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tome 1, Chapitre 19 « L’Ordre des Racines » tome 1, Chapitre 19

Tyane et Célia quittèrent le palais. En silence, elles franchirent le parvis et descendirent les marches. Le cœur serré, l’humaine n’avait même pas pu dire au revoir à sa petite sœur. Désormais, elle passerait ses journées à s’entraîner, aux côtés de l’Ordre des Racines : l’impitoyable Tyane, la méprisante Cornelia, les jumelles énigmatiques, et…

— Hé, Célia !

Une voix claire fendit le silence. En contrebas, Ryn agitait les bras, son sourire éclatant fidèle à lui-même.

— Heureuse de te revoir ! s’exclama-t-elle en bondissant vers elles. Si tu es avec Tyane, ça veut dire que… !

— En effet, confirma la Maître-espionne d’un ton neutre. Tu peux désormais la considérer comme ton équipière.

— Vraiment ? C’est incroyable ! Bienvenue dans l’Ordre des Racines ! Tu verras, notre base est géniale !

L’enthousiasme de Ryn fit naître un sourire discret sur le visage de Célia. Au moins, une personne lui offrirait un peu de chaleur, au milieu de ces combattantes froides, voire franchement hostiles.

Elles se dirigèrent vers la porte sud de la capitale. Une fois là-bas, Célia s’arrêta. Son regard se perdit un instant vers le palais. Sa petite sœur était désormais seule, encore ignorante du départ de son aînée.

— Célia, appela Tyane. Te lamenter ne changera rien. Viens.

Elle resta figée un ultime instant, puis reprit sa marche. Pour la première fois, elle s’éloignait d’Aelia sans espoir immédiat de retour. Une crampe nouait son ventre, une boule sa gorge. Était-ce donc cela qu’elle aurait ressenti, si elle avait quitté Uleth sans sa cadette ? Cette douleur était si insupportable…

Une trentaine de minutes plus tard, le trio atteignit un domaine isolé au milieu des bois, cerné par une haie impeccablement taillée. Aux quatre coins de la bâtisse se dressaient de grandes tours percées de rares ouvertures, et les toits étaient couverts de bardeaux rouge foncé.

— Suite à la disparition de la Grande Prêtresse, j’ai fait rénover ces ruines pour en faire notre quartier général, expliqua Tyane. Célia, tu vivras désormais ici, et je t’interdis de quitter cet endroit sans mon autorisation. Si tu désobéis…

Les mots claquèrent dans l’esprit de Célia comme jadis les interdits de son père, lorsqu’il lui défendait de franchir les limites d’Uleth. Mais cette fois, il n’y avait ni foyer, ni Aelia. Elle savait ce dont Tyane était capable. L’elfe gravit les marches de pierre sans se retourner.

— La confiance que je t’accorde est la même que celle que je donne aux autres. Ne la trahis pas.

Le ton était sec, tranchant. Célia ravala sa frustration et répondit d’un simple “Compris”. Tyane ouvrit les portes et fit entrer sa nouvelle recrue en premier.

Soigneusement décoré, le vestibule rompait avec la froideur militaire de l’extérieur. Des meubles en bois sombre bordaient les murs et un escalier de pierre s’élevait vers l’étage. En franchissant l’arche suivante, Célia découvrit un salon au charme singulier.

Les murs, décorés de motifs floraux et de trophées de chasse, mêlaient rudesse et raffinement. Une longue table trônait au centre, couverte d’une nappe rouge. Autour, des armoires bien garnies et, en retrait, une cuisine ouverte. Il y avait aussi un petit coin avec des fauteuils et un canapé, chauffé par une cheminée encore allumée malgré l’heure tardive.

— Nous avons aussi une bibliothèque derrière cette porte, et le garde-manger est là, ajouta Tyane en les désignant successivement. Ne t’attends pas à des festins royaux ici.

— Les repas que je prépare n’ont rien à envier à ceux du palais, lança Ryn avec un clin d’œil complice.

La porte de la bibliothèque s’ouvrit brusquement. Cornelia apparut, un ouvrage pressé contre sa poitrine, les paupières alourdies par la lecture.

— Ah, vous êtes de retour. De quoi la régente avait bes…?

Le reste de sa phrase mourut dans sa gorge lorsque son regard écarlate croisa celui de Célia. Un silence glacial tomba, puis la colère éclata.

— Qu’est-ce qu’elle fait ici ? cracha la druidesse. Le Manoir Ébène n’a pas vocation à accueillir les indésirables !

— Cornelia ! s’insurgea Ryn. Elle fait partie de l’Ordre maintenant !

— Quoi ?! Quelle honte ! Je sens déjà son odeur humaine contaminer notre air !

Célia, qui s’attendait à des mots venimeux, soutint pourtant son regard avec calme. Un choix qui ne fit qu’aggraver la rage de la druidesse.

— Tu oses me fixer ainsi, petite peste ?

— Ça suffit, trancha Tyane. Je ne l’ai pas amenée ici pour semer la discorde. Vous n’avez pas à vous apprécier, mais vous vous respecterez, et vous coopérerez. Est-ce clair ?

Cornelia serra les mâchoires et recula d’un pas. Même si Tyane l’ordonnait, jamais la druidesse ne ferait confiance à une humaine. Elle fit mine de se diriger vers sa chambre, puis changea d’avis et retourna dans la bibliothèque, qu’elle referma d’un claquement sec. On l’entendit encore pester dans une langue que seules les elfes comprenaient.

— Elle saura ravaler son orgueil quand ce sera nécessaire, commenta Tyane. Je vais te montrer ta chambre. Ryn, prépare à manger. Célia n’a pas encore dîné ce soir.

L’archère acquiesça et se mit à l’ouvrage. La Maître-espionne allait récupérer quelques pierres lumineuses dans un saladier recouvert d’un tissu, puis guida Célia ensuite Célia à l'étage.

Le couloir, décoré dans le même style que le vestibule, faisait le tour complet du bâtiment. Tyane s’arrêta devant une porte et l’ouvrit.

— Tu pourras l’aménager à ta convenance, dit-elle en donnant les sources de lumière à l’humaine. Place ces pierres sur les supports, les caches pour le soir sont dans la commode. On se retrouve plus tard pour le dîner.

Tyane s’en alla, laissant Célia installer l'éclairage aux murs. Une lumière douce remplit la pièce. Voyant plus clair, elle balaya la pièce du regard. Un lit, une table de chevet, deux commodes, et une coiffeuse. Une seule fenêtre, ouverte sur l’immensité de la forêt. Une chambre sans âme, juste le nécessaire pour une combattante.

La nouvelle venue resta longtemps assise sur le lit, perdue dans ses pensées, toujours tournées vers Aelia. Un dernier mot de sa cadette, un dernier regard tendre… l’auraient-ils apaisée ? Faisait-elle le bon choix en la laissant aux mains d’Erulyn ? Pendant de longues minutes, la jeune épéiste ne put s'empêcher de retourner tous les scénarios dans sa tête, cherchant ce qu’elle aurait pu faire de mieux, ou demander de plus à la régente. Soudain, la voix de Ryn la sortit de sa torpeur.

— Célia ? Viens voir. J'aimerais te montrer quelque chose avant de dîner.

L’humaine se leva et rejoignit l’elfe dans le couloir. Ryn marchait en silence, presque sur la pointe des pieds. Elles s’arrêtèrent devant une chambre dont la porte était grande ouverte.

À l’intérieur, deux elfes familières étaient agenouillées, face à face, paumes contre paumes, front contre front. Les jumelles. Deux silhouettes aux chevelures blondes parfaitement symétriques, vêtues de tenues de cuir azur similaires, renforcées de plaques métalliques aux avant-bras.

À leur ceinture, chacune portait une épée courte. Leurs gardes, gravées de motifs distincts, répondaient aux couleurs du fourreau de l’autre. Une sphère lumineuse bleutée tournoyait doucement autour d’elles.

— On dit que les jumeaux naissent d’une seule âme mais scindée, chuchota Ryn. Peut-être que cette énergie que tu vois se déplacer, c’est leur âme réunifiée.

Le ton de sa voix se chargea d'émotion.

— Irène et Alma sont deux jumelles muettes qui ont perdu leurs parents à cause d’une maladie. Elles ont longtemps vécu livrées à elles-mêmes, se nourrissant grâce à de nombreux larcins. Peu après l’achèvement des travaux de rénovation, elles se sont présentées devant Tyane, qui a su en faire d’honorables combattantes. Aujourd’hui, elles donneraient leur vie pour l’Ordre des Racines et Sylvae.

La douce magie pulsa doucement, comme dérangée par quelque chose, puis se dissipa. Les jumelles s'éveillèrent et rompirent le contact. Elles se levèrent et fusillèrent l’humaine du regard. Célia, qui pouvait tenir le regard hautain de Cornelia, se sentit cette fois déstabilisée.

Au fur et à mesure que les jumelles marchaient vers elle, l’humaine reculait sans s’en rendre compte. Lorsque son dos toucha le mur, elle cligna des yeux et, en une fraction de seconde, deux lames croisées vinrent se poser contre sa gorge. Célia eut le souffle coupé. Elle n’osait plus bouger. Irène et Alma la fixaient, sourcils froncés, parfaitement immobiles.

— Ce n’est pas notre ennemie ! s’exclama Ryn en agitant ses mains. Elle est des nôtres maintenant !

Irène et Alma restèrent quelques secondes dans cette position, puis, aussi synchronisées qu’elles étaient venues, rengainèrent leurs armes. Sous le choc, la jeune humaine se laissa glisser le long du mur. Sa conscience secouée par cette démonstration de force et de vitesse se reconstitua lorsqu’elle vit deux mains tendues pour l’aider. Elle les attrapa et se redressa.

— Ne t’en fais pas, souffla Ryn avec un sourire. Elles sont adorables… à leur manière. Il faut juste leur laisser le temps. Venez, le dîner est presque prêt.

Le groupe redescendit dans le salon.

L’archère retourna dans la cuisine pour terminer son plat, pendant qu’Irène et Alma se mirent à dresser le couvert. L’une posait les assiettes, l’autre les couverts. Elles n’avaient pas échangé un regard, mais chaque mouvement répondait à l’autre comme une chorégraphie.

Célia tentait de se rendre utile comme elle le pouvait. Elle s’approcha des jumelles, un sourire hésitant au coin des lèvres.

— Vous… euh… Vous avez besoin d’aide ?

Elles se figèrent une seconde, puis Alma posa une cuillère un peu plus brusquement qu’il ne fallait. Irène, elle, leva lentement les yeux vers l’humaine. Un regard sans agressivité, mais chargé de vigilance. Puis elles reprirent leur tâche sans lui accorder plus d’attention. Célia recula presque de peur et rejoignit Ryn.

— Quand elles te jugeront digne de confiance, tu le sauras, dit l’archère. Et crois-moi… elles sauront te le montrer.

Une dizaine de minutes plus tard, Ryn disposa fièrement un plateau au centre de la table : un reste de lièvre rôti de la veille, posé sur un lit de salade, assaisonné d’herbes douces. Autour, un assortiment de fruits sauvages, deux miches de pain, un bol de fromage et plusieurs cruches de jus aux teintes variées.

Cornelia arriva la dernière. Elle s’installa sans un mot, toujours plongée dans son livre, pendant que Ryn inondait Célia de questions. D’où venait-elle exactement ? Avait-elle déjà combattu ? Son plat préféré ? Chaque réponse semblait éveiller une nouvelle curiosité. Les jumelles écoutaient attentivement, sans broncher, alors que Cornelia ne lui accordait aucune importance.

— Tyane ne choisit jamais ses subordonnées au hasard, expliqua finalement Ryn. Tu as forcément quelque chose en toi. Si elle te fait confiance… alors j’en ferai de même !

L’épéiste en herbe observa à nouveau les personnes autour d’elle. Chacune semblait avoir sa spécialité et des caractères bien distincts. Son intégration s’annonçait difficile. Et alors que le repas s’achevait, un claquement de porte résonna du côté du vestibule. Tyane entra dans le salon et resta debout devant la table sans toucher à la nourriture.

— Dès demain, Célia participera à nos entraînements quotidiens. Ryn, tu seras responsable d’elle.

— Je tâcherai d’être un mentor digne ! sourit l’archère.

— Célia, si tu veux réellement devenir une bonne combattante, tu devras démontrer un véritable potentiel. Je serai tolérante les premiers jours, mais mon exigence grandira au fil de tes progrès, s’il y en a.

L'intéressée était rassurée de faire équipe avec la personne qui lui paraissait la plus sympathique, mais éprouvait tout de même de l’inquiétude. Les elfes la regardaient de manière pesante, attendant une réponse claire.

— Je donnerai le maximum, promit Célia en se forçant à ne pas détourner les yeux.

Tyane ne souhaita pas en entendre davantage et s’installa à table. Ryn sourit, espérant être agréablement surprise. Le dîner s’acheva dans un calme feutré. La recrue de l’Ordre des Racines retourna dans sa nouvelle chambre. Et cette nuit-là, seule dans un lit aussi froid que ses nouvelles équipières, sans sa petite sœur adorée à ses côtés… elle chercha le sommeil, sans jamais le trouver. 

***

Le lendemain, Célia entama son tout premier entraînement au sein de l’Ordre des Racines.

La nuit avait été courte, et la fatigue accumulée n’arrangeait rien. Ses muscles étaient encore engourdis lorsqu’elle rejoignit la cour d’entraînement.

Dans un premier temps, Tyane voulut avant tout évaluer les capacités physiques de l’humaine. Elle l’obligea à enchaîner des exercices de force, de vitesse et d’endurance. Puis vint le tour de l’épée. Il ne fallut pas longtemps à la Maître-espionne pour cerner les limites de sa nouvelle recrue.

— Tu vas devoir faire bien mieux que ça.

Le jugement était difficile à encaisser, mais il ne mentait pas. Célia le savait : elle partait de presque rien. Lors de la pause, Célia s’accorda un moment pour observer les autres membres de l’Ordre.

Ryn tirait flèche après flèche sur des cibles de paille, certaines si éloignées que l’humaine se demanda comment elle parvenait à les atteindre. À l'écart, Cornelia méditait en tailleur, son bâton posé en travers des jambes, comme s’il ne faisait qu’un avec elle. Mais ce furent Irène et Alma qui accaparèrent toute l’attention de la nouvelle recrue.

Leurs mouvements fulgurants défiaient toute logique. Elles s’affrontaient avec une telle intensité qu’on croirait assister à un duel à mort. Pourtant, chaque frappe restait parfaitement calculée.

— C’est l’avantage de partager la même âme, expliqua Ryn en rejoignant Célia. Quand l’une attaque, l’autre devine déjà le mouvement. Leurs réflexes se complètent, et leur instinct se confond. Si elles combattent ensemble, elles sont presque invincibles.

— Presque ? releva Célia, intriguée.

— Même les combattants les plus redoutables ont des failles, répondit Ryn dans un sourire.

À l’heure du déjeuner, Célia était déjà à bout de forces. Ses jambes tremblaient sous l’effort, tandis que les autres ne montraient pas le moindre signe de fatigue. Attablées au salon, les elfes se contentaient de quelques bouchées. Célia, elle, dévora son assiette sans retenue. Après un bref temps de repos, le groupe regagna la cour.

— Les après-midis sont consacrés au combat, annonça Tyane à Célia. Aujourd’hui, tu vas te mesurer à Ryn.

Un soupir de soulagement discret s'échappa de la bouche de la jeune épéiste. Tyane était hors d’atteinte, tout comme Irène et Alma. Cornelia la dévisageait, elle aurait tant voulu écraser cette misérable humaine. Célia soutint son regard avec défi, lui promettant intérieurement qu’elle lui ferait ravaler ses paroles de la veille. Elle dégaina lentement son épée et se plaça face à Ryn, qui prit son Vir’neiros en main.

— Mes tirs ne te transperceront pas, mais tu sentiras chaque impact, prévint-elle. Allez ! Défends-toi comme si ta vie en dépendait !

Au signal de Tyane, Célia se rua sur son adversaire. Son épée fendit l’air dans une frappe latérale, rapide mais prévisible. Ryn fit un simple pas de côté, laissant la lame siffler à quelques centimètres de sa taille. Dans le même élan, elle pivota sur elle-même et frappa l’arrière du genou de Célia avec son pied.

Tandis que cette dernière vacillait, déstabilisée par la manœuvre, l’elfe bondit en arrière, banda son arc, et tira un trait de lumière qui la frappa en pleine nuque. Célia poussa un cri bref, plaquant par réflexe sa main libre à l’endroit touché. La sensation était celle d’un choc brutal, comme si elle venait de heurter une poutre invisible. Elle se redressa tant bien que mal.

À peine avait-elle repris ses appuis que deux autres flèches vinrent heurter ses épaules, la faisant reculer de quelques pas. L’épéiste serra les dents, luttant contre la douleur et une rage grandissante. Elle se jeta sur Ryn avec plus de fougue que de méthode. L’archère esquiva ses assauts avec une aisance qui ne laissait aucun doute sur l’écart qui les séparait.

Tyane et les autres observaient attentivement. Irène et Alma restaient impassibles. Cornelia, un sourire narquois aux lèvres, lança à haute voix :

— Ce n’est pas une surprise de voir à quel point cette humaine nous est inférieure !

Les mots frappèrent Célia en plein cœur, réveillant la rancune qu’elle gardait envers la druidesse depuis leur première rencontre. Elle tourna la tête vers elle, prête à répliquer, quand une flèche lui heurta la poitrine de plein fouet. L’impact fut plus violent que tous les coups précédents et lui arracha un cri de douleur.

— Reste concentrée ! l’avertit Ryn avec sévérité, déjà prête à tirer à nouveau. Dans un vrai combat, le moindre moment d’égarement te sera fatal !

Le souffle court, Célia sentit la colère lui brûler les entrailles, mêlée à une fatigue sourde qui alourdissait déjà ses gestes. Ses jambes tremblaient légèrement. Si elle flanchait maintenant, que penserait Aelia ? Elle ne voulait pas que sa petite sœur voie en elle une incapable. Non, elle devait continuer d’être l’aînée protectrice en qui elle avait toujours eu confiance et admiré. Tant pis pour la manière : elle devait battre cette archère et pouvoir, enfin, régler son compte à Cornelia.

— Ce n’est pas en t’énervant que tu parviendras à quelque chose, se désola Ryn.

L’elfe repoussa l’épée et saisit fermement le col de la tenue de Célia. D’une seule main, elle la souleva, la fit passer par-dessus elle, et la plaqua brutalement au sol. Sur le dos et légèrement sonnée, Célia leva les yeux. Ryn avait déjà armé un tir à bout portant, visant son front.

— À cette distance, je t’assommerai pour plusieurs jours, prévint Ryn sans hausser la voix. Tu continues à vouloir te battre comme une désespérée ? Dans ce cas-là, je lâche la corde. Ou tu abandonnes, et tu te calmes seule ?

La peur remplaça la colère dans l’esprit de Célia, paralysant ses pensées. Elle regarda le visage déçu de Ryn et se fit une raison. Tous les membres de l’Ordre des Racines étaient impitoyables, même la bienveillante archère. Celle-ci attendait une réponse, mais comprit, à son silence et à son expression apeurée, la reddition de son adversaire. Elle fit disparaître sa flèche et baissa son Vir’neiros.

L'adrénaline du combat retombée, elle voulut aider son adversaire à se relever. L’humaine dépitée écarta violemment sa main et se remit debout seule. L’humiliation nouait sa gorge. Elle laissa tomber son épée, pivota et s’élança vers le manoir, les larmes déjà prêtes à jaillir.

— Célia ! appela Ryn.

Elle fit un pas pour la suivre, Tyane la retint d’un simple geste.

— Pas maintenant.

— Tu m’as demandé de la soutenir !

— Et je le veux toujours. J’admire ton altruisme, mais même des mots bienveillants peuvent empirer certaines blessures. C’est une leçon importante pour toi aussi.

Ryn hésita, le poing serré. Cornelia, elle, ne se priva pas :

— Tu perds ton temps. Il lui faudrait des centaines de vies humaines pour ne serait-ce qu’atteindre une fraction de nos capacités.

Ryn lança un regard glacial à la druidesse, ce qui ne manqua pas de la piquer au vif. Cornelia se leva de la caisse en bois où elle était assise et s’approcha de sa congénère, un sourire narquois sur les lèvres.

— Tu veux qu’on règle ça tout de suite ?

L’archère refusa de se laisser entraîner dans son jeu.

— Je veux juste que tu la boucles. Prends garde, elle pourrait bien te faire mordre la poussière un jour.

Cornelia éclata de rire.

— Une simple humaine ? Surpasser les êtres magiques que nous sommes ? Inconcevable ! On verra qui rira quand cette morveuse fondra en larmes face à moi et implorera ma pitié !

Tyane stoppa la conversation avant qu'elle ne s’envenime davantage. Les affrontements reprirent. Cornelia affronta Alma, la druidesse prenant le dessus. De son côté, Tyane sortit victorieuse de son combat contre Irène.

Le soir, toutes se retrouvèrent autour de la table. Le dîner fut servi, mais une chaise resta vide. Les elfes mangèrent sans se préoccuper de Célia, sauf Ryn. Cette dernière se leva au bout de quelques bouchées et lui prépara tout de même une assiette. Si l’humaine ne descendait pas, alors elle lui apporterait la nourriture elle-même.

Une fois le repas terminé, chacune retourna à ses occupations. Cornelia se dirigea vers la bibliothèque, les jumelles allèrent méditer et Tyane quitta le manoir.

Ryn attendit encore un peu, puis prépara un plateau complet, avant de finalement monter voir Célia. L’elfe frappa à sa porte, aucune réponse. Heureusement, elle n’était pas verrouillée. Elle entra doucement. La lumière du couloir lui permit d’apercevoir Célia, toujours habillée, étendue sur le ventre, le visage enfoui dans ses oreillers.

— Célia ? murmura-t-elle. Tu dors ? Je sais que tu es en colère, mais j’aimerais qu’on discute un peu.

Aucune reaction de l’humaine. L’elfe posa le plateau de nourriture sur la table de chevet avant de s’asseoir près de son équipière.

— N’écoute pas Cornelia, elle n’en vaut pas la peine. Tu sais, avant toi, j’étais la dernière arrivée dans l’Ordre. Moi aussi, j’ai subi des paroles blessantes et des défaites humiliantes.

Elle marqua une pause, visiblement émue.

— À chaque échec, je me répétais que je ferais mieux le lendemain. J’ai persévéré, et un jour, j’ai vaincu Alma alors que je n’avais même pas encore obtenu mon Vir’neiros. Ce moment reste encore aujourd’hui gravé dans ma mémoire.

Elle esquissa un sourire mélancolique, retenant une larme.

— J’avais préparé un festin pour célébrer, mais Cornelia et les jumelles se sont contentées de manger comme si de rien n’était. J’étais si déçue que je suis restée à table toute la nuit pour contenir mes larmes. Le lendemain matin, Tyane m’a réveillée pour partager le petit-déjeuner avec moi et m’a félicitée.

Son récit terminé, Ryn se leva et alla chercher une couverture dans la commode. Elle la posa délicatement sur Célia, puis se dirigea vers la porte.

— Je suis certaine que tu sauras nous surprendre, conclut-elle avant de poser sa main sur la clenche. Dors bien.

L’elfe ferma derrière elle, se dirigeant vers sa propre chambre. Après quelques secondes, Célia remua légèrement. Elle referma ses doigts sur cette couverture et la rapprocha de ses yeux encore humides.

Ce n’était pas Aelia. Ce n’était pas Uleth. La voix de Ryn était empreinte de sincérité, malgré la leçon qu’elle lui avait infligée plus tôt. Ce soir, était-ce une manière de s’excuser de l’avoir malmenée ? Une chose était sûre : c’était un geste, une main tendue, une lueur dans cet exil imposé. Et pour le moment, pour la jeune épéiste, cela suffisait.


Texte publié par K. Helphine D., 10 août 2025 à 11h40
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