Le silence du hameau s’épaississait. Même le vent s’était tu. La monstruosité approcha, ses lianes-cheveux fouettant l’air d’impatience. L’une d’elles s’allongea, ondulant comme un serpent curieux vers Célia. Elle glissa sous son menton et lui caressa la joue.
— Fragile petite âme, susurra la femme végétale. Que vas-tu m’offrir maintenant ? Du regret ? De l’agacement ?
Célia déglutit. Son cœur cognait, prêt à éclater. Sa voix, tremblante mais acérée, jaillit malgré elle.
— Rien du tout, sorcière…
L’abomination écarquilla les yeux. La liane se rétracta, puis gifla l’humaine. Célia poussa un bref cri, la joue en feu, le regard défiant.
— J’aime quand les âmes se débattent, ricana la monstruosité. Cela les rend si délicieuses… Mais je ne sens pas encore assez ta peur.
La femme végétale claqua des doigts. Des silhouettes surgirent des bâtiments, une à une. Célia les reconnut aussitôt : Rick, Nieli, Tolan, son père, sa mère, tout son village. Même Erulyn, Milys, Tyane et le reste de l’Ordre des Racines étaient là. Leurs visages demeuraient figés, sans la moindre émotion.
Ils encerclèrent la scène. Peu à peu, leurs corps se drapèrent d’une fumée ténébreuse ; leurs traits se dissolvèrent en gueules monstrueuses et, sous les yeux effarés de la prisonnière, ils se changèrent tous en Néantys rampants.
Le souffle de Célia se bloqua. Elle secoua la tête, refusant d’y croire. Son cœur hurlait que ce n’était qu’une illusion, mais ses yeux voyaient autre chose. Ses parents, son village, ses alliés… dévorés par l’ombre et transformés en démons. Les larmes lui montèrent aux yeux malgré elle.
La panique la gagna. Elle voulut reculer, fuir cette scène insoutenable, mais la Pourfendeuse la tenait toujours fermement, son épée sous la gorge.
L’abomination sourit. Elle tendit une main et posa le bout de ses doigts sur le front de sa proie. Le contact arracha un frisson glacé à Célia et, aussitôt, elle sentit son énergie aspirée hors d’elle.
La jeune fille serra les dents, tant la douleur grandissait dans tout son être. Un grognement rauque monta de sa gorge. Elle refusait d’offrir le moindre cri, le moindre plaisir à son bourreau.
— Une éternité de tourments t’attend, pendant que je me nourrirai de toi.
La créature rompit le contact, laissant Célia reprendre son souffle. En plein désarroi, la jeune fille cherchait désespérément une solution. Combattre ? Difficile sans arme. Fuir ? Impossible avec tous ces Néantys autour d’elle.
Ses épaules s’affaissèrent. Ses efforts, ses douleurs, tout ce qu’elle avait traversé semblait s’écrouler ici. Une fatigue sourde l’envahit, comme si sa volonté s’effritait peu à peu.
Un goût amer lui serra la gorge et, dans son esprit, les images défilèrent. Depuis Uleth, il n’y avait eu que souffrances et épreuves. À quoi tout cela avait-il servi ? À finir en simple pâture offerte à cette abomination.
Et que deviendra celle qui tient à toi plus que tout, lorsqu’elle apprendra ta fin ?
Célia se sentit étrange. Une chaleur douce et familière monta en elle. Elle avait déjà connu cela, déjà entendu cette voix… lors de son tout premier combat contre les Néantys.
— Si vous m’aviez affrontée à la loyale, marmonna-t-elle, le visage bas. Si j’avais une arme ou la magie…
La créature leva un sourcil. Célia releva brusquement la tête et hurla ce qu’elle avait sur la conscience.
— Je vous aurais fait la peau ! Vous avez besoin d’une puissante combattante pour me maîtriser et d’une armée de Néantys pour m’effrayer ! C’est vous qui avez peur de moi !
Un grand silence tomba. Les secondes s’égrenèrent avant que l’abomination ne transperce du regard cette insolente.
— Ouvre-lui la gorge, ordonna-t-elle à la Pourfendeuse. Je ne veux plus l’entendre.
Célia ne bougea pas, droite et digne jusqu’au bout. Elle ferma les yeux, espérant seulement que le geste de la Pourfendeuse l’achève d’un coup net.
Soudain, la jeune fille fut écartée sur le côté. Un sifflement de lame fendit l’air. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, la guerrière en noir se tenait devant elle, face à la femme végétale. Ne comprenant pas ce qui se passait, cette dernière tenta de la chasser de son monde par la seule force de sa volonté, en vain.
— Seules l’âme qu’on m’offre et ma conscience jouissent d’un libre arbitre ici, dit-elle en la dévisageant. Comment as-tu pu échapper à ma vigilance et te faire passer pour l’une de mes illusions ?
La Pourfendeuse l’ignora d’abord, aidant Célia à se relever. La jeune fille, tout aussi perturbée, se plaça aussitôt derrière sa salvatrice.
— J’ai toujours appartenu au monde de cette enfant, répondit-elle finalement d’un ton neutre. Libère-la de ce grand mensonge, ou je t’y forcerai.
— Et qui es-tu pour oser me menacer dans mon propre monde ?
— As-tu seulement demandé le nom de tes victimes avant de les dévorer ?
— Assez ! Ne me prive pas de ce festin !
L’abomination végétale allongea ses griffes et fondit sur l’intruse. La Pourfendeuse repoussa Célia en arrière et para de son épée. S’ensuivit une volée de coups rapides.
La Pourfendeuse peinait à suivre : la créature, d’une vivacité malsaine, enchaînait des mouvements imprévisibles, avec pour seul but de blesser et faire souffrir.
Célia demeurait immobile, spectatrice d’un combat qui la dépassait. La créature ne laissait aucune ouverture à la Pourfendeuse. Le cœur de la jeune fille se déchira d’effroi lorsqu’elle vit l’adulte encaisser une première griffure au flanc gauche.
La créature enchaîna avec un coup au torse, puis à la jambe droite, puis aux épaules, faisant céder les lamelles de cuir du manteau de son adversaire. La Pourfendeuse subissait, sous les yeux de Célia qui ne pouvait le supporter. Si même celle qu’elle croyait invincible vacillait, alors il ne restait plus rien à espérer.
À ce moment-là, d’autres voix familières résonnèrent dans son esprit embrumé par la résignation.
T’as du potentiel, et ce serait dommage de le gâcher pour des histoires qui nous dépassent tous.
Le sage forgeron d’Uleth avait raison : rester au village aurait été plus sûr. Quitter Uleth n’avait été qu’une folie suicidaire.
Depuis le début, je n’ai vu qu’une gamine qui se berce d’illusions, pensant pouvoir retrouver une dangereuse criminelle, en brandissant une épée qui ne lui appartient même pas.
Même si Tyane avait voulu piquer son ego ce jour-là, Célia était certaine qu’elle le pensait. La Maître-espionne l’avait-elle envoyée ici en sachant pertinemment qu’elle n’avait aucune chance ? Sa disparition ne ferait ni chaud ni froid à l’Ordre des Racines, qui reprendrait sa chasse à la Pourfendeuse… sans elle.
Je tâcherai d’être un mentor digne ; Je suis certaine que tu sauras nous surprendre.
Cette archère toujours souriante, si prompte à l’aider… Était-ce sincère ? La jeune humaine revit ce moment en forêt, juste avant que Tyane ne l’emmène à la tanière du chaman. Une autre personne était là.
Même si je ne suis pas à tes côtés, tu sais que je pense toujours à toi !
Cette ultime voix, Célia ne la connaissait que trop bien. Celle pour qui l’aînée était un modèle de courage. Une sœur fusionnelle qu’elle voulait retrouver.
Tu me protégeras, hein ? Tu me l’as toujours juré.
Une esquisse de sourire apparut sur les lèvres de Célia, décidée à préserver la lumière dans les yeux de sa petite sœur.
Oui… toujours.
Dans un nouvel échange brutal, la créature végétale repoussa violemment la Pourfendeuse de Démons, qui s’écrasa au sol sur le dos. Elle allait l’achever lorsqu’une lumière diffuse apparut. L’abomination tourna son regard interloqué vers Célia. Que se passait-il ? Son inquiétude monta.
— Attrapez-la ! ordonna-t-elle immédiatement à son armée de Néantys.
Les démons poussèrent des cris rauques et se jetèrent sur la jeune fille. Sentant sa main droite se refermer sur une poignée, Célia pivota sur elle-même, le bras tendu. Une onde jaillit, balaya les assaillants d’un seul coup.
Les démons s’évaporèrent dans un épais nuage ténébreux. L’aura autour de ce que tenait Célia faiblit, révélant une sublime lame aux reflets bleu turquoise envoûtants.
Le visage de la femme végétale passa de l’inquiétude à une immense surprise. En des millénaires d’âmes offertes et d’armes enchantées forgées, jamais elle n’avait vu pareille beauté.
Investie d’une nouvelle détermination, Célia lui lança un regard résolu. Elle prit son épée à deux mains et chargea.
La maîtresse de ce monde se tourna vers elle. Arrivée à bout portant, Célia porta un coup d’estoc en plein torse. L’étonnement figea ses traits : la lame s’était enfoncée jusqu’à la garde… et la créature n’avait même pas tenté d’esquiver.
Aucun cri ne jaillit. Nul sang n’éclaboussa. La femme végétale avait accueilli la lame comme on reconnaît la valeur d’une adversaire. Elle ferma les yeux.
La créature n’avait connu que cupidité et hypocrisie dans les âmes qu’on lui offrait. Délicieuses sur l’instant, mais si fades à présent. Ce qui émanait de cette gamine était différent… d’une beauté mille fois plus exquise.
L’incarnation du Saule des Âmes leva lentement les mains, les plaça sur les tempes de Célia et vint poser son front contre le sien. La jeune épéiste écarquilla les yeux, la bouche entrouverte.
L’incarnation du Saule des Âmes se désagrégea lentement en particules grises emportées par la brise. Sa voix résonna une dernière fois.
Quel festin… petite âme humaine.
Comme si le temps s’était accéléré avec sa défaite, la nuit céda à une aube nouvelle. Le soleil se levait au loin, teintant le ciel d’un bleu pâle apaisant.
À peine remise, Célia demeura immobile, le souffle court. Son regard resta accroché à l’arme qu’elle tenait encore, avant de glisser vers la silhouette étendue au sol.
La Pourfendeuse de Démons se releva, mais ses jambes vacillèrent. Célia lâcha son épée et se précipita vers elle. L’adolescente l’aida à retrouver son équilibre. La guerrière en noir ne dit rien, pas même un remerciement.
— Vous… vous êtes bien réelle, hein ? se hasarda Célia.
La Pourfendeuse tourna lentement la tête vers elle. Son masque ne laissait rien deviner, pourtant, Célia sentit le poids de son regard la traverser.
— Tu as des questions à me poser, j’imagine.
Et c’était vrai. Qui était-elle réellement ? Pourquoi portait-elle ce masque ? Quel lien avait-elle avec les Néantys ? D’où venait son épée, et comment avait-elle obtenu cette puissance obscure que tous redoutaient ?
Tant de mystères, tant de vérités, qu’elle rêvait d’arracher à cette silhouette impénétrable. Mais, au moment d’ouvrir la bouche, une seule question franchit ses lèvres. Celle qui l’avait poussée à partir à sa recherche.
— Est-ce vous qui avez tué Jael et Eldan ce soir-là ?
Le silence pesa. La Pourfendeuse se dégagea doucement du soutien de Célia, fit quelques pas en avant et se retourna vers elle. Droite, immobile, elle semblait mesurer le poids de cette interrogation. Lorsqu’elle parla enfin, sa voix grave tomba comme un verdict.
— Le destin nous oblige parfois à prendre des vies pour en sauver d’autres. Si j’ai dû les faire disparaître, c’est que leurs actes menaçaient notre monde. C’est tout ce que tu as besoin de savoir.
Célia baissa les yeux, un léger sourire effleurant ses lèvres. Depuis la mort des deux Lumiailes, cette question la hantait. Elle avait enfin obtenu une réponse. Pas celle qu’elle espérait, mais assez pour que le poids qu’elle traînait depuis ce soir-là s’allège enfin.
Au loin, d’étranges grondements montèrent. Des craquelures lumineuses lézardaient le ciel et se propageaient aux reliefs alentours. L’illusion s’effondrait lentement sur elle-même.
— Tu vas retourner dans la réalité, dit la Pourfendeuse. Mais avant, laisse-moi à mon tour te poser une question.
L’adolescente fut prise au dépourvu. Ses yeux s’écarquillèrent. La grande Pourfendeuse de Démons voulait savoir quelque chose d’elle ? Son cœur s’accéléra. Qu’allait-elle lui demander ?
— Es-tu sûre de vouloir faire confiance à cette elfe aux pouvoirs de Néantys ?
Célia resta muette. Tyane l’avait menacée plus d’une fois, tenté de la tuer même. C’était elle qui l’avait jetée au cœur du Saule des Âmes. Tout en elle criait de se méfier.
Pourtant, sans cette elfe, elle et Aelia seraient déjà mortes ou perdues à jamais dans ce périple insensé. Entre haine et reconnaissance, méfiance et dette de survie, son cœur vacillait. Elle inspira profondément, et exprima ce qui lui semblait le moins hypocrite.
— Je lui dois beaucoup…
La Pourfendeuse resta silencieuse, comme pour jauger ces mots, puis hocha imperceptiblement la tête.
— N’oublie jamais pourquoi tu te bats… et qui sont tes véritables alliés. D’ailleurs…
Elle se détourna, son manteau sombre battant dans le vent irréel, et s'éloigna.
— Me fais-tu réellement confiance ?
Célia voulut aussitôt la rattraper.
— Attendez ! J’ai encore tant de choses à vous demander !
Mais déjà, la guerrière en noir se volatilisa comme un nuage emporté par la brise, laissant la jeune fille au milieu de l’illusion mourante.
La jeune fille baissa la tête, perdue dans un tourbillon de sentiments. Elle avait entrevu un avenir paisible avec Aelia à ses côtés, une vie sans héroïne, sans Néantys, sans créatures magiques.
Aurait-elle été heureuse ainsi ? Cette existence de marchande à la capitale lui aurait-elle suffi jusqu’à la fin de ses jours ? Désormais, elle avait sa réponse, et comprit qu’elle s’était trop longtemps détournée de son véritable objectif.
Son regard se posa alors sur la lame qui lui avait permis de triompher. Elle ressemblait beaucoup à celle d’Eldan, mais ses reflets bleu turquoise lui donnaient une beauté singulière. Célia alla la ramasser et la leva devant elle.
La lumière se refléta dans ses iris ; ses pensées s’évanouirent, happées par l’éclat hypnotique de l’arme. Elle n’entendait plus le fracas du monde qui s’écroulait autour d’elle, seulement ce chant muet qui semblait battre au même rythme que son cœur.
Bientôt, tout l’horizon s’effaça. Les arbres et les maisons du Hameau Forestier disparurent à leur tour, ne laissant plus que la terre sous ses pieds. Enfin, le dernier pan de sol s’effrita et céda. Célia chuta dans le néant.
Elle ferma les yeux, serra l’épée contre elle comme si c’était la chose la plus précieuse au monde et accueillit pleinement l’incroyable puissance qu’elle lui insufflait.
La bataille faisait rage. Des dizaines de Néantys envahissaient les Bois aux Esprits. Ce n’étaient pas seulement des rampants, mais aussi des animaux enténébrés par la corruption.
Des cerfs, des loups, des sangliers, et même des créatures propres au Cratère Sylvestre. Nul ne savait ce qui les avait attirés jusqu’ici, et les Animalfes défendaient leur territoire avec férocité.
Les félins bondissaient avec puissance et agilité, déchirant les monstres de leurs crocs et de leurs griffes. Les arachnides tissaient des toiles épaisses imbibées d’acide, entravant leurs proies avant de les dissoudre. Les volatiles, plus fragiles, détournaient l’attention des ennemis, offrant des ouvertures à ceux restés sous leur forme anthropomorphe. À leurs côtés, l’Ordre des Racines combattait sans relâche.
— Resserrez les rangs ! cria Kumro en abattant sa lance sur un rampant. Ne leur cédez rien !
Sa voix portait au-dessus du tumulte et insufflait du courage aux siens. Pourtant, malgré leur résistance acharnée, le flot de Néantys ne semblait pas faiblir.
La terre se mit progressivement à trembler alors que des arbres s’effondraient au loin, sous le passage de trois créatures massives. Leurs corps, recouverts d’écailles noires hérissées de piques scintillantes de corruption, avançaient sur leurs quatre membres.
— Des brise-rocs ! Reculez !
Les immenses bêtes déchaînées se ruèrent sur leur proie. Les Animalfes connaissaient bien ces créatures, vivant habituellement aux pieds des falaises du Cratère Sylvestre. Que faisaient-elles ici ? Il n’y avait pas le temps d’y réfléchir : la bataille tournait maintenant à l’avantage des démons. Les premiers rangs cédaient sous leur charge, faisant leurs premières victimes.
— Visez le cou ! ordonna Kumro en désignant la gorge dépourvue d’écailles d’une des créatures.
Les archers et arbalétriers décochèrent aussitôt, la plupart des projectiles ricochant sur la cuirasse sombre. Ryn banda son arc, insuffla plus de magie qu’à l’accoutumée et tira. La flèche vibra d’énergie, frappant le monstre à l’endroit visé. L’animal corrompu recula, son attention maintenant fixée sur l’archère.
Profitant de l’ouverture, Irène et Alma bondirent, lames en avant, prêtes à viser le point faible.
— Attention ! hurla Cornelia, voyant un autre brise-roc balayer l’air de sa queue comme un fouet.
Les jumelles n’eurent pas le temps d’esquiver. Le choc les fit retomber aux pieds de la bête qu’elles avaient prise pour cible. Cornelia sentit son sang se glacer.
Ces bêtes sont d’ordinaire farouchement solitaires… La corruption les pousse à agir de concert ?!
La patte massive de la créature se leva.
— Irène ! Alma ! cria Ryn, la voix brisée d’inquiétude.
L’archère s’élança vers les jumelles inertes. Malgré toute sa vitesse, elle savait déjà qu’elle n’arriverait pas à temps.
La patte descendit… Une lueur bleu turquoise fendit l’air et frappa le cou du brise-roc. La bête s’immobilisa, poussa un râle, puis se désintégra dans un panache de poussière ténébreuse.
Ryn récupéra les jumelles, tandis que tous cherchaient l’origine de ce coup foudroyant. Le voile sombre se dissipa sous une bourrasque surnaturelle, révélant une silhouette de profil. Tous la reconnurent aussitôt.
Dans sa main droite brillait une épée magnifique, saturée d’une magie éblouissante. Sur le visage de Ryn, et même sur celui de Cornelia, la surprise se mua en soulagement.
— Célia ! cria l’archère.
L’humaine ne répondit pas. Ses bras ballants, ses cheveux noirs masquant ses yeux, elle resta un instant figée… puis se jeta à corps perdu sur les Néantys. Les démons se précipitèrent pour l’encercler, griffes et cornes en avant, puis l’attaquèrent.
La jeune guerrière esquivait chaque attaque avec une précision irréelle, anticipant même les coups venus de dos. Elle trancha un premier démon, puis un autre, puis encore un autre.
La magie de son arme s’intensifia, prolongeant sa portée : dès lors, ce furent des poignées d’ennemis qui s’effondraient sous ses assauts furieux. Les rangs des démons fondaient à vue d’œil.
— Qu’est-ce qui lui arrive ? souffla Ryn.
Personne n’osait bouger, hypnotisé par le spectacle de cette simple humaine qui taillait dans les Neantys avec une vivacité terrifiante, mais aussi une froideur glaçante. Même Cornelia, qui la haïssait tant, ressentait une forme d’admiration.
Tyane ne parvenait pas non plus à cacher son trouble. L’agilité de Célia égalait la sienne ou celle de Ryn, et sa vitesse n’avait rien à envier aux jumelles.
Bientôt, il ne resta plus que les deux brise-rocs. Célia s’élança sur le premier, bondit à une hauteur digne des meilleures archères elfes et abattit sa lame vers la gorge. Aussitôt, le second monstre bloqua le coup de sa queue écailleuse. L’humaine prit appui sur elle, retomba souplement et enchaîna aussitôt, esquivant les pattes griffues et les mâchoires béantes.
La coordination des deux monstres restait redoutable et l’adolescente, malgré ses assauts furieux, ne parvenait pas à atteindre leurs points faibles.
— Donnons-lui une ouverture ! hurla Tyane. Avec moi !
Sans hésiter, Ryn et Cornelia allèrent assister Célia. Les Animalfes restaient en retrait, attendant les ordres de leur chef.
Kumro croisa le regard de Tyane. Sa mâchoire se crispa : il avait la certitude que rien de tout cela ne serait arrivé si elle n’avait pas amené une humaine ici. Dans d’autres circonstances, il l’aurait laissée assumer les conséquences de son acte. La gravité du moment, toutefois, l’obligeait à coopérer.
— Allez ! cria-t-il en levant sa lance.
Ses pairs reprirent le combat. Les arachnides tentèrent d’entraver leurs pattes et leurs cous, mais les brise-rocs bougeaient trop pour être pris au piège. Perchée en hauteur, une femme-araignée, qui avait conservé sa forme anthropomorphe, cria soudain :
— Leurs yeux ! Aveuglez-en un ! L’autre sera vulnérable !
Immédiatement, ses sœurs convergèrent vers un seul brise-roc, tissant des toiles épaisses et corrosives autour de sa tête. L’animal se déchaîna, frappant à l’aveugle, forçant les combattants à reculer. L’autre se retrouva isolé, submergé, puis abattu par les lames et les crocs des Animalfes. Il n’en restait plus qu’un.
Kumro passa à l’action. Le chef des Animalfes se transforma en ours massif et percuta la bête de toute sa force. Le brise-roc vacilla et s’écroula sur le flanc, offert à Célia. Elle planta son épée à deux mains dans sa gorge, et la créature se désintégra. La bataille était finie.
Tous les Néantys avaient été vaincus, mais aucun cri de victoire ne s’éleva : les pertes étaient lourdes, et les blessés nombreux.
Cornelia s’affairait auprès des jumelles revenues à elles, tandis que Ryn s’approchait de Célia, restée figée là où elle avait frappé. L’épée brillait toujours autant.
— Tu t’es bien battue, dit l’archère avec chaleur. Tu as été incroyable… Célia ?
La jeune humaine ne répondit pas. Ses bras tremblaient, ses yeux cachés sous ses mèches. Puis, brusquement, elle se tourna vers Tyane et se jeta sur elle.
L’attaque fut si soudaine que la Maître-espionne dut croiser ses dagues in extremis pour bloquer l'épée. Autour d’elles, plusieurs mains se crispèrent sur leurs armes, prêtes à intervenir. Tyane put distinguer les yeux de la jeune guerrière : uniformément bleus, vides, sans lueur ni reflet.
Un sifflement fendit l’air. Célia poussa un petit hoquet de surprise avant de s’effondrer, inerte. La lueur de son arme s’éteignit aussitôt. Ryn abaissa son arc, son visage assombri par la tristesse. Elle savait que c’était nécessaire.
Tyane s’accroupit près de l’humaine inconsciente. Rien d’anormal sur son corps, mais cette arme... La réussite de Célia à l’épreuve du Saule des Âmes ne faisait aucun doute. Restait à comprendre pourquoi elle avait hérité d’une lame d’une telle puissance. Et sa dernière attaque… Une possession ? Une transe ? Ou bien voyait-elle en Tyane une autre créature à abattre ?
La Maître-espionne éluciderait cela au Manoir Ébène. Chaque seconde à traîner ici risquait d’attiser la curiosité des Animalfes.
— On rentre, dit-elle sèchement. Je m’occupe de l’arme. Ryn et Cornelia, allez récupérer les chevaux. Irène et Alma, prenez Célia avec vous.
Elle détacha la cape de l’humaine, enveloppa l’épée dedans, prenant soin de ne pas la toucher directement. Les jumelles purent ensuite la porter, un bras par-dessus l'épaule chacune, et le groupe commença à s’éloigner, sous les regards furieux des Animalfes.
— Tout est de votre faute ! rugit Kumro, à nouveau sous forme anthropomorphe. À cause de vous et de cette satanée humaine, les ténèbres ont ravagé nos terres et fauché certains de nos frères et sœurs ! Le pacte avec votre Ordre est rompu, tout comme notre alliance avec Sylvae ! Ne revenez jamais, et n’attendez rien de nous quand ces démons déferleront sur vous !
Le groupe ignora ses vociférations, sauf Cornelia qui s’arrêta et revint vers lui.
— N’ayez crainte, nous ne livrerons plus d’innocents à cette abomination végétale… ni d’armes à ce vieux loup sénile, cracha-t-elle.
Elle lui lança ensuite un rictus plein de défi.
— Mais souvenez-vous : il reste encore une âme à dévorer avant que cette chose ne disparaisse. Tenez-vous-le pour dit, mon oncle. Je reviendrai, et nous réglerons nos comptes.
Elle fit volte-face, se mua en oiseau et s’éleva dans les airs.
Kumro ne donna pas l’ordre de les poursuivre, mais déjà, la vengeance se lisait dans ses yeux.

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