Le chant discret des oiseaux, filtrant à travers le bois vivant du palais, tira doucement Aelia et Célia de leur sommeil. Revigorées, elles se levèrent, prêtes à explorer un peu plus ce nouveau monde. N’ayant pas eu le loisir de le faire la veille, elles brûlaient d’envie d’admirer l’architecture captivante du palais. Elles s’habillèrent en toute hâte et sortirent de leur chambre.
Creusés dans le tronc massif de l’arbre géant, les couloirs mêlaient la majesté brute du bois à la finesse des sculptures ou reliefs muraux. Des cristaux, nichés à intervalles réguliers dans de petites alcôves, diffusaient une lumière douce et chaleureuse.
Certains brillaient à l’état brut, d’autres avaient été taillés en fleurs ou en feuilles, sculptés avec un soin presque sacré. Le plafond voûté, avec des arcs entrelacés de vignes et de branches, accentuait la hauteur et la largeur des couloirs. Elles atteignirent le bout du corridor et descendirent les escaliers pour se retrouver dans la grande salle.
De nombreuses personnes s’activaient à remplir leurs obligations. Des serviteurs, portant des plateaux de mets délicieux, allaient et venaient entre les tables, tandis que des conseillers discutaient vivement autour de leur petit déjeuner.
À l’écart, quelques religieux au visage fermé jetaient des regards hostiles aux sœurs, qui sentaient leur poids peser lourdement sur elles. Célia vit Milys en train de discuter avec un groupe de conseillers et lui remit le carnet d’Eldan, comme Tyane le lui avait demandé. Elles aperçurent ensuite Erulyn, qui leur fit signe de venir s’installer avec elle.
Ignorant toujours comment la saluer de manière appropriée, les sœurs joignirent leurs mains et baissèrent la tête en signe de respect. La souveraine leur rendit cette politesse et demanda qu’on leur apporte de quoi manger.
Divers plats leur furent présentés : un assortiment de fruits colorés, des tranches de pain accompagnées de confitures aux arômes variés et deux cruches en bois emplies de lait d’amande. Elles garnirent leurs assiettes et mangèrent de bon cœur, savourant chaque bouchée. Les humaines racontèrent leur première nuit au palais, insistant sur le confort de leur chambre.
— Ce matin, je vais personnellement vous faire visiter notre cité, proposa Erulyn. Si vous devez demeurer parmi nous, il est important que vous vous familiarisiez avec notre mode de vie.
— C’est vraiment gentil, répondit Célia. Mais… en tant que régente, vous avez sûrement mieux à faire, non ?
— En effet, mais mes conseillers s’en chargeront jusqu'à mon retour.
Désireuse d’échapper aux aspects moins plaisants de son quotidien, Erulyn détourna habilement la conversation pour partager quelques anecdotes personnelles. Elle évoqua ses entraînements pour mieux maîtriser sa magie curative et parla de ses plats préférés. Les humaines partagèrent également ce qu’elles appréciaient.
Rassasiée, Erulyn se leva la première et proposa à ses invitées de la retrouver dans une petite heure. La régente retourna dans ses quartiers pour se préparer. Soucieuse de laisser son statut au placard, elle opta pour des habits simples : tunique blanche, jupe bordeaux, chaussures en cuir noir. Elle sépara symétriquement sa longue chevelure en deux couettes qui tombèrent élégamment dans son dos.
Elle s’arrêta devant son miroir, esquissant un sourire à cette version moins formelle d'elle-même. Elle quitta sa chambre pour retrouver Aelia et Célia. Ensemble, elles traversèrent le grand couloir d’entrée, sortant sur le parvis du palais.
Aussitôt, Aelia courut vers la gauche jusqu'à la barrière. Erulyn et Célia la rejoignirent plus calmement, prenant le temps de savourer la vue imprenable sur les rues de Sylvae.
— C’est encore calme à cette heure-ci, dit Erulyn en observant les rues. Par où commencer… Notre capitale est divisée en trois quartiers : commercial, religieux et résidentiel. Le palais se situe au centre de la ville, mais aussi du Cratère Sylvestre lui-même. C’est le bâtiment le plus ancien de la ville. À l’époque, il…
Erulyn s’interrompit en remarquant qu’Aelia et Célia étaient plus absorbées par leur environnement que par ses explications. Leurs yeux s’illuminaient à chaque détail : la végétation luxuriante, les elfes entamant leur journée et d’autres éléments pourtant anodins.
— Descendons, proposa Erulyn. Vous pourrez admirer tout cela de plus près…
Le trio emprunta le grand escalier et rejoignit l’allée principale de la ville, animée par les activités quotidiennes des artisans. Nombre d’entre eux travaillaient en extérieur : des sculpteurs transformaient le bois en objets décoratifs ou utilitaires ; des fleuristes composaient d’élégants bouquets, tandis que des tanneurs, concentrés devant leurs chevalets, façonnaient des peaux en cuir raffiné. Plus loin, des bijoutiers et couturiers exposaient leurs créations sur des étals colorés. L’ambiance, bien plus vivante que celle du marché d’Uleth, restait pourtant étonnamment feutrée.
Les habitants, apercevant leur régente, la saluèrent avec respect. Certains s’inclinèrent légèrement, d’autres vinrent échanger un peu avec elle. Aelia et Célia, restées un pas en retrait, n’osaient intervenir. Elles sentaient les regards converger peu à peu vers elles. Les rumeurs venues d’Avgang étaient donc fondées : des humaines avaient franchi les frontières du Cratère. Des murmures se propagèrent dans la foule.
— C’est donc vrai…
— Je croyais leur espèce éteinte…
— Elles ressemblent à des enfants.
Certaines voix, plus chaleureuses, tentaient une approche. Une vieille femme leur adressa un sourire timide, tandis qu’un enfant, trop jeune pour comprendre les siècles de méfiance, agitait joyeusement la main. Mais la plupart détournaient les yeux ou s’éloignaient lentement, comme s’il suffisait de reculer pour que la scène cesse d’exister.
— Ces deux personnes vivront parmi nous quelque temps, déclara Erulyn avec assurance. Je vous invite à les accueillir avec la générosité et la sagesse qui font notre fierté.
La régente n’attendait pas une ovation, mais au moins une forme de tolérance. Un silence gêné suivit sa prise de parole, vite comblé par quelques salutations polies et des questions lancées à mi-voix, plus par curiosité que par bienveillance.
— Comment leur espèce a-t-elle survécu ?
— Sont-elles dangereuses ?
— Elles n’ont pas l’air d’être méchantes…
Célia et Aelia répondaient avec retenue, luttant pour rester aimables malgré le malaise. Un garçonnet finit par leur offrir un fruit en guise de bienvenue. Un geste simple et innocent, mais qui brisa un verrou invisible. D’autres échanges s’amorcèrent timidement. Poliment, Erulyn clôtura les conversations. Elles s’éloignèrent à pas mesurés, laissant derrière elles une foule indécise, partagée entre crainte et fascination.
— C’était… moins hostile que ce que j’imaginais, murmura Célia, un peu tendue, mais soulagée malgré elle.
— La peur fait oublier aux peuples ce qu’ils ont de plus noble. Nous prônons la paix et évitons les conflits inutiles. Tous les habitants d’Aldria vivent sur le même sol et sous le même ciel. Il est naturel de se montrer bienveillant. Donnez un peu de temps à ceux qui ne vous connaissent pas, et vous verrez : la plupart sauront vous tendre la main.
— D’autres comme nous sont déjà venus ici ? demanda Aelia, curieuse.
— Pas depuis deux millénaires, répondit Erulyn, son regard se voilant un instant. Après la Guerre Fantastique, nos liens avec les humains ont été rompus. Beaucoup les tenaient pour responsables du conflit… et certains n’ont jamais cessé de le croire.
Elle marqua une pause, puis, d’un ton plus léger reprit :
— Mais passons. Sylvae regorge de merveilles à découvrir. Y a-t-il un commerce qui vous attire ?
Les sœurs se laissèrent plutôt guider par le flot de la rue. Elles s’arrêtèrent devant une bijouterie, attirées par les pierres précieuses scintillantes exposées.
— Régente Erulyn, c’est un honneur ! s’exclama le bijoutier d’une voix suave. Et ces deux personnes qui vous accompagnent sont sans doute les humaines arrivées hier soir ? Que puis-je faire pour vous ?
— Euh… Pardonnez-nous, balbutia Célia, un peu déçue. Nous ne faisons que regarder. Nous n’avons pas d’argent…
Le bijoutier sourit avant de fouiller sous son étal. Il en sortit un petit coffret qu’il ouvrit délicatement. À l’intérieur reposaient deux colliers identiques : l’un composé d’une fine chaîne argentée ornée d’une pierre turquoise, l’autre inversant ces couleurs.
— Ces colliers sont pour vous. Ce ne sont pas mes plus belles pièces, mais l’intention y est.
Aelia et Célia échangèrent un regard stupéfait. L’une comme l’autre hésita à tendre la main, comme si ces colliers, trop précieux pour elles, risquaient de se briser au moindre geste. Elles attachèrent les colliers autour de leur cou sans dire un mot.
— Merci… murmura Célia, la voix un peu serrée.
Tandis qu’elles reprenaient leur marche, un vaste bâtiment circulaire attira leur regard : il était surmonté d’un dôme en verre duquel émergeait un majestueux arbre. Elles franchirent la porte, accueillies par de doux parfums.
À l’intérieur, des fleurs et des plantations fruitées s’épanouissaient dans des rondins de bois creusés et alignés bout à bout. Chaque feuille, chaque pétale semblait parfaitement entretenu, sans la moindre imperfection. Quelques alambics fumants sur des tables témoignaient de la préparation minutieuse de potions variées.
Le propriétaire leur expliqua avec passion les spécificités de la flore du Cratère Sylvestre. Avant leur départ, il leur tendit un petit pot en bois dans lequel trois tulipes jaunes se dressaient, éclatantes de vitalité.
— Elles s’ouvrent à la lumière du matin, précisa-t-il. On dit qu’elles guident les âmes égarées.
Aelia accepta le présent avec un sourire ému, caressant délicatement un pétale du bout des doigts.
— Elles sont magnifiques… Merci.
Le trio poursuivit sa visite, s’arrêtant tour à tour chez les éleveurs d’animaux, les sculpteurs et les scribes. Midi approchait, et l’estomac d’Erulyn gargouilla.
— Allons déjeuner dans une auberge plutôt qu’au palais, proposa la régente avec un sourire. Je vous invite !
Aelia et Célia acceptèrent avec enthousiasme. Le repas fut ponctué d’échanges chaleureux : les sœurs racontèrent des histoires de leur village et de ses nombreuses activités, tandis qu’Erulyn vantait les vertus de son peuple et la splendeur de sa cité. Une fois le repas achevé, la régente paya l’aubergiste avant de tendre une petite bourse à Célia contenant une vingtaine de pièces d’or.
— J’ai passé un très bon moment, souffla-t-elle en leur tendant la bourse. Ce n’est pas grand-chose, mais… considérez-le comme un premier pas.
Les deux sœurs remercièrent chaleureusement Erulyn pour son cadeau et le temps précieux qu’elle leur avait consacré.
— Amusez-vous bien, leur dit-elle, avant de les laisser.
Une fois rentrée au palais, elle retrouva l’agitation feutrée de la grande salle. C'était l’ambiance habituelle d’un début d’après-midi, mais Erulyn sentait quelque chose de différent, accentué par les quelques regards en biais dirigés vers elle. Mal à l’aise, la régente accéléra le pas vers ses quartiers. Soudain, des éclats de voix attirèrent son attention depuis un couloir adjacent. Ralentissant instinctivement, elle se glissa derrière l’angle et tendit l’oreille.
— On ne peut tolérer cela !
— Mais c’est la volonté de la régente, nous ne pouvons nous y opposer.
— Certes ! Mais entre la disparition de notre Grande Prêtresse, la menace des Neantys, et maintenant ces humaines… La situation devient critique ! Beaucoup commencent à se demander si placer cette gamine sur le trône n’était pas une erreur.
Les paroles frappèrent Erulyn en plein cœur. Elle pensait s’être habituée aux soupçons, mais les entendre formulés à voix haute était tout autre. il était compréhensible que certains n’aient pas confiance en elle, s’ils la comparaient à sa glorieuse mère.
La Grande Prêtresse, adulée et respectée, incarnait une autorité inébranlable, tournée vers le bien-être de ses sujets et les affaires inter-peuples. Pourtant, cette dévotion avait un prix. Souvent absente ou plongée dans de longues méditations pour communiquer avec la Grande Alyona, elle avait laissé peu de place à sa fille. Ces souvenirs douloureux firent monter des larmes aux yeux d’Erulyn tant elle lui manquait.
Ne pouvant contenir ses émotions plus longtemps, elle pressa le pas vers ses quartiers. Arrivée et une fois la porte bien verrouillée derrière elle, Erulyn s’effondra sur son lit et pleura sans retenue, le visage enfoui dans l’oreiller. Plus que tout, elle voulait simplement redevenir “la fille de la Grande Prêtresse”, et ne plus porter des responsabilités qu’elle n’avait pas demandées.
Milys se tenait adossée de l’autre côté de la porte. Elle l’entendait, et c’était loin d’être la première fois. Venue initialement la chercher pour une réunion importante, l’intendante s’éloigna en silence, réfléchissant déjà à l’excuse qu’elle devrait trouver.
Les jours s’égrenèrent, tissant peu à peu une routine pour les humaines. Aelia et Célia s’étaient progressivement adaptées à un rythme de vie nouveau : chaque matin, elles parcouraient la cité et échangeaient avec les habitants ; l’après-midi, elles proposaient leur aide ici et là ; le soir venu, elles bavardaient avec ceux qui acceptaient leur présence autour du dîner au palais. Les conseillers, ainsi que les religieux extérieurs à la faction de Caldor, se montraient de plus en plus ouverts.
Dix jours après leur arrivée à Sylvae, les habitants s’habituaient à leur présence, même si la méfiance demeurait. Pourtant, ces deux charmantes personnes ne ressemblaient en rien aux êtres barbares et assoiffés de sang que les chroniques du passé décrivaient.
Pendant ce temps, Erulyn passait la majeure partie de ses journées à s'occuper de ses devoirs administratifs, avec l’aide de Milys. La dirigeante ne voyait plus ses invitées qu’aux repas, se montrant joyeuse et rieuse devant elles, mais elle se reprochait de leur mentir et cela aggravait son mal-être.
Les derniers papiers classés, Erulyn emboîta le pas à Milys, le cœur déjà noué à l’idée de la réunion à venir. La jeune régente suivit l’intendante en silence, décidée à affronter cette nouvelle épreuve avec toute la gravité qu’exigeait son rôle. Le duo arriva devant la salle des négociations du palais, où les discussions se faisaient entendre de l’extérieur. Elles entrèrent.
Au centre de la pièce trônait une longue table rectangulaire. À droite, vêtus de longs habits blancs ornés de divers symboles religieux, étaient assis l’archidiacre Caldor et ses fidèles de la branche radicale du culte d’Alyona. En face d’eux se trouvaient les conseillers de la lignée divine, menés par Luka. Les deux camps, déjà rarement d’accord, avaient vu le fossé les séparant s’élargir depuis la disparition de la souveraine. Tous se turent et se levèrent à l’arrivée d’Erulyn, qui se dirigea vers sa place au bout de la table.
En marchant, elle leva les yeux vers le grand tableau derrière son siège : Alyona, la Première-née. Un vertige la saisit. Elle se sentait jugée, par elle, et par toutes celles qui l’avaient précédée, dont les portraits ornaient les murs. Toutes de puissantes femmes respectées et à la hauteur de leur rang.
Erulyn posa nerveusement ses mains sur le dossier de sa chaise et tourna son regard vers le tableau le plus éloigné, celui de la Grande Prêtresse Alervina, sa mère. Son expression sérieuse mais réconfortante la rassura, comme si elle la regardait et l’encourageait à donner le meilleur d’elle-même. Erulyn s’assit, tous en firent autant et la régente prit un ton le plus neutre possible.
— Je suppose que cette réunion concerne nos invitées exceptionnelles.
— Notamment, confirma Caldor, après s’être levé, nous craignons que leur présence parmi nous ne cause des problèmes.
— Pouvez-vous être plus précis ? demanda l’intendante.
— Vous devez comprendre que l’incertitude n’est pas une option en ces temps difficiles. Est-il justifié de laisser se promener deux humaines en notre territoire sacré ? Nous avons des problèmes plus urgents à régler, comme la défense de notre territoire face à une possible réapparition des démons, et la recherche de notre Grande Prêtresse. Pensez-vous que la reine des Lumiailes, avec son caractère bien connu, tolérerait cela en sa propre cité ? J’en doute fort. Des limites sont actuellement dépassées, et cela est inacceptable.
Le religieux se rassit, ses fidèles acquiescèrent en murmurant. En face, Luka ne cillait pas. Malgré leurs divergences, il reconnaissait à l’archidiacre un talent certain pour captiver une assemblée. Il se leva à son tour.
— Honorable Caldor, permettez-moi de vous rappeler que ce problème, si vous tenez à ce terme, ne relève pas de votre ordre. Bien que votre voix ait autant de poids que la mienne dans cette salle, la décision finale concernant une éventuelle expulsion de notre territoire reviendra à Erulyn, et à elle seule. Nos coutumes et nos préceptes sont totalement étrangers à ces deux réfugiées, mais elles font preuve d’une remarquable volonté d’intégration. Elles ne sont parmi nous que depuis une dizaine de jours mais ont été plus aimables que bien des Lumiailes venues avant elles. Et, avec tout le respect que je vous dois, archidiacre, ainsi qu’à son Altesse la reine Sorane, vous êtes parfois aussi tranchant qu’elle dans vos propos.
Les conseillers émirent de petits rires mesquins, les visionnaires s’offusquèrent de cette insulte. Caldor leva une main sèche, imposant le silence d’un simple geste d’autorité.
— Pourquoi ne pas simplement les renvoyer chez elles ? Elles ont certainement un foyer et une famille qui attendent leur retour.
— Quelle soudaine sensibilité, ironisa Luka. Vous voulez juste qu’elles partent et que la vie reprenne son cours comme si de rien n’était.
Le religieux arbora un sourire mauvais.
— En voilà un jeune haut conseiller plutôt futé, railla-t-il avant de tourner son attention vers Erulyn. Chère régente. Nous ne sommes pas dupes, vous nous cachez des choses et nous comptons bien découvrir ce que vous manigancez.
L'intéressée conserva tant bien que mal son masque de neutralité, pendant que Milys se levait à son tour.
— Passons sur un sujet plus intéressant que tenter de chasser deux personnes parfaitement intégrées à nos coutumes. Notre Maître-espionne nous a rapporté de nombreuses informations concernant la sombre épéiste responsable de la disparition de la Grande Prêtresse et de l’apparition des Neantys sur notre territoire.
— La déchue a-t-elle au moins trouvé quelque chose de pertinent ?
Le terme avec lequel l’archidiacre désignait Tyane faisait toujours monter la moutarde au nez d’Erulyn. Ce n’était pas la première fois qu’il l’appelait ainsi. Depuis ce triste jour où son amie fut infectée par la corruption des Neantys, il ne la considérait plus comme une elfe à part entière. Tout ce qu’il attendait à présent, c’était qu’elle succombe à la corruption et soit ainsi abattue telle une abomination.
Cela dit, Caldor n’avait pas tort sur une chose : Tyane avait pour mission d’enquêter sur les Neantys et de retrouver la mystérieuse guerrière en noir. Avoir escorté jusqu’ici deux étrangères, et surtout des humaines, n’était pas prévu.
— Tyane a été confrontée à la criminelle que nous recherchons, répondit Milys. Une femme armée d'une épée sinistre et utilisant une magie semblable à celle des Neantys. Les habitants des Plaines d'Ashon l’appellent Pourfendeuse de démons.
Elle rapporta ensuite toutes les informations recueillies par la Maître-espionne et ajouta les témoignages de Célia concernant le possible assassinat des deux Lumiailes marchands par cette femme. Son intervention dura une dizaine de minutes, sans qu'aucun n'ose l'interrompre. À la fin, un visionnaire supposa qu'il s'agissait d'une combattante alliée à un peuple magique. L'intendante rejeta cette hypothèse.
— Nous avons contacté les autres souveraines, aucune d'entre elles n'a eu vent de l'existence de cette personne. De plus, et c'est ce qui nous intrigue, les humains la traquent, malgré des actes apparemment héroïques contre les Neantys.
— Une héroïne ? s’écria un religieux choqué. Une sorcière maléfique, oui !
— Tout dépend du point de vue de chacun. Mais je vous accorde que combattre les démons avec une magie similaire à la leur est pour le moins intrigant. Il est évident que cette femme agit dans son propre intérêt, sans alliés notables. D’autres investigations seront surement nécessaires pour…
— Et concernant notre Grande Prêtresse ? interrompit Caldor.
— Malheureusement, les recherches ne progresseront pas tant que nous n'aurons pas appréhendé cette criminelle.
— Dans ce cas, que la déchue et ses sous-fifres aillent la capturer ! Elles peuvent bien se rendre utiles pour une fois !
Cette perspective était la plus envisageable mais quelque chose d’imprévu s’était produit : La Pourfendeuse de Démons avait échappé à Tyane et aux autres. Un véritable exploit au vu des atouts dont elles disposaient.
— N’ayez crainte, archidiacre. Tout est mis en œuvre pour retrouver notre souveraine.
— Cela fait plus de quatre mois que nous entendons la même chose ! s’agaça le religieux à bout de patience. Si cette poignée d’hérétiques menée par une Neantys en devenir persiste dans son incompétence, alors la solution est simple : envoyons notre armée fouiller les Terres Oubliées !
Tous les conseillers sans exception se levèrent et crièrent au scandale. Comment ce vieux fou sénile pouvait-il songer à une telle chose ? Les visionnaires les imitèrent pour défendre cette proposition, certes extrême, mais qui aurait au moins le mérite d’être efficace.
— Vous voulez provoquer un autre bain de sang juste pour une personne ? accusa sans détour Luka. Vous avez perdu l’esprit ? Alervina n’ordonerait jamais cela si sa fille et elle étaient dans la situation inverse !
— Les humains sont insignifiants ! Des milliers de plus ou des milliers de moins, quelle différence pour nous et pour tous les peuples magiques ? Ouvrez les yeux ! Ces êtres abjects nous ont pris notre créatrice il y a deux millénaires, et aujourd’hui notre Grande Prêtresse !
Caldor jeta un regard noir à Erulyn.
— Une véritable dirigeante aurait pris la bonne décision depuis longtemps, surtout pour retrouver sa propre mère. Vous n'êtes pas digne du rôle qui vous incombe, et vous ne le serez jamais.
— Comment osez-vous parler de cette manière à une descendante de la Première-née ?! s'indigna Milys, se laissant emporter par la discorde. Sachez rester à votre place, ou j’ordonne votre emprisonnement pour outrage envers la Lignée Divine !
Sous le regard figé d’Erulyn, la salle sombra dans la cacophonie. Chacun tentait d’écraser les autres à coup de cris et d’invectives, comme si le tumulte seul pouvait imposer sa loi. D’un côté, des fanatiques fermés d’esprit ne jurant que par leur divinité pourtant pacifique. Face à eux, des conseillers et une intendante la défendant bec et ongle depuis son intronisation hâtive. Bien que les débats dans cette salle fussent souvent houleux, ils n’avaient jamais atteint un tel niveau de violence.
Erulyn vacillait. Sa tête résonnait comme un tambour, sa vue se brouillait. Elle tremblait, agrippée à ses tempes, au bord de l’effondrement. Que faire ? Tout lui échappait. Son regard se figea sur le portrait de sa mère.
— Mère… Qu’auriez-vous fait ?
Mais au fond d’elle, la réponse était déjà là.
— Avec vous, jamais cela ne se serait produit…
À bout, Erulyn frappa des deux poings sur la table de toutes ses forces et cria à s’en faire mal à la gorge.
— ASSEZ ! TAISEZ-VOUS !
Le silence tomba et tous regardèrent l’enfant avec de grands yeux. Après quelques secondes à reprendre le contrôle de sa respiration, Erulyn quitta sa chaise et marcha d’un pas agacé vers la sortie de la pièce.
— Où allez-vous comme ça ? interpella Caldor. Nous n’en avons pas terminé !
— Je suis Erulyn ! Fille d’Alervina, descendante d’Alyona ! beugla la régente après s’être retournée, le visage froissé par la colère. Peut-être pas la Grande Prêtresse que vous espériez… mais je suis celle qui dirige cette cité à l’heure actuelle !
Visionnaires et conseillers étaient stupéfaits par tant d’agressivité. Les premiers se rendirent compte de leur comportement indigne, les seconds ne voyaient là qu’un ridicule caprice d’enfant. Milys et Luka la regardèrent avec une immense peine. Eux aussi avaient leur part de responsabilité.
— Ma mère me manque, et vous alourdissez ce fardeau un peu plus chaque jour… j'ai accepté d'endosser ce rôle mais tant que vos fidèle et vous-même, qui je rappelle n'êtes qu'un groupuscule isolé du culte d'Alyona, vous n'accepterez pas ma légitimité, nous n'avancerons pas !
Elle quitta la pièce en claquant la porte, laissant ces fanatiques douter de sa force et surtout de sa légitimité.
Voulant tout de même satisfaire leurs attentes, Milys invita tout le monde à se rasseoir pour poursuivre les discussions. Si ses actions pouvaient permettre à son amie de se souffler un peu et surtout de se calmer, alors elle était prête à tout encaisser.
En larmes, Erulyn fuyait à travers le palais, aussi misérable qu’impuissante. Comment tout avait-il pu déraper aussi vite… et si violemment ? Elle se retrouva dans le couloir au bout duquel se trouvait sa chambre, son refuge, et aperçut quelqu’un adossée aux portes.
Elle s’élança vers cette personne… la seule personne capable de la réconforter. Immédiatement, Tyane leva la main, l’arrêtant net. Depuis qu’elle avait développé ses sombres pouvoirs, son corps avait changé et elle refusait que celle qui fut autrefois sa plus proche amie sente cette froideur, cette corruption qui désormais l’habitait.
— J’en ai assez de tout cela ! s’écria la régente, tombant à genoux en sanglots. S’il te plait, retrouve ma mère ! J’ai tant besoin d’elle ! Fais quelque chose ! N’importe quoi !
Tyane demeura silencieuse et immobile un court instant, avant de poser un genou à terre. Son regard enténébré plongea dans celui implorant de la régente.
— Ce soir, une part de vos tourments cessera. Je m’en suis assurée.

| LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
|
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
3333 histoires publiées 1459 membres inscrits Notre membre le plus récent est Bleu Paris Festival |