvrir peu à peu.
Alors que l’Ordre des Racines savourait un excellent petit-déjeuner, la porte d’entrée claqua, annonçant le retour de leur chef. Tyane entra dans la salle à manger et s’assit sans un mot, droit en face de Célia. L’atmosphère se figea aussitôt, comme si sa seule présence alourdissait la pièce.
— Il faut qu’on parle.
— Laisse-la finir tranquillement, proposa Ryn en reprenant une bouchée de viande froide. D’ailleurs, mange, toi aussi.
Les jumelles et Cornelia fixèrent Tyane sans bouger, approuvant silencieusement Ryn. La Maître-espionne soupira et se plia à l’avis général. Elle commença à manger. Le repas se déroula dans une tension lourde, seuls les bruits de couverts brisant le silence. Une fois terminé, la discussion put enfin commencer.
— Célia, tu possèdes désormais une arme semblable aux nôtres, rappela Tyane. Si tu conserves la discipline d’entraînement que tu as tenue malgré tes défaites, tu te rapprocheras de nos capacités.
Le visage de Célia se durcit. Elle acquiesça, consciente de ce qu’on attendait d’elle.
— Cependant, poursuivit l’elfe, dans ta situation actuelle, tu ne pourras pas retourner dans ton village natal.
— Que voulez-vous dire ? s’exclama Célia, surprise.
— Réfléchis un instant, trancha Cornelia. Si tu retournes parmi les tiens, tu chercheras à les protéger et à combattre les Néantys. Noble intention, mais qui causera ta perte. Les humains rejettent toujours ce qu’ils craignent, et tout ce qui leur paraît surnaturel les terrifie.
La druidesse marquait un point. Avec le recul, Célia visualisait déjà la scène. Si elle rentrait à Uleth avec cette épée, mettant de côté le sermon de son père pour sa fugue, tous crieraient à l’hérésie. Et si d’éventuelles rumeurs atteignaient l’Ordre des Paladins, ils viendraient sûrement l’arrêter.
La Pourfendeuse de Démons était recherchée pour la même raison, malgré ses victoires contre les Néantys. En restant à Uleth, Célia mettrait en danger tout ce qu’elle voulait protéger.
— Tu es désormais plus proche d’une créature magique que d’une simple humaine, reprit Tyane. Tes objectifs rejoignent les nôtres : tu cherches cette femme masquée pour obtenir des réponses, tout comme nous. Tu n’as donc plus le choix : collaborer est ton unique intérêt, pour l’instant.
La vérité sur la mort des marchands lui avait été donnée par leur bourreau elle-même. Pourtant, ce n’était qu’un fragment, un morceau dérisoire du puzzle que représentait encore la guerrière en noir. Célia prit encore quelques secondes pour mesurer pleinement les paroles de Tyane, et se laissa convaincre par chacun de ses arguments. Cependant, si elle imposait ses contraintes, aussi justifiées soient-elles, alors…
— D’accord, mais je veux qu’Aelia revienne à mes côtés.
Si prévisible…
— Concentre-toi d’abord sur le développement de tes capacités, et j’étudierai cette éventualité.
Célia fit la moue, mais une pensée l’anima aussitôt : si elle battait l’une des elfes, Tyane serait forcée de tenir parole. Cette idée l’embrasa. Elle donnerait tout pour Aelia.
— Bien, conclut Tyane en se levant. Dès ton retour à l’entraînement, c’est moi que tu affronteras.
Célia n’en espérait pas moins. Plus motivée que jamais, elle comptait bien lui faire mordre la poussière. Les autres elfes observaient en silence, curieuses de voir ce qu’il adviendrait, surtout Cornelia. La druidesse anticipait une victoire de Tyane, mais peut-être pas aussi écrasante que par le passé. Depuis la bataille contre les Néantys, sa curiosité avait pris le pas sur son mépris.
Au cours des jours suivants, Célia observa avec attention chaque affrontement de l’après-midi. Après chaque duel, elle bombardait ses équipières de questions. Les elfes répondaient du mieux qu’elles pouvaient. Irène et Alma continuaient à lui enseigner les mouvements essentiels. Même l’intransigeante Cornelia lui prodiguait quelques conseils, non sans préciser que c’était dans l’intérêt de l’Ordre, et non par bonté.
La motivation de l’humaine sautait aux yeux. Depuis qu’elle avait obtenu son arme enchantée, toutes percevaient ce changement en elle.
Une semaine passa. Célia se jugea enfin rétablie. Après les exercices du matin et un bref déjeuner, Tyane lui tendit un paquet.
— Tiens. Maintenant que tu as l’arme et la motivation, il ne te manquait plus qu’une tenue adaptée. Je l’ai fait confectionner par le Fil Mystique, l’une des meilleures familles de tailleurs de Sylvae. Va te changer et rejoins-nous dans la cour.
Intriguée, Célia monta dans sa chambre et déplia le paquet. Tout en haut reposait une paire de bottes noires, au cuir souple et épais qui sentait encore l’atelier. Elle les écarta et découvrit le reste de l’ensemble. Le tissu glissa entre ses doigts, léger mais résistant. Rien à voir avec les habits grossiers qu’elle avait toujours portés. Elle abandonna ses vêtements usés, presque des haillons, et enfila la tenue, non sans quelques maladresses.
À l’extérieur, les combats avaient déjà commencé. Ryn affrontait Irène. L’épéiste bondissait avec rapidité, forçant l’archère à reculer. Imperturbable, Ryn décochait flèche après flèche avec sa redoutable précision. Le duel restait équilibré. Par fair-play, les jumelles s’interdisaient leur télépathie, qu’elles réservaient à leurs propres affrontements.
Le combat se prolongea. Alors que Ryn matérialisait une nouvelle flèche, son geste se figea. Son visage se crispa de surprise. Ignorant ce qui captivait son adversaire, Irène y vit une ouverture et plaça sa lame au creux de sa gorge. Pourtant, l’archère ne détourna pas les yeux.
Les autres elfes suivirent son regard. Toutes écarquillèrent les yeux en voyant Célia approcher, vêtue de sa nouvelle tenue.
Elle portait désormais un ensemble noir en deux parties : un haut sans manches ni épaules, ajusté à sa silhouette comme une seconde peau, et un bas moulant qui épousait ses cuisses. Des chaussettes hautes lui montaient jusqu’aux genoux. De sa ceinture partait une cape en cuir léger, flottant jusqu’aux mollets. Son épée, dont le fourreau assorti complétait l’ensemble.
Pourtant, Célia avançait d’un pas hésitant, les joues empourprées. Jamais elle ne s’était sentie autant exposée. Malgré sa gêne, son apparence lui donnait l’allure d’une véritable combattante.
— Tu es superbe ! s’exclama Ryn, approuvée par les jumelles souriantes.
— Je l’admets, concéda Cornelia avec un sourire en coin. Reste à prouver que l’apparence n’est pas ton seul talent.
Sans gêne, Tyane saisit le tissu au col, tira légèrement, puis relâcha. L’étoffe reprit aussitôt sa place, sans un pli.
— Ces habits s’adaptent à ta morphologie sans entraver ta souplesse, expliqua-t-elle. Même tendus à l’extrême, ils ne craqueront pas.
La Maître-espionne fit volte-face et alla se mettre en place. Elle fit apparaître ses dagues et prit une posture de combat.
— Bien. Passons aux choses sérieuses. Approche, et montre-moi la puissance de cette épée.
Ryn, Cornelia et les jumelles perçurent une impatience inhabituelle chez Tyane, qui semblait attendre cet affrontement autant que Célia.
L’humaine inspira profondément, s’avança et dégaina. Étrangement, elle ne perçut aucune différence de poids ni d’équilibre par rapport à l’arme d’Eldan. Pourtant, ce n’était plus exactement la même lame : son rouge profond avait viré au bleu turquoise.
Les spectatrices se déplacèrent pour mieux voir. Enfin, Célia s’élança.
Dès son premier pas, quelque chose la troubla : l’impact de son pied était moins lourd. Son corps paraissait plus vif. Une fois à portée, elle arma une attaque circulaire.
Tyane esquiva d’un bond. L’élan emporta Célia qui tourna sur elle-même. L’elfe profita de l’erreur : d’un balayage sec, elle faucha ses jambes et la fit chuter. Elle attendit calmement qu’elle se relève, puis donna un premier conseil.
— Ne cherche pas à me vaincre. Habitue-toi d’abord à ton corps. Ton épée ne doit pas être une arme, mais une extension de toi.
Célia hocha la tête, essuya la poussière de sa joue et reprit sa garde. Cette fois, Tyane chargea. Ses dagues fendirent l’air en une pluie de coups rapides. L’humaine esquiva tant bien que mal, ses pas hésitants manquant de la faire trébucher. Quand elle tentait une parade, Tyane brisait sa garde, se contentant de la tester.
— Mieux, admit l’elfe d’une voix ferme. Mais un combat ne doit jamais être à sens unique.
L’envie de riposter bouillonnait. Pourtant, aucune ouverture ne se présentait. Les assauts s’enchaînaient, toujours plus rapides, forçant Célia à rester sur la défensive. La fatigue la gagnait. Son épée lui paraissait lourde, rétive. Qu’aurait fait la guerrière en noir à sa place ? Avait-elle, elle aussi, appris ainsi ?
Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas venir le pommeau qui s’enfonça dans son ventre. Le souffle coupé, elle tomba à genoux, pliée en deux.
— Reste concentrée, s’agaça Tyane. Tu es déjà à bout ? J’espérais mieux.
La pique fit bondir Célia. Elle se releva et lança une série d’enchaînements brouillons mais fougueux. L’elfe avait obtenu ce qu’elle voulait et ne se retint plus.
Elle exploita chaque erreur, enchaînant coups de poing, coups de pied, balayages et prises qui faisaient valser son adversaire. Sur le côté, les autres virent la situation dégénérer.
— Arrête ! hurla Ryn. Laisse-lui du temps !
— Ne vous mêlez pas de ça ! cracha Tyane sans cesser de frapper.
La colère de Célia montait. Cette chaleur étrange renaissait, se mêlant à la douleur de son corps. Quand Tyane abattit sa dague à plat, l’humaine para… sans avoir vu venir le coup. Les armes restèrent croisées, chacune poussant pour faire céder l’autre.
La Maître-espionne haussa les sourcils, surprise, puis esquissa un rictus quand l’épée se mit à luire d’une lumière diffuse déjà aperçue. Elle planta son regard dans celui de l’humaine. Ses yeux avaient gardé leur éclat, mais leur reflet virait au bleu.
— Alors, prête à enfin tout donner ? railla-t-elle.
— Et à t’écraser… Pour qu’Aelia me revienne !
Célia rompit le contact et recula d’un pas. Haletante, elle refusa pourtant de céder. Elle repartit à l’assaut, enchaînant tailles et estocs.
Tyane déviait chaque coup avec aisance, mais l’humaine la surprit en changeant brusquement de rythme. D’un revers, elle effleura sa tenue, arrachant un froissement. L’elfe arqua un sourcil.
Enfin un peu d’instinct…
Galvanisée, Célia redoubla d’ardeur. Ses attaques restaient brouillonnes, mais leur fougue obligeait Tyane à rester vigilante. L’humaine esquiva même une feinte en se laissant tomber à genoux pour contre-attaquer, forçant l’elfe à reculer d’un pas. Le silence tomba un instant parmi les spectatrices.
Essoufflée, Célia tenta de maintenir la cadence, mais ses gestes perdaient en précision. Tyane accéléra. Ses dagues frappèrent par rafales, exploitant chaque faille. L’humaine céda du terrain, jusqu’à ce qu’un coup sec arrache son arme et la projette plus loin dans l’herbe.
Au lieu d’abandonner, Célia bondit à mains nues, cherchant à frapper. Tyane la saisit, pivota et la jeta au sol. La jeune fille roula sur le côté, récupéra son épée et se remit debout, vacillante mais déterminée.
L’elfe la fixa un instant, les dagues prêtes, puis relâcha la pression.
— Assez pour aujourd’hui. J’ai vu ce que je voulais voir.
Pas pour Célia. Son épée brillait toujours, réclamant la victoire. Tyane soupira et, sans quitter son adversaire des yeux, projeta ses dagues en l’air. L’humaine suivit leur trajectoire du regard… erreur fatale. L’elfe fondit sur elle, lui saisit brutalement le poignet, tordit son bras dans son dos et la plaqua au sol, la joue écrasée contre l’herbe. Elle appuya davantage, assez pour faire comprendre qu’un seul geste de trop lui coûterait cher.
— Assez, j’ai dit.
— Je peux encore me battre !
— Ce sera difficile avec une épaule déboîtée. Tu veux essayer ?
Tyane relâcha la pression et s’éloigna sans un mot.
Célia se redressa péniblement. La lumière de son épée s’éteignit, comme si elle partageait la défaite de sa porteuse. L’humaine la ramassa et la remit au fourreau, le geste raide.
Elle retourna vers le bâtiment tandis que Cornelia et Irène s’avançaient pour le dernier affrontement de la journée. Quand elle croisa la druidesse, celle-ci ne manqua pas de la réprimander.
— Ne laisse jamais tes émotions prendre le dessus. Nos armes sont puissantes, mais elles exigent une grande maîtrise de soi. Avec ton comportement, une armée humaine entière aurait déjà été décimée. Garde bien cela en tête, petite effrontée.
Célia baissa les yeux, honteuse, et alla s’asseoir à côté de Ryn. Ses doigts crispés serraient le bord de la caisse, comme si elle cherchait à évacuer sa frustration. Voyant son équipière morne et courbée, l’archère choisit de rester silencieuse. Elle lui parlerait plus tard, quand le poids de la défaite se serait un peu allégé.
La journée touchait à sa fin. Alors que toutes se réunissaient autour d’un bon dîner, Célia s’isola dehors. Perchée sur une pile de bottes de foin près des écuries, elle tenait son épée sur ses genoux, passant machinalement ses doigts sur la lame.
Était-ce cela, la véritable puissance des armes enchantées ? Lors de son affrontement contre Tyane, elle s’était sentie enivrée par cette force et prête à tout pour terrasser le Néantys que l’elfe était presque devenue.
La peur de perdre le contrôle l’effrayait. Cornelia avait peut-être raison : quelque chose de grave pouvait arriver à cause de son impulsivité. La Pourfendeuse de Démons devait-elle, elle aussi, lutter contre cette soif de tuer ? Était-ce cette force qui l’avait poussée à abattre Jael et Eldan ?
— Célia ? appela une voix douce, interrompant ses pensées.
Ryn se tenait au pied des bottes, la regardant avec un sourire tendre. Elle monta la rejoindre avec agilité. L’elfe perçut la tristesse de son amie et choisit de parler de ce qui s’était passé cet après-midi plutôt que de lui demander comment elle allait.
— Tu as été incroyable tout à l’heure !
— Mais le résultat est le même : j’ai encore perdu…
— C’est vrai, mais qu’importe. Tu n’as déçu personne. Tu as été au centre des discussions pendant le dîner, et tout le monde espère que ta volonté restera intacte. Allez, descends : nous t’avons gardé à manger. Demain est un nouveau jour !
Célia retrouva un semblant de sourire et sauta. En chemin, elles parlèrent longuement des armes enchantées. Ryn raconta son premier affrontement contre Tyane après avoir récupéré son Vir’neiros. Une complicité commençait à naître entre les deux nouvelles venues dans l’Ordre.
— Au fait, remarqua l’elfe, tu n’as pas encore nommé ton arme enchantée. C’est une tradition dans l’Ordre des Racines. Tu connais déjà le nom de mon arc. Le bâton de Cornelia est Azlur’Nam, sagesse sauvage. Les dagues de Tyane s’appellent Thil’melor, dévouement absolu. Les épées des jumelles sont les Felo’zalis, âmes fusionnelles.
Célia n’y avait pas songé. Elle n’avait aucune notion d’ancien elfique mais exprima la première chose qui lui vint à l’esprit. Ryn fit la traduction avec un sourire ; elle n’aurait pas trouvé de meilleur nom.
— Ce sera donc Sealnor’thal, sœur adorée.

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